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DROIT

Le droit est l'ensemble des règles générales et abstraites indiquant ce qui doit être fait dans un cas donné, édictées ou reconnues par un organe officiel, régissant l'organisation et le déroulement des relations sociales et dont le respect est en principe assuré par des moyens de contrainte organisés par l'État.


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Montesquieu

LES LOIS INJUSTES
Montesquieu, De l'esprit des lois, GF-Flammarion, 1979, p. 465-470.

La question de la loi injuste est cruciale : si la loi est censée énoncer la justice, comment peut-elle AStre injuste ? La justice est ce que le législateur énonce comme permis ou défendu, selon Spinoza et Hobbes. Seul l'objet des lois peut alors AStre qualifié de juste, et aucunement la loi elle-mASme. Pourtant les exemples abondent de lois qui se retournent contre le sens du pacte social, et mettent absurdement en péril la vie des citoyens (par exemple, la torture des simples accusés sous l'Ancien Régime). Quel nom méritent-elles ? A€ l'opposé, si l'on préserve un critère de jugement extérieur aux lois (droit naturel, religion), on menace le souverain et les lois au nom de principes transcendants.^ on risque des conflits entre l'église et l'état, entre des citoyens et le pouir.
Plusieurs modèles philosophiques rendent compte de l'objet déroutant qu'est la loi injuste. Les lois peuvent AStre mal faites par des hommes inexpérimentés ou par des démagogues (Aristote). Rousseau situe l'injustice de la loi dans les intérASts qu'elle exprime : si elle est faite par une faction, elle n'est plus qu'un décret ou une décision individuelle. Des lois incohérentes entre elles mettent aussi le citoyen en danger de tomber sous la sanction de l'une alors qu'il obéit A  l'autre. Spinoza enfin qualifie d'absurdes les lois qui interdisent de s'exprimer librement, car il suit de la nécessité de notre nature que nous pensions. Montesquieu étudie dans ce texte un certain type d'injustice des lois.
- Plusieurs choses gouvernent les hommes, le climat, les lois, la religion, les maximes du gouvernement, les exemples des choses passées, les mœurs, les manières, d'où il se forme un esprit général qui en résulte -, affirme Montesquieu (De l'esprit des lois, XIX, chap. IV). Cet esprit constitue un donné, une réalité géographique, historique avec laquelle il faut compter et qu'il faut respecter : le changer reviendrait A  de la tyrannie - d'opinion -, - lorsque ceux qui gouvernent élissent des choses qui choquent la manière de penser d'une nation - (ibid., XIX, chap. m). S'il n'est pas contraire au principe du gouvernement, il convient de garder cet esprit général, car - nous ne faisons rien de mieux que ce que nous faisons librement, et en suivant notre génie naturel - (ibid., XIX, chap. v). La loi n'est qu'un élément dans ce tout et ne saurait, selon un schéma autoritariste, modeler A  son gré la société civile. La loi n'est pas un acte de puissance, mais un facteur moral compris parmi les déterminations tant physiques que morales qui se combinent et régissent les hommes.
De lA  plusieurs conséquences : on ne doit pas juger d'une loi isolément, mais toujours relativement aux nombreux rapports dans lesquels elle s'insère. Il n'y a pas d'injustice politique repé-rable a priori au seul énoncé d'une loi.
- La loi, en général, est la raison humaine en tant qu'elle gouverne tous les peuples de la terre, et les lois politiques et civiles de chaque nation sont les cas particuliers où s'applique cette raison humaine - (ibid., I, chap. m). Les lois ont toujours leur raison d'AStre dans le tout. La législation d'un pays, qui forme le principe du gouvernement, entretient son ressort passionnel (par exemple, l'honneur pour la monarchie) et s'adapte aux données diverses de ce pays. Elle n'est pas interchangeable avec la loi d'un autre pays. Est-ce A  dire qu'il n'y ait pas de lois injustes et que la raison se manifeste toujours dans les lois humaines ? L'injustice apparente d'une loi est souvent compensée par une fonction qu'elle exerce dans le tout de la législation. Il existe cependant des lois qui sont mauvaises en elles-mASmes, selon Montesquieu, comme celles de l'esclavage (ibid., XV, chap. i). Par ailleurs, une loi apparemment juste peut devenir injuste si elle choque l'esprit général ou si elle est imposée de force. On n'impose pas une loi ex nihilo. Pour les choses indifférentes A  la survie de l'état, il ne convient pas de légiférer, d'autres moyens sont préférables (changer les mœurs par l'exemple). Les lois ne gouvernent pas de la mASme faA§on que les mœurs ou le climat, et il convient qu'elles se cantonnent A  ce qu'il est nécessaire de prescrire ou d'interdire. L'injustice politique ne recoupe pas l'injustice morale (qui considère les actes isolément), car elle concerne les lois dans leur ensemble. Quoique ces déterminismes qui pèsent sur les hommes agissent différemment, les mœurs et les manières n'en gardent pas moins un lien certain avec les lois. Ainsi, les mœurs et les manières peuvent tenir lieu de loi (les - représenter -), notamment dans les Etats despotiques anomiques. C'est pourquoi il est d'autant plus injuste de uloir changer ce moyen de défense contre le despotisme qu'est l'inertie des mœurs, conA§ue ici comme résistance. C'est injuste en soi, et plus encore dans l'Etat despotique.

Chapitre XII Des manières et des mœurs, dans l'état despotique.
C'est une maxime capitale, qu'il ne faut jamais changer les mœurs et les manières dans l'Etat despotique ; rien ne serait plus promptement suivi d'une rélution. C'est que, dans ces Etats, il n'y a point de lois, pour ainsi dire ; il n'y a que des mœurs et des manières ; et, si us renversez cela, us renversez tout.
Les lois sont élies, les mœurs sont inspirées ; celles-ci tiennent plus A  l'esprit général, celles-lA  tiennent plus A  une institution particulière : or il est aussi dangereux, et plus, de renverser l'esprit général, que de changer une institution particulière.
On se communique moins dans les pays où chacun, et comme supérieur et comme inférieur, exerce et souffre un pouir arbitraire, que dans ceux où la liberté règne dans toutes les conditions. On y change donc moins de manières et de mœurs ; les manières plus fixes approchent plus des lois : ainsi il faut qu'un prince ou un législateur y choque moins les mœurs et les manières que dans aucun pays du monde.
Les femmes y sont ordinairement enfermées, et n'ont point de ton A  donner. Dans les autres pays où elles vivent avec les hommes, l'envie qu'elles ont de plaire, et le désir que l'on a de leur plaire aussi, font que l'on change continuellement de manières. Les deux sexes se gatent, ils perdent l'un et l'autre leur qualité distinctive et essentielle ; il se met un arbitraire dans ce qui était absolu, et les manières changent tous les jours.


Chapitre XIII Des manières, chez les Chinois.

Mais c'est A  la Chine que les manières sont indestructibles. Outre que les femmes y sont absolument séparées des hommes, on enseigne, dans les écoles, les manières comme les mœurs. On connait un lettré ' A  la faA§on aisée dont il fait la révérence. Ces choses une fois données en précepte et par de graves docteurs, s'y fixent comme des principes de morale, et ne changent plus.

Chapitre XIV


Quels sont les moyens naturels de changer

les mœurs et les manières d'une nation.
Nous ans dit que les lois étaient des institutions particulières et précises du législateur, et les mœurs et les manières des institutions de sa nation en général. De lA  il suit que, lorsque l'on veut changer les mœurs et les manières, il ne faut pas les changer par les lois ; cela paraitrait trop tyrannique : il vaut mieux les changer par d'autres mœurs et d'autres manières.
Ainsi, lorsqu'un prince veut faire de grands changements dans sa nation, il faut qu'il réforme par les lois ce qui est éli par les lois, et qu'il change par les manières ce qui est éli par les manières ; et c'est une très mauvaise politique, de changer par les lois ce qui doit AStre changé par les manières.
La loi qui obligeait les Moscovites A  se faire couper la barbe et les habits, et la violence de Pierre Ier, qui faisait tailler jusqu'aux genoux les longues robes de ceux qui entraient dans les villes, étaient tyranniques. Il y a des moyens pour empAScher les crimes, ce sont les peines : il y en a pour faire changer les manières, ce sont les exemples.
La facilité et la promptitude avec laquelle cette nation s'est policée, a bien montré que ce prince avait trop mauvaise opinion d'elle ; et que ces peuples n'étaient pas des bAStes, comme il le disait. Les moyens violents qu'il employa étaient inutiles ; il setait arrivé tout de mASme A  son but par la douceur.
Il éprouva lui-mASme la facilité de ces changements. Les femmes étaient renfermées, et en quelque faA§on esclaves ; il les appela A  la cour, il les fit habiller A  l'allemande, il leur enyait des étoffes. Ce sexe goûta d'abord une faA§on de vivre qui flattait si fort son goût, sa vanité et ses passions, et la fit goûter aux hommes.
Ce qui rendit le changement plus aisé, c'est que les mœurs d'alors étaient étrangères au climat, et y avaient été apportées par le mélange des nations et par les conquAStes. Pierre 1er donnant les mœurs et les manières de l'Europe A  une nation d'Europe, trouva des facilités qu'il n'attendait pas lui-mASme. L'empire du climat est le premier de tous les empires. Il n'avait donc pas besoin de lois pour changer les mœurs et les manières de sa nation ; il lui eût suffi d'inspirer d'autres mœurs et d'autres manières.
En général, les peuples sont très attachés A  leurs coutumes ; les leur ôter violemment, c'est les rendre malheureux : il ne faut donc pas les changer, mais les engager A  les changer eux-mASmes.
Toute peine qui ne dérive pas de la nécessité est tyran-nique. La loi n'est pas un pur acte de puissance ; les choses indifférentes par leur nature ne sont pas de son ressort.

Chapitre XV Influence du gouvernement domestique sur le politique.
Ce changement des mœurs des femmes influera sans doute beaucoup dans le gouvernement de Moscovie. Tout est extrASmement lié : le despotisme du prince s'unit naturellement avec la servitude des femmes ; la liberté des femmes avec l'esprit de la monarchie.


Chapitre XVI

Comment quelques législateurs ont confondu les principes


qui gouvernent les hommes.

Les mœurs et les manières sont des usages que les lois n'ont point élis, ou n'ont pas pu, ou n'ont pas ulu élir.
Il y a cette différence entre les lois et les mceurs, que les lois règlent plus les actions du citoyen, et que les mœurs règlent plus les actions de l'homme. Il y a cette différence entre les mœurs et les manières, que les premières regardent plus la conduite intérieure, les autres l'extérieure.
Quelquefois, dans un état, ces choses se confondent Lycurgue fit un mASme code pour les lois, les mœurs et les manières ; et les législateurs de la Chine en firent de mASme.
Il ne faut pas AStre étonné si les législateurs de Lacédé-mone et de la Chine confondirent les lois, les mœurs et les manières : c'est que les mœurs représentent les lois, et les manières représentent les mœurs.
Les législateurs de la Chine avaient pour principal objet de faire vivre leur peuple tranquille. Ils ulurent que les hommes se respectassent beaucoup ; que chacun sentit A  tous les instants qu'il devait beaucoup aux autres, qu'il n'y avait point de citoyen qui ne dépendit, A  quelque égard, d'un autre citoyen. Ils donnèrent donc aux règles de la civilité la plus grande étendue.
Ainsi, chez les peuples chinois, on vit les gens 2 de village observer entre eux des cérémonies comme les gens d'une condition relevée : moyen très propre A  inspirer la douceur, A  maintenir parmi le peuple la paix et le bon ordre, et A  ôter tous les vices qui viennent d'un esprit dur. En effet, s'affranchir des règles de la civilité, n'est-ce pas chercher le moyen de mettre ses défauts plus A  l'aise ?
La civilité vaut mieux, A  cet égard, que la politesse. La politesse flatte les vices des autres, et la civilité nous empASche de mettre les nôtres au jour : c'est une barrière que les hommes mettent entre eux pour s'empAScher de se corrompre.
Lycurgue, dont les institutions étaient dures, n'eut point la civilité pour objet lorsqu'il forma les manières ; il eut en vue cet esprit belliqueux qu'il ulait donner A  son peuple. Des gens toujours corrigeants, ou toujours corrigés, qui instruisaient toujours, et étaient toujours instruits, également simples et rigides, exerA§aient plutôt entre eux des vertus qu'ils n'avaient des égards.


Chapitre XVII

Propriété particulière au gouvernement de la Chine.
Les législateurs de la Chine firent plus : ils confondirent la religion, les lois, les mœurs et les manières ; tout cela fut la morale, tout cela fut la vertu. Les préceptes qui regardaient ces quatre points, furent ce que l'on appela les rites. Ce fut dans l'observation exacte de ces rites, que le gouvernement chinois triompha. On passa toute sa jeunesse A  les apprendre, toute sa vie A  les pratiquer. Les lettrés les enseignèrent, les magistrats les prASchèrent. Et, comme ils enveloppaient toutes les petites actions de la vie, lorsqu'on trouva moyen de les faire observer exactement, la Chine fut bien gouvernée.
Deux choses ont pu aisément graver les rites dans le cœur et l'esprit des Chinois ; l'une, leur manière d'écrire extrASmement composée, qui fait que, pendant une très grande partie de la vie, l'esprit a été uniquement occupé de ces rites, parce qu'il a fallu apprendre A  lire dans les livres, et pour les livres qui les contenaient ; l'autre, que les préceptes des rites n'ayant rien de spirituel, mais simplement des règles d'une pratique commune, il est plus aisé d'en convaincre et d'en frapper les esprits, que d'une chose intellectuelle.
Les princes qui, au lieu de gouverner par les rites, gouvernèrent par la force des supplices, ulurent faire faire aux supplices ce qui n'est pas dans leur pouir, qui est de donner des mœurs. Les supplices retrancheront bien de la société un citoyen qui, ayant perdu ses mœurs, viole les lois : mais si tout le monde a perdu ses mœurs, les réliront-ils ? Les supplices arrASteront bien plusieurs conséquences du mal général, mais ils ne corrigeront pas ce mal. Aussi, quand on abandonna les principes du gouvernement chinois, quand la morale y fut perdue, l'Etat tomba-t-il dans l'anarchie, et on vit des rélutions.




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