Les ressorts de la rationalité

Sciences Humaines : Comment les psychologues en sont-ils venus A  s'intéresser aux comportements économiques ?
Philippe Adair : Le croisement entre l'approche psychologique et économique résulte d'un double mouvement : d'une part, de l'intérASt des psychologues sociaux pour l'économique et, d'autre part, des économistes pour la dimension psychologique des conduites indiduelles.
Il ne s'agit pas de rejeter l'homo œconomicus mais seulement de faire valoir que c'est un postulat destiné A  faciliter la construction de modèles théoriques. On fait comme si les indidus étaient rationnels, calculateurs et bien informés. Seulement, si on veut AStre plus réaliste, il faut admettre que l'indidu procède parfois sous l'effet de pulsions, qu'il est parfois mal informé, qu'il n'a pas toujours la volonté de se livrer A  des calculs sophistiqués, que ses préférences ne sont pas sles comme le postule le modèle standard. Pourquoi précisément les indidus n'agissent-ils pas de manière aussi rationnelle que le suppose le modèle de Xhomo œconomicus ? Telle est la question A  laquelle se propose de répondre la psychologie économique. L'approche psychologique permet de mettre en édence des comportements relativement simples mASme s'ils ne sont pas toujours intuitifs. Le paradoxe mis en édence par le Prix Nobel d'économie 1998 Maurice Allais constitue A  cet égard un bon exemple. Lorsqu'un indidu doit choisir entre deux situations (1 et 2), il tend A  limiter le risque : il préfère la certitude d'un gain (situation 1) A  la probabilité d'un gain supérieur ou d'une perte (situation 2). Cependant, confronté A  un nouveau choix entre deux autres situations (3 et 4), le mASme indidu surestime les faibles probabilités : il préfère la situation la plus risquée (situation 4) où la probabilité d'un gain plus élevé est légèrement inférieure A  la probabilité d'un gain faible (situation 3). S'il préfère la situation 1 A  la situation 2, l'indidu devrait logiquement préférer la situation 3 A  la situation 4.

SH : Comment la psychologie économique s'est-elle constituée?
P.A. : En France, l'idée d'étudier les comportements économiques sous un angle psychologique est plus ancienne qu'on ne le croit. On la doit au sociologue et spécialiste de criminalité Gabriel Tarde (1843-l904). Il est le premier A  avoir parlé de psychologie économique dans un ouvrage paru en 1902 et précisément intitulé La Psychologie économique. Bien que novateur, son ouvrage a été ensuite oublié. Sa psychologie économique a été, comme la psychologie sociale, largement suptée par la sociologie de Durkheim, alors dominante. Il faut attendre l'entre-deux-guerres pour assister A  un regain d'intérASt. Aux Etats-Unis, au contraire, le développement d'une approche psychologique de l'économique a été plus facile. MASme si l'œuvre de G. Tarde y est encore, semble-t-il, largement méconnue.

SH : Qu'en est-il aujourd'hui?

Christine Roland-Lévy : La psychologie économique a bénéficié de l'intégration de la psychologie sociale dans l'enseignement universitaire A  partir des années 50-60. Elle jouit aujourd'hui d'une reconnaissance institutionnelle. En témoigne la multiplication, depuis les années 80, d'articles publiés sur ce thème dans les revues académiques. La création, en 1975, de l'Association internationale pour la recherche en psychologie économique a favorisé les rapprochements disciplinaires.

SH : Quelles sont les principales applications de la psychologie économique? CR.-L. : Les résultats des recherches de psychologie économique trouvent une première application dans le domaine du marketing. Les études sur les représentations de l'argent et en particulier sur celles de l'épargne et du crédit intéressent naturellement les banques et les organismes de crédit. Ces études permettent de mieux comprendre les comportements financiers des ménages qui conduisent aux situations d'endettement, voire de surendettement. Elles montrent que le niveau de revenu n'explique pas tout. En prenant en compte le taux d'endettement et le style de e, j'ai pu, avec d'autres chercheurs, mettre en édence quatre profils de consommateurs, les uns dépensiers, les autres économes (1).