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l europe, quel modèle économique et social ? icon

ECONOMIE

L’économie, ou l’activité économique (du grec ancien οἰκονομία / oikonomía : « administration d'un foyer », créé à partir de οἶκος / oîkos : « maison », dans le sens de patrimoine et νόμος / nómos : « loi, coutume ») est l'activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. L'économie au sens moderne du terme commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam Smith un important corpus analytique qui est généralement scindé en deux grandes branches : la microéconomie ou étude des comportements individuels et la macroéconomie qui émerge dans l'entre-deux-guerres. De nos jours l'économie applique ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines (puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains domaines : international, finance, développement des pays, environnement, marché du travail, culture, agriculture, etc.


NAVIGATION RAPIDE : » Index » ECONOMIE » ECONOMIE EUROPENEANA » L europe, quel modèle économique et social ?

André sapir

Je voudrais ajouter une chose pour rebondir immédiatement sur
la question de la coupure sociale et économique qui a été très bien mise en évidence. L'Europe s'occupe d'économique et le social reste au niau des états membres, ac une dirsité sur laquelle je vais renir dans un instant. C'est un peu le mASme type de constat ou le mASme type de débat que l'on entend au niau de l'union monétaire, sur la coupure entre le monétaire et l'économique. LA , on dit : il y a coupure entre la monnaie, qui est vérilement européenne, et l'économique, qui reste fragmenté. C'est le débat que l'on connait bien en France sur le gournement économique au niau européen. Dans le domaine social, on dit : le social est resté au niau national, l'économique, par la libéralisation, disons par le marché intérieur, est passé au niau communautaire, mais quand on se place dans un autre contexte, celui de la monnaie unique Je crois que ce sont ces deux coupures qui sont mises en évidence : économique par rapport au social, d'une part; économique par rapport au monétaire, d'autre part. Je crois que ces deux coupures renvoient A  une réflexion absolument nécessaire dans les années A  nir : de quel type d'Europe avons-nous besoin ? Dans le modèle actuel, les états ont accepté de centraliser au niau européen un certain nombre d'instruments de politique économique : la monnaie, certains éléments économiques, comme le marché intérieur, mais pas la politique sociale. Dans les grandes lignes, les débats dans chaque pays reflètent ce pays. Mais, de la mASme manière, A  l'échelon macroéconomique, la politique fiscale et budgétaire reste nationale. La question que l'on doit se poser est : est-ce que ce modèle que l'on a construit, A  plusieurs étages, ac certaines politiques au niau communautaire et d'autres au niau national, peut fonctionner ? Est-ce que toutes ces politiques vont migrer du niau national rs le niau communautaire, auquel cas il sera recréé au niau communautaire ce que l'on a connu au niau des état-nations, A  savoir toutes les politiques économiques soumises au mASme centre politique ? Ou resteront-elles A  différents étages ? La question pour l'Europe, c'est cela : comment faire fonctionner cette Europe des nations où les états ont malgré tout accepté de perdre leur souraineté dans certains domaines ?

Cela vous parait nécessiter un changement de logique ou bien la reconnaissance de logiques que l'on n'a pas identifiées ? Qu'est-ce qui fait que la monnaie peut AStre communautaire mais pas la politique budgétaire ?


Je pense qu'il y a, comme sount dans la construction euro-

péenne, une ambiguïté sur le denir des choses. Certains voient la situation actuelle comme une situation d'équilibre. Cela ne fonctionne peut-AStre pas très bien aujourd'hui, mais cette construction, en elle-mASme, peut fonctionner. Il faut se doter d'un certain nombre d'instruments pour la faire marcher. Et il y a ceux qui disent qu'il s'agit seulement d'une étape rs quelque chose d'autre, une Europe plus fédérale. Mais je crois qu'il y a une ambiguïté, comme sount, dans les deux approches. C'est une question politique. Personnellement, je pense, comme mécanicien, que les choses peunt fonctionner ac deux étages, mais il faut alors, en termes politiques, accepter que cela fonctionne de cette manière-lA .

Je dirais qu'il y a un facteur d'ossification de la situation qui tient A  l'organisation institutionnelle ; le mort saisit le vif. Quand il y a besoin de changement mais que les territoires institutionnels sont bien répartis, c'est très difficile de provoquer la mutation d'un système institutionnel qui s'est déloppé dans une Europe qui s'est élargie. Moi aussi, je pense que cela peut marcher A  deux niaux ; en revanche, je pense que cela ne pourra pas marcher A  deux niaux sans transformation de ce modèle. Peut-AStre cela arrira-t-il : s'il y a des situations critiques très gras, le saut fédéral est envisageable, mais on n'en est pas encore lA . Donc, notre devoir est d'essayer de faire marcher le système A  deux étages parce que c' est ce que souhaitent les gens, A  ce stade. Et nous avons des handicaps tenant A  nos divisions antérieures, redoublés par ces systèmes institutionnels fragmentés, ac compétition fiscale et budgétaire, par exemple. La crise du budget communautaire et la compétition fiscale sont des facteurs profonds de séparation des rôles dans le domaine social, comme l'a dit André Sapir tout A  l'heure. Je critique les idées d'harmonisation sociale ou de protection des acquis sociaux, qui sont des thèses un peu conservatrices ; je pense que l'on se trompe de cible et que l'on reste dans la coupure sociale et économique si l'on ut fabriquer du social A  la marge dans ce système, alors que la vraie cible, c'est l'économique. On ne partage pas suffisamment de choses pour assurer un denir économique et social commun aux Européens. Si on partage un marché, on ne partage pas de biens publics, les spécialisations industrielles sont nationales, et nous ne nous accordons absolument pas sur ce que l'on va défendre ensemble dans la mondialisation. On est de plus en plus en difficulté face aux problèmes de nos grandes entreprises, qui gèrent leurs chaines de valeur A  l'échelle mondiale, qui segmentent les activités, qui font des délocalisations, des relocalisations et des restructurations en fonction de stratégies globales, sans se préoccuper de ce qu'on pourrait appeler un territoire européen, un espace européen A  défendre ou A  promouvoir. Les grandes firmes se sont émancipées des systèmes nationaux, les instisseurs financiers plus encore. Si l'on ut redonner une dimension sociale, c'est en traitant de front la question des responsabilités sociales du capitalisme européen, dans une stratégie de déloppement, dans la mondialisation. Or, cela est difficile, car maintenir une protection sociale, voire l'améliorer, dans une compétition féroce, est un défi économique fondamental, qu'on n'arri pas pour l'instant A  résoudre.

Je reviens A  la question de la dirsité des modèles sociaux européens. Vous az identifié quatre modèles économiques et sociaux. Quels sont ces modèles, et comment ont-ils pu se maintenir A  trars le temps ? Selon vous, cette hétérogénéité est-elle soutenabk A  l'anir, en particulier dans la zone euro ?

Ce n'est pas moi qui ai identifié quatre modèles ou quatre familles
de modèles sociaux en Europe. Ce que j'ai essayé de faire, c'est de les caractériser en termes d'efficacité et d'équité. Je me suis posé la question parce que je partage ce que Philippe Herzog a dit : vu de l'extérieur de l'Europe, on peut parler de modèle social européen. C'est sûr que si on est A  Washington ou en Californie ou A  Pékin, on regarde l'Europe de loin et on dit : oui, il y a un certain nombre de traits communs. Mais quand on se rapproche de l'Europe, on voit bien qu'il y a une dirsité très grande. Ce qui m'a intéressé, en particulier par rapport aux débats qui existent entre plusieurs pays, c'était de montrer qu'en termes d'équité et d'efficacité, il y a des différences extrASmement importantes. A€ mon avis, ces différences sont A  mettre en rapport ac le souhait, par les états, d'une réponse au niau européen. Il est très clair, par exemple, qu'il existe en France ou en Belgique une demande de plus de social au niau européen. Cette demande est beaucoup moins forte dans les pays Scandinas ou anglo-saxons. C'est-A -dire dans les pays qui, de la manière dont je les définis, ont des modèles sociaux efficaces. Efficaces dans le sens où ils sont capables de générer A  la fois des taux d'emploi importants et des niaux de productivité élevés. Ce sont des modèles qui gèrent bien les mutations économiques, dont la globalisation est un des exemples. Ces pays-lA  ont des modèles très différents (dans le modèle Scandina, on a A  la fois une forte solidarité, une forte équité et une forte efficacité ; dans les modèles anglo-saxons, beaucoup d'efficacité mais beaucoup moins d'équité), mais ils ont en commun cette efficacité. Et dans ces pays-lA , on exige moins d'avoir des réponses de la part de l'Europe. Au contraire, dans les états continentaux, comme la France, la Belgique, l'Allemagne, qui ont des modèles sociaux moins efficaces mais ac une forte équité, et dans les états méditerranéens, où on n'a ni efficacité ni équité, il y a beaucoup plus de demande de solutions au niau européen. Et cela, je crois, nous force A  nous interroger. Dans les pays Scandinas membres de l'Union européenne, on est opposé A  ce fonds de globalisation dont Philippe Herzog vient de parler et que je soutiens. Dans ces pays, on dit: pourquoi l'Europe doit-elle, A  trars ce fonds, gérer les difficultés de la globalisation dans certains pays ? Pourquoi ce fonds devrait-il suppléer A  des modèles sociaux qui fonctionnent mal ? Ils sont opposés A  dépenser de l'argent pour maintenir des systèmes qui doint AStre réformés. Pour eux, ce dont les pays membres ont besoin, c'est de modifier leur modèle social, pas qu'on leur apporte un peu d'argent de Bruxelles pour continuer A  mal faire fonctionner les choses.
Vous az posé la question de savoir si cette hétérogénéité est soutenable ou non, en particulier dans la zone euro. Je pense que l'hétérogénéité a une raison. Et celle-ci est que, dans chaque pays, on a une histoire sociale, politique et économique très différente, qui a amené ces dirs modèles sociaux. On sait bien en France que le taux de syndicalisation est très faible et que cela a un certain nombre de conséquences. Ce n'est pas par hasard si aujourd'hui on est en train de rediscuter ces questions. Au contraire, les modèles Scandinas ont un taux de syndicalisation beaucoup plus élevé, mais ac un syndicat unique généralement, ou deux syndicats. Malgré cela, je crois quand mASme qu'on voit des éléments poindre, ac notamment toutes ces discussions actuelles sur la flexisécurité. Je dirais qu'aujourd'hui, en Europe, tout le monde l'accepte, mASme si ce n' est pas de la mASme manière. C'est lorsqu'on discute de ce que cela signifie (combien de flexibilité, combien de sécurité, et pour la flexibilité, quelles formes pour la sécurité) qu'il y a débat. C'est le dosage entre les deux qui fait débat, bien naturel puisque c'est une question politique. Est-ce que l'hétérogénéité est possible dans la zone euro ? Oui, je pense qu'elle est possible, dans la mesure où ces modèles, qui peunt AStre très dirs, présentent des éléments de flexibilité malgré tout. La flexibilité dans la zone euro est absolument essentielle. C'est absolument essentiel dans la globalisation, c'est absolument essentiel par rapport aux changements technologiques, c'est absolument essentiel par rapport A  tous les changements, mais A§a l'est encore plus particulièrement dans la zone euro, où les pays ont perdu l'élément de flexibilité que constitue le taux de change. N'ayant pas cet élément de flexibilité, ils doint en retrour ailleurs, plus que d'autres. Et ce qui est peut-AStre surprenant, c'est que les pays de la zone euro, par rapport A  d'autres états européens en dehors de la zone euro, ont généralement moins de flexibilité. Il y a dès lors, pour la zone euro, une certaine urgence, tout en sachant qu'elle n'a pas les instruments, si ce n'est la méthode ourte de coordination, pour pouvoir inciter les pays A  y répondre.
On peux approfondir la question des fondements des mutations.
Je reviendrai sur ce qui a été dit A  propos de la flexibilité considérée comme un impératif, accomnée d'une sécurisation des transitions professionnelles. Mais il ne faut pas qu'il y ait ambiguïté sur la raison pour laquelle les systèmes sociaux doint changer. En profondeur, ils doint changer, non pas parce que le marché mondial nous y oblige ou nous gASne. Il y a eu l'état providence dans de nombreux pays européens ac des systèmes de redistribution extrASmement généreux, alors que la démographie était radicalement différente de celle d'aujourd'hui ' quatre ou cinq actifs pour un retraité, mais aujourd'hui, dans certains cas, on se rapproche de un pour un. Et l'espérance de vie a augmenté. La démographie a changé, la technologie aussi. On ne mesure pas A  quel point la révolution de l'information s'accomne d'exigences de qualification grandissante pour tous. Cela chahute les systèmes éducatifs et boulerse les modes de vie acti en profondeur. Donc, en amont, en soubassement de la mondialisation, il y a ces grandes mutations. J'ajoute que le type de croissance de l'après-guerre s'appuyait quand mASme sur des prédations : termes de l'échange extrASmement favorables par rapport aux pays du Sud et pillage de l'environnement (pollution, usage inconsidéré et croissant des hydrocarbures, etc.) Tout cela est fini. Le régime des Trente Glorieuses est périmé, et changer notre modèle social et économique est un impératif. Bien entendu, la mondialisation multiplie l'impact de ces mutations profondes car elle change complètement les rapports entre les nations. La montée des émergents, l'arrivée de plus d'un milliard d'hommes sur le marché du travail dans des pays A  bas coûts salariaux mais qui sont avisés et qui déloppent leur système éducatif et de recherche A  vi allure, un capitalisme financier qui met la pression par ses exigences de renilité financière, partout et en particulier chez nous, tout cela acti une compétition mondiale beaucoup plus forte. Sans oublier que la mondialisation peut véhiculer aussi des conflits, comme chacun sait. Elle amène cette violence de la compétition, mais elle amène aussi des opportunités dont on peut se servir, A  condition d'adapter notre régime social et économique. Par exemple, il y a les bas coûts salariaux, mais il y a aussi l'innovation. AŠtre capable d'innor, c'est-A -dire de relier les idées A  des marchés A  l'échelle de la ète, cela suppose d'AStre flexible, de changer de métier, de parler plusieurs langues. Alors on peut saisir ces opportunités, et il n'y a aucune fatalité A  la baisse du niau de vie. Mais tous ces facteurs réunis sont des chocs violents dans des sociétés qui ont tendance A  défendre les acquis d'une période bénie de prospérité et de paix.
Donc, s'adapter et changer sont nécessaires, et la pédagogie des changements est essentielle. En France, on a le plus grand mal A  faire une pédagogie politique, et c'est très gra. On fait par petits bouts, mais on ne pose pas les problèmes de fond. Dans les pays nordiques et anglo-saxons, la question de fond a été posée, de manière violente sous madame Thatcher et plus négociée et mixte sous Tony Blair. Je ne vois pas de possibilité de réussir ces mutations sans participation, car elles impliquent pour chacun de se bouger, de changer de métier, la formation tout au long de la vie, etc. C'estvrai, comme l'a dit André Sapir, que la stratégie de Lisbonne, ac ses défauts, met une pression qui va dans la bonne direction en disant aux uns et aux autres : il faut augmenter le taux d'emploi ' si on n'augmente pas le taux d'emploi, on aura des retraités pauvres en masse ' et en mASme temps augmenter la productivité, ce qui passe par l'innovation. Et l'innovation, c'est la révolution des systèmes de recherche, d'éducation et de relation entre écoles et entreprises. Tout cela est dit par Lisbonne mais sans les incitations communautaires qui permettraient A  chacun, aux retardataires en particulier, d'accomplir ces changements plus rapidement. Si on mesure où on en est, les efforts d'adaptation entrepris dans chaque pays sont inachevés. Prenons le cas britannique. Ils ont réussi A  changer le régime économique ac une spécialisation très forte en services financiers, communication, services aux entreprises, d'ailleurs percutée par la crise actuelle. Ils ont entrepris une réforme des retraites ac un consensus ; mais la question de la pauvreté et des retraités n'est pas résolue pour autant. Au total, on a des réformes fragiles.
C'est pourquoi je pense que, sans solidarité européenne plus forte dans la mondialisation, chacun aura des problèmes. On n'y arrira pas. Pourquoi ? Prenons la chose sous l'angle extérieur. Nous sommes divisés, et, vis-A -vis de l'extérieur, c'est un facteur pénalisant lorsqu'il s'agit de négocier des règles qui sont d'intérASt mutuel, ou de nouer des partenariats économiques ou de rentrer dans des rapports de force 'parce qu'ils existent dans l'espace international. On a lA  une coupure interne-externe qui redouble les autres coupures qui ont été évoquées précédemment. En interne, on partage un marché ou une monnaie. Mais la dimension externe de la politique monétaire n'existe pas, et la stratégie de compétitivité A  l'extérieur'qui devrait reposer sur l'imposition de nos règles, le leadership pour les règles ' atteint ses limites, par exemple en termes de cohérence entre nos régimes sociaux et la compétition mondiale. Quand on a voulu inclure des normes sociales et environnementales dans les négociations au sein de I'omc et dans le commerce mondial, on a échoué. Nous sommes dans une situation où, A  l'extérieur, il faut des solidarités européennes plus fortes, sinon on est balkanisé et les puissances extérieures jouent les unes contre les autres. C'est pourquoi nous allons devoir affronter la mondialisation en sortant des ambiguïtés qu'André Sapir évoquait, de faA§on A  pouvoir mener une politique économique extérieure qui est nécessaire pour réussir l'adaptation de nos régimes sociaux.
évidemment, ce n'est pas simple. Dans la mondialisation, on va rs des conflits parce que la prédation sur les ressources naturelles A  l'échelle globale ne peut pas durer. D'ailleurs, nous, en Europe, de faA§on rtueuse, nous cherchons A  reler ce défi. On voit les tensions sur l'usage des ressources naturelles. On risque d'aller rs ce que les économistes appellent - la guerre des capita-lismes -. C'est une raison supplémentaire de demander A  l'Europe de réussir A  batir une unité pour affronter ces problèmes, car, bal-kanisés, nous ne pourrons pas empAScher des chocs plus violents nus de la compétition mondiale pour l'utilisation des ressources ou l'accès aux marchés. On est vraiment dans une période où l'Europe va devoir bouger son modèle. Il faut essayer d'aller au-delA  des stratégies poursuivies au cours des dix dernières années, ac des résultats limités, notamment sur l'innovation et sur les dimensions sociales du changement. Il faut dépasser cela, car les émergents émergent et nous ne pourrons pas défendre notre prospérité sans des changements plus significatifs.

Je voudrais poser une question sur la relation des modèles sociaux et de la productivité. Y a-t-il lA  une sorte d'externalité, la protection sociale pouvant contribuer A  l'amélioration de la productivité?

Je pense qu'effectiment, aujourd'hui, alors que certains de nos
modèles sociaux sont confrontés A  des difficultés dans un monde en mutation, y compris le vieillissement, absolument essentiel dans les problèmes auxquels les pays d'Europe sont confrontés, on oublie sount de dire que dans les années i960, un élément essentiel dans la réussite de nos économies a été la capacité A  mettre en place des modèles sociaux qui ont promu A  la fois la compétitivité, la croissance, la productivité et l'équité sociale. On a été capable de le faire pendant les Trente Glorieuses. La France a connu la transformation d'un modèle agricole en un modèle industriel. On cherche aujourd'hui A  recréer ces conditions. Il s'agit non pas de mettre A  bas le modèle social, cela n'aurait aucun sens, mais de recréer des conditions de modèles sociaux qui permettent aussi d'augmenter la productivité. Cela passe par la résolution des questions d'équité et aussi d'éducation. Lorsqu'on parle de modèles sociaux, on parle généralement de syndicats, de contrats de travail, de retraite, de système de licenciement, on parle moins d'éducation. Mais l'éducation et les systèmes d'éducation ' eux aussi restent très différents et hétérogènes dans l'ue ' sont au cœur du modèle social. Et c'est vrai que, dans plusieurs de nos pays, les systèmes éducatifs ont été mis A mal, pour différentes raisons Or, l'éducation est au centre de la capacité d'avoir croissance et équité ensemble. L'éducation est la responsabilité des états, voire, en Allemagne, des Lander ; en Belgique, des communautés. On a mis pas mal de temps A  constater que dans la stratégie de Lisbonne, qui ut une réforme du fonctionnement des marchés, une augmentation de la productivité et qui cherche aussi une meilleure équité sociale, l'éducation doit jouer un rôle fondamental. Il y a beaucoup de progrès A  faire dans ce domaine, et je pense qu'il y a un certain nombre de choses que l'Europe peut faire. L'Europe peut faire beaucoup de bien, inciter, pousser, AStre un aiguillon pour des réformes nécessaires. Elle a des instruments, non seulement la méthode ourte de coordination, mais aussi des éléments budgétaires.
Je le pense aussi. L'éducation, c'est l'objectif numéro un pour l'anir du social en Europe. Et cela fait bien le lien, d'ailleurs, entre social et économie A  condition que l'éducation soit conA§ue dans cet esprit. Vous évoquiez la question de la productivité. Si on regarde le potentiel de croissance en Europe, il y a tendance au ralentissement. Ac le vieillissement qui monte, on va rs du
I % l'an, A  peine. Si on prend les conditions A  2030, on stagnera. Et cela signifie de gros problèmes pour le maintien du niau de vie. Il faut que chacun comprenne qu'un vieillissement est un handicap pour accomplir les changements dont nous parlons.
II faut A  la fois augmenter le taux d'emploi et la productivité. C'est le niau de productivité qui détermine le niau de vie, car il ne s'agit pas de prendre aux riches pour donner aux pauvres, mASme s'il y a un problème d'équité. Je ne m'attarde pas sur les quiproquos en France selon lesquels on aurait la meilleure productivité au monde, alors que nous avons beaucoup d'inactifs et que notre productivité horaire stagne. Or, si on n'augmente pas le taux d'emploi, les retraités seront paupérisés. Qu'en est-il des résers d'activité ? Les jeunes, il faut déjA  les accueillir et faire qu'ils ne soient pas chômeurs. Du côté des femmes, il y a beaucoup de possibilités. L'immigration, c'est compliqué: il faut arrir A  intégrer les gens A  ne pas en faire des chômeurs. Mais gardons A  l'esprit que productivité ut dire innovation. Toutes les théories de la croissance endogène sont très claires. Or, l'innovation suppose une stratégie. Il faut distinguer l'innovation excellence, dans laquelle les Américains prennent de l'avance, de l'innovation quotidienne dans les process. Et je crois qu'il faut jouer sur ces deux niaux.


Il y a la frontière et l'imitation.

Oui, il faut absolument jouer les deux. Cela renvoie A  une capacité de créer et d'utiliser ce qui existe par ailleurs. Il y a une mobilisation collecti formidable A  réaliser lA -dessus. Si on regarde les prédispositions A  innor, en France, le système d'éducation est coupé de cela, et le système de formation tout au long de la vie est en déshérence. C'est scandaleux. Et la France n'est pas seule, mASme s'il y a des résultats spectaculaires dans les pays nordiques. Il y a peut-AStre un défaut de la stratégie de Lisbonne qui vise l'excellence et l'Unirsité. Attention, l'Unirsité peut AStre un parking pour futurs déclassés. Une réforme de l'Unirsité doit en amont s'articuler ac la recherche, en aval ac les entreprises. Mais ne campons pas que dans l'excellence. Sinon, les non-qualifiés ont vocation A  AStre des exclus ou des pauvres. Il y a des parcours A  l'Unirsité où l'on s'enferme vite dans le disciplinaire alors qu'il faudrait aller rs du pluridisciplinaire. En France, d'ailleurs, les choses fonctionnent A  l'enrs puisque l'on a des bataillons d'étudiants dans les filières littéraires, en psychologie, en sociologie, alors que cela devrait AStre sélectif et international ; par ailleurs, on manque de filières professionnalisées.
On a une profonde réforme A  faire, et lA -dessus je rejoins André Sapir. J'ajouterai qu'il y a besoin d'échanges. Si on ne met pas les jeunes en condition d'apprendre les langues et d'aller voir les voisins, ils seront handicapés dans leur vie acti, et c'est toute la collectivité qui va AStre bloquée dans sa productivité. A€ la base, il faut des échanges systématiques de maitres et d'élès. Prenons l'économie politique: j'aimerais bien qu'en France il y ait un regard anglais, par exemple. On a lA  un grand défi, que l'on ne peut reler que par l'échange. On évoquait la flexibilité, ce qui suppose de la mobilité et un marché européen du travail. Il faut mettre en place une mobilité pour mieux se qualifier, mieux se professionnaliser, et créer les solidarités concrètes entre Européens que l'on n'arri pas A  batir, puisque les gens ne se connaissent pas. A€ la dimension budgétaire, j'ajouterai la possibilité de faire appel A  des fonds d'instissement. Je ne vois pas pourquoi, alors que l'ambassadeur Manning préconise de créer une banque mondiale de l'éducation, nous n'aurions pas, en Europe, des mécanismes qui permettent aux jeunes d'avoir des accès A  des crédits de formation moins chers.
Il faut une activation de la qualité. La mise en œuvre n'a pas toujours été ce qu'elle devait AStre. Pour renir A  l'éducation, la mobilité est très importante. Il faut rester réaliste. C'est surtout une mobilité au niau unirsitaire. Pour apporter une dimension supplémentaire, je voudrais faire la distinction entre les petits et les grands pays. On dit sount que les petits pays sont plus A  mASme de gérer les transitions. Or, la mondialisation est un phénomène nouau pour les grands pays, moins pour les petits pays.

Ce qui est difficile pour certains pays, c est le sentiment de ne pas maitriser l'ensemble des outils. Il reste un vrai débat politique : comment voulons-nous gérer notre futur ?

Pour renir A  ce que tu dis A  propos des petits pays : leur activité intérieure dépend beaucoup des exportations. Ils sont dépendants de l'extérieur depuis longtemps. Je voudrais parler du capitalisme européen, mASme s'il y en a plusieurs. On a, pour faire face A  la mondialisation, besoin de s'interroger sur le type de capitalisme européen, A  trars le thème de la gournance d'entreprise. Il me parait difficile de réussir les mutations dont on parle ac des capitalismes européens qui s'affrontent. Je m'interroge sur les caractéristiques des capitalismes européens nécessaires pour promouvoir la dimension sociale dont nous parlions.
La responsabilité sociale des entreprises est un levier de mobilisation. Au-delA , on bute sur le fait que les incitations publiques ne sont pas cohérentes ac cette responsabilité sociale et environnementale. L'assiette de l'impôt sur les sociétés en est un exemple. Une certaine harmonisation fiscale est indispensable. On manque d'instisseurs A  long terme. La compétition intra-européenne n'est pas accomnée des coopérations interrégionales nécessaires. Heureusement, on vient de créer la communauté Lille-Roubaix-Courtrai, mais que d'années passées avant que l'on commence A  organiser des biens publics par-delA  les frontières ! On ne peut pas imaginer la fin des frontières, qui est le but de l'Acte unique, sans infrastructures communes, sans harmonisation fiscale et sans systèmes de coopération qui dépassent les territoires nationaux. Actuellement, on est dans une phase de déstructuration de l'espace national A  trars les délocalisations et les relocalisations. L'état n'est plus maitre de son territoire national, et le territoire européen n'existe pas, c'est une fiction.
En mASme temps, en Europe aujourd'hui, on a une dirsité économique plus grande qu'au début de la construction européenne. J'aimerais ajouter un élément A  la dimension sociale lancée par Jacques Delors dans les années 1980. Au moment où la Commission Delors lance le programme sur le marché intérieur, on passe du marché commun au marché unique, on accomne cet approfondissement du marché par des éléments sociaux.
Mais il y a aussi un moument d'élargissement du marché, car c'est le moment où la Grèce en 1981 et le Portugal et l'Esne en 1986 entrent dans la Communauté européenne.
A€ partir de ce moment-lA , on a un Sud et un Nord en Europe. Alors se posent les questions de dumping social, et un quiproquo nait en Europe. On donne des fonds pour aider le déloppement des régions du Sud mais on impose un certain nombre de conditions sociales.
Les deux vont de pair. Ce modèle a bien fonctionné, car on n'a pas connu de délocalisations massis. Le Sud et le Nord n'ont pas été victimes l'un de l'autre. Aujourd'hui, la question se pose A  nouau, parce que les différences de niaux de salaires entre anciens et nouaux pays membres sont plus grandes encore qu'au milieu des années 1980. De plus, le débat se déroule dans un environnement différent, ac l'émergence de la Chine, de l'Inde. Cela nous force A  nous poser beaucoup de questions. Dans cette noulle Europe, on voit des délocalisations inéviles. Dans un certain sens, c'est souhaile, car les nouaux états membres ont besoin de pôles de croissance. Il est intéressant A  cet égard de regarder la stratégie des entreprises allemandes, par contraste ac la France et l'Italie. L'Allemagne a beaucoup souffert au début des années 2000. Son tissu industriel a mis A  profit cette période en délocalisant. Mais de faA§on - gagnante-gagnante -. L'Allemagne a réorganisé son appareil de production. Elle a pris une avance sur d'autres pays. Ce succès vient en partie de sa capacité de réorganisation.
Approfondissement et élargissement du marché vont de pair. La dirsité est une richesse. Mais cela suppose de partager un destin. L'élargissement a été un facteur de dynamisation. Il y a des success stories impressionnantes. Mais la notion de partage est mal admise, car on craint qu'autrui vienne nous voler notre emploi. Comme si l'emploi était une donnée rare. Le déloppement de l'industrie en Roumanie ou en Bulgarie contribue A  la prospérité générale. Pour que l'on puisse affronter ce nouau contexte et la montée des nations émergentes, les nouaux pays entrants incitent A  donner chair A  une solidarité. Ce sont des pays demandeurs de solidarité. Lorsque l'on se plaint que Gazprom pénètre en Bulgarie, en Hongrie ou ailleurs, ou lorsqu'on déplore que les Lituaniens doint se fournir en électricité nucléaire chez la Russie voisine, c'est aussi parce qu'on ne leur a pas donné les moyens de moderniser leur système énergétique. C'est par carence de solidarité interne que certains états membres se retrount fragilisés ou rejoignent l'orbite russe dont ils croyaient s'AStre détachés. Notre problème aujourd'hui, c'est l'- Europe, acteur global -. Je parle d'un camp de base européen.
Il faut que l'Europe consolide sa base et qu'elle se défende dans la mondialisation. Parce que la compétition monte d'un cran et l'intelligence d'autrui, aussi. Lorsqu'on regarde les travaux du centre d'études prospectis et d'informations internationales (cepii), on réalise qu'on a de l'avance dans le design, dans le marketing. Mais on ne l'aura pas toujours. Alors, ce camp de base européen va devoir se muscler de l'intérieur en relevant le défi de la recherche, de l'innovation, de l'éducation. Ac des synergies suffisantes, pour faire en sorte que les spécialités européennes soient défendues dans l'espace mondial.
La méthode ourte de coordination a atteint ses limites. Quels vont AStre les outils de dynamisation du social dans la perspecti que nous évoquions ? Je mise beaucoup sur les entreprises et les régions : le renouau du social dans les entreprises, ac la responsabilité environnementale et sociale, est une clé. Et la mise en œuvre des mobilités va impliquer des partenariats publics privés et des alliances entre territoires européens. Nous devons ambitionner de relancer le dialogue social. Le comité d'entreprise européen est quelque chose de génial. Le problème est que c'est trop peu et qu'il n'y a pas assez d'entreprises dans le coup. Le dialogue sectoriel est très important pour l'anticipation des restructurations. On a donc lA  des outils qui sont tombés en déshérence et qui pourtant permettraient de nous mobiliser.
Il n'y a pas une seule recette bonne A  tous moments. A€ certaines époques, les grands pays ont pu avoir des avantages sur le économique. C'était dans l'esprit état-nation, au xixe siècle. Aujourd'hui, on se tourne rs les petits pays, par exemple pour voir comment fonctionnent les polders hollandais
La méthode ourte de coordination montre qu'il n'y a pas toujours besoin d'aller chercher les exemples au dehors de l'Europe. On devrait pouvoir dire qu'ac nos valeurs on va pouvoir préserr notre modèle social face au vieillissement et A  la mondialisation. Mais aussi qu'au sein de la famille européenne il y a cette dirsité, et que certains pays arrint bien A  préserr leur essence. Je crois que c'est moins une question de leA§on qu'une question d'espoir : les pays qui ont réussi nous indiquent que c'est possible. Et cela est magnifique.



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