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ECONOMIE

L’économie, ou l’activité économique (du grec ancien οἰκονομία / oikonomía : « administration d'un foyer », créé à partir de οἶκος / oîkos : « maison », dans le sens de patrimoine et νόμος / nómos : « loi, coutume ») est l'activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. L'économie au sens moderne du terme commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam Smith un important corpus analytique qui est généralement scindé en deux grandes branches : la microéconomie ou étude des comportements individuels et la macroéconomie qui émerge dans l'entre-deux-guerres. De nos jours l'économie applique ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines (puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains domaines : international, finance, développement des pays, environnement, marché du travail, culture, agriculture, etc.


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Méthodologie et économie



Méthodologie et économie
La méthodologie, comme la sexualité, est mieux pratiquée que discutée, bien qu'elle soit souvent mieux anticipée qu'expérimentée.




E. Leamer.


La méthodologie générale a accumulé au cours du siècle un capital intellectuel considérable, donc l'exploitation en économie reste des plus modestes et porte d'abord sur les travaux anglo-saxons les plus récents, jugés les mieux adaptés A  la discipline. La - méthodologie descendante - est classiquement illustrée par les apports possibles de l'empirisme logique et de la -bande des quatre- (Popper, Kuhn, Lakatos, Feyarabend), dont les thèmes dominants et les critiques sont rappelés A  grands traits. Au regard de leurs assertions, normatives ou positives, dures ou molles, mais toujours très globales, le travail concret des économistes ne manque pas de susciter l'intérASt et l'admiration des uns, la surprise et l'effroi des autres. Apparaissent plus concrètement certaines particularités méthodologiques du champ économique, comme l'existence d'un paradigme dominant, qui cherche A  absorber toute déance, ou certaines caractéristiques largement partagées avec d'autres disciplines, comme le raisonnement en termes de modèles.


De Hume A  Duhem.


Conception méthodologique dominante au xixe siècle, la méthode de l'induction consiste A  découvrir, A  partir d'énoncés spécifiques validés dans des contextes locaux, un énoncé plus général défini dans un contexte plus global et admettant les précédents comme cas particuliers. L'induction peut étendre le champ d'une proposition, temporel (- comme le soleil s'est levé chaque jour, il se lèvera demain -) ou qualitatif (- si chaque corbeau déjA  observé est noir, tous les corbeaux sont noirs -), ou généraliser la spécification d'un modèle, A  un niveau théorique plus ou moins élevé (la loi de Newton synthétise la loi de la chute des corps et la loi du mouvement des ètes). Le philosophe D. Hume affirme cependant clairement que le mécanisme de l'induction ne peut AStre justifié par aucun raisonnement logique, mASme s'il s'avère néanmoins utile heuristiquement par son efficacité en matière de présion ou d'action. Il remarque aussi que des faits observables, en nombre fini, sont compatibles en principe avec une infinité de théories partiellement contradictoires, mASme si les théories possibles sont en pratique en nombre plus restreint.
Par ailleurs, le physicien P. Duhem (1906), sui plus tard par Quine, observe que toute proposition empiriquement tesle résulte d'une série d'hypothèses, situées A  des niveaux théoriques variables et qui ne sont pas tesles séparément. La thèse faible de Duhem affirme alors qu'un résultat négatif ne peut AStre attribué A  aucune hypothèse particulière et qu'il n'existe donc pas d'expérience cruciale permettant de tester l'une d'entre elles que l'on veut prilégier. La thèse forte de Duhem affirme plus avant que toute hypothèse d'un niveau théorique suffisamment élevé peut toujours AStre préservée, en reportant l'échec d'une de ses conséquences tesles sur une hypothèse auxiliaire de niveau inférieur. Pour trancher entre hypothèses théoriques alternatives, il faut ainsi, selon le courant conventionna-liste, ajouter au critère de validité empirique des critères supplémentaires, comme la simplicité ou la généralité (Poincaré, Mach).
Le problème de l'induction aborde d'un point de vue purement logique la validation d'une proposition, avec l'idée qu'une proposition universelle (- tous les corbeaux sont noirs -) ne peut AStre prouvée vraie, alors qu'une proposition existentielle (-il existe un corbeau rouge -) ne peut AStre prouvée fausse. En fait, outre qu'une hypothèse n'a pas intrinsèquement un caractère universel, il est toujours possible de montrer sa vérité si le nombre d'occurrences est fini et connu, ce qui exclut, cependant, les hypothèses temporelles s'étendant au futur. Le problème de Duhem soulève la question de la validation simultanée d'un ensemble de propositions, avec l'idée, cette fois incontournable, qu'une conséquence fausse résulte d'une prémisse fausse au moins (alors qu'une conséquence vraie peut résulter d'une prémisse fausse). Il conduit A  définir une - hypothèse ad hoc - comme une hypothèse qui ne rend compte que d'une seule conséquence tesle (- la tempASte est ue A  la colère de Poséidon -), sans AStre tesle indépendamment et sans AStre homogène théoriquement aux autres hypothèses.
En économie, l'induction est, de fait, pratiquée aussi bien au niveau économétrique, pour dégager des régularités des observations A  fin de présion (voir III, 3), qu'A  un niveau plus théorique, pour dégager des théories générales de lois particulières A  fin d'explication. En sens inverse, tout énoncé tesle résulte d'un nombre impressionnant d'hypothèses difficilement énumérables, toute présion concrète étant conditionnelle A  de nombreux facteurs exogènes, ou toute proposition empirique s'appuyant sur une série de prémisses théoriques A  différents niveaux. Certaines hypothèses théoriques suffisamment profondes peuvent alors AStre posées comme de vériles postulats, ainsi du principe de rationalité de l'indidu, dont la spécification trop générale peut toujours s'adapter aux observations (voir II, 2). Des hypothèses auxiliaires apparaissent en revanche comme ad hoc, qu'il s'agisse de rendre compte d'une évolution atypique par des événements singuliers (un déficit de croissance de l'économie par l'- effet 1968 -) ou d'expliquer un phénomène spécifique par des mécanismes non standard (une décision déante d'un agent par une évolution de ses préférences).

L'empirisme logique.

L'empirisme logique, issu du cercle de Vienne (Schlick, Carnap. Feigl, Hempel, Nagel), a tout d'abord mis l'accent sur le rôle essentiel du formalisme dans l'élaboration de théories cohérentes. Il oppose, d'une part - termes théoriques - (sans contrepartie observable directe) et - termes opératoires - ou - termes observationnels - (définis par une opération d'observation ou de mesure), d'autre part - propositions analytiques - (exprimant des tautologies formelles) et - propositions synthétiques - (reflétant des propriétés empiriques). Le - modèle hypothético-déductif - permet alors, non seulement d'élir des équivalences logiquement valides entre hypothèses et conclusions, mais de raccorder des énoncés de niveaux théoriques différents. Les - modèles de couvertures -, en particulier le - modèle déductif-nomologique - (Hempel-Oppenheim, 1948), schématisent ainsi le processus d'explication par une correspondance entre un - exans -, formé d'une proposition générale et de - conditions initiales - (ou hypothèses auxiliaires) particulières, et un - exandum -, formé d'une proposition spécifique.
L'empirisme logique insiste ensuite sur la nécessité de confronter A  l'expérience les conséquences empiriques d'une théorie (par l'intermédiaire de règles de correspondance liant les symboles du calcul A  ceux du - langage observationnel -) et rejette comme sans signification les propositions métaphysiques ou éthiques qui ne satisfont pas A  cette exigence. Il considère que l'explication et la présion obéissent A  des schémas structurellement symétriques (l'explication est une postdiction, pour des conditions initiales adaptées), si bien que toute théorie doit AStre jugée en ant ses présions aux réalisations. Acceptant implicitement le principe de l'induction, il met l'accent sur la - confirmation - des propositions théoriques, qui dépend de la rigueur et de la diversité des tests empiriques effectués, mais surtout du nombre de résultats positifs obtenus A  ces tests. Celle-ci peut mASme se traduire quantitativement par un - degré de confirmation - et conduit A  une sion cumulative de l'évolution scientifique où apparaissent progressivement des propositions théoriques A  la fois de plus en plus générales et de mieux en mieux confirmées.
Les critiques de l'école de Vienne remarquent que l'opposition entre concepts théoriques et opératoires est moins tranchée qu'il n'y parait, qu'ils entretiennent des relations floues et multivoques, et que, en tout état de cause, toute observation est teintée de théorie. Les modèles de couverture, s'ils peuvent laisser échapper des explications usuellement jugées valides (appel A  des - mécanismes cachés -), autorisent, en revanche, des raisonnements communément considérés comme invalides (recours A  des - métaphores -). La relation entre explication et présion présente une forte asymétrie, qui se traduit par l'existence de présions sans explications (régularités stochastiques ou mASme déterministes sles) et d'explications sans présions (théories évolutionnistes A  forte composante aléatoire). Enfin, la validation d'une hypothèse par confirmation conduit aux paradoxes énoncés par Hempel (- tous les corbeaux sont noirs - est confirmé par une chaussure rouge) ou Goodman (l'existence d'une émeraude - vreue -, verte avant l'an 2000 et bleue après, est confirmée par toute émeraude connue).
De l'empirisme logique, les économistes ont indéniablement acquis un goût du formalisme comme outil de représentation comme de démonstration, en rupture avec l'économie littéraire classique, accusée d'imprécisions et de contradictions. Dans le passage d'un cadre théorique général A  des propositions empiriques spécifiques, ils ont appris A  détailler et A  hiérarchiser les nombreuses hypothèses impliquées, ainsi qu'A  préciser les conditions nécessaires et/ou suffisantes, associées A  certaines conclusions. Ils ont également retenu une préoccupation de confrontation avec les observations qualitatives ou les données statistiques, en rupture cette fois avec une économie spéculative qui s'appuie sur des hypothèses jugées raisonnables par introspection ou par expérience directe. Mais ils se limitent le plus souvent A  la construction de propositions tesles idéalement et indirectement, et se contentent d'une confirmation grossière de ces propositions, A  travers des exemples symboliques ou de vagues tests économétriques.




La pensée de Popper.


L'obsession de K. Popper (1935, 1963, 1978) est de substituer A  une conception subjectiste de la connaissance, telle qu'elle s'exprime dans le sens commun, une conception objectiste d'une connaissance essentiellement conjecturale et prosoire (- rationalisme critique -). Pour lui, la démarcation entre les sciences dures et les sciences plus molles ou les idéologies, tout comme la aison de théories concurrentes, ne peut passer que par la définition de règles méthodologiques normatives suffisamment contraignantes. Celles-ci. toujours fondées sur une sion logiciste, doivent A  la fois tenir compte de l'invalidité radicale de l'induction et pouvoir faire échec aux - stratégies immunisatrices -, qui sauvent toute théorie (hypothèses ad hoc, glissements de définition, contestations des expériences). Aussi, mettant en cause le principe de confirmation, trop laxiste et non logiquement conclusif, il lui oppose un principe unique, le principe de réfutation, au travers duquel la charge de la preuve incombe aux adversaires d'une théorie.
D'après Popper, une théorie doit d'abord AStre jugée A  son - contenu empirique -, A  savoir l'extension des propositions réfules que l'on peut en déduire (une proposition réfule est une proposition qu'une expérience permet d'infirmer). Elle est ensuite jugée A  sa corroboration empirique, qui implique que les propositions réfules n'ont pas été réfutées dans les tests auxquels elles ont été soumises (une proposition réfutée est une proposition qu'une expérience a réussi A  infirmer). Il affirme que ces deux critères sont globalement suffisants en ce que nombre d'autres (simplicité, généralité) peuvent s'y ramener ; et mASme qu'ils peuvent recevoir une expression quantitative sous la forme d'un - degré de corroboration - (vérisimilitude). Il incite, en conséquence, les scientifiques A  multiplier les hypothèses concurrentes et A  réduire les hypothèses complémentaires, l'évolution des sciences étant perA§ue comme une succession régulière de conjectures et de réfutations, conduisant néanmoins A  un savoir progressivement accru.
La pensée de Popper a d'abord été critiquée en ce que le contenu empirique d'une théorie demeure toujours ambigu, du fait de l'impossibilité A  décrire exhaustivement l'ensemble de ses conséquences et A  se prononcer clairement sur leur caractère tesle. La réfuilité suppose par ailleurs que les propositions tesles puissent elles-mASmes AStres validées par consensus, avec une indépendance suffisante par rapport A  la théorie, ce qui a été fermement contesté : - les seules observations qui sont pertinentes pour tester une théorie sont celles qui sont cohérentes avec elle, ce qui rend tout test circulaire - (Suppe, 1974). Autre critique, la réfuilité ne s'applique aux propositions stochastiques (voir III, 3) qu'avec un critère plus précisément spécifié (seuil de rejet dans un test statistique) ; quant A  la notion de - degré de corroboration -, elle ne peut logiquement recevoir une définition acceple. Enfin, si la réfutation incite A  rejeter une proposition sur un seul test négatif, elle s'avère exagérément sévère et condamne la quasi-intégralité des propositions exprimées sous une forme fonctionnelle et déterministe (avec le problème d'un critère de choix entre théories concurrentes toutes réfutées).
Vu sous un angle normatif, le - réfutationnisme - de Popper est prôné par certains économistes qui y voient un guide indispensable pour confronter la théorie aux faits et déjouer les stratagèmes immu-nisateurs, particulièrement subtils dans leur discipline. Il est contesté par d'autres qui le considèrent comme inapplicable, soit parce que la plupart des propositions économiques sont de nature aléatoire et donc non réfules. soit parce qu'elles sont, au contraire, déterministes et résistent encore moins bien qu'ailleurs A  des tests sévères. En revanche, vu sous un angle positif, un consensus existe pour penser que les économistes ne pratiquent qu'un - réfutationnisme inoffensif- (Cod-dington. 1976), en limitant les risques pris dans les tests et en minimisant les résultats négatifs. Blaug (1980) va jusqu'A  dire que les économistes répugnent -A  produire des théories qui conduisent A  des conclusions réfules sans ambiguïté - et témoignent d'- une mauvaise volonté générale pour confronter leurs conclusions A  la réalité -.

L'apport de Kuhn.

Si l'ambition de Popper est de proposer des règles prescriptives universelles définissant une science, T. Kuhn (1970, 1976). physicien d'origine, a pour but de fournir une description positive et historique de la science concrète, souvent peu consciente de ses modes d'élaboration. Il considère qu'il existe des périodes plus ou moins longues où fonctionne une - science normale -, processus cumulatif et entretenu de résolution de problèmes (puzzle-solng actity), choisis moins pour leur intérASt social que pour leur facilité de traitement. Ce processus se déroule dans un cadre conceptuel cohérent, un - paradigme - ou - matrice disciplinaire -, qui propose aussi bien des concepts et des modèles globaux, des thèmes et des lieux de recherche, des outils d'analyse ou d'expérimentation, des normes et des valeurs scientifiques. Ce paradigme est partagé par toute une communauté, un - collège insible - qui fixe ses propres règles de fonctionnement et de jugement, procède A  la sélection et A  l'apprentissage de ses membres, et sécrète des mécanismes de défense face A  son enronnement.
Cependant, A  la longue, le paradigme dominant s'épuise, et l'on voit se développer d'amples discussions méthodologiques, proliférer des théories concurrentes, s'accumuler des anomalies factuelles et surgir des énigmes face auxquelles il est impuissant. S'il existe une alternative able, se produit alors une - révolution scientifique -. caractérisée par l'émergence d'un nouveau paradigme {gestalt-switch) qui, incommensurable avec l'ancien, le supte et se répand comme une épidémie. Ce paradigme rend compte de la plupart des questions anciennes, mais autorise la résolution de nouveaux problèmes, fournit de nouvelles méthodes, prédit de nouveaux résultats et, surtout, répond aux anomalies manifestes précédemment recensées. Il provoque une vérile conversion de certains chercheurs, qui y adhèrent par un acte de foi sans en avoir vraiment expérimenté ses possibilités, et qui entrainent A  leur suite l'essentiel de la communauté scientifique par leur seule autorité.
Le système kuhnien a d'abord été contesté quant au flou du concept de paradigme, dont Masterman (1970) a relevé ngt et un sens distincts, de nature conceptuelle (sion du monde), méthodologique (techniques et pratiques) ou sociologique (croyances et idéaux). Quant aux deux phases qu'il distingue, elles ne sauraient AStre aussi nettement tranchées, car la science normale connait elle-mASme des ruptures plus ou moins prononcées, et les révolutions scientifiques sont souvent continues et permanentes. Quant aux paradigmes en concurrence, ils se recouvrent en partie conceptuellement, sous peine d'assister A  une superposition aléatoire de théories, et coexistent un certain moment historiquement, avant que l'un ne soit abandonné ou absorbé par l'autre. Finalement, le schéma proposé se prASte volontiers A  une reconstruction subjective du passé (toute révolution est racontée par son vainqueur) et risque mASme de serr de justification A  toutes les pratiques observables, si elle ne comporte aucun élément affiché de normatité.
En économie, la notion de paradigme est trop souvent utilisée, par un pur effet de mode, pour rebaptiser les traditionnelles écoles de pensée, sans s'interroger plus avant sur leurs lignes de clivage autres que théoriques ; ainsi, Lévy-Garboua et Weymuller (1985) traitent de l'- évolution des paradigmes - en examinant successivement les apports de Quesnay, Smith, Ricardo, Walras et Keynes. Mais, mASme dans ce sens, les paradigmes ne se limitent pas aux grandes théories, réconométrie connaissant par exemple une opposition entre écoles classique et bayésienne. La notion de révolution scientifique a, elle aussi, été récupérée pour simplement rendre compte de l'émergence d'une théorie nouvelle, sans vérilement approfondir la nature, la rapidité et la profondeur des remises en question qu'elle implique. Certaines révolutions sont d'ailleurs autoproclamées par leurs auteurs, qu'il s'agisse de Lucas-Sargent (1978) pour la - révolution économétrique-, ou de Keynes (1935) lorsqu'il déclare: -je suis en train d'écrire un livre qui va révolutionner en grande partie la manière dont on pense les problèmes économiques -.




La synthèse de Lakatos.


Tout naturellement, I. Lakatos (1970, 1978) s'efforce de concilier l'approche prescriptive et mASme agressive de Popper et l'approche descriptive et de fait défensive de Kuhn, A  travers une méthode de - reconstruction rationnelle -. Son concept central est celui de - programme de recherches -, grappe de théories interdépendantes validées conjointement et traitées dynamiquement par un conglomérat de chercheurs en accord sur les problèmes A  résoudre. Il est composé d'un - noyau dur -, contenant A  la fois des présupposés métaphysiques plus ou moins conscients et des propositions explicites logiquement irréfules ou soustraites A  la confrontation empirique, et d'une - ceinture protectrice - d'hypothèses auxiliaires, propositions tesles servant de tampon face A  l'extérieur. Une - heuristique négative - définit les axes de recherche impropres et protège le noyau dur en faisant porter la critique sur la seule ceinture ; une - heuristique positive - propose des axes de recherche légitimes et permet de développer le noyau ou d'adapter la ceinture aux objections logiques et expérimentales.
Pour juger et er les programmes de recherche, Lakatos adapte les normes poppériennes en un - réfutationnisme sophistiqué -, qui allie un principe de réfutation et un principe de ténacité face aux observations empiriques. Il reconnait que toute théorie ne peut AStre validée que globalement, que seules certaines expériences sont jugées significatives, qu'une expérience unique est souvent insuffisante pour l'infirmer, et qu'une théorie ne disparait que s'il existe une alternative. D'un point de vue dynamique, un programme de recherches est dit théoriquement progressif si son contenu empirique testé croit, et régressif (ou dégénérescent) s'il décroit : il est dit empiriquement progressif si son degré de corroboration croit et régressif s'il décroit. Mais la scientificité d'un programme peut varier au cours du temps, un programme progressif devenir régressif (astrologie ?) ou inversement (parapsychologie ?) ; des programmes rivaux peuvent enfin se chevaucher du fait d'une tolérance A  l'égard des programmes naissants et d'une indulgence envers ceux qui sont en déclin.
Une limite du travail de Lakatos est l'absence de critères ou de procédures permettant d'identifier noyau dur et ceinture protectrice, d'autant qu'il affirme que des propositions peuvent émigrer de l'un A  l'autre au cours du temps. Sous l'angle normatif, la aison des programmes selon les critères poppériens n'est au mieux que partielle (l'un peut avoir un contenu empirique plus vaste, mais moins corroboré que l'autre) et se révèle délicate s'ils présentent une incommensurabilité forte. Sous l'angle positif, on constate que chaque programme fournit souvent ses propres critères de validation, ce qui conduit A  des jugements contradictoires sur leur validité et leur évolution selon la source qui les émet. Par ailleurs, de faA§on autoréféren-tielle, Blaug (1980) considère l'édifice de Lakatos lui-mASme comme une théorie méta-historique, analysable comme un programme de recherches, et identifie son noyau dur (- les savants sont rationnels et sélectionnent les idées selon des canons scientifiques -). sa ceinture protectrice et ses heuristiques.
En économie, on retrouve, proposées comme programmes de recherche, les théories déjA  citées A  titre de paradigmes ou A  propos des révolutions scientifiques, avec cependant un effort plus marqué pour disséquer leurs caractéristiques internes et cerner les influences socio-politiques qu'elles subissent (Cross, 1982). Sont également candidats au label des apports théoriques plus restreints, comme le modèle rationnel de décision (Latsis, 1976), la théorie du capital humain (Blaug, 1980), le principe des avantages atifs (de Marchi, 1976) et, plus récemment, la théorie économique de l'information. Les concepts de Lakatos sont parfois transposés A  des -programmes d'actions politiques -, qui incluent A  la fois des représentations théoriques et des éléments de doctrine concernant les interventions et les institutions économiques (Majone. 1980). On peut mASme penser A  les utiliser pour des programmes de recherches plus appliqués, la construction après-guerre par Tinbergen de petits modèles de politique économique pour la ification hollandaise, ou la mise en place, dans les années cinquante, autour de Gruson, de la Compilité Nationale FranA§aise.

La position de Feyarabend.

Physicien et homme de théatre, P. Feyarabend (1975) prASche pour une - méthodologie anarchiste - qui, si elle mélange attitude positive et normative comme celle de Lakatos, s'avère beaucoup plus radicale et s'élève au niveau du débat intellectuel général. Sur le positif, il rappelle que toute observation est teintée de théorie et toute théorie difficilement able A  une autre, et insiste sur le rôle heuristique des hypothèses ad hoc, des hypothèses hérétiques et mASme des hypothèses opposées aux faits. Il nie l'existence d'un critère universel de validation scientifique, car les normes proposées ont toujours été adaptées aux théories et A  leur contexte et ont toujours été olées A  un moment ou A  un autre de la recherche. Il souligne enfin l'absence de critère objectif de démarcation entre science et non-science : les mythes imprègnent profondément les hypothèses théoriques, les discours scientifiques et idéologiques ne diffèrent que par l'importance relative de la logique et de la persuasion.
Sur le normatif, il soutient que le progrès scientifique n'est possible que si les chercheurs ne sont pas encombrés de principes méthodologiques stérilisants, la seule maxime acceple en toutes circonstances étant : - tout peut faire l'affaire -. Il les encourage A  s'engager dans une compétition intellectuelle farouche, où s'affrontent des théories proliférantes, défendues chacune avec ténacité, mais avec pour seules armes des faits, des raisonnements et des arguments. Derrière le masque d'objectité et de rationalité dont se parent dangereusement les scientifiques, il demande que soit reconnue leur vérile identité d'- opportunistes sans scrupules -, qui n'hésitent pas A  faire feu de tout bois. Enfin, pour maitriser les enjeux idéologique et politique qui s'expriment inélement derrière les enjeux scientifiques, il plaide pour un strict principe de séparation de la Science et de l'état, A  l'image de la séparation de l'église et de l'état.
L'insistance de Feyarabend sur la dépendance des faits A  la théorie peut sembler exagérée, car, mASme s'il est vrai que certains phénomènes ne sont lisibles que dans un cadre théorique donné, nombre de données empiriques s'imposent en fait A  une large classe de théories. L'accent sur l'incommensurabilité des théories peut, lui aussi, paraitre excessif, car, mASme s'il est exact que les théories développent des concepts différents sous des dénominations parfois semblables, il faudrait de plus expliquer pourquoi elles se renouvellent si elles rendent compte indépendamment et imperturbablement des mASmes faits (Caldwell, 1982). Les critères de validation scientifiques ne sauraient non plus AStre tenus pour arbitraires, mASme s'ils sont nombreux, et ceux qui sont utilisés A  chaud pour promouvoir une théorie n'ont pas le mASme statut que ceux qui se révèlent importants A  long terme pour la consolider. Enfin, la mise sur un pied d'égalité de la science, du mythe et de l'idéologie est tout A  fait abusive, Feyarabend reconnaissant lui-mASme que la science reste fondée sur des expériences reproductibles et des accords intersubjectifs, et constitue le seul système conceptuel A  se remettre en question.
Aux économistes, Feyarabend apporte d'abord assez de scepticisme et d'ironie pour empAScher leurs discours d'AStre pris trop au sérieux, mASme si la désacralisation trop facile de leurs travaux ne doit pas conduire A  une critique systématique et stérile. Il incite en fait A  pratiquer, sinon un anarchisme méthodologique, du moins un pluralisme méthodologique, tant il est vrai qu'aucune norme ne saurait prétendre constituer une condition nécessaire ou suffisante pour obtenir une - bonne - théorie (Caldwell, 1982). 11 incite aussi A  examiner les règles et les méthodes que suivent les économistes dans leur travail quotidien, qu'il s'agisse de la - rhétorique - qu'ils imposent A  leurs discours ou du - bricolage - auquel ils soumettent leurs théorisations (McClos-key, 1986). Il interpelle enfin les économistes sur la dimension sociopolitique de leur discipline, non seulement par le travail collectif qu'elle implique ou l'impact social qu'elle peut avoir, mais par son terrain d'études mASme, préoccupation parfaitement endossée par les marxistes ou les radicaux américains.




Les paradigmes économiques.


La présentation usuelle du corpus théorique de l'économie y voit trois ou quatre paradigmes majeurs, qui ont émergé comme - macrorévolutions - A  des époques différentes, mais continuent A  évoluer et A  se côtoyer sans qu'aucun n'ait éncé les autres. La classification la plus courante distingue le néoclassicisme, le keynésianisme et le marxisme, le premier (symbolisé par Walras) étant pris ici dans un sens strict (comportement optimisateur des agents, équilibre de concurrence parfaite). Une typologie plus -politique- (Dadson, 1981) situe les courants actuels sur un axe gauche-droite, où se succèdent les radicaux et les socialistes, les néo-keynésiens, les keynésiens, la synthèse néoclassique, les monétaristes et les Autrichiens. Des taxo-nomies plus génétiques mettent l'accent sur les novations théoriques, qu'il s'agisse de la révolution marginaliste ou de la concurrence imparfaite, cambridgienne ou schumpetérienne (Blaug, 1980), ou encore de la révolution keynésienne et de la contre-révolution monétariste (Johnson, 1971).
Si certains auteurs vont jusqu'A  distinguer une dizaine de paradigmes (Hutchison, 1978), une attitude plus courante est plutôt de considérer des variantes des paradigmes majeurs, correspondant parfois A  autant de - microrévolutions - au sein de la grande (Hicks, 1976). On peut ainsi opposer le monétarisme de première génération, impulsé par Friedman, et celui de seconde génération, développé par Lucas, Sargent et Wallace, et hé aux anticipations rationnelles (Begg, 1982). On peut aussi différencier un keynésianisme fondamental, calé sur les grandes intuitions de Keynes sur l'incertitude, un keynésianisme hydraulique, exprimé en termes de relations macro-économiques de flux et de stock, et un keynésianisme réductionniste, symbolisé par la théorie micro-économique du déséquilibre des marchés (Coddington, 1976). Certains mouvements sont enfin au confluent de deux paradigmes majeurs, telle l'école de la régulation en France, liée au courant institutionnaliste américain, et qui se réclame A  la fois du keynésianisme et du marxisme.
En sens inverse, certains auteurs affirment qu'il existe un paradigme fondamental unique dont les paradigmes majeurs ne sont que des variations et que, en tout cas, l'économie n'a jamais connu de vérile révolution scientifique (Gordon, 1965). Pour Kolm (1986), -Marx, Walras et Keynes se révèlent avoir la mASme théorie de la valeur, la mASme théorie des marchés, la mASme théorie des prix, la mASme théorie des crises, la mASme théorie des salaires, la mASme théorie du profit et de l'intérASt, la mASme théorie de la firme, la mASme théorie de l'emploi et du chômage, la mASme théorie de l'accumulation et de l'investissement, la mASme théorie de la monnaie, et des théories identiques, quand elles sont explicitées, de la justice sociale, de l'évolution du taux de profit, des consommateurs, de l'économie internationale et de l'avenir A  long terme du capitalisme -. Si cette thèse conduit A  gommer ce qui constitue en fait plus que des nuances entre les grands auteurs, elle met cependant en édence l'existence d'un langage et mASme d'un référen-tiel global communs aux économistes.
Sans adhérer A  cette conception par trop œcuménique de l'économie théorique, il faut cependant reconnaitre qu'il existe une théorie orthodoxe dominante, la théorie néoclassique, et des théories minoritaires, qui s'avèrent plus ou moins hérétiques. Soumise A  leurs coups de boutoir, la théorie néoclassique, prise ici dans un sens suffisamment large (comportement rationnel au niveau indiduel, régulation institutionnalisée au niveau collectif), s'efforce de phagocyter les développements non standard en adaptant ses propres hypothèses. Elle le fait de manière caricaturale quand elle prétend réduire le marxisme A  la théorie de l'équilibre général, sous l'hypothèse restrictive d'un processus de production A  rendements constants et A  facteurs complémentaires. Elle le fait de manière plus rigoureuse dans la synthèse néoclassique, où le régime keynésien comme le régime walrasien apparaissent comme cas particuliers d'un modèle plus général, de facture tout A  fait classique.

Les modèles en économie.

Ce qui caractérise finalement les disciplines scientifiques au regard de toutes les méthodologies, c'est le raisonnement nécessaire au travers de modèles, la notion de modèle étant prise en un sens large de représentation explicite d'un champ empirique. Elle rejoint, d'une part la notion de - modèle - en logique en se présentant comme la - réalisation - d'une théorie formelle, d'autre part la notion de - maquette - en technologie en se présentant comme un succédané d'un objet réel. Pour Keynes (1938), -l'économie est une science caractérisée par la pensée en termes de modèles, jointe A  l'art de choisir des modèles intéressant le monde contemporain -, A  savoir des modèles intelligibles, utiles et transmissibles. Pour Malinvaud (1964), -le raisonnement sur modèle nous permet d'explorer les conséquences logiques des hypothèses retenues, de les confronter avec les résultats de l'expérience, d'arriver A  mieux connaitre la réalité et A  agir plus efficacement sur elle -.
Les modèles peuvent AStre caractérisés par trois dimensions essentielles (Walliser, 1977) qui se calquent sur la typologie linguistique d'abord proposée par Carnap et l'empirisme logique. La syntaxe examine les propriétés formelles des modèles, distingue entre modèles littéraires et formalisés, symboliques ou numériques, et met l'accent sur leur cohérence logique dans le passage des hypothèses postulées aux conséquences déduites. La sémantique s'intéresse aux qualités de réalisme des modèles, distingue entre modèles théoriques et empiriques, universels ou spécifiques, et insiste sur leur validité empirique dans la confrontation entre les présions et les observations. La pragmatique se focalise sur les modes d'utilisation des modèles, distingue entre modèles descriptifs et normatifs, présionnels ou décisionnels, et porte son attention sur leur efficacité opératoire en ant les performances réalisées aux rôles assignés.
Vu A  travers cette grille, le développement théorique peut AStre d'abord d'origine syntaxique, c'est-A -dire favorisé par l'apparition d'instruments mathématiques nouveaux comme le calcul différentiel, les théorèmes de point fixe, les techniques d'optimisation ou la théorie des bifurcations. Il peut AStre d'origine pragmatique et influencé par l'émergence de préoccupations économiques nouvelles comme la multiplication des échanges commerciaux, la formation d'une classe ouvrière, l'existence du sous-développement ou la persistance de la stagflation. Il peut avoir une origine sémantique conceptuelle et s'inspirer d'idées théoriques d'autres disciplines, qu'il s'agisse de l'importation de paradigmes de la mécanique, de la thermodynamique, de la biologie ou des sciences de l'information. Il peut enfin avoir une origine sémantique empirique, la pression des faits, sous forme d'événements singuliers ou de régularités observables, obligeant A  remettre en question les schémas théoriques en gueur.
Dans le mASme esprit, on peut affirmer que la divergence entre modèles des sciences naturelles et sociales s'accentue lorsque l'on passe de la syntaxe A  la pragmatique, et que les critères de scientificité associés aux premiers doivent AStre assouplis en conséquence pour les seconds. Si les modèles économiques ont actuellement un degré de cohérence proche de leurs homologues physiques, ils font apparaitre une relation plus complexe entre la théorie et l'empirie, et, surtout, leur utilisation normative pose des problèmes déontologiques particuliers. Cet état de fait ne doit pas inciter les sciences sociales A  s'aligner de faA§on rigide sur les canons des sciences exactes en hypertrophiant par exemple la volonté empiriste, comme tente de le faire l'opération-nalisme ou le behaorisme. Il devrait plutôt conduire A  développer une méthodologie adaptée aux sciences sociales, qui prenne en charge et respecte leurs nombreux caractères spécifiques, sans pour autant renoncer aux exigences générales de rigueur, de pertinence et d'objectité.





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