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DROIT

Le droit est l'ensemble des règles générales et abstraites indiquant ce qui doit être fait dans un cas donné, édictées ou reconnues par un organe officiel, régissant l'organisation et le déroulement des relations sociales et dont le respect est en principe assuré par des moyens de contrainte organisés par l'État.


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RicÅ’ur

LA CONSCIENCE ET LA LOI


Ricœur, Le Juste, Esprit, 1995, p. 212-217.


Paul Ricœur expose ce que la conscience morale emprunte A  la légalité juridique. Il refuse d'opposer abruptement les deux, par l'analyse de leurs traits communs. Un ancien débat scolastique oppose les théoriciens de la conscience morale comme disposition (habitus) qui applique une règle générale (syndérèse) : celle-ci est pure connaissance (Thomas d'Aquin) ou volonté résultant d'une connaissance (Bonaventure). Mais quelle que soit la position choisie, les médiévaux entérinent l'attache rationaliste de la morale. En réaction A  cela, Shaf-tesbury, Hutcheson, Hume et Rousseau veulent penser la conscience comme immédiateté sentie, reA§ue. Sens moral ou sentiment moral, il est question d'un nouveau rapport A  l'universel : la conscience juge des cas particuliers, sans pouvoir exhiber la médiation de la loi, selon le modèle des jugements naturels de Malebranche (jugements faits - en nous sans nous -, par Dieu), ou de l'instinct infaillible. Pourtant, il reste difficile de couper tout lien avec la loi : Rousseau ne se ré-fère-t-il pas A  la conscience comme A  une règle écrite dans l'ame - par la nature en caractères ineffaA§ables - {Emile, Bibliothèque de la Pléiade, p. 589 et 594) ?
Ricœur relance l'examen A  nouveaux frais. Il a précédemment (Le Juste, p. 24) analysé les trois ures du juste : selon la fin, selon le devoir et selon le rapport au particulier. Nous sommes ici dans le deuxième volet : le rapport de la conscience au juste comme déontologie, légalité ou obligation. L'analogie entre le mode d'apparition de la loi et celui de la conscience fait de cette dernière une intériorisation de la loi, plutôt que son opposé absolu (situationnisme) ou un AStre dépourvu de consistance face A  la loi (dogmatisme, cf. ibid., p. 209). La fin du texte témoigne de l'ambition de l'auteur de garder les bénéfices de la doctrine kantienne de la morale sans pour autant oublier les revendications d'Aristote qui font du juste un état des choses individuelles.

Passons au second niveau. C'est en revAStant le sens de l'obligation morale et son doublet négatif, l'interdiction, que la loi accède au statut normatif que l'usage ordinaire lui reconnait. Je tirerai avantage, pour l'analyse que je propose, du fait que le terme de loi relève indifféremment du registre du droit et de celui de la moralité. On verra plus loin A  quel point la compréhension de ce lien entre l'éthique et le juridique est nécessaire A  la juste appréciation du rôle de la conscience A  ce niveau. Je propose donc que nous entrions dans la problématique de la norme par le côté de la légalité, afin de montrer comment le mouvement par lequel la légalité renvoie A  la moralité s'achève dans le renvoi de la moralité A  la conscience.
Trois traits du légal nous retiendront, dans la mesure où ils désignent le point d'ancrage de la dialectique d'intériorisation que je viens d'évoquer.
D'abord, l'interdiction est la fece sévère que la loi tourne vers nous. Le Décalogue lui-mASme s'énonce dans cette grammaire des impératifs négatifs : tu ne tueras pas ; tu ne diras pas de faux témoignages, etc. A première vue, nous serions tentés de n'apercevoir de l'interdit que sa dimension répressive, voire, si nous séjournons du côté de Nietzsche, seulement la haine du désir qui s'y dissimulerait. Nous risquons alors de ne pas prendre en compte ce qu'on peut appeler la fonction structurante de l'interdit. Lévi-Strauss l'avait brillamment démontré dans le cas de l'interdit peut-AStre le plus universellement proclamé, celui de l'inceste. En interdisant aux hommes de tels clan, tribu, ou groupe social, de prendre pour partenaire sexuelle leur mère, leur sœur ou leur fille, l'interdit institue la distinction entre le lien social d'alliance et le lien simplement biologique d'engendrement. On pourrait faire une démonstration able pour l'interdiction du meurtre, lors mASme qu'il se réclame d'une justice vengeresse ; en retirant A  la victime le prétendu droit A  la vengeance, le droit pénal instaure une juste distance entre deux violences, celle du crime et celle du chatiment. Il ne serait pas difficile de faire la mASme démonstration avec l'interdiction du faux témoignage, qui, en protégeant l'institution du langage, instaure le lien de confiance mutuelle entre les membres d'une mASme communauté linguistique.
Le deuxième trait commun A  la norme juridique et A  la norme morale est leur prétention A  l'universalité. Je dis bien prétention, car, au empirique, les normes sociales varient plus ou moins dans l'espace et le temps. Mais il est essentiel qu'en dépit de cette relativité de fait, et A  travers elle, une validité de droit soit visée. L'interdiction du meurtre perdrait son caractère normatif si nous ne la jugions pas valable pour tous, en toutes circonstances et sans exception. Que, dans un second temps, nous cherchions A  justifier des exceptions, qu'il s'agisse de l'aide A  personne en danger, de la guerre dans l'hypothèse controversée de la guerre juste, ou, pendant des millénaires, de la peine de mort, cette tentative pour rendre raison des exceptions est un hommage rendu A  l'universalité de la règle ; il faut une règle pour justifier l'exception A  la règle, une sorte de règle suspensive, revAStant la mASme exigence de légitimité, de validité, que la règle de base.
Le troisième trait que je voudrais retenir concerne le lien entre la norme et la pluralité humaine. Ce qui est interdit, universellement condamné, ce sont, en dernier ressort, toute une série de torts faits A  autrui. Un soi et son autre sont ainsi les protagonistes obligés de la norme éthico-juri-dique. Ce qui est ainsi présupposé, par le droit comme par la morale, c'est ce que Kant appelait l'état d'- insociable sociabilité - qui tend si fragile le lien interhumain. Face A  cette menace petmanente de désordre, la plus élémentaire exigence du droit, disait le mASme philosophe dans sa Doctrine du droit, c'est de séparer le mien du tien. Nous retrouvons notre idée de la juste distance, appliquée cette fois A  délimiter les sphères concurrentes de libertés individuelles. Tenons-nous A  ces trois traits pour le bien de l'argument qui suit : rôle structurant de l'interdit, prétention A  la validité universelle, mise en ordre de la pluralité humaine ; et amorA§ons le mouvement qui, en remontant de la légalité A  la moralité, achève sa course dans la notion de conscience morale, en tant que contrepartie de la loi.
Concernant le premier trait, A  savoir le rôle de l'interdit, ce qui distingue fondamentalement la légalité'de la mora-lité saute aux yeux ; la légalité ne demande qu'une obéissance extérieure, ce que Kant appelait simple conformité A  la loi, pour la distinguer du respect de la loi pat amour du devoir ; A  ce caractère extérieur de la légalité, s'ajoute cet autre trait qui la distingue de la moralité, A  savoir l'autorisation de la cottection physique, en vue de restaurer le droit, de donner satisfaction aux victimes, bref de laisser, comme on dit, le dernier mot A  la loi. Dans la mesure ou la simple conformité A  la légalité ptend ainsi appui sur la crainte de la punition, on comprend que le passage de la simple légalité A  la moralité vérile puisse AStre assimilé A  un processus d'intériorisation de la norme.
Concernant le second trait, la prétention de la légalité A  l'universalité, la moralité présente une seconde modalité d'intériorisation. A€ l'idée d'un législateut extérieur s'oppose celle d'une autonomie personnelle, au sens fort du ternie autonomie, interprétée par Kant comme législation qu'une liberté se donne A  elle-mASme. Par l'autonomie, une volonté raisonnable émerge du simple arbitraire, en se plaA§ant sous la synthèse de la liberté et de la loi. L'admiration que l'on peut avoir pour l'éloge kantien de l'autonomie ne doit pas empAScher de prendre la mesure du prix A  payer pour cette intériorisation de la loi prise sous son angle universel. Seule une règle formelle, telle que l'épreuve d'universalisation A  laquelle doivent se soumettre tous nos projets, tous nos s de vie, bref ce que Kant appelle les maximes de l'action, peut prétendre A  la sorte d'universalité qui fait ordinairement défaut A  la simple légalité sociale.
Ce formalisme trouve, il est ai, une contrepartie certaine dans l'élévation au de la pure moralité du troisième trait que nous avons reconnu A  la légalité, A  savoir le rôle que la norme exerce A  titre de principe d'ordre au de la pluralité humaine. C'est surtout chez les disciples contemporains de Kant, chez Rawls, dans Théorie de la justice, chez Habermas dans son Ethique de la discussion, que ce caractère dialogique ou dialogal de la norme trouve A  s'exprimer. DéjA  Kant prenait en compte cette pluralité des sujets moraux dans le second impératif catégorique, ordonnant de traiter l'humanité, dans notre propre personne et dans la personne d'autrui, comme une fin en soi et non pas seulement comme un moyen. C'est toutefois dans l'idée de justice, selon Rawls, et d'argumentation selon Habermas, que l'on voit entièrement déployées les indications dialogiques ou dialogales du second impératif caté-gorique, sous la ure du respect mutuel que les personnes se doivent les unes aux autres.
Cela dit, on n'a pas de peine A  comprendre en quel sens le processus d'intériorisation, par lequel la simple légalité sociale s'élève A  la moralité, achève sa course dans la conscience morale. A€ ce stade de notre méditation, la conscience n'est pas autre chose que l'obéissance intime A  la loi en tant que loi, par pur respect pour elle et non par simple conformité A  l'énoncé de la règle. Le mot décisif est ici celui de respect. Dans un chapitre célèbre de la Critique de la raison pratique, Kant en fait le mobile unique de la vie morale. C'est un sentiment, certes, mais le seul sentiment que la raison, par sa seule autorité, inscrit en nous. Faisant écho A  Rousseau et A  son célèbre éloge de la - voix de la conscience -, Kant voit dans ce sentiment A  la fois l'humiliation de notre sensibilité avide de satisfactions égoïstes, et l'exaltation de notre humanité au-dessus du règne animal. Mais on ne sera pas étonné de retrouver sous ce vocable de voix de la conscience tous les traits de la légalité sociale, intériorisés en pure moralité. La voix de la conscience, c'est d'abord la voix de l'interdit, certes structurant, mais rigoureux. C'est aussi la voix de l'universel, dont est dite l'intransigeance. Enfin sous les traits de l'idée de justice et sous l'aiguillon d'une éthique de la discussion, la voix de la conscience ajoute A  ces deux traits de la rigueur et de l'intransigeance celui de l'impartialité. Impartiale, la voix de la conscience me dit que toute vie autre est aussi importante que la mienne, pour reprendre la formule récente de Thomas Nagel dans Egalité et partialité.
VoilA  jusqu'où peut s'avancer une méditation sur la conscience dans son rapport A  la loi, prise A  son niveau radicalement formel. Trois mots la définissent : rigueur, inttansigeance, impartialité.
La question se pose alors de savoir si on peut en rester lA . Le respect kantien n'est certes pas rien, surtout si on en développe les implications dialogales, comme dans une éthique de la justice et dans une éthique de la discussion. Mais les personnes sont-elles aiment reconnues dans leur singularité insubstituable, aussi longtemps que le respect s'adresse plus A  la loi qu'aux personnes, tenues elles-mASmes pour la simple expression d'une humanité abstraite ?



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