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ECONOMIE

L’économie, ou l’activité économique (du grec ancien οἰκονομία / oikonomía : « administration d'un foyer », créé à partir de οἶκος / oîkos : « maison », dans le sens de patrimoine et νόμος / nómos : « loi, coutume ») est l'activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. L'économie au sens moderne du terme commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam Smith un important corpus analytique qui est généralement scindé en deux grandes branches : la microéconomie ou étude des comportements individuels et la macroéconomie qui émerge dans l'entre-deux-guerres. De nos jours l'économie applique ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines (puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains domaines : international, finance, développement des pays, environnement, marché du travail, culture, agriculture, etc.


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« le capitalisme va mourir de sa rÉussite »

« le capitalisme va mourir de sa rÉussite »
Historien et sociologue américain, Immanuel Wallerstein analyse le capitalisme comme un phénomène global : à la fois économique, politique et culturel. Selon lui, aujourd'hui ce système a atteint ses limites.

Sciences Humaines : Vos travaux portent sur l'histoire des structures de l'économie capitaliste. Pouvez-vous expliquer ce qu'est pour vous > le capitalisme historique » ?
Immanuel Wallerstein : Le capitalisme est apparu en Europe occidentale à partir du XVe siècle sur les décombres du système féodal, incluant une large partie de l'Europe et une partie des Amériques qui venaient d'être découvertes. Dans ces lieux s'installe une dision du travail productif avec des centres et des périphéries, des semi-périphéries. Au fur et à mesure qu'il se développe, le capitalisme s'étend hors de ses limites pour accaparer de nouvelles régions qui sont incluses dans le système de la dision du travail. Cela jusqu'au milieu du XIXe siècle, où la dernière région - l'Extrême-Orient - s'est retrouvée incorporée. Le capitalisme deent alors le système unique de la Terre. Ce «système-monde» a pour caractéristique d'être fondé sur la quête de l'accumulation illimitée du capital. Un deuxième élément caractéristique est qu'au XVIe siècle se forment des Etats souverains avec des frontières bien définies. Ces Etats sont inégaux en puissance mais ils produisent en fonction d'un marché mondial, c'est-à-dire d'un système interétatique. Pour moi, il n'existe pas «des» capitalismes propres à chaque pays (l'Allemagne, la France) et définis par des frontières nationales. Il n'existe en fait qu'un seul capitalisme qui s'est formé au sein d'une économie-monde. Je rejette la thèse de l'intemationalisation récente, car c'est l'essence même du capitalisme d'être international.

SH : Mais ce système n'est pas statique ; d'après vous, il s'est installé par vagues successives
LW. : Certes, car tout le jeu du capitalisme est d'installer des monopoles pour lutter contre la concurrence. Le marché est destructeur du profit ; comme le disaient les théoriciens du capitalisme, «avec un bon marché, tout sera bon marché». Mythi-quement, dans le marché parfait tel que le décrit Adam Smith, on ne peut pas faire de profit puisque la concurrence pousse les vendeurs à vendre toujours moins cher Pour construire des monopoles, il faut l'aide des Etats ; contrairement à ce qu'ils disent, les capitalistes en ont un besoin fondamental. Lorsqu'un monopole est détruit par la concurrence, il faut trouver de nouveaux produits (et c'est à ce moment que les capitalistes peuvent changer de zone géographique.) C'est la même chose pour les Etats qui assurent leur hégémonie sur la situation mondiale pendant une certaine période, jusqu'au déclin de ce pouvoir qui laisse la place à un autre. Le capitalisme n'est donc pas é : il y a circulation continuelle au niveau des zones géographiques, des produits, des pouvoirs, etc. Mais dans tout cela, le système reste essentiellement le même, c'est simplement ceux qui en profitent qui changent. C'étaient les Hollandais au XVII siècle, les Britanniques au XIX siècle, et les Américains au XX siècle. L'historien Fernand Braudel parle du déplacement des lles-monde pour évoquer ce processus continuel. Dans le domaine de la production, cela a été le textile et la sidérurgie, puis l'informatique

SH : L'originalité de vos analyses de l'économie-monde est d'intégrer aussi bien les dimensions économiques que politiques, techniques et culturelles. Mais que pensez-vous des analyses traditionnelles qui scandent le développement du capitalisme selon des phases successives : capitalisme marchand, financier, industriel?
I. W. : Je rejette les analyses fondées sur une conception par étapes de la croissance. Comme Braudel, je pense que les vrais capitalistes jouent sur tous les leaux à la fois, et investissent leur argent dans un domaine ou dans l'autre en fonction des changements de conjoncture. C'est pourquoi je refuse de parler de révolution industrielle au XIXe siècle, car à cette période la création des industries n'a pas été aussi importante qu'on le dit (il en existait déjà beaucoup avant). Si l'on veut parler d'un essor industriel significatif historiquement, il faut parler de la période 1945-l970.
La révolution industrielle est simplement une phase de nouvelles productions, une «phase A» d'un cycle de Kondratieff, parmi tous ceux qui ont eu lieu du XVI au XX siècle (voir l'encadré ci-contre).
Si l'on veut définir des étapes dans ce qui est pour moi un système historique, il faut parler du XVI siècle - genèse du capitalisme -, quatre ou cinq siècles de fonctionnement normal et aujourd'hui, la crise.

SH: Quels sont alors les moteurs - et les obstacles - qui expliquent les déplacements successifs des « centres » de i'économie-monde ?
LW. : Pour les capitalistes, deux problèmes essentiels se posent à tout moment : les frais de transaction et les coûts de la force de travail. Lorsque l'on minimise les uns, on maximise les autres. Pour minimiser les coûts de transaction, il faut concentrer la localisation de la production et de toutes les actités, c'est donc une polarisation vers le centre. En revanche, pour diminuer les coûts de la force de travail, il faut aller vers les périphéries où, pour des raisons politiques et historiques, on trouve une main-d'œuvre moins chère. Il se crée alors une sorte de va-et-ent.
Dans les phases d'expansion de l'économie-monde (abondance de production, plein-emploi, etc.), il est payant de maintenir la production et de minimiser les coûts de transaction, quitte à augmenter un peu les salaires. Mais dans les périodes de stagnation ou de récession (phases B de Kondratieff), il importe de réduire les coûts de production, donc le coût du travail et c'est à ce moment que les usines se déplacent vers les régions de la périphérie.
Alors pourquoi le centre s'est-il trouvé pendant un moment plutôt à Londres qu'à Istanbul ? Dès le XVT siècle, certaines regions avaient leurs specialisations, et dans le processus capitaliste, l'echange inegal fait que les differences initiales relativement faibles s'accroissent et que le «décollage» est plus difficile pour ceux qui partent de plus bas.

SH : Vous ne pensez donc pas, comme l'a proposé Max Weber. que le protestantisme a favorisé le développement du capitalisme ?
LW. : Absolument pas. Avant l'Allemagne protestante, le capitalisme s'est développé dans l'Italie catholique des XV et XVT siècles Aux Pays-Bas, les grands industriels étaient plutôt concentrés au sud (la Belgique actuelle) et étaient pour la plupart catholiques. Au XVT siècle, à cause de la guerre avec les Esnols, ils ont émigré au nord et changé de religion précisément pour pouvoir poursuivre leurs actités capitalistes. On peut aussi citer l'exemple du confucianisme. Il y a quarante ans, on disait qu'il ne pourrait y avoir d'essor économique de l'Est asiatique à cause du confucianisme qui, selon les chercheurs weberiens, ne se prêtait pas à l'esprit capitaliste. Aujourd'hui, on prétend exactement le contraire ! Je pense que si le capitalisme avait pris son essor à Bagdad, on aurait expliqué que l'Islam était le meilleur appui du capitalisme Je n'accorde donc pas beaucoup de crédit à ces thèses.

SH : Vous avancez donc que le capitalisme est en crise en cette fin de XX siècle. Pourtant, il y a cent cinquante ans déjà, les marxistes annonçaient la crise du capitalisme
L.W. : Les marxistes considèrent que chaque «phase B» du cycle de Kondratieff est une crise du capitalisme. Pour moi, ces phases ne sont qu'un mécanisme du système pour qu'il reprenne son souffle. Je n'explique pas du tout la crise du capitalisme de cette manière, puisque je pense qu'il entre actuellement dans une phase de Kondratieff A et qu'il y a crise. Le problème du capitalisme, ce n'est pas ses faillites mais ses réussites. Il se tue en réussissant
Sur le économique, à chaque phase A de reprise, on ne reent jamais exactement à la situation antérieure. Dans les phases B, les capitalistes se tournent vers la finance et la spéculation comme source de revenu. Un des moyens de sortie de crise est, comme l'avait souligné Schumpeter, l'innovation, c'est-à-dire la recherche de nouveaux produits de pointe, que l'on va pouvoir monopoliser. Mais cela ne suffit pas. Comme l'explique Keynes, il va falloir aussi créer une demande effective. Et pour cela, il faudra effectuer un transfert de plus-value à certaines couches de travailleurs qui, grace à des salaires plus élevés, pourront être les acheteurs de ces nouveaux produits. Cela signifie que les capitalistes diminuent leurs profits. Certes, dans l'absolu, il y a création de richesses. Mais avec l'augmentation de la population mondiale, on aboutit à une baisse relative. Et j'avance que pour compenser cette baisse relative, il faut toujours étendre géographiquement le système. Non pas pour trouver de nouveaux acheteurs (comme le proposent certaines analyses), mais avant tout pour trouver des producteurs à prix réduits.


SH : Quelles sont, selon vous, les causes de la crise ?

LW. : Les ruraux ont été transférés dans des zones urbaines et industrielles, acceptant pendant un certain temps (cinquante ans enron) de travailler pour des salaires très réduits jusqu'à ce qu'ils se syndiquent, etc., et qu'il faille en trouver d'autres. Ce phénomène s'est produit d'abord dans les pays industriels occidentaux, puis il s'est étendu à toute la ète. Cela a engendré le phénomène de «démoralisation». La population rurale du monde est passée de 80 % à 50 % actuellement et l'on s'achemine vers un taux d'enron 20 %. Inélement, cela va provoquer une augmentation du salaire mondial moyen, entrainant une diminution du profit. En outre, dans le système capitaliste, une large partie des coûts réels de la production n'est pas payée par les producteurs. Ce qu'on appelle «l'externalisation des coûts» fait que les capitalistes ont pour principe de ne pas payer la facture. Ce sont les Etats qui créent les infrastructures (routes, lignes téléphoniques, etc.), grace la fiscalité, par exemple. Par ailleurs, les industriels peuvent provoquer des dégats écologiques, et les Etats laissent faire On arrive maintenant aux dernières limites possibles : toutes les forêts sont coupées, les rières sont polluées. Alors que faire? Une première possibilité est de supprimer les coûts extemalisés, de faire nettoyer les rières par ceux qui les polluent, de leur faire payer les infrastructures, mais dans ce cas, les capitalistes ne peuvent plus faire de profits. Autre solution : les Etats continuent de payer, mais ils doivent prélever des impôts auprès des producteurs, et l'on reent au problème précédent. Ou bien ils s'adressent à la population, et là, de graves problèmes politiques vont se poser. Donc, on est dans une situation économique insoluble, puisqu'on est arrivé aux limites géographiques

SH : Mais cette crise du capitalisme ne se résume pas uniquement à des causes économiques ?
I.W. : Un autre problème important est d'ordre politico-culturel. H faut, pour l'expliquer, revenir à l'impact de la Révolution française, sur ce que j'appellerais la «géo-culture de l'économie-monde capitaliste». D'abord, la Révolution française et ce qui s'en est sui (la période napoléonienne et le libéralisme) ont fait accepter les changements politiques comme une chose normale. Ensuite se pose le problème de la souveraineté. Au XVI siècle, le souverain était le monarque. A partir du XIX siècle, on a largement partagé la thèse du peuple souverain. Mais alors, il a fallu trouver des stratégies pour «contenir» ce que l'on a appelé «les classes dangereuses» (le prolétariat). Le conservatisme rejetait ces thèses comme hérétiques; le libéralisme en acceptait la légitimité et l'idée de réformes nécessaires pour pouvoir garder le contrôle des affaires. Enfin, les radicaux, devenus ensuite les socialistes, voulaient accélérer les réformes et instaurer le contrôle populaire.
Les conservateurs et les radicaux ont progressivement abandonné leurs positions extrêmes, pour devenir des avatars du libéralisme. Au début du XXe siècle, tout le monde était devenu libéral, sous des formes plus ou moins conservatrices ou radicales. Mais cette conjonction a permis une réussite spectaculaire, celle de contenir la masse des prolétaires. C'est à ce moment qu'ont émergé de nouvelles «classes dangereuses», celles des peuples du tiers-monde. Mouvements nationalistes en Chine, au Mexique, en Inde, etc. Les libéraux ont alors accordé de nouvelles concessions : l'autodétermination des peuples, et surtout après la Seconde Guerre mondiale, les aides au développement pour ces pays. La redistribution s'est alors étendue au monde entier.

SH : Comment intégrez-vous les expériences communistes dans cette conuration?
I.W. : La révolution russe fait partie de cet ensemble. Lénine a voulu appliquer le programme des radicaux, mais il a cédé après quelques années. L'installation du communisme participe d'une vague de « mouvements antisystémiques », au même titre que les mouvements sociaux-démocrates ou que les mouvements de libération nationale. Tous ces mouvements sont des variations de l'aspiration à l'autodétermination des peuples et sont devenus la caution du système capitaliste. La construction socialiste est l'un des modèles de développement des pays sous-développés. Les mouvements antisystémiques ont prêché la patience en promettant de changer progressivement les choses et en vendant de l'espérance. De 1945 à 1970, période de prospérité économique, les mouvements dits de gauche sont arrivés au pouvoir presque partout : extension du monde communiste, régimes sociaux-démocrates dans le monde occidental, mouvements de libération nationale dans le tiers-monde La déception a été grande de voir que ces nouveaux régimes échouaient à construire un monde meilleur. C'est par cette perte des espérances que j'explique l'échec des mouvements antisystémiques des ngt dernières années. Mais en même temps, il faut bien se rendre compte que disparait ainsi l'un des piliers psychologiques, sociaux, culturels, politiques du système-monde. Donc, si je réunis ces trois éléments, - déruralisation du monde, fin des possibilités d'externalisation des coûts, échec des mouvements antisystémiques qui permettaient de contenir les «classes dangereuses» -, alors on peut penser que le système se trouve en grande crise : précisément parce qu'il a si bien réussi, qu'il lui est désormais impossible de donner aux populations une explication valable à la polarisation des richesses et des statuts sociaux.

SH : Cette polarisation que vous évoquez signifie-t-elle qu'il y aurait une conscience de plus en plus grande et insupporle des inégalités?
LW. : Pendant cent cinquante ans, cette conscience était présente, mais c'est la perte des espérances qui la rend plus inquiétante. Historiquement, il y a eu une montée en puissance de l'Etat. Mais actuellement, le mouvement s'inverse, les gens ne croient plus en l'Etat. Us privatisent la sécurité (en s'achetant des armes, par exemple), ils commencent à douter de la validité des impôts, de l'efficacité du vote Un autre élément de la crise se trouve dans la démocratisation. Au fur et à mesure que le capitalisme se généralise, les gens demandent trois choses à l'Etat : l'éducation, la santé et un minimum pour les revenus. Et continuellement, ils élèvent leur seuil d'exigence. Partout actuellement les Etats sont en crise. Pas seulement en France, mais aussi aux Etats-Unis, en Inde, etc. Nous arrivons donc dans une impasse, et il faudrait de plus soulever d'autres problèmes, comme celui des migrations, car d'importants mouvements de population vont encore avoir lieu Une longue période de désordre est donc à prévoir. Pour Ilya Prigogine, dans un système complexe, rien n'est déterminé : si l'on est près de l'équilibre, les grands efforts ont un petit impact, et loin de l'équilibre, les petits efforts ont un grand impact. C'est pourquoi on ne peut pour le moment absolument pas prévoir dans quel sens évolueront les choses et ce qui en sortira dans les cinquante années qui ennent



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