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ECONOMIE

L’économie, ou l’activité économique (du grec ancien οἰκονομία / oikonomía : « administration d'un foyer », créé à partir de οἶκος / oîkos : « maison », dans le sens de patrimoine et νόμος / nómos : « loi, coutume ») est l'activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. L'économie au sens moderne du terme commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam Smith un important corpus analytique qui est généralement scindé en deux grandes branches : la microéconomie ou étude des comportements individuels et la macroéconomie qui émerge dans l'entre-deux-guerres. De nos jours l'économie applique ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines (puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains domaines : international, finance, développement des pays, environnement, marché du travail, culture, agriculture, etc.


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Les changements de statut de la communication politique

Les changements de statut de la communication politique
1 - La leA§on d'un débat

Le débat sur Maastricht a été de montrer combien les conditions en étaient finalement peu réunies. Les informations étaient supposées connues, les opinions constituées, les camps identifiés, les journalistes dans leur rôle, tout autant que les hommes politiques. Bref, - le premier débat politique européen * devait pouir commencer. Des acteurs aux sondages, des médias aux hommes politiques, tout était en place pour une nouvelle communication politique. Résultat? Il n'y eut pas de débat européen, mais un débat national vaguement centré sur l'Europe, avec des arguments liés A  l'Europe, dont l'importance variait d'un pays A  l'autre. Chaque pays s'est enfermé dans ses références et ses arguments. Finalement chacun parlait sans tenir compte de l'autre d'un sujet qui concernait tout le monde.
D'un seul coup, on découvrit qu'il n'y avait pas d'espace public
européen, mASme pas d'opinion publique européenne et encore
moins de médias européens. Belle contre-performance pour ceux qui
yaient dans Maastricht la première manifestation d'une conscience


d'un enjeu européens.

En réalité, l'agenda de la communication politique ne fut maitrisé ' par les acteurs, ni par les médias, ni par le public. D'une certaine "anière, le te intervenait trop tôt, ou trop tard. En tout cas par apport A  l'enjeu de l'Europe politique, sur fond de réaménagement
litique international, A  la suite de l'effondrement du marxisme, et e la récession, il n'était pas certain de traduire la confiance que l'on
endait de la pan des citoyens A  l'égard de l'Europe. Le contexte vait changé, illustrant une fois de plus la force et la faiblesse du
te. Celui-ci a l'avantage de ramener A  l'essentiel mais on ne sait jamais si ce qui s'exprime dans le te, au moment où celui-ci a lieu, concerne strictement la question posée. Il est parfois en porte A  faux par rapport A  la diachronie des enjeux. Bref, ce fut une contre-performance en terme de communication politique. Il n'a pas suffi que les ingrédients soient réunis pour que la - communication - réussisse, ou plutôt celle qui s'est élie a échappé aux protagonistes.
La principale leA§on de Maastricht du point de vue de la communication politique se résume ainsi : rappeler le rôle déterminant des conditions de la réception des messages. Le problème n'est souvent ni l'information ni l'explication, mais, du côté de la réception, la construction des cadres cognitifs et symboliques. Il manquait une expérience sociale pour rendre concret ce débat, comme il manquait une représentation de l'Europe. Des deux côtés, celui du récepteur (les cadres de l'expérience), comme celui du message (l'Europe), les choses étaient assez floues. Etonnant, dans ce cas-lA , que la communication n'ait pas plus été décalée
En d'autres mots, information et communication furent utilisées dans une perspective moderniste, A  un moment où l'on affrontait une sorte de chaos historique, ou tout au moins de réaménagement en profondeur. De ce point de vue, Maastricht a révélé que l'information n'est possible que si émetteur et récepteur appartiennent au mASme espace symbolique et culturel. Sinon, elle n'atteint pas son but, comme cela se passe d'ailleurs très souvent dans la réalité. Cette déperdition considérable de l'information fait partie de la réalité politique quand elle est symboliquement constituée, ce qui n'était pas le cas ici. La mécanique communicationnelle démocratique s'emballa, et on eut le sentiment, au fur et A  mesure du débat, que plus il y avait de communication, moins celle-ci avait d'impact. Maastricht est un bon exemple A  méditer sur les limites de notre modèle de communication politique. En gros, celui-ci est adapté au jeu politique des Etats-nations, où les codes, les marques, les réflexes, les habitudes et les traditions permettent, comme dans un flipper, de receir et de renyer les arguments. Mais avec l'Europe, il n'y avait plus de codes communs, plus de règles, presque plus de flipper. Les meilleurs - intentions communicationnelles - ne suffisent plus '.
Le moment des hommes politiques et des technocrates n'est pas forcément celui des publics, du moins si l'objectif recherché n'est pas de recueillir une - opinion » sur l'Europe, mais une - décision -. Car la principale limite A  la théorie démocratique de l'information est de supposer que les partenaires sont de bonne foi, qu'ils -veulent sair -. L'histoire est pourtant peuplée de situations où les individus ne veulent pas sair, soit par choix idéologique, on l'a vu longtemps avec le communisme, soit par manque de cadre d'interprétation, comme c'est le cas pour l'Europe.
Un exemple : le décalage entre la faible diversité des discoure émis et l'hétérogénéité des publics de l'autre côté. En effet, dans le fonctionnement habituel d'une démocratie, chacun a l'habitude d'entendre sur les grands problèmes des discoure de nature différente. Par exemple, sur la santé, les émetteurs nt du monde médical au monde politique, en passant par celui des associations et usagers. Les exemples pourraient AStre multipliés A  l'infini : il y a pluralité de points de vue, de représentations, et d'intérASts.
Avec l'Europe, du côté des émetteurs la variété des discours est limitée, aux journalistes, aux hommes politiques et parfois A  des hauts fonctionnaires ou des patrons. Avec des arguments appartenant essentiellement A  une logique moderniste réductrice. Du côté des récepteurs, au contraire, l'hétérogénéité est reine, A  la mesure de l'hétérogénéité des attentes et des représentations de l'Europe. Dans quelques années, le discoure sur l'Europe se sera -déspécialisé-, mais la spécialisation actuelle, tout A  fait normale, reflète le caractère technocratico-démocratique du mode actuel de construction.
En un mot, on a ulu une communication démocratique sur un projet essentiellement technocratique : le décalage était inévile. Il n'y avait aucun des - amortisseurs - qui, au sein des Etats-nations, permettent une réception des discours venant de plusieurs endroits. Ces - amortisseurs - sont la cohabitation au sein d'un espace public de plusieurs systèmes de valeurs correspondant aux différentes idéologies du public qui permettent de coder et décoder les discours des uns et des autres. Le rôle de la communication politique est A  chaque moment de faire le tri entre les différents niveaux de discoure. Ici, l'étroitesse de la - bande passante - des discours politiques a été renforcée par la prégnance des arguments économiques et politiques, peu compensés par d'autres A  caractère plus social ou culturel.
Le paradoxe du changement d'échelle de l'Europe démocratique est la modification du rôle de l'information. Celle-ci joua un rôle primordial pendant quarante ans pour sensibiliser les opinions publiques et rendre compte de l'action institutionnelle. Mais quand l'Europe devient l'affaire du citoyen l'idéologie prend sa place, réduisant d'autant l'influence de l'information. Ce changement risque de déceir un grand nombre de technocrates qui attendaient beaucoup de cet élargissement du cercle des débats. Souhaitant enfin un débat public, A  partir des faits et des dossiers, ils assistent en réalité au début d'un discours idéologique sur l'Europe. Et ce décalage ne va pas diminuer, mais au contraire s'accentuer au fur et A  mesure que l'Europe deviendra réellement un enjeu démocratique.
Les dirigeants rASvaient d'un débat - rationnel -, comme les citoyens d'ailleurs, le drame est que les uns et les autres n'avaient pas la mASme définition de la rationalité " Les uns souhaitaient un débat - clair -, sur le - fond -, argumenté, convaincus d'ailleurs qu'A  l'issue d'un tel débat la cause serait entendue, c'est-A -dire Maastricht plébiscité. Les autres, les publics, n'avaient guère d'éléments pour apprécier, et résistaient au fur et A  mesure que les arguments plus rationnels les uns que les autres devaient les satisfaire Le résultat fut d'ailleurs d'une réelle intelligence populaire, puisqu'A  400 000 ix près, les citoyens renyèrent dos A  dos partisans et adversaires, comme pour faire comprendre qu'il fallait peut-AStre un peu plus de temps et de réflexion pour s'engager définitivement. La puissance du - non - a été utile puisqu'elle a obligé les partisans du oui A  légitimer et admettre des arguments qu'ils avaient refusé pendant toute la camne2.
La communication sur Maastricht a donc plutôt consisté en un premier - débroussaillage communicaiionnel -, plutôt qu'il n'a donné lieu A  une - authentique - communication politique. Rétrospectivement, il est préférable que cette prise de conscience de l'effet - tour de Babel - ait eu lieu au début de l'Europe politique, plutôt que cinq ans après.
Maastricht enfin apporte une dernière leA§on; sur le rôle des journalistes. Ceux-ci devront faire attention A  l'avenir, compte tenu de leur fonction de - gardien - de l'espace public, A  l'équilibre des positions. Sur Maastricht, la plupart n'avaient pas bien apprécié le rapport de force populaire, de demi-hostilité; ils ont mis du temps A  rééquilibrer les commentaires. Dans l'ensemble farable A  l'Europe, le milieu médiatique, sensible au modernisme, méfiant A  l'égard du passé, fut assez prompt A  taxer de passéistes, et de retardataires, les positions adverses. Pour eux, et de bonne foi, la cause était entendue. Comment pouvait-on ne pas AStre - pour - Maastricht ? Autrement dit, il n'y avait pas beaucoup de place pour un discours hostile qui ne soit pas discrédité. Le consensus moderniste répandu dans ce milieu professionnel et culturel explique probablement la lenteur avec laquelle il réalisa l'ampleur des réticences.
C'est aussi le cas des éditorialistes de la presse écrite ou audiovisuelle. Du printemps 92 A  fin juin, les médias ont dans l'ensemble épousé quasiment naturellement la thèse du oui. Cette adhésion n'a sans doute pas permis aux hommes politiques d'apprécier l'eut de l'opinion, car ils yaient dans le traitement des médias ce qu'ils souhaitaient eux-mASmes entendre. Il leur aurait fallu une solide vertu pour imaginer que les médias faisaient de l'autoréférence, au heu de rendre compte de l'état de l'opinion. C'est ainsi qu'hommes politiques et journalistes, de bonne foi, se sont trompés. A partir de fin juillet, l'orientation a été modifiée et les médias ont retrouvé leur fonction d'organisateur du débat social en donnant la parole aux différentes thèses en présence. Mais il a fallu pour cela le - coup de massue - des intentions de te du non.
Heureusement pour les médias, le public, dans une période où il n'a pourtant guère confiance dans les journalistes ', n'a pas relevé ce changement d'attitude et ne l'a pas porté au discrédit des journalistes. La marge de manœuvre de ces derniers, dans une telle situation, est étroite, mais leur rôle considérable dans la période actuelle de réajustement des opinions A  propos de l'Europe démocratique requiert de leur part plus de neutralité, car ce sont eux qui mettent en - circulation - les mots que les citoyens s'approprient.
Par exemple les journalistes sont tentés d'utiliser le cabulaire technocratico-démocratique qui a dominé pendant quarante ans et qui est le seul disponible, alors mASme que progressivement la construction démocratique de l'Europe introduit d'autres cabulaires. Mais A  l'époque charnière où nous sommes, et encore plus en 1992, les mASmes mots désignaient déjA  des réalités différentes. Les mots anciens font - communication - mais masquent le changement de registre. Les mots nouveaux sont encore inconnus. De mASme pour parler des conflits de l'Europe de l'Est, la tentation est grande, on l'a vu, de parler de conflits - ethniques et nationalistes -. Mais ce n'est pas la mASme chose : il y a très peu de conflits A  caractère ethnique en Europe de l'Est, et l'abus du mot nationaliste, très connoté négativement en Europe de l'Ouest, ne risque pas de grandir a priori le respect des cousins de l'Ouest A  l'égard des cousins de l'Est2. Les journalistes qui n'ont que des mots A  leur disposition ont plus que jamais un rôle important et menacé : ils sont des » passeurs - entre plusieurs logiques, plusieurs historicités, plusieurs légitimités. C'est évidemment au moment des changements de cadre de référence qu'ils sont essentiels, sans disposer, autrement que par leur talent, de moyens d'appréhender les changements radicaux des situations historiques.
Trois observations peuvent donc AStre rapidement tirées de cette expérience.
D'abord, contrairement A  ce qui est souvent répété, et qui fait partie des stéréotypes, la presse n'influence pas si naturellement et si directement l'opinion publique. Sinon cette influence aurait ici joué en faveur de Maastricht.
Ensuite, cet événement rappelle, dans un univers surmédiatisé où les événements nt vite, interdisant le minimum de distance nécessaire A  l'information, la difficulté pour la presse A  tenir une fonction d'objectivité, et la nécessité pour sa crédibilité auprès du public A  mieux expliquer la difficulté de son travail. En un mot mieux revendiquer l'idée d'honnASteté, plutôt que celle d'objectivité.
Enfin, ce débat montre que les trois grands acteurs, les hommes politiques, les médias et l'opinion publique, ne cessent de - se marcher sur les pieds -. Apparemment ils représentent trois logiques différentes. En réalité dans la vie quotidienne, surtout lorsque surgit un événement neuf sans tradition, comme un référendum sur l'Europe, médias et politiques ont tendance A  réagir de la mASme faA§on, avec les mASmes réflexes et les mASmes codes. Cet exemple parmi d'autres prouve la nécessité de préserver la spécificité des approches correspondant aux trois légitimités distinctes et parfois contradictoires du jeu politique démocratique : la politique, l'information, l'opinion publique.
La communication politique médiatisée d'aujourd'hui est une condition sine qua non de la démocratie de masse, et elle n'en n'est nullement une perversion ou une dégradation comme le pensent certains. Comme je l'ai souvent dit, la » publicité - de la politique par les médias et les sondages depuis une trentaine d'années est un facteur de transformation positive du jeu politique.
Par contre, ces avantages s'accomnent d'inconvénients, au moins aussi nombreux, difficilement perceptibles car récents, mais tout aussi importants A  prendre en compte. La transparence, l'immé-diateté et la prime donnée A  une sorte de standardisation moderniste du discours politique, médiatique et - sondomaniaque -, sont des problèmes considérables, insuffisamment analysés.

2) Un autre statut de la communication politique

Avec la communication, rien n'est simple, et l'étymologie du mot, rappelée naguère par Yves Winkin, suggère deux significations et une polysémie indépassable.
Le premier sens, celui auquel chacun pense, renie A  l'idée de mise en commun, de partage, d'échange (du latin : communicare). Si on communique, c'est pour échanger et partager quelque chose avec quelqu'un, AStre en relation avec un interlocuteur. Communiquer c'est un peu s'exprimer, - communier -, le rASve de toute communauté. On retrouve d'ailleurs l'importance de ce double thème de la communauté et de la communion dans la religion chrétienne.
Le deuxième sens, moderne, renie A  l'idée de transmission et de diffusion. - Le moyen technique par lequel des personnes communiquent. Messages qu'elles se transmettent -, dit le Petit Robert. Avec l'essor des techniques de communication (téléphone, télécommunication, informatique, audiovisuel), le deuxième sens l'a emporté, ou plutôt il s'est développé, tout en conservant le premier sens comme perspective. C'est bien parce que les techniques de communication assurent une communication qui est quand mASme toujours autre chose qu'une simple transmission qu'elles ont un tel succès. Au-delA  de leurs performances strictes, elles plaisent car elles amplifient, quand elles ne remplacent pas, la communication humaine. Mais avec deux déviations que l'on constate dans les démocraties. Une prolifération de la communication, au détriment de la qualité qui proque un certain affaiblissement de celle-ci. Une communication de plus en plus liée A  l'image qui renforce la prédominance de la forme. Et toute l'ambiguïté de la communication, duelle ou médiatisée par des outils, est d'air en perspective cette signification anthropologique.
Ce que l'on cherche dans la communication, c'est l'autre, au niveau individuel autant que collectif. L'autre pour parler, s'exprimer, mais aussi receir et échanger. Il y a donc en permanence dans l'usage du mot deux dimensions. La communication normative qui renie au partage et A  l'échange. La communication fonctionnelle qui renie aux nécessités d'échanges de plus en plus nombreux dans une société complexe. Mais l'une ne renie pas A  la communication duelle et l'autre A  la communication médiatisée. Autrement dit il y a de nombreuses situations de communication duelle fonctionnelles, où rien d'essentiel ne s'échange et de nombreuses situations normatives médiatisées par des outils. Le caractère fonctionnel ou normatif ne renie pas au fait d'AStre ou non médiatisé par des outils, mais A  la nature de la communication. C'est évidemment cette polysémie du mot qui explique son succès et ses ambiguïtés.
La polysémie est renforcée par l'étymologie du mot complémentaire de communication, celui d'information. En effet, pas de communication sans échange d'informations, que ce soit A  titre fonctionnel ou normatif.
LA  aussi, deux sens au mot information. Le premier signifie mettre en forme (du latin : informare). Le deuxième, plus récent, renie A  l'idée d'événement. L'information, c'est le récit des événements advenus. On retrouve donc dans le mot information la mASme ambivalence que dans celui de communication. En s'informant, on cherche A  connaitre les faits et les événements qui par leur surgisse-ment modifient le contexte et font rupture. En mASme temps, on cherche dans l'information une intelligibilité de la réalité, un moyen de - la mettre en forme -, d'ordonner ce tohu-bohu de faits et d'événements, ce chaos sans signification cher A  Shakespeare.
Ainsi, chacun des deux termes a une double signification. Cette ambivalence des mots renforce l'idéologie de la communication qui consiste toujours A  sous-estimer les freins A  l'échange, et A  supposer que la communication normative est dans la ligne de mire de la communication fonctionnelle '. C'est mASme cette perspective normative qui donne sens A  l'explosion des techniques de communication. Elles accentuent encore la dimension fonctionnelle tout en ayant la communication normative comme référence.
Les difficultés inhérentes A  ces deux mots, et A  leur usage, sont renforcées par le fait qu'il n'y a pas de démocratie sans information et communication de masse. Autrement dit, le prix A  payer A  la démocratie égalitaire est de donner la possibilité aux citoyens de s'informer et de comprendre le monde dans lequel ils vivent, et qu'ils contribuent A  construire. C'est pourquoi les médias généralistes (presse écrite, radio, puis télévision) sont la condition sine qua non de la démocratie de masse. Il y a donc une contradiction, que je n'ai jamais comprise, chez nombre de théoriciens de la démocratie, ou de spécialistes de la communication, A  uloir défendre le modèle démocratique et trouver dans les médias de masse un frein A  cette mASme démocratie. Ils en sont une condition indispensable. Que les médias de masse ne soient pas toujours A  la hauteur de leur rôle est une évidence, mais cela ne suffit pas A  les dévaluer au théorique. C'est comme si, au nom des déviations constantes de la démocratie, on en venait A  en éliminer le concept. Il en est de mASme aujourd'hui pour les médias de masse. Ils sont la condition normative indispensable A  la démocratie égalitaire, comme j'ai essayé de le montrer dans d'autres ouvrages.
Le problème se complique néanmoins depuis une vingtaine d'années en raison de trois facteurs : l'explosion technique; la constitution d'un vaste marché de la communication; le succès de l'idéologie et de la politique de déréglementation. Les trois phénomènes ont d'ailleurs un rapport évident. C'est parce que les possibilités techniques dans chacun des trois domaines (informatique, télématique, audiovisuel) et leur interface ouvrent des possibilités considérables d'application que le mouvement de déréglementation a pris cet essor, facilitant du mASme coup la croissance du secteur qui apparait comme un des plus - profiles - depuis une trentaine d'années.
L'information et la communication sont donc sollicitées par deux mouvements totalement différents, mais qui s'épaulent et accentuent les déséquilibres.
D'une part le mouvement démocratique qui, A  travers l'installation de la démocratie de masse, élargit l'emprise de la communication.
D'autre part, l'ensemble constitué par les techniques, la déréglementation et le marché qui tendent pour des raisons commerciales A  généraliser l'usage des techniques de communication, inventant mASme le concept, attirant et séduisant, de - société de l'information et de la communication -.
Ce que l'on appelle l'idéologie de la communication est donc très exactement le discours né de l'amélioration des techniques de communications, elles-mASmes farisées par le triple processus de l'innovation technique, la constitution d'un marché et la déréglementation '. Avec deux issues A  cène idéologie. La première pessimiste, avec la perspective d'une sorte de - 1984 -. La seconde, plus optimiste, qui y it l'instrument d'une société moins hiérarchisée et plus égalitaire, reposant sur l'information et la communication, les deux valeurs au centre de l'expérience humaine. Ces deux versions de la mASme idéologie ont en commun de ne pas douter du rôle central de l'information. Elles expliquent l'alliance étrange entre des industriels, des hommes politiques et des intellectuels. Les uns et les autres parlent des - vertus de la communication -, mASme si les uns et les autres n'en ont pas la mASme conception. Peu de thèmes sociaux ou politiques réussissent A  susciter une telle coalition d'intérASts, finalement divergents. L'information et la communication forment réellement les valeurs dominantes de l'idéologie moderniste, dont on aura compris au long de ce livre qu'elle constitue le vérile - smic idéologique- de nos sociétés.
Tel est le statut général de l'information et de la communication dans les pays développés démocratiques, tout ceci indépendamment de l'Europe. Mais il est facile de comprendre comment la question de la construction politique de l'Europe pose en grand et en accéléré, cette question suscitée par l'expansion de l'information et de la communication au sein des Etats-nations1.
En un mot, tout ce qui concerne la communication est mobilisé en faveur de l'Europe. Chacun, constatant les lenteurs et les difficultés, souhaiterait trouver dans la communication, et ses performances, l'alliée nécessaire. D'autant que les deux semblent quasiment synchrones. L'Europe n'est-elle pas un projet moderne, et la communication n'est-elle pas la valeur moderne pas excellence ? De lA  A  mobiliser ce qu'il y a de plus - moderne - dans l'ordre des techniques et des valeurs pour accélérer l'adhésion au plus - moderne - des projets politiques, l'Europe démocratique, il n'y a qu'un pas A  franchir. Que beaucoup franchissent.
Et c'est lA  où, de nouveau, tout se complique. En dépit des apparences, information et communication ne sont pas forcément les alliées de l'Europe démocratique A  construire. Chacun rASverait de trouver dans la communication A  travers ces deux dimensions, fonctionnelle et normative, le moyen de renforcer l'adhésion, si difficile, au projet de l'Europe démocratique. L'information et la communication ne sont-elles pas les meilleures alliées contre les préjugés et l'ignorance? N'ont-elles pas été A  l'origine de la démocratie dans chacun des Etats-nations composant l'Europe? Pourquoi n'en serait-il pas de mASme A  l'origine de l'Europe démocratique?
La connaissance et la transparence croissante des mécanismes de décision ne sont-elles pas le moyen pour que le citoyen, comprenant de mieux en mieux de quoi il s'agit, adhère avec plus de fougue A  ce projet ?
Ce raisonnement apparemment de bon sens, qui souhaite mobiliser le médium utilisé par tous, afin de - mieux faire passer le message de l'Europe -, suscite pourtant deux objections. Pourquoi faire jouer ce rôle politique A  la télévision alors que, pendant 30 ans, son utilisation politique par les gouvernements a été critiquée ? Pourquoi ce qui était critiquable au national devient-il souhaile au européen ? Le sens du lent mouvement de désengagement de la télévision A  l'égard du pouir politique n'est-il pas de refuser de jouer ce rôle de bras armé d'un projet politique, quel qu'il soit?
La deuxième critique concerne l'échelle d'un tel projet. On reproche A  la télévision d'AStre un médium de masse, adressant le mASme message A  des millions d'individus. Pourquoi ce qui est un facteur de standardisation A  l'échelle d'une société de 30 A  60 millions d'habitants serait-il, au contraire, un facteur de libération A  l'échelle du continent? Pourquoi l'effet de - massification - n'est-il pas ici dénoncé? Parce que la cause est bonne? Autrement dit, on critiquerait l'effet de standardisation de la télévision au national, pour le louer au européen, tout simplement parce que le - message européen - est bon et qu'il faut utiliser pour cela - tous les canaux - A  disposition ? En fait, la télévision est considérée ici comme une -ressource-, et la communication comme un -gisement - A  mobiliser en faveur de la cause européenne.
VoilA  probablement le défi : résister A  l'idéologie de la communication, bras armé du modernisme. Justement parce que la construction de l'Europe démocratique n'oppose pas des archaïques et des modernes, des anciens et des nouveaux, mais deux représentations de l'histoire, de la politique, et du rapport A  l'autre, aussi légitimes l'une que l'autre. Elle n'oppose pas ceux qui ont raison A  ceux qui ont tort, elle oppose des visions de l'histoire, du temps, de l'identité, aussi légitimes les unes que les autres. Personne n'a raison seul. Et toute la difficulté de l'évaluation du rôle possible de la communication dans la construction de l'Europe vient en fait du changement de contexte. Autant cette fonction d'- accélérateur - était simple dans le cadre de l'Europe technocratique où il s'agissait de forcer le destin, autant elle devient plus compliquée quand il s'agit de conceir un ensemble politique avec l'accord de tous. La construction de l'Europe démocratique ne peut réussir qu'avec l'aide de la communication, pas au sens fonctionnel, comme ce fut le cas pendant quarante ans, mais au sens normatif du partage, de l'échange.
Mais une communication authentique, A  340 millions de personnes, est plus difficile que tout ce qui l'a précédé. Et ilA  le problème : on rASve d'installer une communication normative A  l'échelle de l'Europe démocratique avec les méthodes de la communication fonctionnelle. Quel est le danger? Toujours le mASme: au lieu d'accélérer une adhésion, accélérer au contraire un rejet, en réaction contre le sentiment de menace encouragé par le surcroit de communication. En effet le boomerang de la communication, au lieu d'accroitre la confiance et la silité, suscite la défiance. La communication devient facteur de désilisation.
En réalité, le drame des outils de communication est qu'ils sont en avance sur les réalités sociales, culturelles, symboliques. C'est-A -dire en avance sur ce qui conditionne la communication; les modèles; les usages; les attentes; les comportements. Bien sûr, les modèles de communication, stratégiques, rationnels, juridictionnels, conflictuels, sont connus, mais dans la réalité, il n'y a pas de - chef de gare -pour faire le bon tri entre les différents modèles et surtout ces distinctions sont pertinentes quand on reste dans un espace synchro-nique identifié. Quand on est devant l'histoire en mouvement, comme c'est le cas avec l'ouverture sans précédent de ce nouvel espace, depuis 1990, les distinctions lent en éclat. Il reste le fait essentiel : chacun parle de communication, de compréhension, d'ouverture A  l'autre, sans écouter nullement les autres points de vue. Quand simultanément les industries de la communication, en pleine explosion, ne cessent de reprendre ce mASme discours. Le risque est évidemment la désilisation des cadres culturels antérieurs d'identité et de représentations, sans que d'autres aient le temps de se constituer, contribuant A  amplifier un sentiment d'insécurité, ou tout au moins de peur, ire de rejet. Avec deux conséquences possibles aussi délicates l'une que l'autre : le retrait dans une logique de spirale du silence ' prémonitoire d'un conflit de toute faA§on ultérieur; l'émergence d'une logique de conflit et d'hostilité A  l'égard de l'Europe. Les conditions de réception et le renversement du rapport communication/lien social sont les deux facteurs qui risquent d'accentuer, par la communication, une réelle inquiétude.
» La réception.
Le fait majeur est que les conditions de réception changent moins vite que l'émission et la transmission. Or dans la communication, surtout normative, la réception2 est au moins aussi importante que l'émission. Pourtant chacune a son rythme et la lenteur de la réception s'oppose A  la rapidité de l'information et de la communication.
Que devient la communication sans réception? Les événements allant plus vite que les mentalités, la communication ne contribue pas A  l'émergence d'une identité européenne, mais en plus, elle contribue A  la désilisation, par le simple élargissement des catégories de perception. Il y a non seulement un décalage entre information, transmission et réception, mais également un décalage en ce qui concerne la résolution des problèmes. Si l'on sait tout, très vite, puisque aucun événement européen ne peut rester plus de 24 heures sans AStre connu, il faut par contre plus de temps pour agir. L'action et la politique sont toujours plus lentes que l'information et la communication.
Le nombre de sujets traités par l'Europe ne cesse de croitre (politique agricole, étrangère, industrielle, sociale) sans que ce soit visible, efficace et rapide. C'est donc le processus mASme de multiplication, et de diversification de l'information, qui contribue A  fragiliser les conditions de réception, car il n'y a pas en mASme temps, comme dans les Etats-nations, une expérience de la réalité qui permette de relativiser les informations, ou mASme tout simplement de les interpréter.
La difficulté est renforcée par le fait que l'information et la communication sont aujourd'hui consubstantielles aux discours sur l'Europe. Il n'y a pas d'un côté l'Europe et de l'autre des informations : d'une certaine manière, ce sont les informations et la communication qui constituent l'Europe. Les dirigeants savent que le rôle de l'information et de la communication est autant d'informer sur l'Europe que de la constituer, mais le décalage chronologique demeure toujours. Une fois de plus, c'est la réception qui bloque par manque de cadres cognitifs d'interprétation et par manque d'expérience.
Encore ne faut-il pas trop insister sur l'homogénéité des messages, car, du côté des décideurs du système politique européen, ils ne sont pas toujours aussi clairs que les modèles de la communication pourraient le laisser croire. Il suffit pour s'en convaincre de se remémorer les conflits entre la Commission, le Parlement et le Conseil des ministres pour réaliser le caractère chaotique de cette information, reflet elle-mASme des conflits entre acteurs. Non seulement les points de vue, au sein des instances de l'Europe, sont souvent conflictuels, mais ils le sont aussi par rapport A  d'autres institutions, comme le Conseil de l'Europe, et, a fortiori, avec les Etats-nations. La semi-hétérogénéité des messages du côté de l'émission ne simplifie pas l'hétérogénéité de la réception. Quoi de commun entre les pays du Nord et du Sud, ceux de l'Europe libérale, et les autres; les républiques et les monarchies; les pays centralisés et décentralisés. Les profondes différences historiques et culturelles des pays accentuent la diversité des conditions de réception. Mais ces décalages ne sont pas vus, masqués par l'existence des médias de masse, le flux d'information et l'institutionnalisation de l'Europe. Un peu comme si le flot communicationnel, au lieu de réduire les distances entre la logique d'émission et de réception, aboutissait A  les accentuer par le simple fait qu'il montre plus nettement ce qui différencie les points de vue des uns des autres1.
Autrement dit, on est en Europe dans une situation de quasi-- simulacre d'une communication politique -. Tout le monde fait comme si les conditions de la communication étaient réunies, comme s'il y avait accord sur le schéma A  partir duquel se construisent les opinions, comme s'il y avait une participation réelle des opinions, identifiées et connues Tout le monde fait comme si l'existence du - cadre - de la communication était la preuve évidente que les - conditions - de la communication sont réunies. Le cadre matériel, informationnel, symbolique de la communication est en avance sur la réalité de cette communication politique.


» Le changement de statut de la communication.

La communication est un facteur de cohésion sociale dans une société homogène. Elle peut AStre un facteur de désilisation dans une situation historique hétérogène. Tel est le risque de l'Europe démocratique. La communication, par le simple fait de donner A  ir la réalité, désilise les repères et les représentations sociales. Si les conditions culturelles, les valeurs communes, sont suffisamment partagées, la communication ne met pas en cause la cohésion sociale, mais contribue au contraire A  la renforcer. C'est le rôle du lien social, dont j'ai parlé dans Eloge du grand public. Si ces conditions d'infrastructure culturelle ne sont pas réunies, le risque de désilisation existe.
VoilA  l'enjeu de la communication pour l'Europe. Moins accélérer l'intégration que fragiliser un ensemble qui l'est déjA  passablement.
Il ne suffit pas, en effet, de raconter A  tous les Européens ce que font les autres Européens, ni de leur rappeler trois fois par jour les intérASts qui les lient et la grandeur du projet politique qui les anime, pour qu'ils se sentent mobilisés et solidaires.
On retrouve ici le couple infernal information-communication : plus la communication s'élargit, plus le manque d'identité de l'Europe se fait sentir. L'histoire constituait un lien que la communication ne remplace pas. Au contraire.
En résumé, la communication peut AStre un facteur de désilisation pour deux raisons. Hier, elle constituait un lien social par les représentations et définitions qui constituaient l'Europe. Aujourd'hui, cette référence au passé étant dévalorisée, et avec elle la communication s'y rapportant, elle accélère la prise de conscience des contradictions et des difficultés de l'Europe. Sans que l'expérience concrète de celle-ci par les citoyens offre un contrepoids A  cet - étalage - des difficultés. La communication ne simplifie rien, elle complique tout. Elle interdit de dire -je ne savais pas -, sans pouir toujours dire - ilA  ce qu'il faut faire -.



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