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DROIT

Le droit est l'ensemble des règles générales et abstraites indiquant ce qui doit être fait dans un cas donné, édictées ou reconnues par un organe officiel, régissant l'organisation et le déroulement des relations sociales et dont le respect est en principe assuré par des moyens de contrainte organisés par l'État.


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Platon - la république

Platon - la république
Toute l'ouvre de Platon est marquée par un événement juridique essentiel : le procès de Socrate. Sur ce drame, Platon ne cesse de revenir A  travers de nombreux dialogues, souvent en le considérant seulement en toile de fond des questions qu'il veut analyser. Ainsi la question de la justice, de l'essence du juste et de l'injuste est-elle toujours pensée A  travers la double perspective de l'idéalité morale et des effets pratiques et politiques. Pour Platon le droit n'est pas une question philosophique en soi : d'ailleurs, il n'y a pas de problématique juridique A  proprement parler dans ses ouvres (A  l'exception de certains passages de cet ouvrage un peu exceptionnel que sont les Lois). La thèse de Socrate, exposée tout au long de la République, et reprise dans certains dialogues comme le Politique et le Gorgias, est la suivante : il ne suffit pas de rechercher la justice dans la conformité aux lois de la cité (mASme si l'obéissance A  ces lois ne saurait admettre aucune dérogation pour Socrate, pas mASme devant la mort A  laquelle conduit un jugement inique) ; la justice est un idéal, une idée et nous parvenons A  sa connaissance par la contemplation.
Par lA , Socrate s'oppose au pragmatisme des sophistes qui, tel Thrasymaque ici ou Callie lès dans le Gorgias considèrent non seulement que la justice sans la force est impuissante et inutile, mais plus encore qu'il vaut mieux commettre l'injustice que la subir. C'est cette position théorique inacceple que combat Socrate sur le fond aussi bien A  travers ses nombreux dialogues qu'A  travers son procès exemplaire. Le seul juge de ses pensées et de ses actes, c'est en réalité soi-mASme en fonction de l'idée de justice que l'on a su atteindre. Ce serait se trahir et donc se perdre que de plier devant la force quand elle est si manifestement injuste. Mais pour Platon, A  travers ces diverses mises en scène de Socrate, n'est-ce pas finalement l'apologie d'une loi morale naturelle contre une loi juridique sociale toujours imparfaite et approximative qui constitue le vérile enjeu ?
Nous en étions lA , et tous les assistants yaient clairement que la définition de la justice était directement opposée A  celle de Thrasymaque, lorsqu'au lieu de répondre, il me demanda si j'avais une nourrice. - Ne vaut-il pas mieux répondre, lui dis-je, que de faire de pareilles questions ? ' Elle a grand tort de te laisser ainsi morveux, et de ne pas te moucher. Tu en as besoin, car tu ne sais seulement pas ce que c'est que des troupeaux et un berger. ' Pour quelle raison, s'il te plait ? ' Parce que tu crois que les bergers ou les bouviers pensent au bien de leurs troupeaux, qu'ils les engraissent et les soignent dans une autre vue que celle de leur intérASt et de celui de leurs maitres. Tu t'imagines encore que ceux qui gouvernent, j'entends toujours ceux qui gouvernent vérilement, sont dans d'autres sentiments A  l'égard de leurs sujets que les bergers A  l'égard de leurs troupeaux, et que jour et nuit il sont occupés d'autre chose que de leur avantage personnel. Tu es si éloigné de connaitre la nature du juste et de l'injuste, que tu ignores mASme que la justice est un bien pour tout autre que pour le juste, qu'elle est utile au plus fort qui commande, et nuisible au plus faible qui obéit ; que l'injustice au contraire exerce son empire sur les personnes justes, qui, par simplicité, cèdent en tout A  l'intérASt du plus fort, et ne s'occupent que du soin de son intérASt, sans penser au leur. Voici, simple que tu es, comment il faut prendre la chose, L'homme juste a toujours le dessous partout où il se trouve en concurrence avec l'homme injuste. D'abord, dans les conventions mutuelles, et dans le commerce de la vie, tu trouveras toujours que l'injuste gagne au marché, et que le juste y perd. Dans les affaires publiques, si les besoins de l'état exigent quelque contribution, le juste, avec des biens égaux, fournira davantage. S'il y a, au contraire, quelque chose A  gagner, le profit est tout entier pour l'injuste. En outre, dans l'administration de l'Etat, le premier, parce qu'il est juste, au lieu de s'enrichir aux dépens du public, laissera mASme dépérir ses affaires domestiques par le peu de soin qu'il en prendra. Encore sera-ce beaucoup pour lui s'il ne lui arrive rien de pis. De plus, il sera odieux A  ses amis et A  ses proches, parce qu'il ne udra rien faire pour eux au delA  de ce qui est équile. L'injuste éprouve un sort tout contraire ; car, ayant, comme j'ai dit, un grand pouir, il en use pour l'emporter toujours sur les autres. C'est sur un homme de ce caractère qu'il faut jeter les yeux, si tu veux comprendre combien l'injustice est plus avantageuse que la justice. Tu le comprendras encore mieux, si tu considères l'injustice parvenue A  son comble, dont l'effet est de rendre très-heureux celui qui la commet, et très-malheureux ceux qui en sont les victimes, et qui ne veulent pas repousser l'injustice par l'injustice. Je parle de la tyrannie, qui ne met point en ouvre la fraude et la violence A  dessein de s'emparer peu A  peu, et comme en détail, du bien d'autrui, mais qui, ne respectant ni le sacré ni le profane, envahit d'un seul coup les fortunes des particuliers et celle de l'Etat. Si quelqu'un est pris comme coupable d'un de ces faits, il est chatié et accablé du plus grand déshonneur. En effet, selon la nature de la faute qu'ils ont commise, on les traite de sacrilèges, de ravisseurs, de fripons, de brigands ; mais quelqu'un qui s'est rendu maitre des biens et de la personne de ces concitoyens, au lieu de ces noms détestés, est comblé d'éloges : il est regardé comme un homme heureux par ceux qu'il a réduits A  l'esclavage, et pas les autres qui ont connaissance de son forfait ; car, si on blame l'injustice, ce n'est pas qu'on craigne de la commettre, c'est qu'on craint de la souffrir. Ainsi donc, Socrate, l'injustice dans toute son intégrité est plus forte, plus libre, plus puissante que la justice, et, comme je disais d'abord, la justice est ce qui est avantageux au plus fort, et l'injustice ce qui lui est utile et profile. -
Thrasymaque, après nous air versé, comme un baigneur, ce long discours dans les oreilles, se leva comme pour s'en aller ; mais la comnie le retint et l'engagea A  rendre raison de ce qu'il venait d'avancer. Je l'en priai moi-mASme instamment et je lui dis : - Eh quoi ! divin Thrasymaque, peux-tu songer A  sortir d'ici après air jeté un pareil discours ? Ne faut-il pas auparavant que nous apprenions de toi, ou que tu ies toi-mASme si la chose est en effet comme tu dis ? Crois-tu donc que la chose que tu as entrepris de définir soit de si peu d'importance ? Ne s'agit-il pas de décider quelle règle de conduite chacun de nous doit suivre, pour goûter pendant la vie le plus parfait bonheur ? ' Qui us a dit que je pensais autrement ? dit Thrasymaque. ' Il me parait que tu ne te mets guère en peine de nous, et qu'il t'importe peu que nous vivions heureux ou non, faute d'AStre instruits de ce que tu prétends sair. Mais, homme plein de bonté, montre-le nous, car tu n'auras pas mal placé ton bienfait en obligeant tous ceux qui sont ici. Je te dirai ce que je pense : tu ne me persuaderas point que l'injustice soit plus avantageuse que la justice, mASme quand on aurait toute licence d'accomplir ses désirs quels qu'ils fussent. Oui, Thrasymaque, que le méchant ait le pouir de faire le mal, soit par force, soit par adresse, cependant je ne croirai jamais que son état soit préférable A  celui de l'homme juste. Je ne suis peut-AStre pas le seul ici A  penser de la sorte. ()
() Je n'accorde donc pas A  Thrasymaque que la justice soit l'intérASt du plus fort ; mais nous examinerons ce point une autre fois. Ce qu'il a ajouté touchant la condition du méchant, qu'il dit AStre plus heureuse que celle de l'homme juste, me parait de plus grande importance. Es-tu aussi de son sentiment, Glaucon ? et entre ces deux partis, lequel choisirais-tu ? ' La condition de l'homme juste, comme étant la plus avantageuse, dit Glaucon. ' Tu as entendu l'énumération que Thrasymaque vient de faire des biens attachés A  la condition du méchant ? ' Oui ; mais je n'en crois rien. ' Veux-tu que nous cherchions quelque moyen de lui prouver qu'il se trompe ? ' Pourquoi ne le udrais-je pas ? ' Si nous opposons au long discours qu'il vient de faire un autre discours aussi long en faveur de la justice, et lui encore un autre après nous, il nous faudra compter et peser les avantages de part et d'autre ; et de plus, il faudra des juges pour prononcer : au lieu qu'en convenant A  l'amiable de ce qui nous paraitra vrai ou faux, comme nous faisions tout A  l'heure, nous serons A  la fois les juges et les acats. ' Cela est vrai. ' Laquelle de ces deux méthodes te plait davantage ? ' La seconde.
' Réponds-nous donc, Thrasymaque, sur ce que tu as dit en premier lieu. Tu prétends que l'injustice consommée est plus avantageuse que la justice parfaite. ' Oui, dit Thrasymaque, et j'en ai dit les raisons. ' Quoi donc ? est-ce que tu appelles l'une de ces choses, venu, et l'autre vice ? ' Pourquoi pas ? ' Tu donnes probablement le nom de vertu A  la justice, celui de vice A  l'injustice ? ' Cela va sans dire, homme rare ; moi qui prétends que l'injustice est utile, et que la justice ne l'est pas. ' Comment dis-tu donc ? ' Tout le contraire. ' Quoi ! tu appelleras la justice un vice ? ' Pas tout A  fait ; mais une généreuse bonhomie. ' L'injustice est donc méchanceté ? ' Non, c'est sagesse. ' Les hommes injustes sont donc bons et sages, A  ton avis ? ' Oui; ceux qui le sont au suprASme degré, et qui sont assez puissants pour s'emparer des villes et des empires. Tu crois peut-AStre que je veux parler des coupeurs de bourses ? Ce n'est pas que ce métier n'ait aussi ses avantages, tant qu'on l'exerce impunément ; mais ces avantages ne sont rien au prix de ceux que je viens de dire.
' Je conA§ois très-bien ta pensée ; mais ce qui me surprend, c'est que tu donnes A  l'injustice les noms de vertu et de sagesse, et A  la justice des noms contraires. ' C'est néanmoins ce que je prétends. ' Cela est bien dur, et je ne sais plus comment m'y prendre pour te réfuter. Si tu disais simplement, comme d'autres, que l'injustice, quoique utile, est une chose honteuse et mauvaise en soi, on pourrait te répondre ce qu'on répond d'ordinaire. Mais puisque tu vas jusqu'A  l'appeler vertu et sagesse, tu ne balanceras pas sans doute A  lui attribuer la force, la beauté, et tous les autres titres qu'on donne communément A  la justice. ' Tu devines juste.
' Il ne faut pas que je me rebute dans cet examen, tandis que j'aurai lieu de croire que tu parles sérieusement ; car il me parait, Thrasymaque, que ce n'est point une raillerie de ta part, et que tu penses comme tu dis. ' Que je pense ou non comme je dis, que t'importe, si tu ne peux me réfuter ? ' Peu m'importe, sans doute ; mais permets-moi de te faire encore une demande. L'homme juste udrait-il air en quelque chose l'avantage sur un autre juste ? ' Non, vraiment ; autrement, il ne serait ni aussi complaisant ni aussi simple que je le suppose. ' Quoi ! pas mASme en ce qui concerne une action juste ? ' Pas mASme en cela. ' Voudrait-il du moins l'emporter sur l'injuste, et croirait-il pouir le faire justement, ou non ? ' Il croirait pouir le faire, il le udrait mASme ; mais il ferait d'inutiles efforts. ' Ce n'est pas lA  ce que je veux sair. Je ne te demande qu'une chose : si le juste n'aurait ni la prétention ni la lonté de l'emporter sur un autre juste, mais seulement sur l'injuste. ' Oui, il a cette dernière prétention. ' Et l'injuste, udrait-il l'emporter sur le juste en injustice ? ' Oui, sans doute, puisqu'il veut l'emporter sur tout le monde. ' Il udra donc aussi air l'avantage sur l'injuste en injustice, et il s'efforcera de l'emporter sur tous. ' Assurément. ' Ainsi le juste, disons-nous, ne veut pas l'emporter sur son semblable, mais sur son contraire ; au lieu que l'injuste veut l'emporter sur l'un et l'autre. ' C'est fort bien dit. ' L'injuste est intelligent et habile, et le juste n'est ni l'un ni l'autre. ' Cela est encore bien. ' L'injuste ressemble donc A  l'homme intelligent et habile, et le juste ne lui ressemble point ? ' Sans doute, celui qui est tel ressemble A  ceux qui sont ce qu'il est ; et celui qui n'est pas tel ne leur ressemble pas. ' Fort bien ; chacun d'eux est donc tel que ceux A  qui il ressemble ? ' Eh oui, te dit-on. ' Thrasymaque, ne dis-tu pas d'un homme qu'il est musicien ; d'un autre qu'il ne l'est pas ? ' Oui. ' Lequel des deux est intelligent, l'autre ne l'est pas. ' L'un, comme intelligent, est habile ; l'autre est inhabile par la raison contraire. ' Oui. ' N'est-ce pas la mASme chose A  l'égard du médecin ? ' Oui.
' Crois-tu qu'un musicien qui monte sa lyre ulût tendre ou lacher les cordes de son instrument plus qu'un autre musicien ? ' Non. ' Plus que ne le ferait un homme ignorant dans la musique ? ' Sans contredit. ' Et le médecin udrait-il, dans la prescription du boire et du manger, l'emporter sur un autre médecin, ou sur l'art meme qu'il professe ? ' Non. ' Et sur qui n'est pas médecin ? ' Qui.- Vois si, A  l'égard de quelque science que ce soit, il te semble que le savant veuille air l'avantage, dans ce qu'il dit et dans ce qu'il fait, sur un autre versé dans la mASme science, ou s'il n'aspire qu'A  faire la mASme chose dans les mASmes rencontres ? ' L'ignorant ne veut-il pas, au contraire, l'emporter sur le savant et sur l'ignorant ? ' Cela peut AStre. ' Mais le savant est sage. ' Oui. ' Le sage est habile. ' Oui. ' Ainsi celui qui est habile et sage ne veut pas l'emporter sur son semblable, mais sur son contraire. ' Il y a apparence. ' Au lieu que celui qui est inhabile et ignorant veut l'emporter sur l'un et sur l'autre. ' Soit.
' N'as-tu pas aué, Thrasymaque, que l'injuste veut l'emporter sur son semblable et sur son contraire ? ' Je l'ai aué. ' Et que le juste ne veut point l'emporter sur son semblable, mais sur son contraire ? ' Oui. ' Le juste ressemble A  l'homme sage et habile, et l'injuste A  celui qui est inhabile et ignorant ? ' Cela peut AStre. ' Mais nous sommes convenus qu'ils étaient l'un et l'autre tels que ceux A  qui ils ressemblaient ' Il est donc évident que le juste est habile et sage, et l'injuste ignorant et inhabile. -
Thrasymaque convint de tout cela, mais non pas aussi aisément que je le raconte ; je lui arrachai ces aveux avec une peine infinie. Il suait A  grosses gouttes, d'autant plus qu'il faisait grand chaud. Je le vis rougir pour la première fois. Après que nous fûmes tombés d'accord que la justice était habileté et vertu, et l'injustice vice et ignorance : - Regardons, lui dis-je, ce point comme une chose décidée. Nous ans dit de plus que l'injustice avait la force en partage. Ne t'en souvient-il pas, Thrasymaque ? ' Je m'en souviens ; mais je ne suis pas content de ce que tu viens de dire, et j'ai de quoi y répondre. Je sais bien que si j'ouvre seulement la bouche, tu diras que je fais une harangue. Laisse-moi donc la liberté de parler ; ou si tu veux interroger, fais-le ; je te répondrai pas signes de tASte, comme on fait aux contes de bonnes femmes. ' Ne dis rien, je te conjure, contre ta pensée.
' Puisque tu ne veux pas que je parle comme il me plait, je dirai tout ce qu'il te plaira : que souhaites-tu de plus ? ' Rien, sinon que tu répondes comme je viens de t'en prier, si toutefois tu le veux bien. Je vais t'interroger. ' Interroge. ' Je te demande donc, pour reprendre la suite de notre discussion, ce que c'est que la justice ée A  l'injustice : tu as dit, ce me semble, que celle-ci était plus forte et plus puissante. ' Mais que vas-tu dire de nouveau ? ' Si la justice est habileté et vertu, il me sera facile de montrer qu'elle est plus forte que l'injustice ; et il n'est personne qui n'en convienne, puisque l'injustice est ignorance. Mais, sans m'arrASter A  cette preuve, en ici une autre. N'y a-t-il pas d'état qui porte l'injustice jusqu'A  oser attenter A  la liberté des autres Etats, et en tenir mASme plusieurs en esclavage ? ' Sans doute, il y en a. Mais cela ne doit arriver qu'A  un état très-bien gouverné, et qui portera l'injustice A  son comble. ' Je sais que c'est ce que tu as dit. Ce que je udrais sair, c'est si un état qui se rend maitre d'un autre état peut venir A  bout de cette entreprise sans mettre la justice de la partie, ou s'il sera contraint de se servir d'elle.
' Si la justice est habileté, comme tu disais tout A  l'heure, il faudra que cet état y ait recours ; mais si la chose est telle que j'ai dit, il emploiera l'injustice. ' Je te sais gré, Thrasymaque, de ce que tu réponds si A  propos, et autrement que par des signes de tASte. ' C'est pour t'obliger ce que j'en fais. '-, J'en suis reconnaissant. Fais-moi encore la grace de me dire si un état, une armée, une troupe de brigands, de leurs, ou toute autre société, pourrait réussir dans ses entreprises injustes, si les membres qui la composent violaient, les uns A  l'égard des autres, toutes les règles de la justice. ' Elle ne le pourrai pas. ' Et s'ils les observaient ? ' Elle le pourrait. ' N'est-ce point parce que l'injustice fait naitre des séditions, des haines et des combats ; au lieu que la justice entretient la paix et la concorde ? ' Soit, pour ne point air de démASlé avec toi. ' Tu fais bien. Mais si c'est le propre de l'injustice d'engendrer des haines et des dissensions partout où elle se trouve, elle produira sans doute le mASme effet parmi les hommes, soit libres, soit esclaves, et les mettra dans l'impuissance de rien entreprendre en commun ? ' Oui. ' Et, si elle se trouve en deux hommes, ne seront-ils pas toujours en dissension et en guerre ? Ne se haïront-ils pas mutuellement autant qu'ils haïssent les justes ? ' Sans doute. ' Mais quoi ! pour ne se rencontrer que dans un seul homme, l'injustice perdra-t-elle sa propriété, ou bien la conservera-t-elle ? ' A la bonne heure, qu'elle la conserve. ' Telle est donc la nature de l'injustice, soit qu'elle se rencontre dans un état, dans une armée ou dans quelque autre société, de la mettre en premier lieu dans une impuissance absolue de rien entreprendre, par les querelles et les séditions qu'elle y excite ; en second lieu, de la rendre ennemie d'elle-mASme et de tous ceux qui lui sont contraires, c'est-A -dire des gens de bien. Cela n'est-il pas vrai ? ' Oui. ' Ne se trouvat-elle que dans un seul homme, elle produira les mASmes effets : elle le mettra d'abord dans l'impossibilité d'agir, par les séditions qu'elle excitera dans son ame, et par l'opposition continuelle où il sera avec lui-mASme ; ensuite il sera son propre ennemi, et celui de tous les justes : n'est-ce pas ? ' Oui. ' Mais les dieux ne sont-ils pas justes aussi ? ' A la bonne heure. ' L'injuste sera donc ennemi des dieux, et le juste en sera l'ami. ' Tire bravement telle conséquence qu'il te plaira, je ne m'y opposerai pas, pour ne point me brouiller avec ceux qui nous écoutent. ' Pousse donc la complaisance jusqu'au bout, et continue A  me répondre. Nous venons de ir que les gens de bien sont meilleurs, plus habiles et plus forts que les méchants ; que ceux-ci ne peuvent rien entreprendre avec d'autres ; et, lorsque nous ans supposé que l'injustice ne les empASchait pas d'exécuter en commun quelque dessein, cette supposition n'était pas selon l'exacte vérité ; car, s'ils étaient tout A  fait injustes, ils ne s'abstiendraient entre eux d'aucune injustice. Au contraire, il est évident qu'ils gardent entre eux quelque forme de justice ; que c'est elle qui les empASche de s'entre-nuire dans le temps qu'ils nuisent aux autres, et que c'est par elle qu'ils viennent A  bout de leurs desseins. A la vérité, c'est l'injustice qui leur fait former des entreprises criminelles ; mais ils ne sont méchants qu'A  demi ; car ceux qui sont méchants et injustes tout A  fait sont aussi dans une impuissance absolue d'agir. C'est ainsi que je conA§ois la chose, et non comme tu l'as dite d'abord. 11 nous reste A  examiner si la condition du juste est meilleure et plus heureuse que celle de l'injustice. J'ai lieu de le croire sur ce qui a précédé. Mais examinons la chose plus A  fond, d'autant plus qu'il n'est pas ici question d'une bagatelle, mais de ce qui doit faire la règle de notre vie. ' Examine donc. ' C'est ce que je vais faire. Réponds-moi. Le cheval n'a-t-il pas une fonction qui lui est propre ? ' Oui. ' N'appelles-tu pas fonction d'un cheval ou de quelque autre animal, ce qu'on ne peut faire, ou du moins bien faire que par son moyen ? ' Je n'entends pas. ' Prenons-nous-y d'une autre manière. Peux-tu ir autrement que par les yeux ? ' Non. ' Entendre autrement que par les oreilles ? ' Non. ' Nous pouns donc dire avec raison que c'est lA  leur fonction ? ' Oui. ' Ne pourrait-on pas tailler la vigne avec un couteau, un tranchet ou quelque autre instrument ? ' Sans doute. ' Mais il n'en est pas de plus commode qu'une serpette, faite exprès pour cela. ' Sans doute. ' Ne dirons-nous pas que c'est lA  sa fonction ? ' Oui. ' Tu comprends A  présent que la fonction d'une chose est ce qu'elle seule peut faire, ou ce qu'elle fait mieux qu'aucune autre ? ' Je comprends, et ce que tu dis me parait vrai. ' Fort bien. Tout ce qui a une fonction particulière n'a-t-il pas aussi une vertu qui lui est propre ? Et, pour revenir aux exemples dont je me suis déjA  servi, les yeux ont leur fonction, disons-nous. ' Oui. ' Es ont donc aussi une vertu qui leur est propre ? ' Oui. ' N'en est-il pas de mASme des oreilles et de toute autre chose ? ' Oui. ' Les yeux pourraient-ils s'acquitter de leur fonction s'ils n'avaient pas la vertu qui leur est propre, ou si, au lieu de cette vertu, ils avaient le vice contraire ? ' Comment le pourraient-ils ; car tu parles sans doute de la cécité substituée A  la faculté de ir ? ' Quelle que soit la vertu des yeux, peu importe ; ce n'est pas ce que je veux sair. Je demande seulement, en général, si chaque chose s'acquitte bien de sa fonction par la vertu qui lui est propre ; et mal par le vice contraire ? ' Cela est comme tu dis. ' Ainsi, les oreilles privées de leur vertu propre s'acquitteront mal de leur fonction ? ' Oui. ' Ne peut-on pas en dire autant de toute autre chose ?


' Je le pense ainsi.

' Voyons ceci A  présent. L'ame n'a-t-elle pas sa fonction, qu'aucune autre chose qu'elle ne pourrait remplir, comme de prendre soin, de gouverner, de délibérer, et ainsi du reste ? Peut-on attribuer ces fonctions A  quelque autre chose qu'A  l'ame, et n'ans-nous pas droit de dire qu'elles lui sont propres ? ' Cela est vrai. ' Vivre, n'est-ce pas encore une des fonctions de l'ame ? ' Très certainement. ' L'ame n'a-t-elle pas aussi sa vertu particulière ? ' Sans doute. ' L'ame, privée de cette vertu, pourra-t-elle jamais s'acquitter bien de ses fonctions ? ' Cela est possible. ' C'est donc une nécessité que l'ame méchante pense et gouverne mal ; au contraire, celle qui est bonne fera bien tout cela. ' C'est une nécessité. ' Mais ne sommes-nous pas demeurés d'accord que la justice était une vertu, et l'injustice un vice de l'ame ? ' Nous en sommes demeurés d'accord. ' Par conséquent l'ame juste et l'homme juste vivront bien, et l'homme injuste vivra mal. ' Cela doit AStre selon ce que tu dis. ' Mais celui qui vit bien est heureux ; celui qui vit mal est malheureux.
' Qui en doute ? ' Donc le juste est heureux, et l'injuste malheureux. ' Soit. ' Mais il n'est point avantageux d'AStre malheureux ; il l'est au contraire d'AStre heureux. ' Qui te dit le contraire ? ' 11 est donc faux, divin Thrasymaque, que l'injustice soit plus avantageuse que la justice ? ' Régale-toi de ces beaux discours, Socrate, et que ce soit lA  ton festin des Bendidées.
' C'est A  toi que j'en suis redevable, puisque tu t'es adouci, et que tu as quitté la colère où tu étais contre moi. Cependant je n'ai point été régalé comme j'aurais ulu. C'est ma faute, et non la tienne. Il m'est arrivé la mASme chose qu'aux gourmands, qui se jettent sur tous les mets A  mesure qu'on les apporte, et qui n'en saurent aucun.



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