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ECONOMIE

L’économie, ou l’activité économique (du grec ancien οἰκονομία / oikonomía : « administration d'un foyer », créé à partir de οἶκος / oîkos : « maison », dans le sens de patrimoine et νόμος / nómos : « loi, coutume ») est l'activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. L'économie au sens moderne du terme commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam Smith un important corpus analytique qui est généralement scindé en deux grandes branches : la microéconomie ou étude des comportements individuels et la macroéconomie qui émerge dans l'entre-deux-guerres. De nos jours l'économie applique ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines (puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains domaines : international, finance, développement des pays, environnement, marché du travail, culture, agriculture, etc.


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La monnaie et l'insolvabilité : la crise russe d'août i998



La monnaie et l'insolvabilité : la crise russe d'août i998
Le 17 août 1998 le gournement russe a annoncé simultanément un défaut sur la dette intérieure de l'Etat, un moratoire unilatéral sur les engagements en devises des banques et un élargissement de la bande de fluctuation du change - le - corridor -. Cela marque le principal sinistre financier des années 1997-l998, celui qui a imposé le choc le plus violent aux marchés internationaux. Ces décisions touchent en effet des instruments de marché largement échangés, elles ne sont aucunement anticipées par les instisseurs et aucun cadre clair de résolution n'est proposé ; A  l'évidence, la dimension géopolitique de cette crise surplombe aussi de bout en bout les comportements et a porté au plus haut degré tous les effets d'aléa moral tant décriés, depuis un an, en Asie.


Aussi, dans les semaines suivantes, la correction des prix d'actifs et des taux de change atteint la quasi-totalité des marchés mondiaux : Hong Kong subit de noulles attaques spéculatis au cours de l'été 1998, les marchés boursiers d'Europe centrale et d'Amérique latine baissent brutalement et, en septembre, les marchés les plus déloppés, notamment Wall Street, sont directement atteints. Cela conduira A  la quasi-faillite du hedge fund LTCM, puis A  un épisode inédit d'assèchement des marchés américains, jusqu'A  la mi-octobre.
L'épisode montre cependant un écart énorme entre ses contrecoups extérieurs et une dynamique de crise nettement dominée par des variables internes, que ce soit avant ou après le 17 août. Ce ne sont pas toutefois les données de base qui sont exceptionnelles : la transformation de la dette publique et du système bancaire en deux énormes pyramides financières auxquelles s'ajoutent une bulle non négligeable sur le marché boursier et une surévaluation tendancielle du change (graphique 7). L'originalité de la crise russe découle plutôt de l'environnement dans lequel elle se déloppe : un cadre institutionnel exceptionnellement lache, une discipline de paiement mal élie depuis le début des réformes, des droits de propriété très faibles depuis la - privatisation de masse - des années 1994-l996, et aussi le soutien indéfectible du FMI et du G7. Le tout donne A  cette trajectoire la beauté esthétique d'une expérience poursuivie jusqu'A  son extrémité dernière. Jamais on n'aura soutenu aussi longtemps un système financier A  l'évidence condamné, alors mASme que les règles du jeu sur lesquelles il reposait restaient extraordinairement éloignées des formes les plus frustes de capitalisme.

La marche de la crise : d'octobre 1997 A  août 1998

Les premiers signes de déclin des marchés financiers russes datent du krach de Hong Kong, le 23 octobre 1997. Dans les jours suivants, la Bourse et le marché monétaire répercutent le choc tandis que les obligations internationales russes baissent plus fortement que leurs équivalents latino-américains ou centre-européens. Surtout, en nombre, les émissions primaires de GKO, la principale catégorie d'obligations d'état en roubles acquise par les instisseurs, ne trount aucun preneur hormis la Banque centrale, qui en outre perd 6,2 milliards de dollars de résers officielles. Dans les mois suivants, les taux d'intérASt restent nettement supérieurs A  leur niaux antérieurs A  la crise mais la politique économique reste sur une posture d'accommodement, qui renvoie l'augmentation du coût de financement de l'état A  la seule crise internationale, qui bat alors son plein en Corée et en Indonésie.
Pourtant, dès le début de 1998, on pouvait anticiper le scénario d'effondrement de la dette publique et du régime de change, sous la pression de taux d'intérASt élevés et du retrait des instisseurs privés (Sgard, 1998). En avril l'économie retombe en récession après une brè phase de reprise en 1997, le solde budgétaire primaire redevient négatif et la discipline fiscale au niau fédéral s'affaiblit. La baisse des prix de l'énergie et des métaux non ferreux, due A  la chute de la demande en Asie, contribue A  l'apparition d'un déficit courant, pour la première fois depuis le début des réformes. Aussi, A  la mi-mai, quand le nouau gournement de Sergucï Kirienko succède A  celui de Viktor Tchemomyrdine, le climat est très dégradé : non seulement l'économie périclite, mais le renforcement de l'aile jugée la plus réformiste de l'alliance au pouvoir désilise le jeu obscur et brutal qui, depuis des années, lie les milieux gournementaux aux principaux groupes industriels et financiers - non plus les cronies, mais les - oligarques -.
Le 20 mai. les taux d'intérASt interbancaires se tendent brutalement et passent de 24 % en moyenne depuis le début avril A  plus de 200 % A  la fin du mois. Pendant quelques jours, tous les indicateurs de détresse financière et monétaire atteignent des niaux records, reflétant des retraits massifs de capitaux internationaux et l'assèchement de la liquidité domestique. En juin, les taux d'intérASt réels fluctuent autour d'une moyenne de 40 %, tandis que le système financier ne s'est apparemment jamais remis du choc, que le marché monétaire reste extrASmement volatil et que l'Etat ne parvient plus A  refinancer sa dette interne : jusqu'A  la mi-août le volume net des GKO sera réduit de près de 2 % du PIB (voir graphique 6). Le problème est que le financement n'a pas été fourni par un excédent primaire, mais par la Banque centrale et les marchés de capitaux internationaux, lesquels apportent en juin près de 2,8 milliards de dollars au gournement russe.
Un tel équilibre était évidemment très précaire. L'horizon temporel de la politique économique était désormais réduit A  l'extrASme par conjonction de la monétisation lente de la dette interne, du déclin des recettes fiscales et de taux d'intérASt réels qui plaA§aient tout stock de dette sur une trajectoire non soute-nable. Dès la seconde quinzaine de juin, fort du soutien du président Clinton, le gournement russe a donc engagé des négociations ac le FMI. qui aboutissent le 14 juillet A  un vaste programme de renflouement, qui mobilise en tout 22,7 milliards de dollars (dont 15,2 apportés par le Fonds). Il a pour contrepartie une longue série de mesures, centrées sur le contrôle des dépenses budgétaires, l'accroissement des recettes fiscales et l'allongement de la maturité moyenne de la dette : une plus grande crédibilité budgétaire devait permettre une baisse des taux d'intérASt et donc une réduction plus rapide du besoin de financement public. Toutefois, aucune modification de la politique de change n'est demandée par le FMI, qui continue de défendre la viabilité du - corridor - de change.
Comme en Thaïlande, en Corée et en Indonésie, l'échec vient cependant très vite : au mieux, ce a fait gagner dix jours au pays, sans que jamais ne s'ouvre la voie tant espérée d'une silisation budgétaire autoréalisatrice sur fond de baisse rapide des taux d'intérASt. Dès la dernière semaine de juillet, les tensions réapparaissent sur les marchés et sur le politique ', ce qui débouche très vite sur la phase terminale d'une crise dont la grande majorité de la population russe ignorera jusqu'au bout l'ampleur.
Techniquement, la cause immédiate de l'effondrement final a été la chute du prix des obligations souraines russes en devises, échangées soit A  Moscou (Minfins bonds), soit sur les marchés internationaux (euroémissions). Depuis le second semestre de 1997, les plus grandes banques russes avaient en effet mobilisé leur portefeuilles de tels titres comme collatéraux pour des emprunts internationaux ; les fonds ainsi obtenus étaient alors rapatriés et instis en GKO, titres libellés en roubles et porteurs de taux d'intérASt nettement plus élevés que les bons en devises. Mais plutôt qu'une stratégie banale d'arbitrage de taux, cela reflétait une situation typique de sélection adrse, conduisant A  augmenter massiment le levier d'endettement (lerage) de banques déjA  faiblement capitalisées.
Le risque implicite est denu explicite au cours de la seconde quinzaine de juillet. Le prix des obligations en devises a commencé A  baisser et les banques russes ont dû reconstituer leur collatéral, évalué par définition A  sa valeur de marché (appel de marge). Elles se sont donc mises A  rendre en masse leurs GKO et A  transférer leur contrepartie A  leurs créditeurs internationaux, A  trars le marché de change. Une très forte pression s'est donc exercée sur l'équilibre précaire que nait de rélir le Fonds monétaire : les entrées de capitaux frais se sont taries dès la dernière semaine de juillet, puis les non-résidents ont commencé A  se retirer au début d'août, la Banque de Russie restant le seul acheteur net de GKO et de roubles. De fait, elle a commencé A  monétiser toute la dette publique échue ou, plus précisément, elle s'est mise A  l'échanger (ainsi que beaucoup d'autres actifs domestiques) contre ses propres résers de change : au cours des deux premières semaines d'août elle a absorbé l'équivalent de 1,7 milliard de dollars de GKO, et perdu 3,3 milliards de dollars de résers de change. En d'autres termes, la Banque centrale tenait A  bout de bras le - corridor de change - et la dette publique, une situation qui ne pouvait se prolonger plus de quelques jours.
A€ la suite des annonces du 17 août, la rupture n'a cependant pas été immédiate : elle est internue après une semaine de flottement, le lundi 24, A  la suite du renvoi en bloc de tout le gournement Kirienko, qui signifiait entre autres que toute définition d'un cadre clair de résolution du défaut public était reportée A  des échéances lointaines. Cela a amorcé l'effondrement total du système financier au cours des deux semaines suivantes : chute de 40 % du rouble, ruée des déposants sur les banques, gel complet du marché monétaire, arrASt des transactions en Bourse, blocage du système de paiement de gros et de détail. MASme les flux de recettes fiscales de l'état ont été largement interrompus, en l'absence d'un Trésor public qui aurait isolé le circuit financier de l'état du système financier privé.
Pendant toute cette période, la Banque de Russie a injecté massiment des liquidités dans le système et tenté de soutenir le change, tant bien que mal. Après avoir perdu 2.4 milliards de dollars en deux semaines (sur un total de 6.5 milliards depuis le 24 juillet), elle est finalement contrainte de laisser flotter le rouble, le 27 août, après quoi elle cesse progressiment ses interntions. La population, pour sa part, marquée par l'expérience des crises de change des années 1990-l995, a réagi en deux temps. Elle a commencé par anticiper une reprise de l'inflation, ce qui a entrainé un boom de quelques jours sur les biens durables ; puis, A  la fin de la première semaine, elle a identifié la menace principale et la ruée sur les dépôts s'est étendue A  la plus grande partie du système bancaire2.
Le plus curieux dans cette affaire est que pour la majorité des opérateurs politiques, mais aussi pour la population, le principal désastre était la rupture du régime de change, qui avait détruit le crédit politique du gournement et de ses alliés. Le reste était anecdotique : mASme une partie des experts gournementaux a cru apparemment que le marché des GKO pourrait AStre remis en état rapidement3. On peut voir ici l'expression la plus pure de l'énorme aléa moral qui a dominé les mois, sinon les années antérieurs. Cette erreur de jugement majuscule, qui portait de fait sur la notion de solvabilité, reflétait pour une bonne pan l'attente que les états-Unis et le Fonds monétaire apporteraient bientôt la solution technique et le levier financier pour - saur les réformes -.
Cette anticipation était d'ailleurs largement partagée par les instisseurs internationaux qui, après le 14 juillet, n'ont pas non plus perA§u que l'argument du too big to fail s'était transformé désormais en un too big to bail : trop grosse pour AStre abandonnée A  son sort, la Russie - son état et ses banques -était denue trop insolvable pour pouvoir AStre sauvée. Pourtant, dès la première semaine d'août, le message du Trésor américain, transmis de vi voix aux autorités russes, était qu'aucun financement additionnel ne serait apporté. A posteriori, les 4,5 milliards rsés par le G7 en juillet auront servi avant tout A  élir, aux yeux de l'opinion internationale, que tout avait été fait pour - saur la Russie - et que la responsabilité du désastre final était entièrement du coté russe - ce qui est vrai, in fine. Et A  la fin, comme toujours en Russie, c'est l'immense majorité de la population qui a fait les frais du sau-qui-peut.
Le Fonds monétaire, de son côté, a montre aussi un certain flottement. Le 15 et le 16, tout comme l'administration américaine, il était au courant des décisions en préparation A  Moscou, et il a été apparemment engagé dans des discussions détaillées, sinon des négociations. Un bon nombre d'observateurs russes affirment mASme, ac un mélange affiché de délectation et de cynisme, que le Fonds a été A  l'origine de la proposition de moratoire bancaire, présentée comme une mesure technique pour équilibrer au passif le choc d'actif dû au gel des GKO.
Peut-AStre plus curieux est le retournement stratégique réalisé dans les jours qui suint le 17. En juillet, en effet, sous la pression intense des états-Unis, le FMI avait mis son crédit dans un fondé sur la défense du change et la nécessité d'obtenir la validation, par le marché, de toute stratégie de silisation budgétaire. Un mois plus tard, le Fonds entérinait le constat que le change était denu non soutenable et que l'interruption large du service de la dette, aux frais des instisseurs, faciliterait désormais la silisation des finances publiques. En somme, le FMI semble vivre lui aussi dans un monde A  équilibre multiple5.



Les raisons de la surprise

Pourquoi la crise n 'a pas été anticipée
L'interntion du Fonds monétaire et du G7, A  la mi-juillet, a-t-elle été absolument vaine, comme on l'a d'emblée affirmé le 17 août ? La - communauté internationale - a-t-elle fait A  nouau la preu de son incapacité A  gérer les crises de paiement dans les économies émergentes, tout en multipliant les risques d'aléa moral ?
La courbe de taux d'intérASt en roubles, reconstituée A  partir du marché secondaire des GKO, donne en fait une information claire sur l'impact de l'interntion du Fonds et du G7 (graphique 7). Elle montre d'abord que, depuis le 2 juin jusqu'au 14 juillet, les taux moyens sont restés très élevés, reflétant un risque d'instissement majeur, mais sans horizon temporel identifiable (courbe plate). En revanche, A  partir de l'annonce du programme international et jusqu'au 10 août, les taux A  long terme ne se modifient guère, tandis que les taux A  moins de deux mois baissent en moyenne de 90 % A  36 % ; d'une période A  l'autre, l'écart type de chaque série de taux, reflétant leur volatilité, baisse également de 44 % en moyenne6.
En d'autres termes, le programme du FMI était réellement crédible, mais seulement jusqu'A  l'automne, ce qui correspond A  l'opinion moyenne des opérateurs financiers et des politiques russes avant le 17 : s'ils n'ont jamais cru au succès A  long terme du , ils attendaient la crise pour la fin septembre ou le mois d'octobre - dans tous les cas, après une visite officielle du président Clinton, prévue pour la troisième semaine de septembre7. Ainsi, remarquablement, A  la ille du défaut sur les GKO, le marché n'anticipait aucunement cette rupture : A  la clôture de la dernière séance historique, le ndredi 14 août, une série de bons arrivant A  maturité le mercredi 19 cotait 0,978 contre le pair8. Le taux d'intérASt implicite, très élevé, témoignait sans doute de l'anticipation d'une large dévaluation A  court terme, mais certainement pas d'un défaut imminent. En d'autres termes, la curieuse crise russe ne peut pas se résumer seulement A  une irrésistible glissade qu'on aurait maladroitement cherché A  bloquer en juillet. Il faut maintenant expliquer pourquoi la crédibilité bornée du a été finalement démentie, contre les anticipations apparentes des opérateurs. Ici la littérature sur la crise russe n'est pas très éclairante.
Popov (2000), par exemple, ne voit dans tout cet épisode qu'une crise de change absolument banale, due A  l'appréciation ancienne du change réel et A  la baisse plus récente du prix des matières premières. Au début d'août, les tensions en Indonésie et A  Hong Kong auraient suffi A  précipiter l'ajustement. Bien que le constat empirique soit fondé9, il n'explique pas le double défaut de l'état et des banques : il ne peut pas AStre présenté comme une conséquence inintentionnelle du décrochage du change, puisque celui-ci est internu une semaine après le double moratoire. Alternatiment, la thèse standard, sur laquelle s'est très vite coagulé le consensus académique et journalistique, retient la seule hypothèse de l'insolvabilité publique : la crise de la mi-août aurait accompli le scénario affleurant du début de juillet, s'inscrivant ainsi dans le cadre d'une crise de change de - première génération -, A  la Krugman (1979)l0. Et, de fait, on a toutes les raisons de douter de la solidité financière d'un Etat qui consacre 45 % de ses recettes fiscales au paiement d'intérASts (second trimestre 1998), et dont une bonne partie de la dette est exposée A  un gros risque de change. Mais, A  nouau, cette analyse n'explique pas le tASte-A -queue impromptu de la mi-août, et singulièrement la cotation des GKO nant A  échéance la semaine suivante.
Si l'on reprend pièce par pièce la mécanique du désastre telle qu'elle a été reconstituée, l'élément manquant dans l'explication standard apparait en fait très tôt, dès la semaine qui suit l'annonce du programme FMI. D'un côté, on obser une reprise forte de tous les marchés en roubles. Les taux d'intérASt A  court terme ont baissé fortement, l'indice boursier de référence a augmenté de 30 % en cinq sessions et les entrées de fonds non résidents dans le marché des GKO auraient atteint 1,6 milliard de dollars, contribuant A  une hausse de 21 % des cours. Au mASme moment, les marches obligataires émergents (Brady bonds, indice latino-américain, obligations est-européennes, asiatiques, etc.) sont soit en hausse, soit en légère baisse (1 % au pire sur la période). En d'autres termes, tous les actifs russes se réévaluent et les marchés internationaux semblent entrer dans une phase de détente, après plusieurs semaines difficiles et avant la suite d'erreurs politiques et financières de la fin du mois.
Or, c'est précisément A  ce moment que les obligations souraines russes en dollars, qui ont été A  l'origine des appels de marge, commencent A  baisser : entre le 14 et le 23 juillet l'indice de référence (EMBI-Russie de J.P. Morgan) décline de 11%. Une large opération d'échange de dette en roubles contre des obligations en dollars, organisée par Goldman Sachs, est généralement mise en avant (voir notamment Kharas et al, 2001). Elle aurait saturé le marché, qui se serait mis A  décliner. Le problème est que cette baisse des prix intervient au moment mASme de l'échange (lancé le 13, ses résultats sont annoncés le 21) : il faudrait alors expliquer pourquoi, apparemment, des instisseurs ont substitué massiment des nouaux titres aux vieux alors que toutes les autres classes d'actifs s'appréciaient fortement. A€ défaut, il faut donc conclure qu'une catégorie particulière d'instisseurs, au portefeuille international peu dirsifié, mais suffisamment forte pour peser sur le marché, a été soumise A  des contraintes de liquidités spécifiques.
Les grandes banques oligarchiques apparaissent ici comme les seuls candidats possibles, A  un moment où les instisseurs internationaux rentraient en masse sur les marchés russes et où les ménages et les entreprises russes, massiment illiquides, ne pouvaient AStre A  l'origine d'un tel moument. Le problème, ici, est que les données disponibles sur l'évolution A  très court terme des banques, au cours de ces derniers mois, sont rares et d'une qualité très douteuse : mASme la Banque centrale, comme agent de supervision, ne disposait que d'une information très fragmentaire qui sount s'est révélée complètement fausse au lendemain de la crise.
On savait toutefois depuis le krach de Hong Kong d'octobre 1997 que la capitalisation du secteur bancaire était faible et en outre menacée par un lourde dette en devises. En janvier 1998, la Banque de Russie lui avait en plus transmis la fourniture de contrats de change A  terme, A  destination des instisseurs internationaux : cela n'a fait qu'accroitre encore la dépendance des banques enrs la seule capacité de la Banque centrale de défendre le - corridor de change -. De multiples facteurs se sont ensuite ajoutés dans les mois suivants qui reconstituent bien l'image d'un effondrement lent du système bancaire : le volume des dépôts dans les banques s'est réduit de 2,5 % dès le premier semestre, puis s'est accéléré en mai et juin ; de nombreuses banques de premier ont multiplié les accidents de paiement après le choc de liquidité de la fin mai et, en juillet, les tribunaux de commerce ont été saisis de dizaines de plaintes contre des banques qui n'avaient pas rempli leurs engagements sur des contrats A  terme (OCDE, 2000).
A€ partir de la fin juillet, le rythme s'accélère. Alors que les marchés domestiques sont en crise aiguA«, on obser les premières paniques de déposants, tandis que trois banques oligarchiques de premier rang dont lnkombank et SBS-Agro, reA§oint un soutien monétaire direct de la Banque de Russie. A€ partir du 6 août, les quatre séries d'obligations internationales émises en dollars par des banques russes plongent de 60 % en quatre jours et montreront dès lors une décote supérieure A  celles des titres sourains, alors qu'elles ne les avaient pas suivis lors de leur premier glissement, après le 14 juillet. Le 13 août, la Banque de Russie élargit officiellement l'accès des banques A  son refinancement, tandis que la presse fait état de l'extinction rapide des marchés interbancaires. Le 14, enfin, l'Impérial Bank fait défaut sur ses engagements extérieurs et la Menatep, autre banque de tout premier , menace de suivre dès le lundi 17. Tout comme en Thaïlande, la crise bancaire précède sans conteste le décrochage du change.
On peut alors mettre en place les différentes pièces du puzzle et attendre qu'une hypothèse plus satisfaisante soit proposée. Dans un premier temps, A  partir d'octobre 1997, le risque d'insolvabilité publique domine clairement et impose des pressions fortes sur l'ensemble de la courbe des taux et sur le corridor de change, par ailleurs fragilisé par la déri des termes de l'échange. Sans doute, A  défaut d'interntion extérieure, la crise des marchés intérieurs, A  la fin mai, aurait-elle dû précipiter un effondrement final dans les semaines suivantes. Or les banques, déjA  très fragiles, ont aussi subi A  ce moment un choc violent qui apparemment les a fait franchir un point de non-retour, dont témoigne la multiplication des retards de paiement dès juin.
On entre alors dans une phase de destruction lente du système de paiement de gros : le processus passe encore inaperA§u lors des négociations ac le FMI, au début de juillet, mais il fait surface au lendemain du 14, lorsque les principaux acteurs commencent A  liquider leurs portefeuilles d'obligations souraines pour répondre A  leurs contraintes de liquidité intérieures. Cela amorce la mécanique infernale des appels de marges, entrainant la liquidation des GKO et la sortie en masse des capitaux. Alors que le bail-out international avait mis le marché de la dette publique A  l'abri d'une crise immédiate, cet équilibre précaire a donc été désilisé par l'affaissement silencieux des banques qui domine jusqu'A  la mi-août la crise terminale des marchés intérieurs. Cette accélération lente mais apparemment irrésistible de la crise bancaire ne rend que plus étonnant sa quasi-absence du mémorandum économique signé ac le Fonds en juillet12.

L'économie politique de la crise russe : un sous-texte en caractères gras
Un dernier élément doit AStre ajouté A  cette crise singulière : dans les dix jours qui précèdent le 17 août, les dirigeants et actionnaires des principales banques moscovites - les oligarques - se sont engagés dans des opérations systématiques de démantèlement de leurs propres élissements. Ils ont exporté tous leurs avoirs liquides (grace notamment aux interntions de la Banque centrale sur le marché de change) et ont transféré leurs nombreuses participations industrielles rs des structures juridiques ad hoc, éntuellement localisées A  l'étranger. Après le 17, cet exercice inédit de pillage, mené aux dépens des déposants, de l'état russe et des créditeurs étrangers, a pris une échelle industrielle : A  la fin du mois, les principales banques n'étaient plus que des coquilles vides dont on avait retiré tous les actifs financiers, dont les employés étaient déjA  engagés ailleurs ou bien licenciés, et dont mASme les baux de location et les ordinateurs avaient changé de titulaire légal. En d'autres termes, les oligarques russes ont innté une noulle forme de panique bancaire : ce ne sont pas les déposants et les créditeurs qui se sont rués sur les actifs mais les propriétaires, insolvables et menacés de faillite.
La différence entre ces deux cas de ure est que, formellement, la ruée bancaire classique repose sur un droit contractuel indubile, qui fait du dépôt bancaire un passif immédiatement exigible. Dans le cas russe, on a vu au contraire le plus grand braquage de l'histoire bancaire moderne. Lorsqu'il est apparu clairement que la plupart des institutions financières privées ne résisteraient pas A  la crise et qu'une large redistribution du pouvoir et de la richesse approchait, les oligarques ont préféré tout casser : les banques, leurs engagements contractuels, les droits de propriété, mais aussi le pacte politique qui les liait aux gournements - réformateurs - depuis le début de la décennie.
Selon toute vraisemblance on peut dater cette rupture de la tentati de la Banque de Russie, dans la première semaine d"août, de saisir trois banques oligarchiques incapables de faire face A  leurs engagements - un geste a priori normal, mais sans précédent dans ce pays. La crise financière est alors denue principalement une épreu de force politique, dont l'enjeu était le contrôle des plus gros actifs économiques et du gournement. De fait, dans la dernière semaine avant le 17, la crise a été largement interprétée par la presse moscovite comme une manifestation de la lutte politique entre les oligarques et une partie du gournement Kirienko l4. Puis, au cours du week-end du 15-l6 août, les mASmes banquiers ont exercé ac succès une pression intense sur le gournement pour que soit ajouté in extremis un moratoire sur leur propre dette extérieure aux deux premières mesures en préparation.
Enfin, dans la semaine suivante, non contents d'avoir obtenu gain de cause (et d'en tirer tout le parti qu'on sait), ils ont fait le siège du président Eltsine pour obtenir le renvoi d'un Premier ministre indésirable et le retour A  la tASte du gournement de Viktor Tchcrnomyrdine. renvoyé en mars - c'est-A -dire le symbole vivant du pacte oligarchique 15. Le problème est qu'A  ce moment-lA , A  la fin août, les actifs politiques des oligarques étaient nettement plus dépréciés qu'ils n'avaient cru : après avoir obtenu l'éviction du Premier ministre, leur candidat a échoué rapidement devant le Parlement, ouvrant la voie A  l'élection d'Evgueni Primakov, appuyé entre autres par le Parti communiste (le 11 septembre).



L'expérience monétaire russe : l'au-delA  d'une crise de paiement

Le cours de la crise russe, si l'on s'en tient au seul financier et monétaire, laisse en suspens une énigme qui n'intéresse pas seulement les amateurs d'expérimentations monétaires exotiques : pourquoi n'y a-t-il pas eu d'hyperinflation A  l'automne 1998 ? Au début de septembre, tous les ingrédients classiques d'une explosion des prix semblaient pourtant réunis. Un Etat insolvable et incapable de couvrir son déficit par l'appel A  l'épargne intérieure ou aux marchés de capitaux, un système bancaire détruit et soumis A  une ruée en masse des déposants, une banque centrale désorientée qui nait d'injecter massiment de la monnaie de réser dans l'économie, des agrégats monétaires de petite taille depuis l'inflation de 1992-l995, enfin un taux de change en chute libre. La surprise est que la hausse des prix a atteint 38 % en septembre avant de ralentir au dernier trimestre, A  un peu plus de 7 % en moyenne mensuelle.
La raison immédiate de cette relati silité est simple : contrairement A  l'expérience des années 1992-l995, la Banque de Russie a réli très vite des taux d'intérASt réels positifs et l'offre de monnaie n'a pas entériné le choc nominal subi sur le taux de change. La monnaie de réser a augmenté de 25 % au quatrième trimestre 1998, rapporté A  la mASme période de Tannée antérieure, alors que le taux de change effectif nominal avait perdu 60 % de sa valeur. La question s'est donc déplacée d'un pas : comment une politique monétaire aussi restricti a-t-elle pu AStre conduite ?
Une dynamique d'hyperinflation apparait en effet au moment où la politique monétaire devient endogène aux anticipations de prix et où il faut choisir entre les dirses - thérapies de choc - pour tenter de rompre simultanément l'inflation observée et les anticipations. Concrètement, ces dernières sont inscrites dans les contrats de travail par exemple, mais aussi dans les multiples contrats intertemporels émis et acquis par les banques commerciales, et qui se traduisent A  terme par une demande proportionnelle d'encaisses liquides. In fine, l'obligation d'émettre de la monnaie de réser renvoie A  ces obligations de paiement privées : les encaisses doint AStre fournies pour que la continuité des paiements soit préservée, aux prix courants. Telle est l'urgence immédiate A  laquelle sont soumises les banques centrales, qui ainsi cherchent avant tout A  éviter l'extension d'une crise de liquidité qui ajouterait des faillites en chaine au désastre monétaire. C'est pourquoi les hyperinflations vont généralement de pair ac une très grande liquidité du système bancaire.
Pourquoi cette contrainte n'a-t-elle apparemment pas pesé ? Une première raison s'offre d'emblée : les déposants se sont bien rués rs les guichets - ils ont donc exprimé une large demande d'encaisses liquides -, mais les banques ont pu refuser de payer, ou bien elles n'ont rsé qu'une partie des dépôts, entrant parfois dans des négociations au cas par cas pour le traitement de chaque client. Cela n'est pas trivial : en nombre 2001, les Argentins ont renrse deux présidents de la République et manifesté pendant des semaines pour obtenir le déblocage de leurs dépôts. Ce qui est particulier A  la Russie, c'est la possibilité de ne pas répondre A  la demande accrue de cash et de lui substituer largement un rationnement quantitatif.
A€ la fin août 1998, le refus de respecter les obligations de paiement ne se limitait pas en effet aux seuls dépôts des ménages dans les banques : déjA  sur le interbancaire, depuis plusieurs semaines, un nombre croissant d'élissements avaient répondu A  leurs problèmes de liquidité par le non-paiement de leurs engagements. Or cela n'avait pas déclenché le choc systémique destructeur, qui aurait exercé une pression irrésistible sur les taux monétaires et sur le guichet de réescompte de la Banque centrale.
Ces deux réactions, avant et après le 17, sur le des marchés interbancaires puis des dépôts, s'inscrint dans la continuité l'une de l'autre : elles témoignent de l'extension rs le cœur du système de paiement, d'une immunité du non-paiement qui avait déjA  envahi l'économie réelle, dans une sorte de crise monétaire diffuse et progressi. De fait, avant le 17 août, la contrainte de liquidité qui sous-tend la dynamique d'hyperinflation était déjA  très distendue : depuis plusieurs mois, sinon plusieurs années, les chaines de règlement de dettes étaient largement rompues, dans le système bancaire et dans l'économie réelle. Au microéconomique, cela a donné A  la crise de l'été 1998 un tour absolument inédit qui éclaire rétrospectiment les conditions dans lesquelles on a tenté, depuis le début de la décennie, d'instituer en Russie un ordre monétaire cohérent ac une économie de marché.

L'immunité du non-paiement, l'ordre monétaire et les droits de propriété
Depuis longtemps, en effet, les salariés, les fonctionnaires et les retraités russes avaient déjA  accepté de ne recevoir qu'une fraction de leur salaire ou de leur pension, ou de ne les recevoir qu'en nature, sous la forme des biens les plus hétéroclites qu'il leur restait ensuite A  ndre sur le bord des routes ou dans les gares - des anoraks, des tuyaux de douche ou du saucisson. Cette norme s'est aussi appliquée au paiement de l'impôt : par exemple, le grand monopole rentier Gazprom - 8 % du PIB et un quart des recettes fiscales - a toujours négocié directement le montant des impôts qu'il voulait bien rser A  l'état. De mASme, entre l'état central et les républiques fédératis, le rersement des recettes fiscales était déterminé par une négociation et un rapport de force permanents, ce qui a été vérifié A  nouau au printemps 1998. Et fatalement, en retour, l'état a accumulé des arriérés chroniques sur ses propres paiements, en particulier enrs ses créditeurs les plus faibles - les retraités et les petits fonctionnaires.
Mais l'immunité du non-paiement n'était nulle part aussi large que sur le des entreprises. Contrairement A  l'expérience de l'Europe centrale, les arriérés et les défauts de paiement multiples n'ont jamais été réprimés, ce qui a évidemment limité les incitations A  l'ajustement et aux efforts d'efficacité producti. A€ partir de 1995, ac la désinflation, cela s'est traduit par une multiplication de méthodes de paiement non monétaires : règlement en nature des salariés, arriérés de paiement, émission de lettres de crédit A  la qualité douteuse, troc entre entreprises (54 % des échanges interindustriels A  la ille de la crise)16. Le trait caractéristique de cet environnement est que le règlement des échanges ne répond pas A  une obligation commune, attachée A  la discipline des contrats, mais qu'il est contingent : on accepte de payer son créancier s'il est bien armé (grace A  son pouvoir de marché ou A  ses hommes de main), ou si l'on obtient un bénéfice tangible en contrepartie ; sinon on règle en nature ou on promet vaguement de payer, un peu plus tard. En un mot, on n'a pas éli un ordre monétaire.
Dans une économie capitaliste normalement constituée, les parties lésées par le non-respect d'un contrat (par exemple, un retard de paiement) peunt faire appel aux autorités publiques. Celles-ci sont ainsi le garant ultime de la discipline des contrats et des marchés, comme le disait déjA  de la manière la plus claire le Code Napoléon : - Les conntions légalement formées tiennent lieu de loi A  ceux qui les ont faites '7. - C'est pourquoi in fine une banque peut prASter A  une grande entreprise et un petit sous-traitant travailler pour elle, sans crainte excessi de se faire spolier. Contrairement au cliché idéologique commun, le contrat ne relè pas d'une norme sociale spécifique aux échanges privés, qui serait en somme - auto-exécule -, entièrement étrangère A  l'autorité de l'état ou du principe majoritaire.
Dans un tel contexte, l'originalité de la crise monétaire russe, ée au paradigme de la crise systémique de type thaïlandais ou indonésien, tient A  ce qu'elle n'est pas partie du cœur du système de paiement, c'est-A -dire des règlements interbancaires, pour s'étendre ensuite aux paiements de détail. Elle s'est déloppée au contraire - de bas en haut - : partie des transactions entre agents non financiers, elle s'est généralisée progressiment et silencieusement A  l'ensemble de l'économie. L'asphyxie du système bancaire et du marché de la dette publique apparait alors comme l'aboutissement de ce déclin irrépressible de la discipline monétaire, qui les a finalement submergés. Cette expérience donne ainsi un aperA§u absolument inédit sur l'au-delA  d'une crise systémique, c'est-A -dire ce monde mystérieux et jamais exploré qui se forme quand la discipline monétaire a été rompue, ou qu'elle n'a pas été instituée.
Alors qu'on insiste généralement sur le choc immédiat que la rupture des paiements impose aux échanges et A  la production, l'expérience russe montre une économie décentralisée dans laquelle l'échec A  élir une discipline monétaire a produit une coordination économique de très mauvaise qualité, mais qui pour autant ne détruit pas toute activité et toute possibilité d'échange : les échanges ont pu se poursuivre, mais dans un cadre fragmenté, opaque et très dangereux. Le résultat est qu'il n'y a pas de croissance et d'instissement, mais qu'on préser un niau minimal d'activité et d'emploi, ce qui peut aller de pair ac un certain consensus social (Zlotowski, 1998).
A quoi tient cette acceptation diffuse d'un ordre économique si peu efficace ? Pourquoi a-t-il été impossible en Russie d'élir une discipline des paiements solide, sans laquelle l'économie de marché ne produit aucun des bénéfices qu'on peut raisonnablement attendre d'elle ? Généralement, le discours commun sur la transition au marché s'attache A  la dimension individuelle de l'appropriation et de l'activité économique : c'est-A -dire ces - esprits animaux - qui animeraient la concurrence et la vitalité d'une économie capitaliste, et sans lesquels il n'y aurait qu'inertie et léthargie. Or, dans toute l'Europe de l'Est, de la Hongrie au Kazakhstan, la recherche du profit, le calcul d'optimisation, l'exploitation opportuniste de toute information disponible et de toutes les occasions d'enrichissement n'ont pas été particulièrement difficiles A  restaurer - simplement parce qu'ils n'avaient jamais disparu.
Depuis le début des années quatre-vingt-dix, la difficulté majeure pour les gournements réformateurs n'est pas tant de réanimer l'initiati individuelle que de la soumettre A  des règles communes, c'est-A -dire en fait construire et légitimer un ordre A  l'intérieur duquel se déloppe l'activité concurrentielle, et qui en particulier assure la discipline des contrats. La difficulté, face A  l'opportunisme et au rejet parfois violent de toute contrainte, ne renvoie pas tant au contrat en tant que tel qu'A  un enjeu placé immédiatement derrière lui : la propriété. Ne pas rembourser une dette, c'est en effet accaparer le bien de son créancier, qui formellement n'en a cédé que l'usufruit, pour une rémunération et une durée précises. Non seulement il est spolié mais le principe de la propriété est mis en question, en ce qu'elle requiert que son acquisition réponde A  ces critères formels de légalité (l'épargne ou l'héritage par exemple, plutôt que le braquage des banques). Or, pas plus que le contrat n'est une forme spontanée de transaction, la propriété n'est un attribut intrinsèque du bon sauvage ou de l'Homo œconomicus, qui lui serait apporté ac sa rationalité et son goût du profit.
Dans l'Europe postsoviétique des années quatre-vingt-dix, le problème premier n'était pas tant de - transférer - la propriété, c'est-A -dire de mettre en nte le bien public, que d'instituer la propriété A  partir d'un régime qui n'était pas tant caractérisé par la propriété collecti que par l'absence de ce principe. En Europe centrale, dans les pays où la privatisation s'est réalisée de manière ordonnée, il a fallu élir formellement les titres de la propriété publique avant d'envisager leur cession. Ailleurs, et singulièrement en Russie, ce processus a été beaucoup plus brutal et inéquile. Il a produit une spoliation A  grande échelle du bien public par un groupe étroit d'anturiers, généralement issus de l'ancienne nomenklatura, qui se sont partagé les actifs hérités du régime soviétique par un mélange de privatisation sauvage, de destruction inflationniste de l'épargne et de faillites bancaires : la crise d'août 1998 n'est que le dernier de ces actes de redistribution sauvage.


Le processus par lequel s'est formée en quelques années l'une des sociétés les plus inégalitaires au monde peut ainsi s'interpréter comme la résolution exceptionnellement violente d'un problème de communs. Comme A  la fin du Moyen A‚ge en Europe occidentale, il s'agissait de rompre ac une propriété indivise, dans laquelle les biens faisaient l'objet de multiples droits d'usage, cela afin d'attribuer des titres de propriété individuels et exclusifs. Pour que ces biens puissent AStre exploités et cédés dans un cadre capitaliste, il fallait qu'on détienne le - droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue ls -. Or, historiquement, l'élissement de ce principe de propriété privée a toujours été un processus long et très conflictuel, qui a impliqué une redéfinition des structures sociales et qu'une pléiade d'auteurs, d'Adam Smith A  Karl Marx, et jusqu'A  Douglas North, ont placé au cœur de la dynamique capitaliste apparue entre le xvi et le xix siècle.
En Angleterre, la destruction des communs a précipité un exode rural massif et une pauvreté de masse, et en France, deux siècles plus tard, il a fallu la Révolution de 1789 (et l'inflation des assignats) pour briser les droits d'usage féodaux et élir la - propriété absolue - l9. En Europe de l'Est, de manière able, la résolution du problème des communs a été l'enjeu central de l'économie politique des années quatre-vingt-dix, A  la fois par son aspect distributif - A  qui attribuer les actifs publics ? - et par son aspect plus proprement institutionnel : comment faire pour que ce partage du bien public s'inscri dans des règles du jeu qui normalisent l'usage et l'échange de ces droits ? Ici prend forme le lien entre l'institution de la propriété et la discipline des contrats et des paiements, c'est-A -dire le marché. Il est réglé en particulier par une norme supérieure, applicable individuellement - la solvabilité -, qui caractérise en propre le capitalisme : elle définit les conditions dans lesquelles l'agent individuel, A  la fois sourain et calculateur, participe A  l'échange et engage les droits de propriété qu'il détient dans une règle du jeu instituée.
La solvabilité implique en particulier le principe d'une sanction collecti de l'entreprise individuelle, exercée par une institution A  caractère public : l'agent dont les dettes sont supérieures aux capitaux propres et qui ne peut pas servir ses engagements est non seulement sorti du marché mais il est aussi légalement exproprié, c'est-A -dire mis en faillite. En un mot, la propriété, ce n'est pas le vol, mais l'expropriation légale. Ne pas payer ses dettes, c'est reporter ses obligations financières sur des tiers et c'est aussi échapper A  la liquidation, c'est-A -dire A  l'exclusion du marché, en dépit de l'échec de l'entreprise. On n'est plus dans le cadre de la propriété mais on lui a substitué le contrôle des biens, dans une définition physique : le problème des communs a peut-AStre été résolu, parce que le bien public a été partagé, mais on n'a pas institué la propriété capitaliste ni la discipline des contrats ; du coup, la coordination de marché fonctionne mal, le système de paiement se fractionne entre instruments non monétaires et la trajectoire de l'économie est non soutenable. C'est en quoi la transition russe offre une démonstration par l'absurde de la relation directe qui relie, dans une économie capitaliste, les droits de propriété et la discipline des paiements, c'est-A -dire l'institution monétaire.
L'- autorité monétaire - qui selon Ostroy et Starr (1990) doit suriller les agents, afin d'assurer la silité des paiements, puis sanctionner leur éntuelle défaillance - le dépassement de la contrainte budgétaire - repose donc in fine sur une norme de solvabilité qui est en soi problématique. On n'est plus alors dans le registre d'une banque centrale mais dans celui des institutions de la propriété. Dans une économie fondée sur le crédit, elles conditionnent le monopole sur la fonction d'unité de paiement, simplement parce que si des agents insolvables et illiquides continuent de commercer, ils régleront nécessairement leurs transactions par des moyens non monétaires.

La propriété privée et la possibilité du calcul économique . von Mises avait raison
La relation entre la propriété, la solvabilité et l'ordre monétaire est également forte dans le cas de la fonction d'unité de compte : elle est déjA  apparue au cœur de la décoordination monétaire en Indonésie, dans un bref rapprochement ac les expériences d'hyperinflation. Elle est plus généralement au cœur de tout ordre monétaire du fait de l'enjeu de la mesure des biens et des actifs, qu'elle actualise A  trars l'échange décentralisé : celui-ci produit alors l'information quantifiée sans laquelle le calcul économique sur lequel les agents fondent leurs décisions serait impossible. Elle manifeste ainsi sa dépendance enrs une règle d'échange, c'est-A -dire un ordre collectif institué.
C'est ainsi que la crise de liquidité classique rend difficile voire impossible toute différenciation entre l'illiquidité et l'insolvabilité, c'est-A -dire par excellence l'information sur laquelle repose l'instissement privé mais aussi, par des voies propres, l'interntion réussie en dernier ressort. Ce déclin de l'information produite par le marché alimente alors le moument pur de contagion, qui témoigne d'une indiscernabilité des risques d'instissement : que l'on considère une entreprise, une banque ou un pays, l'impossibilité d'apprécier le risque devient une des forces principales derrière la panique mimétique des instisseurs. La chute de la - calculabilité économique - alimente la décoordination des agents, la rupture du marché et parfois le rejet A  grande échelle des obligations financières inscrites dans les bilans.
Dans le cadre de la transition russe, une mASme relation apparait entre d'une part les dérèglements de la propriété et de la monnaie, et de l'autre une crise de l'information et singulièrement de la quantification économique. En effet, si l'entreprise peut impunément ne pas payer ses salariés, ses fournisseurs, ses crédits et ses impôts au moment dit et pour le montant prévu, c'est que son passif n'a pas de pouvoir contraignant sur l'allocation de ses ressources liquides et donc sur ses décisions de dépense et d'instissement. El de mASme, parce qu'elle sera l'objet A  son tour de telles pratiques, la gestion de son actif visera avant tout A  échapper A  la spoliation, c'est-A -dire A  éviter tout instissement qui pourrait AStre capté par un tiers, ou dont le flux de renu dérivé pourrait AStre détourné. Conséquence, la structure comple de l'entreprise se vide de son information tangible : A  la limite, seuls un compte de caisse et un inntaire des stocks réels sont possibles (Sgard, 1997). Cela explique aussi la disparition de la liquidité monétaire : tant qu'on peut lui substituer des moyens de paiement alternatifs, autant conserr cet actif liquide, anonyme et fongible ; évidemment, il n'offre pas de rémunération, mais, de fait, on est bien dans un monde où les considérations de rendement du capital et de solvabilité sont secondaires, face A  la fragilité de tout échange.
Comment mesurer le chiffre d'affaires, si le produit des ntes est gelé dans des stocks de biens disparates, A  la valeur liquidati douteuse, ou bien dans des titres de dettes de qualité imprécise ? Comment er la renilité de deux lignes de production, si l'une correspond A  une demande forte mais non monétaire, et l'autre A  une demande plus faible, mais moné-tisée ? Quelles décisions d'instissement prendre sur cette base et comment assurer une réallocation interne du capital, par l'acquisition de nouaux équipements, si le cash flow nominal n'est pas en cash ? En un mot, le calcul et la décision microéconomiques deviennent sinon impossibles, en tout cas très peu efficaces.
L'échec A  élir une discipline de paiement implique l'impossibilité ou la grande difficulté A  instaurer dans les faits l'équivalence entre d'une part la mesure des flux et des stocks, c'est-A -dire leur enregistrement comple, et de l'autre les mouments effectifs de biens et de liquidité monétaire. La structure comple de la firme ne représente plus l'agrégation de ses multiples opérations, au moyen d'un principe de valorisation monétaire qui permette une appréciation globale de ses performances et de sa situation financière. Le déclin de la calcu-labilité des décisions économiques individuelles ne relè pas ainsi d'un problème classique d'asymétrie d'information : les insiders comme les instisseurs externes sont atteints par le déclin de l'information, parce qu'on n'est pas tant confronté A  une défaillance des marchés financiers qu'A  un problème monétaire.
Les marchés réels, comme mécanismes de coordination, sont eux aussi atteints. Quand près de la moitié des échanges interentreprises se réalisent en nature, ils ne donnent plus lieu en effet A  un marché unifié, sur lequel se forme un prix représentatif de la rareté relati des biens. L'offre et la demande se rencontrent localement, au cas par cas, en fonction de la négociation et du rapport de force, dans un contexte où il sera très difficile aux agents de réaliser un arbitrage concurrentiel un tant soit peu informé. L'information décline parce que les quantités ne peunt plus AStre agrégées, c'est-A -dire mesurées par un équivalent général, et ensuite confrontées de manière A  produire un prix représentatif de l'espace entier des échanges : si l'intégrité du système de paiement est atteinte, il n'y a pas d'échelle de prix cohérente (Cartclier, 1998). Seules la monétisation des marchés et l'unité des paiements permettent de sommer l'offre et la demande, sous une contrainte de solvabilité qui normalise la participation individuelle A  l'échange et assure ainsi une coordination viable des agents.
Alors que sur le des échanges le clearing de l'offre et de la demande devient aléatoire en ex aine et ne produit plus en ex post une structure de prix représentati des raretés relatis, au interne A  la hiérarchie les flux d'actifs et de passifs ne correspondent pas A  l'enregistrement comple, qui devrait résumer l'ensemble des ressources et des obligations auxquelles la firme applique son calcul.
La rationalité formelle de l'agent économique n'est certes pas détruite en tant que telle par le déclin de l'unité de compte, mais elle perd presque toute son efficacité pratique, parce qu'elle ne repose plus sur l'information hautement abstraite résumée dans une structure des prix relatifs et une compilité agrégée. Si le support de cette mesure économique est défaillant, l'agrégation des comportements, y compris d'un point de vue anticipatif, n'aura guère de points communs ac celle qu'analysent le plus sount les économistes, puisque A  la fois les agents et la coordination de marché sont atteints. Toutes choses égales par ailleurs, la situation est able dans cette crise systémique lente, ou dans cet au-delA  du choc systémique, A  celle observée A  l'issue de la crise de paiement en Indonésie : l'impossibilité d'apprécier la solvabilité et la liquidité des contractants, puis de former des prix relatifs A  partir de l'unité de compte nationale, a entrainé in fine le blocage complet des marchés de biens et de la division du travail. Ici aussi on a observé une libération de l'opportunisme des agents, hors de toute coordination viable A  moyen terme, dans laquelle prendrait forme un horizon temporel suffisamment profond pour permettre un calcul économique anticipatif raisonnablement conrgent.
On retrou ainsi les conclusions auxquelles était parnu par des voies différentes Ludwig von Mises en 1920 lorsqu'il affirmait, face A  Oscar Lange, qu'un système de prix rationnels et cohérent, permettant un calcul économique efficace, suppose la propriété privée20. Plus généralement, la propriété et la norme de solvabilité apparaissent comme des conditions A  la silité de l'unité de compte et de l'unité de paiements, et elles leur sont donc logiquement antérieures. Cela suggère que si l'économie monétaire - lorsqu'elle est pleinement déloppée (), se comporte comme si son action avait créé un ordre social auquel on aurait visé - (Max Weber), elle ne peut pas pour autant AStre posée comme cette forme de - totalisation sociale -, extérieure aux agents, dans laquelle Aglietta et Orléan (1982) voient l'ultima ratio d'une économie de marché, voire de tout ordre social. Ses lois prennent place dans une interaction ac d'autres institutions et ac les comportements des agents. Il n'y a donc pas d'essence ou de fondement ultime du marché ou du capitalisme, mais une constitution qui s'inscrit entièrement dans des déterminations historiques.





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