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ECONOMIE

L’économie, ou l’activité économique (du grec ancien οἰκονομία / oikonomía : « administration d'un foyer », créé à partir de οἶκος / oîkos : « maison », dans le sens de patrimoine et νόμος / nómos : « loi, coutume ») est l'activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. L'économie au sens moderne du terme commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam Smith un important corpus analytique qui est généralement scindé en deux grandes branches : la microéconomie ou étude des comportements individuels et la macroéconomie qui émerge dans l'entre-deux-guerres. De nos jours l'économie applique ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines (puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains domaines : international, finance, développement des pays, environnement, marché du travail, culture, agriculture, etc.


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économie et idéologie

économie et idéologie
En économie, le premier amateur venu n'hésite pas A  livrer ses clucubrations A  la publicité, se persuadant lontiers qu'en pareille matière, une conception en vaut une autre.


B. Nogaro.


Le milieu des économistes, théoriciens ou praticiens, s'est profes-sionnalisé en se dotant d'une organisation interne de la discipline et d'un contrôle des publications, et en se forgeant, vis-A -vis de l'extérieur, une image de marque et des normes déontologiques. A l'interface avec cet environnement, les conseillers et les vulgarisateurs occupent une place particulière et posent le problème de l'attitude des économistes face au pouir politique, d'une part, face au public concerné, de l'autre. L'économie, dans sa dynamique de développement et surtout de diffusion, est imprégnée d'idéologie et porteuse de mythes propres, tout comme elle entretient des rapports complexes avec les doctrines philosophico-religieuses plus générales. Plus spécifiquement, elle anime sa vision du monde par un langage écateur ou filtrant, emprunté A  d'autres disciplines ou A  l'expérience quotidienne, et qui colore aussi bien le cabulaire technique que le cabulaire courant.


Professionnalisation de l'économie.


A l'instar des sciences naturelles et d'autres sciences sociales, l'économie s'est peu A  peu professionnalisée en définissant des institutions qui contrôlent la recherche et l'enseignement, canalisent les publications et déterminent les carrières individuelles. Elle s'autonomise par rapport aux autres disciplines et connait des spécialisations internes, différenciations symbolisées par des cursus universitaires, des départements de recherche, des sociétés savantes, des collections d'ouvrages ou des revues spécifiques. Elle organise des colloques, nationaux ou internationaux, généralistes ou spécialisés, où le milieu se forge un langage propre et une culture commune, et où s'expriment les axes de développement A  la mode. Elle définit enfin des manifestations de reconnaissance envers ses membres, d'abord le prix Nobel, décerné avec une certaine alternance A  des théoriciens et A  des économètres, mais aussi l'attribution du nom de leurs auteurs A  des lois, A  des théorèmes ou A  des paradoxes originaux (ir III, 4).
Plus sensible dans le domaine théorique qu'appliqué, ce processus obéit A  des schémas fort éloignés de la concurrence parfaite chère aux économistes (barrières A  l'entrée et monopole des grands instituts, sélection par cooptation et conditionnement des postulants). Mais c'est aller un peu loin que de dire que - les méthodes utilisées pour maintenir la discipline intellectuelle dans les départements d'économie les plus influents des états-Unis peuvent occasionnellement faire penser A  celles qui sont employées par les Marines pour maintenir la discipline A  Parris Island- (Leontief, 1983). Certes, la profession impose des règles du jeu fort strictes qui tendent A  rendre le milieu homogène et soudé A  un niveau international, et si les dynasties d'économistes s'y font plus rares (Walras, Keynes), la composante féminine reste encore restreinte (J. Robinson). Cependant, des tendances théoriques divergentes cohabitent, tant au sein de l'école dominante que des courants hétérodoxes, les plus dynamiques noyautant des départements universitaires (Chicago, Cambridge) et publiant leurs propres revues, mASme si la marginalisation les guette.
Outre les interventions aux colloques, les discussions informelles et les documents de travail (eux-mASmes souvent diffusés), les messages économiques transitent de plus en plus exclusivement par les publications, a priori proliférantes et variées. Celles-ci manifestent l'impérialisme de la langue anglaise (et du marché qu'elle couvre), qui conduit les non-anglophones A  citer essentiellement des travaux en anglais ou A  publier directement en anglais, une traduction n'étant réalisée que plus tard, souvent par d'autres que les auteurs (Malinvaud, Lesoume). En revanche, un auteur peut asseoir sa notoriété aussi bien sur un article unique (Muth, sur les anticipations rationnelles) qu'A  travers une profusion d'articles dont le recueil occupe plusieurs lumes (Samuelson, Simon). Si les articles portent une signature unique ou double, plus rarement multiple (des auteurs comme Sargent écrivent avec des collègues - tournants -, on connait a contrario des résultats anonymes (folk theorem sur les équilibres des jeux dynamiques apparu vers 1970).
La sélection des articles jugés pertinents (et A  plus long terme, celle des théories jugées valides) obéit A  des règles largement implicites, qui élissent pour le moins une pondération variable entre les critères de choix relatifs A  leur seule forme et contenu. Mais on ne saurait exclure, malgré l'anonymat des procédures de référée, la prise en compte de critères plus - professionnels - portant directement sur le choix des thèmes ou les formes d'écriture, ire sur l'origine institutionnelle ou la qualité de l'auteur (A  travers l'orthodoxie et la notoriété des références citées). Souvent, une idée, mASme originale, est A  peine écoutée si elle n'est pas suffisamment formalisée et ses conséquences dûment analysées, nombre d'entre les plus intéressantes, non encore suffisamment élaborées, se trouvant dès lors reléguées en notes de bas de e. De mASme, l'on observe une forte prédominance des travaux abstraits et pointillistes sur les travaux d'application et d'interprétation, Y American Economie Review publiant deux tiers d'articles sans allusions A  l'empirie contre un tiers d'articles illustrés empiriquement. De ce constat, Leontief (1971) tire la conclusion que -le fait de raisonner continuellement sur l'imaginaire et l'hypothétique, plutôt que sur la réalité observable, a peu A  peu faussé les critères d'évaluation de notre communauté académique - (ir III, 5).

Image de marque des économistes.

Par rapport A  leurs collègues des sciences - exactes -, la responsabilité des économistes est accrue du fait d'une marge d'interprétation et de convention plus grande dans l'analyse des phénomènes et d'une utilisation plus directe de ses apports dans les processus de décision. Ainsi, comme en ingénierie et en médecine, ils tentent d'apparaitre face A  leur environnement comme des - experts - de problèmes spécifiques, susceptibles mASme d'intervenir comme tels auprès des tribunaux. Ils sécrètent des règles déontologiques quant au recueil et au traitement des données (ir III, 1), A  la discussion des modèles et théories (ir III, 6), A  leur mobilisation dans des études décisionnelles (ir III, 8) et A  la diffusion publique de toutes ces informations. Enfin, ils délivrent des labels d'authenticité A  leurs pairs et dénoncent, par exemple, - les faux économistes, qui peuplent les allées du pouir et donnent des conseils alors qu'ils n'ont aucune qualification pour le faire - (Peyrelevade, 1986).
Les économistes arborent un masque de sérieux, dû tant A  la lonté de paraitre scientifique, malgré la mollesse de leur discipline, qu'A  la nécessité de ne pas badiner avec des problèmes ayant de gros enjeux matériels et financiers. Plus crispés que leurs homologues des autres disciplines, ils adoptent un discours qui cherche d'abord A  convaincre et A  impressionner, mais qui veut aussi séduire et rassurer, tout en évitant soigneusement des notations trop personnelles. La faA§ade austère, ire pédante, est particulièrement nette chez les économistes franA§ais, leurs collègues anglo-saxons étant bien plus détendus et n'hésitant pas A  émailler leurs exposés et mASme leurs publications de notes ironiques ou humoristiques. Enfin, si une grande réserve est surtout de rigueur chez les économistes - moyens -, les plus renommés retrouvent une plus grande liberté de pensée et d'expression, et échappent A  la censure que s'imposent les économistes plus qu'elle ne leur est imposée. Pour sa part, Galbraith (1971) n'hésite pas A  plaider qu'- il est particulièrement important d'air de l'humour quand on s'occupe d'économie car, il est inutile de le préciser, c'est lA  un terrain où le ridicule foisonne -.
A son stade actuel, l'économie se caractérise par la coexistence d'un discours - savant - issu des économistes professionnels et d'un discours plus - vulgaire - issu du milieu politique, des organes de presse ou de nombreux commentateurs improvisés. Prenant parti sur leur statut scientifique respectif, J. N. Keynes e la situation A  celle que l'on a connue jadis quand l'astrologie cohabitait avec l'astronomie, ou l'alchimie avec la chimie, une décantation progressive s'avé-rant dès lors nécessaire. En fait, les deux discours ne traitent pas vérilement des mASmes sujets, les spécialistes laissant dans l'ombre ou analysant sous un éclairage partiel nombre de sujets brûlants, que les acteurs concernés doivent affronter directement et concrètement. Prenant la défense de ces derniers, Blinder (1985) s'insurge contre -la position épistémologique selon laquelle, tant que l'on n'a pas une explication théorique solide et cohérente d'un phénomène, il vaut mieux l'ignorer-.
Comparant le discours spécialisé et le discours naïf, certains observateurs considèrent que, si les économistes en savaient vraiment plus que l'homme de la rue sur le fonctionnement de l'économie, ils s'enrichiraient en profitant de leur science, ce que l'on n'observe pas vraiment. En fait, cet argument ne vaut que dans le domaine des - affaires - où les économistes peuvent AStre eux-mASmes décideurs et récoltent assez vite le fruit de leurs actions, certains d'entre eux n'ayant effectivement pas hésité A  spéculer en Bourse, avec des résultats mitigés (si l'on excepte Keynes). Par ailleurs, le discours des économistes peut lui-mASme changer de nature quand ceux-ci se lancent dans un traité de morale ou un pamphlet politique, un ouvrage de vulgarisation ou un article journalistique. S'exprimer dans des registres divers n'est pas forcément condamné par la profession, mais A  condition d'éviter un mélange des genres dans une mASme publication, c'est-A -dire de réserver des styles différents A  des supports eux-mASmes différents.


économie et politique.


Les économistes ont souvent marqué leur adhésion A  des systèmes idéologiques généraux comme le libéralisme ou le marxisme, qui fournissent un cadre explicatif et prescriptif plus ambitieux que l'économie, et comblent les lacunes de ses seuls sairs assurés. Plus concrètement, A  la suite des pères fondateurs et dans l'esprit mASme d'une - économie politique -, les plus prestigieux comme les plus modestes se sont situés assez uniformément sur une bande fort large du spectre politique traditionnel. Cependant, si les Autrichiens ou l'école de Chicago sont les symboles d'une économie de droite, si les radicaux cambridgiens ou les marxistes sont les porte-drapeaux d'une économie de gauche, il existe un no man 's land important d'économistes relativement inclassables. Les jurés du prix Nobel ont d'ailleurs ulu, comme pour les sciences exactes, sinon ignorer, du moins - neutraliser - ces clivages et ont distingué aussi bien des hommes de gauche (Frisch, Tinbergen, Myrdal) que de droite (Hayek, Friedman, Stigler).
La très forte emprise de l'idéologie sur la théorie économique a été dénoncée vigoureusement par Marx (1847), qui ne yait dans les économistes de son époque que les - représentants scientifiques de la classe bourgeoise -, leur fonction n'étant que de légitimer les intérASts dominants du capitalisme ; mais, depuis lors, une relative autonomie de l'économie a néanmoins été reconnue. On ne saurait en conclure, en sens inverse, que la théorie économique est quasi insensible aux options politiques ou aux intérASts élis et que - le mASme système d'équations rendait Léon Walras socialiste et Vilfredo Pareto ultralibéral ; le communiste Oskar Lange avait la mASme science que le kennédien Paul Samuelson - (Kolm, 1978). En fait, les positions idéologiques ou politiques semblent au moins autant corrélées avec les positions méthodologiques que théoriques (Mingat-Salmon-Wolfels-perger, 1985) ; les tendances essentialistes se trouvent aux extrASmes, A  gauche (- reproduction sociale - des marxistes) ou A  droite (- comportement rationnel - des aprioristes autrichiens), alors que la tendance positiviste occupe plutôt le centre.
Les économistes peuvent aussi participer activement A  la gestion du système économique, en tant que conseillers d'hommes politiques, de responsables d'administrations économiques ou de membres de commissions d'études, participation qui peut valoir engagement politique si elle se situe A  un niveau élevé. Aux états-Unis existe une circulation relativement facile entre Université et Administration dans les deux sens, ainsi que des structures permettant un engagement souple et temporaire comme le Board ofAdvisors du président. En France, cette circulation est plus difficile et les structures moins adaptées, ce qui peut obliger les économistes A  prendre des responsabilités plus classiques dans l'Administration, tout en conservant cependant des activités parallèles de recherche et d'enseignement. La participation A  la politique économique est généralement vue sous un jour farable par le milieu, par le public (qui ne connait que les économistes engagés dans la politique) et mASme par les jurés du prix Nobel, qui évitent cependant de récompenser un économiste en activité pour ne pas cautionner une politique spécifique.
On peut observer de plus que certains économistes ne désirent pas air d'influence politique, bien qu'étant régulièrement sollicités, alors que d'autres désirent exercer une telle influence, mais n'y parviennent guère. Parmi les chefs de file de la pensée économique, si Marx s'est peu préoccupé de la politique économique de son temps, si Walras a eu une influence modeste, malgré ses velléités d'intervenir, Keynes a joué un rôle de conseiller économique écouté. Plus récemment, si Arrow ou Frisch n'ont guère cherché A  agir. Tinbergen et Leontief ont contribué activement aux travaux de ification de leurs pays, et Friedman ou Feldstein ont participé A  des expériences économiques spécifiques (Chili, états-Unis). En France, si M. Allais est souvent resté en retrait, P. Massé ou C. Gruson ont appartenu aux castes bureaucratiques de leur époque et ont eu l'appui d'hommes politiques d'envergure. Il faut citer enfin les tiers-mondistes comme C. Furtado ou S. Amin qui, non contents de constater et d'expliquer le phénomène du sous-développement, ont parcouru le monde pour infléchir les politiques des pays pauvres comme des pays nantis.

Vulgarisation de l'économie.

Dans leur diffusion auprès des agents économiques, les théories et les modèles économiques, malgré leur dimension naturellement pédagogique, se heurtent A  des difficultés considérables d'assimilation, car ils sont confrontés A  leurs représentations mentales antérieures, principalement fondées sur l'expérience. Tout d'abord, les agents ressentent ce discours comme très abstrait, car il mobilise des formalismes et des styles très épurés, des concepts originaux ou utilisés dans un sens très technique, ainsi qu'une avalanche de chiffres particulièrement indigeste. Ensuite, ce discours leur apparait comme irréaliste, ire surréaliste, car ils n'y retrouvent pas leurs repères habituels, la Régie Renault ou l'épicier du coin, la Sécurité sociale ou les syndicats, la publicité ou les conditions de travail. Finalement, ils en viennent A  supposer qu'il s'agit d'un discours réservé A  une poignée d'initiés, dont la signification profonde ne peut que leur échapper et dont les jugements de valeur restent largement implicites.
Une attitude extrASme peut conduire les agents, compte tenu du prestige mathématique, de la simplicité apparente ou des connotations idéologiques d'une théorie, A  la prendre A  la lettre et A  confondre ainsi la sectiune et le territoire. Une attitude inverse peut les amener, en raison de l'abstraction abusive, de l'irréalisme supposé ou de l'orientation politique suspecte d'une théorie, A  la rejeter en bloc en prétendant s'en tenir aux seuls faits et aux interprétations primaires. Une certaine ouverture se manifeste lorsque les agents, confrontés A  des difficultés au niveau individuel ou collectif, tentent de se raccrocher A  tout ce qui peut permettre de les comprendre, sinon directement de les résoudre. Elle s'accomne néanmoins d'une certaine méfiance dans la mesure où ils prennent un risque en laissant pénétrer des conceptions globalisantes et schématiques dans un champ qui touche très concrètement A  l'argent et reste, de ce fait, très surveillé.
La diffusion de l'économie se fait d'abord A  travers l'enseignement, et si la discipline a pris pied dans les lycées et s'est systématisée dans les écoles d'ingénieurs, elle s'est développée d'abord dans les universités et surtout les écoles de commerce. Elle transite ensuite par les actions de formation continue, commanditées par les entreprises ou les administrations et utilisant souvent des jeux pédagogiques, mais aussi par les organismes de conseil, qui jouent un rôle pédagogique fondamental dans leurs relations avec leurs clients. Elle passe de plus en plus par une floraison de journaux et de magazines spécialisés ou de grand tirage ayant une rubrique consacrée A  l'économie, et, plus récemment, par des émissions de télévision, périodiques (l'Enjeu) ou occasionnelles (Vive la crise!), portant sur l'économie. Elle a enfin pour support un grand nombre d'ouvrages de semi-vulgarisation ou de vulgarisation, qui reposent sur diverses analogies et visualisations, et qui atteignent souvent des tirages considérables (M. Albert, F. de Clo-sets, J.-M. Albertini).
Récemment, des enquAStes ont été lancées (rapport Lenoir-Prot, 1979) pour mieux cerner la perception par le public des principaux concepts et mécanismes économiques (inflation, effet multiplicateur). Il serait intéressant de faire parallèlement une étude sur les représentations de l'économie dans la littérature (et au cinéma), que l'on songe A  Balzac, A  Stendhal ou A  Zola, sans oublier le vérile cours d'économie que constitue la Sainte-Jeanne-des-Abattoirs de Brecht. Si l'économie a également donné naissance A  des romans policiers (sur les équilibres avec informations asymétriques, cf. Jens, 1985) et A  des poésies (sur le multiplicateur keynésien), on peut remarquer que. contrairement A  la science-fiction ou A  la politique-fiction, il existe fort peu d'essais d'économie-fiction, si l'on excepte les grandes utopies économiques du xixc siècle ou les - scénarios - de prospective A  long terme actuels. MASme s'il n'y a pas de quoi rASver, on peut néanmoins s'interroger sur l'impact d'une modification brutale des prix relatifs (par découvertes de nouvelles ressources ou technologies), l'interdiction de la publicité ou la prise du pouir politique par les grandes firmes multinationales.


Force des mythes en économie.


Sans doute plus encore que les sciences physiques ou biologiques, l'économie est enracinée et animée par des mythes, qui offrent des phénomènes une vision certes simplificatrice et parfois dangereuse, mais aussi profondément mobilisatrice. Ce sont des mythes liés A  des mécanismes simples d'explication du fonctionnement économique global qui ont alimenté la genèse des systèmes conceptuels de Smith (société fondée sur l'harmonisation des intérASts individuels) et de Marx (société fondée sur le conflit et l'exploitation interindividuelle) qui perdent d'ailleurs de leur pouir symbolique en se formalisant. Ce sont des mythes sur la possibilité d'une transparence économique ou d'une intervention efficace qui ont poussé A  la naissance des grands outils que sont la Compilité Nationale, les modèles macro-économiques ou le calcul économique. Ce sont des mythes plus spécifiques qui motivent enfin certains économistes, et on ne saurait imaginer J. Rueff sans fixation sur la monnaie, A. Sauvy sans obsession démographique ou F. Perroux sans culte des - unités actives -.
Les mythes peuvent porter directement sur certains moyens d'action, considérés comme des priorités ou des nécessités quasi absolues, et se reconnaissent alors A  l'inexistence des études les concernant ou A  leur faible influence sur le processus décisionnel. Le symbole en est le mythe du barrage, qui s'est manifesté A  propos de l'ouvrage d'Assouan, où seuls les aspects techniques ont été vérilement examinés, mais s'est montré plus discret pour l'aménagement de la vallée du Mékong ou du Tennessee. Le mythe s'est aussi exprimé en France A  propos de la construction du Concorde et est intervenu dans une moindre mesure dans les programmes de centrales nucléaires ou mASme d'autoroutes, avec une frénésie A  - faire du béton - ou A  maximiser les investissements. Souvent polarisé sur les investissements lourds, le mythe peut aussi privilégier des actions réglementaires de l'état (tout particulièrement la dévaluation ou le contrôle des prix et des changes) ou les actions publicitaires de l'entreprise, et conduit A  surévaluer leur impact, en méconnaissant la profonde inertie et faculté d'absorption du système économique.
Les mythes portent ensuite de faA§on primordiale sur les représentations du fonctionnement et du développement économique, qui se limitent souvent A  des schémas particulièrement simples où certains facteurs jouent un rôle tout A  fait exorbitant dans un système économique isolé du système socioculturel. Dans les pays en ie de développement a longtemps fonctionné le mythe du développement prioritaire de l'industrie lourde ou des grandes unités agricoles, au détriment d'un tissu d'industries plus légères ou d'exploitations familiales. Dans les pays développés, on it s'exprimer un mythe de la recherche, seule susceptible de résoudre la - crise -, ou encore de l'informatique, qui a connu un engouement spectaculaire (rapport Nora-Minc, 1978) et jouit de toutes les faveurs. Une mention spéciale doit AStre faite au FMI qui fonde son aide aux PVD sur une image monolithique du développement, se traduisant par une politique générale de rigueur, sans trop s'interroger sur les conséquences sociales locales de ces politiques.
Les mythes s'insinuent enfin dans les finalités qui sont poursuivies ou du moins affichées par les hommes politiques et les ificateurs, et se manifestent par une ambition d'apparence démesurée et le privilège accordé A  certains indicateurs. Les objectifs qualitatifs forment des listes impressionnantes, A  l'instar des objectifs de modernisation présentés par G. Myrdal ( 1968), mASme s'ils évitent divers partis pris et traduisent une vision cohérente du développement. Les objectifs quantitatifs, qui ont l'avantage de permettre une confrontation aux résultats sur des indicateurs dûment explicités, se sont souvent avérés inatteignables, ce qui peut conduire un peu hativement A  ne plus en afficher. Le PNB, assimilé au - bien-AStre national -, symbolise bien la prédominance de l'économique dans le discours politique, et, s'il a servi de référence A  l'idéologie d'une croissance forte, mais aussi de la - croissance zéro -, il continue de servir de symbole mythique aux aisons entre pays.

économie et idéologies externes.

Concerné par le problème de l'adéquation entre objectifs et moyens, l'économiste n'a pas directement A  se poser la question de la légitimité des premiers ou de la légalité des seconds et A  exercer une censure préalable A  leur propos. De fait, au niveau de la connaissance, il examine des actions jugées répréhensibles comme la consommation de drogues, la fraude fiscale, le travail au noir ou mASme le crime, et en propose des modèles - économiques -, non exclusifs d'autres approches. Au niveau de l'aide A  la décision, il évalue des actions moralement discutées comme l'artement, la guerre, la redistribution des terres ou mASme la peine de mort, en privilégiant certains effets (sur les biens, les prix, les revenus) non exhaustifs. Il peut d'ailleurs entrer en contradiction avec l'éthique dominante, par exemple A  propos de la spéculation A  laquelle il reconnait une action silisatrice, alors qu'elle est moralement condamnée comme source de profits illicites.
En revanche, les idéologies éthico-religieuses comme le christianisme, l'islam, le bouddhisme ou mASme la franc-maA§onnerie ont pour objet de juger des objectifs et des moyens, et entretiennent donc des rapports plus ou moins directs avec l'économie. A un niveau de préoccupation fondamental, on peut confronter les représentations du comportement du bouddhisme et de l'économie (Kolm, 1987), ou encore remarquer que - l'économique change le monde pour l'adapter A  soi, tandis que les sagesses proposent au contraire de changer le soi pour accepter le monde- (Kolm, 1986). A un niveau d'expression plus concret, Max Weber ( 1922) a montré le rôle de l'éthique protestante dans le développement du capitalisme et Morishima (1982) l'influence du confucianisme sur le miracle japonais. Mais les idéologies peuvent, en fait, se contenter de promouir certaines finalités propres sans juger des moyens, critiquer les grandes doctrines économiques et en proposer elles-mASmes, enfin prendre position sur des actions définies et en suggérer d'autres.
Ainsi, le christianisme, vu d'abord A  travers la Bible, fait peu de cas de l'économie, si l'on excepte des paraboles comme celle de l'ouvrier de la cinquième heure ou celle des talents, et prône mASme la séparation du spirituel et du temporel, si l'on en croit la réponse apportée A  la légitimité de l'impôt : - Rendez A  César ce qui est A  César et A  Dieu ce qui est A  Dieu. - En revanche, l'église catholique, en tant qu'institution, s'est immiscée plus profondément dans le domaine économique A  travers des encycliques comme Rerum novarum ( 1891 ) ou Quadra-gesimo anno (1931), la première n'hésitant pas A  affirmer que -la suppression de la propriété serait préjudiciable A  l'ouvrier - ou que - la propriété privée est conforme aux exigences de la nature humaine -. Plus récemment (1984), la commission -Justice et Paix - tenait une conférence sur le thème - Système bancaire et endettement du tiers monde -, mais il émerge généralement peu de positions bien originales de ces sujets somme toute très techniques.
De faA§on plus individuelle, les théologiens de la libération ont entrepris une analyse du sous-développement, en particulier en Amérique latine, qui insiste sur les facteurs et les remèdes économiques A  la pauvreté et A  l'aliénation. Dans les pays développés, des économistes exerA§ant souvent des responsabilités importantes ont l'occasion d'exprimer leur vision d'une doctrine économique conforme aux impératifs chrétiens A  travers des revues ou des manifestes. Des économistes et des théologiens ont également lancé un - Appel aux hommes et femmes d'espérance - (Villemétrie, 1982), qui, face A  la crise contemporaine, reflète une vision A  la fois inspirée de la Réforme et très technicienne de l'économie. D'un diagnostic sur la situation (interdépendances nombreuses, développement scientifique et technique, structures lourdes décidées sous forte incertitude), ils déduisent des conditions d'adaptation très générales et peu controversables, centrées autour d'une information développée et largement diffusée, et d'une gestion décentralisée pratiquant la concertation.


écations du langage.


Si le langage économique s'est forgé des cables propres (coût, utilité, productivité), aux racines néanmoins souvent écatrices (inflation, rendement), il emprunte A  d'autres disciplines nombre de termes utilisés analogiquement et qui ont d'ailleurs souvent subi plusieurs transferts. Les mathématiques fournissent un cabulaire utilisé dans son sens direct pour caractériser des structures (continuité, élasticité), mais engendrent un pseudo-réalisme curieux quand on parle de préférences convexes, d'un continuum d'agents ou d'économies répliquées. Les sciences physiques, en particulier la mécanique, sont A  l'origine de concepts de base (équilibre, silité), mais aussi de notions plus laches comme la - vitesse de circulation - de la monnaie, l'- érosion - monétaire, la - viscosité - des prix ou les - frictions - dans les transactions. Les emprunts aux sciences biologiques et psychologiques sont plus rares et portent sur des concepts importés fidèlement (anticipations, objectifs), des notions plus métaphoriques (organisation, sélection naturelle) ou des images encore plus vagues (croissance, crise).
Le langage économique peut se uloir plus écateur encore et suggérer des mécanismes sous-jacents au phénomène considéré, ire porter un jugement implicite sur ce phénomène, sans d'ailleurs pour autant AStre très marqué théoriquement. La notion d'- équilibre - (ou de croissance équilibrée) renie A  une situation ou A  une trajectoire où règne une certaine cohérence, sinon une harmonie ; mais toute élution peut toujours AStre vue comme un équilibre dynamique, et certains états d'équilibre s'avèrent catastrophiques ou injustes. Le concept de - surplus -, utilisé dans un sens néoclassique ou marxiste, traduit l'idée que le fonctionnement de l'économie permet de dégager un résultat collectivement avantageux, mASme si son partage fait problème (comme l'exprime pour sa part le concept marxiste de - taux d'exploitation -). Le qualificatif de - tutélaires -, accolé aux préférences de l'état, éque la gestion paternaliste de l'Etat face A  des agents (buveurs et fumeurs notamment) qui se comportent comme des enfants en méconnaissant leurs vériles intérASts (agents victimes, par ailleurs, d'- illusion monétaire -).
Le langage économique n'hésite pas non plus A  recourir A  des aisons et A  des images puisées dans l'expérience courante pour se faire mieux comprendre, sans mASme parler des fables et des paraboles illustratives (ir III, 4). Ainsi, la théorie du marché du travail de Phelps (1970) suppose l'existence d'-iles- où des agents sédentaires procèdent A  des transactions relativement autonomes (ce qui n'est pas sans rappeler l'- économie de Robinson -, réduite A  un agent). Les fonctions de production putty-clay font allusion A  la malléabilité du mastic (putty) et A  la rigidité de l'argile (clay), pour traduire que des équipements peuvent AStre adaples avant leur mise en place, mais és ensuite. La - main invisible - d'A. Smith indique, quant A  elle, que la coordination des intérASts des agents, A  travers les transactions des marchés, peut s'opérer sans agent régulateur explicite, ce qui revient A  dire que le - commissaire-priseur - de la théorie (appelé aussi, de faA§on embarrassée, le - héraut - ou le - secrétaire du marché -) est une entité fictive. Les - bulles spéculatives - font enfin référence A  un gonflement régulier du prix d'un actif par rapport A  sa valeur fondamentale, suivi d'une explosion aussi inélucle qu'imprévisible qui le ramène brutalement vers le bas.
Le caractère écateur du langage peut provenir du fait que des cables, généralement importés, sont utilisés, dans un contexte spécifique et avec un sens technique, dans une acception plus large que leur acception usuelle. Ainsi, plutôt que d'AStre dénommés axiome a ou théorie X, les axiomes de - libéralisme - (Sen) ou de - non-dictature - (Arrow), la - théorie des équipes - ou la - théorie de la bureaucratie - renient A  des notions ambitieuses dont ils ne reflètent que des aspects très partiels. A contrario, des concepts économiques sont utilisés par extension dans des champs A  la marge du noyau économique traditionnel, ainsi lorsqu'on parle du - capital humain -, du - patrimoine-santé -, du - budget-temps - ou du - bilan social -. Quant au terme d'- économétrie - lui-mASme, il désigne curieusement non seulement l'utilisation de techniques statistiques, mais aussi l'économie mathématique, ulant peut-AStre suggérer par lA  que cette dernière aussi reste en contact avec les faits.

Filtres du langage.

Le langage économique cherche A  mettre en valeur certains indicateurs ou certaines propriétés jugées essentielles en leur accolant des qualificatifs qui veulent impressionner, en particulier dans le domaine de la macro-économie. Le - carré magique - regroupe quatre agrégats de la Compilité Nationale (production ou emploi, solde extérieur, solde public, inflation) qui sont censés constituer un bon résumé de l'état macro-économique d'un système, A  fins de aison et d'évaluation. La - règle d'or - affirme que, parmi les sentiers de croissance équilibrée d'un système, il existe une trajectoire asymptotique-ment optimale (au sens de la consommation par tASte), réalisée pour un taux d'épargne qui fait tendre le taux d'intérASt vers le taux de croissance. Enfin, on it fleurir de nombreux -cercles vertueux ou vicieux -, boucles de rétroaction positives entre variables (par exemple entre la production, les salaires et les prix) qui créent un effet d'amplification farable ou défarable (sur une variable privilégiée).
A travers diverses astuces terminologiques, des théories spécifiques se ient attribuer un privilège particulier ou des valeurs attribuées A  des variables se ient considérées comme des normes qui s'imposent. Ainsi, l'équivalence conditionnelle entre un équilibre concurrentiel et un optimum parétien est présentée fréquemment comme le - théorème central - de l'économie normative ; de mASme, toute déviation A  l'optimum parétien est analysée comme - optimum de second rang - alors que certains équilibres divergeant de l'équilibre concurrentiel sont qualifiés de pseudo- ou quasi-équilibres. Par ailleurs, la nouvelle macro-économie classique parle de taux - naturel - de chômage pour définir le niveau obtenu en situation de concurrence parfaite : les termes de surproduction (d'un bien), de suraccumulation (d'un équipement) ou de surévaluation (d'une devise) sont également introduits pour marquer un écart par rapport A  une valeur résultant d'un modèle normatif donné.
Le langage économique cherche, au contraire, A  adoucir certaines formulations trop rudes, plus ou moins marquées théoriquement, sans que la situation visée en soit changée pour autant, A  l'image des sourds qui sont devenus des mal-entendants. Ainsi, les - zones arriérées - (backward areas) du tiers monde (ou pays - sous-developpés -) ont été nommées de faA§on plus réconfortante - pays en ie de développement - (less developed countries), les plus pauvres d'entre eux étant mASme devenus les - pays les moins avancés -. Au terme de - chômage - se substitue fréquemment le terme moins brutal de - sous-emploi -, le déséquilibre de l'emploi (dans la théorie classique) se muant lui-mASme en équilibre de sous-emploi (dans la théorie du déséquilibre devenue théorie de l'équilibre A  prix fixes). Enfin, le cable de - lutte des classes -, jugé trop idéologique ou du moins trop politique, est parfois remplacé par le cable plus technique d'- oligopole social -, sans que pour autant le concept théorique ne devienne ni plus ni moins tesle.
Il peut enfin faire apparaitre des priorités entre terminologies alternatives, des inversions par rapport A  la terminologie usuelle ou des terminologies non classiques qui peuvent fixer ou modifier l'image d'un phénomène. Ainsi, le - revenu national - est un cable préféré au - coût de production national -, pourtant complement équivalent, car il met l'accent sur les résultats plutôt que sur les moyens, malgré diverses ambiguïtés (le revenu croit pour des dépenses de réparation de biens). De mASme, sur le marché du travail, les salariés sont - demandeurs - d'emploi et les employeurs - offreurs - (alors qu'ils sont demandeurs d'autres facteurs comme le ciment), ce qui veut signifier qu'ils sont en position dominante et consentent A  proposer des postes de travail. L'économie -réelle- (plutôt que physique), opposée A  l'économie financière, veut enfin accréditer l'idée que les mécanismes monétaires sont artificiels ou du moins surajoutés, ce que confirme d'ailleurs l'expression non neutre de - ile monétaire -.



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