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DROIT

Le droit est l'ensemble des règles générales et abstraites indiquant ce qui doit être fait dans un cas donné, édictées ou reconnues par un organe officiel, régissant l'organisation et le déroulement des relations sociales et dont le respect est en principe assuré par des moyens de contrainte organisés par l'État.


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La protection juridictionnelle des libertés contre l'exécutif et les particuliers



La protection juridictionnelle des libertés contre l'exécutif et les particuliers
Le principe de légalité, qui impose la conformité au droit de toutes les activités publiques ou privées, sous le contrôle du juge, bénéficie nécessairement au droit des libertés publiques. Les règles qui le composent s'imposent A  l'exécutif ' gouvernement et administration ' comme aux particuliers. Le juge est appelé A  assurer le respect de ces règles, par des voies diverses. C'est la solution la plus généralement admise dans les Etats libéraux. C'est aussi celle du droit positif franA§ais.



1 | THéORIE GéNéRALE

a–s Les diverses formes de l'intervention du juge
Le rôle du juge A  l'égard des libertés peut paraitre contradictoire.
Il se présente d'abord, en effet, comme le protecteur de l'ordre. Le juge pénal, dans la logique du système répressif (supra, p. 210), sanctionne, plus souvent, sur la base de la loi pénale, l'abus des libertés que l'atteinte aux libertés. MASme le juge civil est appelé, dans certains cas, A  censurer ces abus : c'est lui, par exemple, qui prononce la dissolution d'un syndicat ou d'une association.
Mais, A  l'opposé, c'est aussi au juge que le particulier doit s'adresser lorsque, victime d'une atteinte A  sa liberté, il entend obtenir réparation, soit A  l'encontre de l'administration, soit A  l'encontre d'un autre particulier.
En réalité, ces deux aspects de l'intervention du juge ne sont contradictoires qu'en apparence. MASme lorsqu'il intervient pour en sanctionner les abus, le juge protège la liberté. Il la protège d'abord parce que la répression, lorsqu'elle lui est confiée, comporte un ensemble de garanties de fond et de procédure dont elle serait dépourvue si c'était l'administration qui l'exerA§ait : c'est ce qui explique la préférence des libéraux pour le régime répressif. A partir du moment où il est admis qu'aucune liberté ne peut, dans le cadre d'une société organisée, s'exercer sans limites, le respect de ces limites est une des composantes du système libéral ; le seul problème est alors de savoir quelle autorité peut, sans risque d'abus, sanctionner les dépassements. L'expérience prouve que c'est l'intervention du juge qui réduit ce risque au minimum, pour les raisons analysées supra, p. 155 s.
La fonction répressive peut AStre mise plus directement encore au service des libertés. C'est le cas lorsque la loi pénale a érigé en délit l'atteinte A  la liberté d'autrui. En punissant l'auteur du délit, le juge protège donc la liberté de la victime. Or, de tels débits sont fréquents : violation du secret des correspondances, atteinte au libre exercice du culte, A  la liberté syndicale, pour s'en tenir A  quelques exemples. Dans cette perspective, l'homicide n'est-il pas une atteinte A  la liberté la plus fondamentale, celle de vie, et le vol, une atteinte A  la liberté de posséder ?
Ainsi, le juge, quelle que soit sa fonction, et mASme lorsqu'il réprime, apparait comme l'élément essentiel d'un système de sanctions du statut des libertés.

a–s Le choix du juge : unité ou dualité de juridiction ?
Selon qu'il s'agit de protéger les libertés contre les agents du pouvoir, ou contre les particuliers, deux solutions sont concevables : confier ces deux missions A  un seul et mASme juge, ou les répartir entre deux ordres de juridictions, les unes compétentes dans les rapports entre particuliers, les autres, dans les rapports avec l'administration.
Le problème déborde largement la seule protection des libertés, et s'étend A  l'ensemble du contentieux. Mais c'est sur ce terrain particulier qu'il a été le plus débattu : l'unité de juridiction, solution du droit anglo-saxon, a été longtemps la solution préconisée par les libéraux. La dualité, solution franA§aise, est souvent présentée aujourd'hui comme une protection plus efficace de la liberté contre le pouvoir.
» L'unité de juridiction, solution libérale initiale. ' La tradition juridique anglaise refuse, en principe, de distinguer, au point de vue tant du droit applicable que du juge compétent, entre les agents de l'administration et les particuliers. L'atteinte A  une liberté, quel qu'en soit l'auteur, agent public ou personne privée, oue A  la victime les mASmes procédures, devant le mASme juge. Ces procédures, qui varient selon la mesure de réparation qui est demandée, portent le nom de writs, ou orders.
Le plus célèbre est le writ d'habeas corpus destiné A  la protection de la liberté individuelle contre toute détention arbitraire. La victime, ou toute personne apte A  agir pour elle, demande au juge d'enjoindre A  celui qui la retient prisonnière de la faire aitre devant lui, et de justifier du titre juridique qui fonde la détention. Faute de titre, le juge ordonne a mise en liberté immédiate.
Sur Vhabeas corpus : DELIGNEÀRES, Le writ d'habeas corpus, 1952.
La désobéissance A  un order, mASme si elle émane d'un agent public, expose son auteur aux peines rigoureuses du Contempt of Court : le juge peut aller jusqu'A  faire incarcérer le récalcitrant.
Cette soumission des autorités publiques A  la mASme autorité que les particuliers a été longtemps considérée par les libéraux comme la seule protection efficace des citoyens contre l'arbitraire du pouvoir.
» La tradition franA§aise est inverse. Couronnant les efforts de la monarchie pour soustraire les agents du roi au contrôle des parlements, la Révolution, dans une série de textes célèbres, fait défense aux juges de connaitre des actes des administrateurs.
On sait que cette solution prétend s'appuyer sur le principe de la séparation des pouvoirs, ce qui est d'autant plus surprenant que c'est en Angleterre, précisément, que Montesquieu a cru découir le principe. Il n'est pas moins paradoxal de voir les libéraux de 1789 soustraire les agents publics au contrôle du juge : c'était, A  une époque où il n'existait pas de juridiction administrative, lier les administrés, et leurs libertés ' qu'on venait pourtant de proclamer solennellement ' A  l'arbitraire. Cette grave inconséquence des hommes de la Révolution ne peut guère s'expliquer que par leur optimisme, et leur certitude que, dans le régime qu'ils fondaient, les agents publics ne pourraient s'ésectiuner de - la volonté générale -.
La création et le développement, A  partir de l'an VIII, d'une autorité juridictionnelle spécialisée dans le contentieux administratif, et susceptible, dès lors, de censurer les actes des agents publics portant illégalement atteinte aux libertés, sont progressivement venus combler la brèche que la Révolution avait laissée ouverte dans le système destiné A  les protéger. Le principe de la dualité des juridictions a ainsi conduit A  confier au juge ordinaire, outre la répression pénale, la protection des libertés entre particuliers, au juge administratif, la protection des libertés contre les autorités publiques.
» La tradition libérale a longtemps vu, dans l'existence de la juridiction administrative, une aggravation de l'arbitraire. L'origine napoléonienne de l'institution laissait penser que, comme toutes les créations consulaires et impériales, elle tendait au renforcement du pouvoir : il s'agissait, croyait-on, de donner, aux actes de ses agents, un juge partial et complaisant. La solution anglaise était, en contrepartie, exaltée au nom de la Liberté.
En France, la suppression des juridictions administratives fut demandée par les libéraux sous la Restauration. En Belgique, la Révolution de 1831 qui mit fin A  la domination hollandaise, adopta le principe de l'unité de juridiction. La plupart des révolutions libérales du xrxe siècle, en Europe et en Amérique du Sud, se prononcèrent dans le mASme sens.
» Une double évolution, dans les faits et dans les esprits, a modifié cet état de choses.
a) Le système de l'unité de juridiction, mASme sous sa forme britannique ' la plus achevée ' a révélé des faiblesses.
La procédure, concentrée pour l'essentiel devant la High Court de Londres, est, de ce fait, difficilement accessible, lente et coûteuse. De plus, la compétence du juge n'est pas générale : certains orders ne peuvent AStre utilisés que contre les autorités locales, non contre les agents de la couronne. Mais surtout, le Parlement, maitre de la loi, qui lie le juge, peut définir les pouvoirs qu'il entend donner A  l'administration en termes si larges qu'ils ont longtemps désarmé le contrôle judiciaire.
Lorsque la loi, par exemple, décide que le ministre aura le pouvoir de prendre telle décision - quand il l'estimera nécessaire -, la victime de la décision, si elle saisit le juge, s'entendra répondre que l'unique condition légale mise A  cette décision se trouve remplie, dès lors que le ministre s'affirme convaincu de la nécessité où il était de la prendre. Or, l'évolution du régime parlementaire britannique aboutit A  souder étroitement le gouvernement formé des leaders du parti vainqueur, et la majorité qu'ils ont conduite A  la victoire, de telle sorte que celle-ci, pour réaliser le programme du parti, n'hésite pas A  accorder au gouvernement tous les pouvoirs jugés par lui nécessaires. D'où la fréquence des lois donnant A  l'administration des compétences - A  l'épreuve du juge -.
En présence de telles lois, le juge, malgré son prestige, s'est longtemps révélé timide, freiné par la crainte d'un conflit avec un gouvernement soutenu par la majorité : il les appliquait A  la lettre, sans se hasarder ' comme le Conseil d'Etat franA§ais ' A  des interprétations audacieuses. Ce n'est que récemment qu'il a commencé A  montrer plus d'audace.
Ces raisons expliquent les critiques qui, en Angleterre mASme, se sont fait entendre A  l'égard de la solution traditionnelle. Certains auteurs ont osé affirmer que le système franA§ais de la juridiction administrative était, pour la protection des administrés contre l'arbitraire, plus efficace. Son adoption a cependant été écartée, mais la procédure quelque peu archaïque des orders a été largement unifiée en 1977 dans le cadre de Y application for judicial review, et l'évolution de la High Court dans le sens d'un contrôle plus strict de l'administration doit sans doute quelque chose A  l'exemple de la jurisprudence du Conseil d'Etat.
b) Parallèlement, mais en sens inverse, le Conseil d'Etat franA§ais a fait, notamment A  partir du Second Empire, la
lpreuve de son indépendance et de son efficacité au service des ibertés. Au fur et A  mesure que sa jurisprudence restrictive du pouvoir discrétionnaire s'est développée, et qu'elle a été mieux connue, l'image ancienne du juge administratif serviteur du pouvoir s'est effacée, non seulement dans l'opinion franA§aise, mais encore A  l'étranger. Le sentiment prévaut, parmi les libéraux, qu'un juge administratif, parce qu'il connait mieux l'administration, est mieux A  mASme d'en censurer les abus qu'un juge judiciaire, enclin A  la timidité par la conscience qu'il a de ne pas connaitre toutes les données du problème A  lui soumis.
Particulièrement révélatrice de ce retournement de l'opinion libérale est l'évolution de la Belgique : ayant fait, depuis 1831, l'expérience de l'unité de juridiction, et constaté l'échec du contrôle de l'arbitraire administratif par le juge judiciaire, elle s'est, en 1946, dotée d'un Conseil d'Etat largement inspiré du modèle franA§ais. La mASme inspiration libérale qui avait fait condamner la solution A  l'origine l'a fait triompher un siècle plus tard.


2 | LES SOLUTIONS DU DROIT POSITIF



a–s La répartition des compétences

La dualité des ordres de juridiction pose le difficile problème de la répartition des compétences entre eux. Comment les principes généraux de la matière s'appliquent-ils au droit des libertés publiques, et quel est, dans ce domaine, le rôle imparti A  chaque juridiction ?


» La compétence du juge judiciaire.

a) Le juge judiciaire possède une compétence exclusive dans le domaine répressif. Qu'il s'agisse d'abus de la liberté ou d'atteintes A  une liberté, chaque fois qu'une sanction pénale est prévue, c'est lui seul qui a qualité pour connaitre de l'action publique, quelle que soit la qualité du prévenu, particulier ou agent public, et pour prononcer la condamnation ou la relaxe.
b) Le juge civil est exclusivement compétent en cas d'atteinte ' non pénalement sanctionnée ' A  la liberté d'un particulier impule A  un autre particulier : ainsi, par exemple, lorsqu'un employeur congédie un salarié en raison de son appartenance A  un syndicat, ou lorsqu'un journaliste, sans aller jusqu'A  la diffamation, qui est pénalement sanctionnée, s'immisce abusivement dans la vie privée d'autrui.


c) En ce qui concerne la protection des particuliers contre l'administration, la compétence judiciaire n'est pas totalement écartée. Elle s'exerce, pour l'essentiel, par deux voies, l'une exclusive, l'autre parallèle A  la compétence administrative.
' La compétence exclusive s'applique A  la voie de fait. Les éléments essentiels de cette théorie ont été rappelés supra, p. 27. Elle constitue une survivance de la tradition libérale du XIXe siècle (supra, p. 254) qui, par défiance envers le juge administratif, cherchait A  assurer A  l'administré, pour les atteintes les plus graves portées A  ses libertés par l'administration, la protection du juge judiciaire.
Controverses autour de la voie de fait. ' On a souligné (supra, p. 27) l'importance de cette notion pour la théorie juridique des libertés publiques : elle est la seule institution qui, dans le droit administratif franA§ais, attache une conséquence juridique, sur le terrain de la sanction, A  la qualification de - liberté publique - donnée A  un droit.
Du point de vue pratique, cependant, la protection renforcée qu'elle entend attacher A  cette qualification est-elle efficace ? On peut ésectiuner la justification initiale de la théorie : nul aujourd'hui ne soupA§onnerait le juge administratif, en présence des graves abus qu'elle recoue, de complaisance envers l'administration. Contre la notion, on fait valoir surtout les difficultés de compétence qu'elle provoque. En effet, la distinction entre l'illégalité grave ' qui relève du juge administratif ' et la voie de fait est souvent difficile. Plus d'une victime s'y trompe. Si c'est au juge administratif qu'elle s'adresse, et si celui-ci estime qu'il y a voie de fait, il se déclare incompétent : la victime doit repartir A  zéro devant le juge judiciaire. Il en est de mASme en sens inverse, si le juge judiciaire saisi estime qu'il n'y a pas voie de fait, mais simple illégalité relevant du juge administratif, ou si, le conflit ayant été élevé, le Tribunal des conflits se prononce dans le mASme sens. Tout cela retarde la réparation, dans un domaine où la rapidité de la décision du juge est un élément de protection essentiel.
En sens inverse, deux arguments pèsent d'un poids certain. Par la théorie de la voie de fait, la victime peut mettre en cause la responsabilité personnelle de l'agent coupable, en mASme temps que celle de la personne publique. Or, la menace qui e ainsi sur ceux que l'arbitraire tenterait est un frein salutaire. Mais surtout, le juge civil, en cas de voie de fait, dispose A  l'égard de l'administration des mASmes pouvoirs qu'A  l'égard des personnes privées : il peut lui adresser des injonctions, assorties d'astreintes, et aboutir ainsi A  une réparation en nature. Le juge administratif, lui, ne se reconnaissait que le pouvoir d'accorder une indemnité, jusqu'A  la loi du 16 juillet 1980, infra, p. 270.
La jurisprudence reste fidèle A  la voie de fait. Les conclusions du commissaire du gouvernement Fournier dans l'affaire Voskresensky (ce, 9 juillet 1965, AJ, 1965, p. 603), proposant de limiter la notion A  la protection de la seule liberté individuelle, A  l'exclusion de toutes les autres, n'ont pas été suivies, et le Tribunal des conflits (27 janvier 1966, Guigon, AJDA, 1966, p. 547), puis le Conseil d'Etat (19 octobre 1969, Consorts Muselier, AJDA, 1969, p. 699), ont confirmé leur attachement A  la notion, qui garde toute son actualité (cf. en ce sens tc, 9 juin 1986, Eucat, JCP, 1987, J. n" 20746, note B. Pacteau). Seul assouplissement : le Conseil d'Etat semble vouloir élir un lien entre la théorie de la voie de fait et celle de l'inexistence. La gravité du vice qui entache l'acte constitutif de voie de fait en ferait, nécessairement, un acte inexistant. Or, tout juge a qualité pour constater l'inexistence d'un acte. Le juge administratif, saisi, pourrait donc sinon réparer le dommage ' compétence réservée au juge judiciaire ', du moins statuer sur ce premier point, au lieu de se déclarer incompétent sur le tout.
La seule solution vérilement protectrice des libertés lierait la compétence au choix initial fait par la victime : quel que soit le juge saisi par elle ' administratif ou judiciaire ', il serait habilité A  statuer. Mais la jurisprudence ne parait pas vouloir s'engager dans cette voie.
Sur les discussions A  propos de la voie de fait : Leclercq, Le déclin de la voie de fait, RDP, 1963, p. 657 ; A. Bockel, La voie de fait, mort et résurrection d'une notion discule, D., 1970, Chron., p. 29, et les notes de MM. Web., D, 1961, p. 661, et Waline, RDP, 1970, p. 774.
' Le juge judiciaire possède d'autre part une compétence parallèle A  celle des tribunaux administratifs : dans l'exercice de sa fonction répressive, il peut, lorsque le prévenu invoque l'illégalité d'un acte administratif réglementaire, se prononcer sur ce point, comme le fait le juge administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir. Certes, la déclaration d'illégalité émanant du juge répressif ne l'autorise pas A  annuler l'acte. Mais, en prononA§ant la relaxe des contrevenants, il aboutit A  le priver de toute sanction et A  en paralyser l'application. De plus, l'exception d'illégalité n'est enfermée dans aucun délai : elle fournit donc au particulier un moyen de défense contre un règlement protégé par l'expiration du délai du recours pour excès de pouvoir.
» La compétence du juge administratif. ' Elle s'étend, réserve faite de la théorie de la voie de fait, A  l'ensemble des actes et agissements administratifs, sous la double forme du contentieux d'annulation, et du contentieux de l'indemnisation. C'est donc au juge administratif que doit s'adresser le particulier, lorsqu'il s'estime victime d'une atteinte illégale A  une de ses libertés de la part d'une autorité publique, pour obtenir, soit l'annulation de l'acte par le recours pour excès de pouvoir, soit la réparation du dommage lorsque le comportement de l'administration présente les caractères d'une faute de service.
On peut donc dire que, pour l'essentiel, la protection des libertés contre l'arbitraire de l'administration incombe au juge administratif : d'où son rôle capital en ce domaine, et l'importance de ses initiatives jurisprudentielles.
» Un chef de compétence disputé : la protection de la liberté individuelle. ' C'est un principe fondamental du libéralisme que nul ne peut AStre privé de sa liberté, et détenu, qu'en vertu d'une décision de l'autorité judiciaire. Toute détention arbitraire est un délit, soit qu'elle émane d'un particulier (séquestration), soit ' hormis les exceptions prévues par la loi ' qu'elle émane d'un agent public. L'article 66 de la Constitution de 1958 donne, A  cette règle traditionnelle, force constitutionnelle : - Nul ne peut AStre arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. -
II semblerait donc que les atteintes A  la liberté individuelle dussent échapper en totalité A  la compétence administrative. En réalité, il n'en est pas ainsi, et l'administration, paradoxalement aidée par le Conseil d'Etat et mASme par le Tribunal des conflits, n'a cessé de tenter de soustraire au juge judiciaire au moins quelques parcelles de sa compétence au profit du juge administratif.
» Cette tendance s'est affirmée, dans un premier temps, A  propos de l'article 112 du Code d'instruction criminelle (remplacé depuis par le Code de procédure pénale). La loi du 7 féier 1933 lui avait donné la rédaction suivante : - Le conflit ne peut jamais AStre élevé, et les tribunaux judiciaires sont toujours exclusivement compétents, dans toute instance civile fondée sur des faits constituant, au pénal, atteinte A  la liberté individuelle. - La première hypothèse visée par le texte est celle dans laquelle les victimes d'atteintes A  la liberté individuelle constituant des délits, et commises par des agents publics, demandent au juge civil la réparation du préjudice qu'elles ont subi. Dans ce cas, l'administration recourait fréquemment A  l'élévation du conflit. Il en résultait pour l'agent, au minimum, un gain de temps, au détriment de la victime. La situation était plus grave encore lorsque l'action civile était intentée, en mASme temps que l'action pénale, devant le juge répressif : dans ce cas, en effet, l'instance pénale risquait de demeurer suspendue jusqu'A  ce que le tribunal des conflits eût statué sur la compétence relative A  l'action civile. La loi de 1933 entendit couper court A  ces manœues dilatoires : les termes dans lesquels elle interdisait l'élévation de semblables conflits semblaient exclure toute équivoque.
» Pourtant, l'administration persévéra dans son attitude, et continua malgré l'interdiction formulée par le législateur, d'élever le conflit, soit devant le juge civil, soit sur l'action civile devant le juge pénal. Elle y était encouragée par la jurisprudence administrative : saisi d'une action en responsabilité contre l'Etat par les victimes d'atteintes A  la liberté individuelle, le Conseil d'Etat, ignorant délibérément l'article 112, n'avait pas hésité A  statuer au fond (7 novembre 1947, Alexis et Wolf, D, 1948, p. 472). Le Tribunal des conflits, dans l'arrASt du 27 mars 1952. Dame de La Murette (Gr. Ar., p. 484), vint, par une interprétation abusivement restrictive de ce mASme article, donner aux manœues de l'administration une apparence de justification. L'arrASt distingue, selon que la victime a dirigé l'action civile contre l'agent coupable, ou a également, par crainte de l'insolvabilité de l'agent, mis en cause la personne publique : si l'action intentée contre l'agent relève toujours de la compétence judiciaire sans qu'il y ait A  distinguer entre faute personnelle et faute de service, par contre, le juge administratif est seul compétent pour l'action dirigée contre la personne publique. Cette distinction était manifestement contraire aux termes de la loi, qui donnait - toujours - une compétence - exclusive - aux tribunaux judiciaires - dans toute instance civile - fondée sur des atteintes A  la liberté individuelle.
L'arrASt Dame de La Murette réserve cependant le cas où de telles atteintes sont constitutives de voies de fait : mais il réduit considérablement la portée de cette réserve, en décidant que, lorsque les faits sont intervenus durant une période de circonstances exceptionnelles, ils perdent le caractère de voies de fait pour ne plus constituer que des fautes de service relevant de la compétence administrative.
» Contre cette jurisprudence, qui trahissait sa volonté de confier au juge judiciaire tout le contentieux des atteintes A  la liberté individuelle, le législateur a vigoureusement réagi. Dans le Code de procédure pénale qui remplace en 1957 le Code d'instruction criminelle, l'ancien article 112, devenu article 136, est repris intégralement, mais avec une adjonction condamnant de la faA§on la plus directe la jurisprudence Dame de La Murette : - Le conflit ne peut jamais AStre élevé, que l'action soit dirigée contre la collectivité publique ou contre ses agents. -
La cause paraissait entendue, et l'intégralité de la compétence judiciaire en matière de liberté individuelle solidement garantie.
» Le Tribunal des conflits a alors porté la défense de la compétence administrative sur un terrain nouveau : l'arrASt Clément, du 16 novembre 1964 (D, 1965, p. 668), introduit en la matière la jurisprudence relative aux questions préjudicielles en matière civile (tc, Septfonds, 16 juin 1923, Gr. Ar., p. 243). Le juge administratif reste donc compétent, lorsque l'atteinte A  la liberté dont la victime demande réparation au juge civil résulte d'une décision administrative individuelle, pour apprécier la légalité de cette décision ou l'interpréter, et le conflit peut AStre élevé sur cette question préjudicieUe. Il ne reste donc au juge judiciaire, d'après cette jurisprudence, qu'A  fixer le montant de l'indemnité due A  la victime après que le juge administratif a tranché le point essentiel, c'est-A -dire le caractère légal ou illégal de l'acte qui a servi de base A  la détention.


On peut résumer ainsi la situation qui découle de cette jurisprudence :
a) Si l'atteinte A  la liberté individuelle constitue une voie de fait, c'est-A -dire ne se fonde sur aucune décision, ou sur un acte - insusceptible de se rattacher A  un pouvoir de l'administration -, la compétence appartient au juge civil, par application de la théorie de la voie de fait et de l'article 136 cpp.
b) Si l'atteinte A  la liberté individuelle se fonde sur une décision administrative :
' le juge civil (ou le juge pénal statuant sur l'action civile) est compétent pour réparer le dommage, sans qu'il y ait A  distinguer selon que l'action est dirigée contre l'agent ou contre la personne publique, ni selon qu'il s'agit d'une faute personnelle ou d'une faute de service (art. 136 cpp) ; ' le juge administratif est compétent pour décider, sur question préjudicielle, du caractère légal ou illégal de la mesure incriminée (jurisprudence Clément).
Les péripéties qu'on vient de retracer sont déconcertantes, et la solution A  laquelle elles ont conduit est la plus mauvaise qui soit.
» Elles sont déconcertantes. La volonté du législateur est, pour une fois, très claire : pour assurer une protection plus rapide, donc plus efficace, de la liberté individuelle, assise de toutes les autres, il a entendu unifier la compétence, et couper court, par lA , aux retards, aux atermoiements et aux manœues que permet tout partage entre les deux ordres. La résistance systématique du juge A  la loi est toujours choquante : elle 1 est davantage encore lorsque cette loi tend A  une simplification protectrice de la liberté. On conA§oit A  la rigueur que l'Ordre administratif répugne A  s'incliner, dans la mesure où l'attitude du législateur peut lui sembler procéder d'une préférence accordée au juge judiciaire pour assurer la défense de la liberté individuelle. Mais, outre que les amours-propres corporatifs ne sauraient peser face A  l'intérASt des victimes d'actes arbitraires, les dispositions de la loi s'inspirent de la crainte des atermoiements liés aux conflits de compétence, non d'une quelconque défiance envers le juge administratif. Tout aussi déconcertante est l'attitude du juge judiciaire, qui ne semble pas très soucieux, fût-ce au sein du Tribunal des conflits ' les arrASts Dame de La Murette et Clément en témoignent ' de défendre la compétence exclusive que la loi lui confie, et de tirer, de son titre constitutionnel de - gardien de la liberté individuelle -, toutes les conséquences qu'il comporte.
» Quoi qu'il en soit, la solution retenue est mauvaise, dans la mesure où elle repose sur un partage de compétence. Que celle-ci soit, en la matière, exclusivement judiciaire, ou exclusivement administrative, peu importe, en un sens, car on peut faire une confiance égale au libéralisme de chacun des deux ordres. L'essentiel est que, dans une matière qui met en cause la plus importante de toutes les libertés, celle dont la protection exige les décisions les plus rapides, la compétence soit certaine et exclusive, pour que la victime n'aie pas A  hésiter sur le juge qu'elle doit saisir, et pour que celui-ci, une fois saisi, puisse rendre sa décision sans que des complications procédurales viennent la retarder. C'est la voie que le législateur avait choisie. C'est, très exactement, la voie opposée que la jurisprudence a consacrée. Tout se passe comme si les nécessités pratiques inhérentes A  la défense efficace des victimes de détentions arbitraires avaient été sacrifiées A  des théories juridiques abstraites, et d'ailleurs contesles. Les difficultés de compétence sont, on le sait, un des points faibles du système juridique franA§ais : mais il n'est aucun domaine dans lequel elles s'avèrent aussi choquantes que dans celui-ci. Peut-on espérer que l'affirmation par le Conseil constitutionnel de la valeur constitutionnelle de la compétence judiciaire en matière de protection de la liberté individuelle amènera le Tribunal des conflits A  abandonner les jurisprudences Dame de La Murette et Clément, et A  consacrer en la matière une compétence judiciaire exclusive ? Cf. en ce sens GDCC, p. 352, sous la décision du 12 janvier 1977, p. 341. Rien ne confirme encore, malheureusement, l'acceptation par les juridictions concernées de la seule solution en accord avec les textes, le bon sens, et la protection efficace de la liberté.


a–s Valeur pratique des solutions franA§aises

L'intervention du juge, telle qu'elle est aménagée par le droit positif, procure-t-elle A  la victime d'une atteinte A  la liberté des garanties efficaces ?
» Une première série de remarques s'applique tant A  l'un qu'A  l'autre des deux ordres de juridictions qui concourent A  la protection des libertés. L'intervention du juge, quel qu'il soit ' et mis A  part le cas de l'action pénale, qui peut procéder de l'initiative du ministère public ', suppose une démarche de la victime : le juge ne peut statuer que s'il est saisi. Or, la victime peut hésiter A  recourir A  la protection juridictionnelle : ignorance des voies A  suie, des délais, crainte d'AStre entrainée dans des frais qu'on a souvent tendance A  surévaluer, hésitation du profane au seuil de ce monde inconnu et souvent redouté qu'est le monde juridictionnel, tout cela peut inciter la victime A  préférer la passivité au combat pour défendre sa liberté. De plus, et surtout, il est fréquent que la victime se trouve, A  l'égard de celui dont émane l'acte arbitraire, en situation de dépendance : c'est normalement le fort qui porte atteinte A  la liberté du faible. Ces situations de dépendance, on l'a vu (supra, p. 196), sont fréquentes entre particuliers : A  plus forte raison l'administré se sent-il, vis-A -vis de toute autorité publique, en état d'infériorité. D'où la tentation, pour la victime, d'accepter l'atteinte A  sa liberté, de peur que le recours au juge lui aliène définitivement celui qui la lui a infligée, et entraine pour lui un mal plus grand.
Ces hésitations sont d'autant plus fortes que la victime se situe, dans l'échelle sociale, A  un niveau plus bas. Or, ce sont précisément les petits dont la liberté est, en général, plus menacée. Si bien que la protection du juge risque de profiter plus facilement A  ceux auxquels leur culture, leur situation, leur indépendance, en rendent l'accès plus aisé, c'est-A -dire A  ceux qui en ont le moins besoin.
D'autre part, la protection des libertés, plus que toute autre matière, exige une intervention rapide. Or, l'action du juge. est nécessairement lente du fait des procédures qui en font par ailleurs la valeur.
» La dualité des juridictions, d'après l'expérience franA§aise, assure une meilleure protection du citoyen contre l'administration. Mais cet avantage a une contrepartie : l'imbrication fréquente des deux compétences administrative et judiciaire entraine parfois l'incertitude pour les plaideurs, et de longs délais avant qu'ils obtiennent satisfaction. On l'a constaté A  propos de la voie de fait (supra, p. 257) et de la protection de la liberté individuelle (supra, p. 259). Ces exemples ne sont pas les seuls. Dans le domaine des relations de travail, le souci de protéger la liberté syndicale a conduit A  subordonner le licenciement des représentants du personnel par l'employeur A  une autorisation administrative, dont la légalité, appréciée par le juge administratif, conditionne la régularité du licenciement, qui relève, elle, de la compétence judiciaire ; d'où un enchevAStrement des procédures, qui retarde parfois durant des années la décision finale.
Bien entendu, il ne faut pas pousser ces remarques A  l'extrASme, et sous-estimer l'efficacité pratique d'une protection que, bien souvent, les victimes, mASme modestes, osent et savent mettre en mouvement. Malgré tout, les risques qu'on vient d'évoquer conduisent A  s'interroger sur l'intérASt des procédures non juridictionnelles (infra, p. 272).
Sur cet aspect du problème : J. Rivero, Sanction juridictionnelle et règle de droit. Mélanges Julliot de La Morandière, 1964, p. 447.


» La protection par le juge judiciaire.

a) Dans les rapports entre particuliers, le juge dispose de moyens qui peuvent rendre son action efficace, notamment par la voie du référé, qui lui permet d'intervenir rapidement et qui a pris récemment une importance accrue, notamment dans le domaine de la protection de la vie privée. La condamnation sous astreintes, d'autre part, et les voies d'exécution, assurent que les jugements ne resteront pas lettre morte.
Mais la protection n'a pas la mASme efficacité dans tous les domaines. Dans le contentieux des relations de travail, en particulier, la réintégration dans l'entreprise du salarié abusivement congédié, par exemple en raison de ses opinions politiques ou syndicales, mASme si elle est ordonnée par le juge, se heurte au principe selon lequel nul ne peut AStre contraint A  l'exécution matérielle d'une obligation de faire. L'employeur qui refuse la réintégration n'est condamné qu'A  des dommages-intérASts. Ainsi parvient-il A  son but, qui est l'élimination du travailleur. Pour celui-ci, il est bien évident que nulle indemnité ne saurait compenser la perte de son emploi. Sa liberté, en pratique et malgré l'intervention du juge, se trouve donc méconnue : il suffit d'y mettre le prix.
b) Lorsque c'est A  légard de l'administration que le juge judiciaire est appelé A  protéger les libertés, on pourrait penser, a priori, que son intervention est particulièrement efficace, tant l'administration met de soin A  s'efforcer de l'ésectiuner. On en a vu un exemple A  propos de la liberté individuelle. Tout aussi révélatrice est la multiplication, A  l'initiative de l'exécutif, dans toutes les périodes de crise, des juridictions exceptionnelles : les gouvernements redoutent, de la part des juges ordinaires, trop de scrupules et un excès de sérénité, ce qui est le plus bel hommage qu'ils puissent leur rendre.
Il convient pourtant de nuancer cette impression. Etranger A  la vie administrative, le juge judiciaire éprouve parfois une sorte de timidité lorsqu'il est appelé A  censurer les actes des agents publics. Les cas ne sont pas rares dans lesquels le juge répressif, saisi par voie d'exception, n'a pas osé admettre l'illégalité d'un règlement que le juge administratif, saisi par la voie du recours pour excès de pouvoir, n'hésite pas, quelques mois plus tard, A  annuler. Si l'on peut heureusement tenir pour exceptionnelles et liées A  des moments de crise, certaines complaisances du juge répressif A  l'égard de policiers dont il était appelé A  sanctionner les abus (cf., pour des exemples particulièrement scandaleux, notre note au JCP, 1953, nA° 7797), il reste qu'il lui est parfois difficile de se montrer sévère A  leur égard, sous peine de compromettre la collaboration que les nécessités de l'enquASte imposent entre magistrature et police.
Plus généralement, l'ordre judiciaire, dans son ensemble, et sauf exception, semble protéger plus efficacement les libertés qui interfèrent plus directement avec sa sphère normale d'activité, notamment la propriété et les libertés économiques. Lorsqu'il s'agit de libertés dont les manifestations intéressent plutôt l'ordre public, il se montre plus réservé. Le bilan apparait donc nuancé, et ne suffit pas A  justifier la confiance exclusive mise par le libéralisme du xixe siècle dans le seul ordre judiciaire pour défendre les libertés contre le pouvoir.
Cf. T. Cathala, Le contrôle de la légalité administrative par les tribunaux judiciaires, 1966.


» La protection par le juge administratif. ' On s'accorde A  célébrer l'œue accomplie, pour la défense des libertés, par la juridiction administrative, et singulièrement par le Conseil d'Etat. L'hommage est largement mérité, et les initiatives qui le justifient sont trop connues pour qu'il soit nécessaire de s'y appesantir : qu'il s'agisse d'étendre son contrôle A  la quasi-totalité des actes de l'exécutif, ou d'en approfondir les exigences, notamment A  l'égard des motifs, la jurisprudence n'a cessé de pourchasser l'arbitraire. Avec la théorie des principes généraux du droit, elle a incorporé A  l'ordre juridique positif l'essentiel de la tradition libérale. Et le Conseil d'Etat a su ne pas s'ésectiuner de cette tradition mASme dans des périodes difficiles où, face A  un pouvoir autoritaire ou partisan, il y fallait quelque courage : lutte antireligieuse du début du siècle, régime de Vichy, lendemains de la Libération, guerre d'Algérie.
Il serait cependant inexact de minimiser la part faite par la jurisprudence au souci de l'ordre. Des théories comme celle des circonstances exceptionnelles, ou encore la légalité, reconnue par le juge, des interdictions de police, mASme A  l'égard d'une liberté définie, lorsque l'ordre l'exige (cf. la jurisprudence Benjamin), en témoignent. Le Conseil n'entend sacrifier ni l'ordre, ni la liberté. Optimiste, il croit possible de les concilier. Réaliste, il sait, de par sa connaissance intime de l'administration, le point exact où cette conciliation peut s'opérer, et, mieux que le juge judiciaire, il peut, dans la protection de la liberté, oser aller très loin, parce qu'il a la certitude de ne pas aller trop loin.
Est-ce A  dire que la protection des libertés par le juge administratif soit sans failles ? Des points faibles subsistent, qu'il faut signaler.
a) Quelques-uns tiennent aux principes généraux du contentieux administratif. En vertu du principe dit de la séparation des fonctions (séparation, au sein de l'exécutif, entre l'administration qui agit et l'administration qui juge), le juge administratif limite très étroitement ses pouvoirs. Prononcer contre l'administration une condamnation A  faire, lui adresser une injonction, se substituer A  elle pour accorder au requérant le droit qu'elle lui refuse illégalement, ce serait, estime le Conseil d'Etat, s'immiscer dans l'action administrative. Les pouvoirs du juge se limitent A  l'annulation des décisions irrégulières, et A  l'indemnisation des dommages. Or, ni l'une ni l'autre de ces mesures ne constituent, dans bien des cas, un moyen de protéger l'exercice effectif de la liberté.
Le Conseil d'Etat ' paradoxalement si l'on songe A  certaines de ses andaces ' est très attaché A  cette attitude de réserve A  l'égard de l'administration, attitude qui est. d'ailleurs, beaucoup moins commandée par les textes que par la volonté d'autolimitation du juge. Il est allé jusqu'A  ériger en règle d'ordre public l'interdiction du procédé de l'injonction : un tribunal administratif, qui avait eu le courage de recourir A  ce procédé, a vu, sur appel, son jugement annulé par le Conseil d'Etat, pour ce seul motif, et alors mASme que l'administration ne l'avait pas relevé (ce, 17 ail 1963, Faderne, D, 1963, p. 689).
b) Un second principe fondamental, A  l'égard duquel le juge est sans pouvoir car il tient A  la nature des choses, limite encore la portée de l'intervention du juge administratif : l'administration, condamnée, ne peut AStre forcée A  l'exécution. Elle dispose de l'ensemble des moyens de contrainte, et peut seule les mettre en mouvement : comment le ferait-elle contre elle-mASme ? Si elle refuse de tirer, de la décision du juge, les conséquences qu'elle comporte, nul ne peut, par la force, l'obliger A  le faire. L'exécution, de sa part, est donc toujours volontaire.
Tout repose, en définitive, sur le respect spontané du droit et du juge par l'ensemble des agents publics, notamment par les plus élevés dans les hiérarchies : ceci emporte des conséquences en ce qui concerne la formation de ces agents, et la nécessité de leur faire acquérir le sens et le respect de la règle.
c) L'annulation, consécutive A  un recours pour excès de pouvoir, a toujours une portée - pédagogique - : l'autorité censurée sait dans quelles limites elle dea se cantonner dans l'avenir pour respecter la liberté qu'avait méconnue son acte annulé.
Mais la portée pratique de l'annulation est, elle, très variable. On sait, en effet, que le recours ne suspend pas l'exécution de la décision attaquée. La règle, évidemment nécessaire, comporte une atténuation : la possibilité reconnue au juge d'ordonner, A  titre exceptionnel, le sursis A  l'exécution, c'est-A -dire d'ordonner A  l'administration de différer l'exécution jusqu'A  ce qu'il ait statué au fond.
Les tribunaux administratifs avaient reA§u du décret du 30 septembre 1953 compétence pour prononcer le sursis, sauf lorsque la décision attaquée concernait l'ordre, la sécurité ou la tranquillité. Dans ce cas, le Conseil d'Etat seul était compétent, mASme lorsque la décision sur le fond relevait du tribunal administratif. Par la suite, l'incompétence des tribunaux administratifs a été limitée au seul ordre public (d. 23 janvier 1969). Cette dernière restriction a disparu (d. 27 janvier 1983).
Le sursis peut AStre demandé devant toutes les juridictions compétentes pour statuer au fond : tribunaux administratifs, cours administratives d'appel et Conseil d'Etat. Mais les conditions très strictes auxquelles celui-ci a subordonné l'octroi du sursis n'ont pas changé.
Il en résulte que, dans la quasi-totalité des cas, l'annulation intervient longtemps après que la décision prise aura été exécutée. S'il s'agit d'une décision destinée A  produire effet sans limite de temps (p. ex. : une réglementation permanente du stationnement), l'annulation a une portée pratique : la décision cesse de s'appliquer. Certes, l'atteinte A  la liberté qu'elle contenait aura duré tout le temps qui a séparé l'entrée en vigueur et la mesure d'annulation : mais l'avenir est dégagé. Au contraire, lorsque l'effet de la décision est étroitement enfermé dans le temps (interdiction d'une réunion, saisie d'un numéro de journal), l'annulation interviendra alors que cet effet se sera produit depuis longtemps. L'atteinte A  la liberté sera censurée, elle n'en aura pas moins été commise. Or, ce type de mesures intervient fréquemment A  l'égard des libertés.
d) Quant au contentieux de VindemnitAS, il ne conduit pas en matière d'atteinte aux libertés, A  une réparation satisfaisante chaque fois ' et c'est fréquent en ce domaine ' que le préjudice matériel est minime, ou mASme inexistant, au regard du préjudice moral, que rien ne saurait compenser. Il arrive mASme que l'indemnisation consolide, en quelque sorte, l'illégalité : au prix de l'indemnité, l'administration achète le droit de maintenir les effets de sa décision arbitraire. On a relevé le mASme trait A  propos de l'indemnisation par le juge judiciaire du salarié arbitrairement congédié.
e) Les défauts qu'on vient de relever, mis en relief, depuis une vingtaine d'années, par la doctrine, n'ont suscité que peu de réactions de la part du juge lui-mASme. Mais ils ont fini par retenir l'attention du législateur, qui a tenté de les atténuer.
' Le recours au juge (supra, p. 263) peut se trouver facilité par la loi du 17 juillet 1978, qui oue A  toute personne l'accès A  tous les documents administratifs non nominatifs, sauf exceptions limitativement énumérées, et aux documents nominatifs la concernant, lui permettant ainsi de connaitre les éléments du problème qui se pose A  elle, et d'agir en conséquence. Dans le mASme sens, la motivation obligatoire des décisions individuelles défavorables, imposée A  l'administration par la loi du 11 juillet 1979, éclaire l'administré sur le bien ou le mal-fondé de l'acte et sur la faA§on de présenter son recours. Enfin, le décret du 28 novembre 1983 cherche A  faciliter tant l'information de l'administré avant la décision le concernant, et la possibilité pour lui de présenter ses observations A  l'administration, que l'accès au juge par des assouplissements apportés aux délais de recours.
' Quant aux difficultés auxquelles peut se heurter l'exécution des jugements par l'administration, elles ont trouvé un premier écho dans le décret du 13 juillet 1963 : les requérants ayant obtenu gain de cause peuvent, après trois mois (d. 24 mars 1976), signaler au Conseil d'Etat l'inexécution. Un rapporteur peut AStre désigné pour prendre contact avec l'administration et tenter de vaincre sa résistance.
Par la suite, la loi du 24 décembre 1976 a donné au Médiateur (infra, p. 277), saisi d'un cas d'inexécution, le pouvoir d'enjoindre A  l'administration de se conformer au jugement. Mais il ne s'agit, lA  encore, que d'une pression morale.
Plus décisive peut AStre la réforme introduite par la loi du 16 juillet 1980. Elle organise le paiement quasi automatique des indemnités mises par un jugement A  la charge d'une personne publique. Surtout, elle donne au Conseil d'Etat, lorsqu'une décision d'une juridiction administrative demeure inexécutée, le pouvoir de prononcer contre la personne publique une astreinte pour la contraindre A  l'exécution. L'agent public responsable de l'inexécution ou du retard ayant entrainé pour l'administration la condamnation au paiement de l'astreinte peut AStre déféré A  la Cour de discipline budgétaire, et condamné A  une amende. Dans la mASme ligne, le décret du 28 novembre 1983 oblige l'administration, lorsqu'une de ses décisions individuelles a été annulée par le juge, motif pris de l'illégalité du règlement qui la fondait, A  faire droit A  toutes les demandes tendant A  l'abrogation soit des décisions identiques, soit du règlement lui-mASme.
» L'efficacité de ces réformes, qui peut AStre grande, sera largement fonction de l'esprit dans lequel elles seront appliquées par l'administration, et interprétées par le juge. Elles témoignent, en tout cas, de Futilité que présente la mise en relief des points faibles du dispositif de protection des libertés par les deux ordres de juridictions. Si on a insisté sur cet aspect des choses, plutôt que sur l'éloge traditionnel, et justifié, des points forts du système, c'est qu'on pense que celui-ci mérite d'AStre conservé, et est assez sain, dans ses principes, pour demeurer susceptible d'améliorations. Ce serait mal le servir que de se cantonner dans la louange. Signaler des faiblesses, c'est ouir la voie aux possibilités d'y porter remède.
Dans cet esprit, on ne peut que déplorer l'extrASme réserve que manifeste le Conseil d'Etat dans l'application de la loi du 16 juillet 1980 qui lui permet d'utiliser le procédé de l'astreinte pour assurer l'exécution de ses décisions. Le souci de ménager l'administration domine facheusement cette jurisprudence. Cf. sur l'ensemble des solutions AJDA, 1986, p. 686.
» De faA§on générale, il apparait que le système franA§ais, dans son ensemble, est plus tourné vers la sanction a posteriori des atteintes ' publiques ou privées ' aux libertés, que vers des mesures concrètes destinées A  en permettre l'exercice. On s'intéresse davantage aux principes qu'A  leur traduction dans la vie des hommes. Le juge est mieux armé pour réparer après coup que pour faire cesser dans l'immédiat. Cette tendance A  l'abstraction forme un contraste souvent signalé avec le souci, prédominant dans le système anglo-saxon, de parvenir A  des résultats concrets. Et sans doute, il est capital de maintenir les principes du libéralisme ; mais il est plus important encore d'aider les individus A  les vie.





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