IPeut - écrits et documents
ManagementMarketingEconomieDroit
ss
Accueil # Contacter IPEUT




management général icon

MANAGEMENT

Le management ou la gestion est au premier chef : l'ensemble des techniques d'organisation des ressources mises en œuvre dans le cadre de l'administration d'une entité, dont l'art de diriger des hommes, afin d'obtenir une performance satisfaisante. Dans un souci d'optimisation, le périmètre de référence s'est constamment élargi. La problématique du management s'efforce - dans un souci d'optimisation et d'harmonisation- d'intègrer l'impact de dimensions nouvelles sur les prises de décision de gestion.


NAVIGATION RAPIDE : » Index » MANAGEMENT » management général

Un siècle de transformation sociale : émergence d'une société du savoir



AUCUN SIÈCLE, dans l'histoire de l'humanité, n'a connu de transformations sociales aussi nombreuses et aussi radicales que celui qui vient de s'achever. Je considère pour ma part que ces mutations en constitueront l'événement le plus marquant et l'héritage le plus durable. En cette dernière décennie, dans les pays développés où règne l'économie de marché - il n'y viit que le cinquième de la population du globe, mais ils servent de modèle au reste du monde - le trail et la main-d'œuvre, la société et les régimes politiques diffèrent qualitativement et quantitativement non seulement de ceux des premières années du 20e siècle, mais aussi de tout ce que l'histoire humaine a connu jusqu'ici ; ils en diffèrent par leur conuration, leurs processus, leurs problèmes et leurs structures.


Au cours des périodes antérieures, des transformations sociales plus lentes et de bien moindre envergure ont provoqué de violentes crises intellectuelles et spirituelles, des révoltes et des guerres civiles. Par contre, les transformations extrêmes de ce siècle n'ont causé que peu d'émoi. Elles se sont accomplies avec un minimum de frictions et de troubles; les universitaires, la presse et le public eux-mêmes ne leur ont d'ailleurs consacré que bien peu d'attention.
Le 20e siècle, qui a vu se succéder guerres mondiales et guerres civiles, tortures de masse, purifications ethniques et génocides, a certes été le plus cruel et le plus violent de l'histoire de l'humanité. Rétrospectivement, il semble évident que toutes ces tueries, toutes ces horreurs infligées à la race humaine par les Weltbeglùcker — individus qui prétendent élir le paradis sur terre en éliminant les non conformistes, les dissidents, ceux qui leur résistent, qu'ils soient bourgeois, Juifs, koulaks ou intellectuels — n'étaient justement que tueries et horreurs, elles n'aient pas de sens. Hitler, Staline et Mao, les trois mauis génies de notre temps, ont détruit ; mais ils n'ont rien crée.
En vérité, si ce siècle prouve quelque chose, c'est bel et bien la futilité de la politique. Les tenants les plus dogmatiques du déterminisme historique eux-mêmes auraient du mal à prouver que les transforma' tions sociales qui l'ont marqué sont le résultat des événements poli' tiques qui ont fait les gros titres ou à expliquer, à l'inverse, que les seconds ont été causés par les premières. Ces transformations sociales, semblables aux puissants courants qui traversent les océans en profondeur, bien en dessous de leur surface houleuse, ont en vérité un effet durable et même permanent. Ce sont elles, et non pas le tumulte apparent, qui ont transformé la société et l'économie, la collectivité et l'organisation de la cité.


Paysans et domestiques

Ant la Première Guerre mondiale, les paysans formaient, dans tous les pays du monde, le groupe humain le plus nombreux.
Il y a quatre-vingts ans, à la veille de cette guerre mondiale, il semblait évident que les pays développés — à la seule exception de l'Amérique du Nord - seraient de moins en moins capables de subvenir à leurs besoins alimentaires et devraient par conséquent avoir recours à des importations de produits agricoles en provenance de zones peu développées ou industrialisées.
Aujourd'hui, le Japon reste le seul gros importateur de produits agricoles parmi les grands pays industrialisés. Et il pourrait en être autrement - la faiblesse de sa production agricole résulte largement d'une politique de subvention de la culture du riz qui empêche le pays de développer une agriculture moderne et productive. Tous les autres pays développés du monde libre se trouvent aujourd'hui, malgré leurs populations urbaines en pleine croissance, à la tête de surplus alimentaires. La production agricole y représente plusieurs fois les volumes récoltés il y a quatre-vingts ans - aux États-Unis, elle a été multipliée par dix.
Pourtant, dans tous ces pays d'économie de marché - y compris le Japon — la population rurale ne constitue aujourd'hui que 5 %, au plus, de la population active totale, c'est-à-dire le dixième de la proportion atteinte il y a quatre-vingts ans.
Autour de 1900, le second groupe le plus nombreux, tant en leur absolue que par rapport à la population active, était, dans tous les pays développés, constitué par les domestiques. On les considérait alors comme faisant partie du paysage, au même titre que les fermiers. Le recensement britannique de 1910 définit la petite bourgeoisie comme l'ensemble des foyers en employant moins de trois. Si la population rurale ait décliné régulièrement, tout au long du 19e siècle, par rapport à l'ensemble de la population et par rapport à la population active, le nombre des employés de maison, lui, n'ait cessé d'augmenter régulièrement, tant en leur absolue qu'en pourcentage, jusqu'à la Première Guerre mondiale. Aujourd'hui, dans les pays développés, les domestiques « logés, nourris, blanchis » ont pratiquement disparu. Peu de personnes nées après la Seconde Guerre, c'est-à-dire de moins de cinquante ans, en ont vu ailleurs que dans les vieux films ou au théatre.
Les paysans et les domestiques composaient les groupes sociaux non seulement les plus nombreux, mais aussi les plus anciens. Ensemble ils formèrent, à travers les siècles, le socle de l'économie et de la société, le fondement de la civilisation.


Grandeur et décadence de la classe ouvrière »

L'une des raisons, sans doute la principale, du peu de troubles suscité par ces changements de société, c'est qu'en 1900 une nouvelle classe sociale, celle des ouvriers de l'industrie - le « prolétariat » de Karl Marx -, était désormais socialement dominante. Et elle hantait, et fascinait à la fois, la société contemporaine, qui en faisait une obsession psychologique.
Si la classe ouvrière est devenue la « question sociale » de 1900, c'est qu'elle constituait historiquement la seule classe inférieure à pouvoir s'organiser de façon durable.
Aucune classe n'a connu une ascension plus rapide que la classe ouvrière, ni un déclin plus spectaculaire.
En 1883, l'année de la mort de Marx, les « prolétaires » n'étaient encore qu'une minorité des ouvriers de l'industrie. La majorité d'entre eux traillaient dans de petits ateliers artisanaux, qui en employaient chacun vingt ou trente au plus.
Au début du 20e siècle, ouvrier était devenu synonyme d'opérateur de machine dans des usines qui employaient des centaines, voire des milliers de personnes. Ces hommes étaient bel et bien les prolétaires de Marx, dépourvus de prestige social, de pouvoir politique, économique et surtout de pouvoir d'achat.
En 1900 — et même en 1913 - les ouvriers ne bénéficiaient ni de retraite, ni de congés payés, ni d'assurance maladie - sauf en Allemagne - ni d'indemnisation en cas de chômage, ni de la moindre sécurité du trail, ni d'heures supplémentaires; s'ils traillaient le dimanche, ou de nuit, ils étaient payés au tarif normal. L'une des premières lois adoptées, en 1884, en Autriche, pour limiter la durée du trail, fixe la journée de trail à onze heures, six jours par semaine. En 1913, les ouvriers traillaient partout au minimum trois mille heures par an. Les syndicats ouvriers étaient encore officiellement proscrits, au mieux tolérés. Mais les ouvriers aient fait la preuve de leur capacité à s'organiser. Ils aient démontré leur aptitude à adopter un comportement de « classe ».
Au cours des années 1950 les ouvriers formaient le groupe le plus nombreux dans tous les pays développés, y compris les pays communistes; mais ils n'ont été réellement majoritaires qu'en temps de guerre. Entre temps, ils aient acquis une respecilité incontesle. Dans tous les pays développés du monde libre, ils faisaient désormais partie des « classes moyennes ». Ils bénéficiaient d'une grande sécurité de l'emploi, de retraites, de longs congés payés, d'une assurance-chômage généreuse ou de « l'emploi à vie ». Surtout, ils jouissaient désormais d'un pouvoir politique. Il n'y a pas qu'en Grande-Bretagne que les syndicats étaient considérés comme « le vérile gouvernement », détenant plus de pouvoir que le Premier ministre et le Parlement.

Néanmoins, en 1990, les ouvriers et leurs syndicats se trouient tous deux irrémédiablement sur le déclin. En nombre, ils ne représentaient plus qu'un groupe marginal. Les cols bleus, opérateurs ou manutentionnaires, aient représenté les deux cinquièmes de la population active américaine vers 1950 - au début des années 1990, ils n'en représentaient plus que moins du cinquième, proportion able à celle du début du 20e siècle, au seuil de leur ascension météorique. Dans les autres pays développés du monde libre, le déclin de la classe ouvrière ait d'abord été plus lent, mais à partir de 1980, il s'est accéléré partout. En l'an 2000 ou 2010, dans tous les pays industrialisés d'économie de marché, la main-d'œuvre industrielle non qualifiée ne constituera plus que le dixième ou au maximum le huitième de la population active. Le pouvoir syndical a reculé parallèlement. Alors que dans les années 1950 et 1960, le syndicat anglais des mineurs brisait les Premiers ministres comme du petit bois, Margaret Thatcher, dans les années 1980, a remporté élection sur élection en montrant ouvertement le peu de cas qu'elle faisait des syndicats et en s'attaquant à leur pouvoir politique et à leurs privilèges. Les cols bleus et leurs syndicats suivent la voie tracée par les paysans.
La place qu'ils ont occupée est déjà prise par les « techniciens », qui traillent à la fois de leurs mains et en utilisant leur savoir théorique. J'en prendrai pour exemple les techniciens informatiques ou ceux qui sont spécialisés dans les métiers paramédicaux, comme les techniciens auxiliaires, les kinésithérapeutes, les techniciens de laboratoire, etc. ; ce groupe enregistre depuis 1980 la croissance la plus rapide de toute la population active américaine.
Au lieu de former une « classe », c'est-à-dire un ensemble cohérent, identifiable, défini, conscient de son appartenance, les cols bleus ne seront peut-être bientôt plus qu'un « groupe de pression » parmi d'autres.
Contrairement aux prédictions des marxistes et des syndicalistes, la montée de la classe ouvrière n'a pas désilisé la société. Au contraire, elle apparait comme l'événement social le plus silisateur du siècle. C'est en effet grace à elle que la diminution considérable de la population rurale et la disparition pure et simple des domestiques ne se sont pas accomnées de crises sociales.
Pour un paysan ou un domestique, le trail en usine constituait une chance. De fait, c'était historiquement la première occasion donnée à l'homme d'améliorer nettement son sort sans émigrer. Dans les pays développés d'économie de marché, toutes les générations qui se sont succédé depuis cent à cent cinquante ans ont pu ler sur une nette amélioration de leur condition par rapport à la génération précédente. La principale raison en est que les paysans et les domestiques aient la possibilité d'entrer dans le monde ouvrier et le faisaient.
Comme les ouvriers étaient concentrés par groupes, car ils traillaient dans de stes usines et non plus chez eux ou dans de petits ateliers, on a pu s'acharner à améliorer systématiquement leur productivité. A partir de 1881, deux ans ant la mort de Marx, l'étude systématique des postes de trail, des opérations et des outils a permis d'augmenter la productivité du trail manuel, qui consiste à fabriquer des objets ou à les déplacer, de 3 à 4 % par an ; on a ainsi réussi à multiplier par cinquante la production par ouvrier en cent ans. C'est là-dessus que reposent toutes les conquêtes économiques et sociales réalisées au cours de cette période. Et contrairement à ce que « tout le monde sait » au 19e siècle - non seulement Marx, mais aussi les « conserteurs », tels J.P. Morgan, Bismarck et Disraeli - pratiquement tous ces gains ont profité à la classe ouvrière; la moitié sous forme d'une forte diminution de la durée du trail (allant de 40 % au Japon à 50 % en Allemagne) et la moitié sous forme d'une augmentation des salaires réels de la main-d'œuvre ouvrière, qui se sont multipliés par vingt-cinq.
11 existait donc de fort bonnes raisons pour que le développement de la classe ouvrière soit pacifique et non pas violent, voire « révolutionnaire ». Comment expliquer que son déclin se soit avéré tout aussi pacifique et ne se soit accomné pratiquement d'aucune perturbation ou protestation sociale, d'aucun bouleversement sérieux, au moins aux Etats-Unis ?



L'essor du trailleur du savoir
L'essor de la « classe » qui succède au prolétariat ne constitue pas une chance, mais un défi pour les ouvriers. Le nouveau groupe appelé à dominer la société est celui des « trailleurs du savoir ». Les trailleurs du savoir composent le tiers, voire dantage, de la population active aux Etats-Unis, proportion que la classe ouvrière n'a jamais dépassée, sauf en temps de guerre. En majorité, ils seront au moins aussi bien payés que les ouvriers, sinon mieux. Et les nouveaux postes offrent à l'individu des opportunités autrement plus intéressantes.
Mais - et c'est un grand mais - ces nouveaux postes exigent presque toujours des qualifications que le trailleur manuel ne possède pas et peut difficilement acquérir. Ils supposent en effet un certain bagage intellectuel et la capacité d'acquérir et d'appliquer des connaissances théoriques et analytiques, ainsi qu'une conception du trail et un état d'esprit différents. Et surtout, ils requièrent de développer une nouvelle habitude : celle d'apprendre en permanence.
Il en résulte que les ouvriers du secteur industriel qui perdent leur emploi ne sont pas en mesure de passer au trail fondé sur le savoir ou aux services aussi facilement que les paysans ou les domestiques ayant perdu leur emploi sont passés au trail en usine.
Même dans les localités entièrement dominées par une ou deux usines de production de masse - les villes de l'acier en Pennsylnie occidentale ou à l'est de l'Ohio, par exemple, ou celles de l'automobile comme Flint, dans le Michigan, le taux de chômage parmi les hommes et les femmes adultes non noirs a retrouvé en quelques années des niveaux à peine supérieurs à la moyenne nationale. C'est-à-dire à peine supérieurs au taux normal de « plein emploi » américain. On n'a pas assisté à une radicalisation de la classe ouvrière américaine.
La seule explication, c'est que pour l'ensemble de la main-d'œuvre non qualifiée et non noire, cette évolution ait beau être négative, menaçante et douloureuse, ce n'était pas une surprise. Psychologiquement - en termes de leurs, sans doute plus que d'émotions - l'ouvrier américain acceptait l'idée que les nouveaux emplois supposent d'avoir poursuivi des études ; et que le savoir serait désormais mieux payé que le trail manuel, qualifié ou non.
L'un des facteurs qui ont peut-être joué en ce sens est sans doute le Bill of Rights des Gis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui offrait à tous les soldats de retour à la vie civile la possibilité de poursuivre des études supérieures et a par conséquent éli que la possession d'une formation intellectuelle constituait dorénant la norme, faute de laquelle on se trouit en position d'infériorité. La mise en place du service militaire, qui allait être maintenu durant trente-cinq ans, a certainement aussi joué un rôle. En effet, la plupart des adultes américains du sexe masculin nés entre 1920 et 1950, c'est-à-dire l'immense majorité des adultes d'aujourd'hui, a passé plusieurs années sous les drapeaux, et l'armée les a obligés à acquérir une formation correspondant à des études secondaires s'ils ne l'aient pas déjà reçue. Quoi qu'il en soit, aux États-Unis, le passage du trail non qualifié au trail fondé sur le savoir a été largement accepté - sauf dans la communauté noire - comme nécessaire, ou au moins inévile.
En 1990, cette évolution était largement accomplie aux Etats-Unis. Dans les autres nations développées du monde libre, en Europe occidentale et septentrionale et au Japon, elle ne faisait que commencer. Il semble clair, cependant, qu'elle s'y réalisera plus vite. Sera-t-elle, comme de ce côté de l'Atlantique, accomnée de peu de troubles et d'agitation sociale ? Ou au contraire, l'Amérique fera-t-elle une nouvelle fois ure d'exception, comme elle l'a déjà fait à plusieurs reprises au cours de son histoire sociale, tout particulièrement en ce qui concerne les relations avec le trail ? Au Japon, la supériorité de la culture et des intellectuels est généralement reconnue, de sorte que le déclin des emplois ouvriers devrait être considéré comme souhaile, exactement comme aux Etats-Unis, et peut-être même dantage. Soulignons à ce propos que la classe ouvrière s'est constituée relativement récemment au pays du soleil lent, ce n'est que bien après la Seconde Guerre mondiale qu'elle a dépassé en nombre les paysans et les domestiques- En renche, on peut se demander si la transition s'opérera aussi facilement dans les pays européens industrialisés comme le Royaume-Uni, l'Allemagne, la France, la Belgique, l'Italie du Nord, etc., qui ont connu une « culture ouvrière » et une classe ouvrière et fière de l'être depuis plus d'un siècle et où, malgré l'accumulation de preuves du contraire, on continue à croire profondément que le trail manuel industriel, et non pas le trail intellectuel, crée de la richesse. L'Europe réagira-t-elle de la même manière que les Noirs américains ? Question manifestement cruciale, dont la réponse déterminera largement l'avenir social et économique des pays européens concernés. Nous en connaitrons la réponse au cours de la prochaine décennie.


La société du savoir qui est en train de naitre

Les trailleurs du savoir ne seront pas majoritaires dans la société du savoir, mais dans nombre de pays, sans doute même dans la plupart des pays développés, ils constitueront le groupe le plus nombreux au sein de la population en général et de la population active en particulier. Même, d'ailleurs, si d'autres groupes les dépassent par les effectifs, ce sont eux qui conféreront à la société nouvelle son caractère et son profil humain. Ce sont eux qui la dirigeront. Ils ne formeront pas forcément la classe gouvernante, mais à coup sûr la classe dominante de la nouvelle société. En outre, leurs caractéristiques, leur position sociale, leurs leurs et leurs attentes les démarqueront nettement de tout autre groupe ayant historiquement occupé la position gouvernante, voire dominante des sociétés précédentes.
Il convient d'abord de souligner que le trailleur du savoir accède au monde du trail, à son poste et à sa position sociale grace à sa formation intellectuelle.
La première conséquence en est que les études se trouveront au cœur même de la société du savoir, et que l'enseignement en sera l'institution la plus importante. Quelles connaissances tout le monde doit il posséder? Quelles matières faut-il enseigner à tous, en respectant quels équilibres ? Peut-on parler de « qualité » de l'enseignement et de son contenu ? Toutes ces questions revêtiront nécessairement une importance vitale pour la société du savoir, elles constitueront des options politiques cruciales. Je pense pouvoir prédire sans trop de risque que l'acquisition et la transmission du savoir en viendront à supter le rôle de l'acquisition et de la distribution de la propriété et des revenus au cours des deux ou trois siècles qu'il est convenu d'appeler l'ère du capitalisme.
On peut aussi prédire sans grand risque d'erreur que le contenu de l'enseignement sera redéfini.
La société du savoir deviendra inéluclement beaucoup plus concurrentielle que tout ce que nous avons connu jusqu'à aujourd'hui. La raison se révèle fort simple : comme la connaissance sera désormais universellement accessible, il n'y aura pas d'excuses pour ne pas réussir. Il n'y aura plus de pays « pauvres », il n'y aura que des pays ignorants. Cette vérité nouvelle s'appliquera à chaque entreprise, chaque secteur industriel, chaque organisation, quelle que soit sa nature. Elle s'appliquera également à chaque personne. En fait, les sociétés développées sont d'ores et déjà infiniment plus compétitives au niveau individuel que ne l'étaient les sociétés du début du siècle, sans parler de celles du 18e et du 19e siècles. La plupart des gens ne bénéficiaient alors d'aucune opportunité de s'élever hors de la « classe » où ils étaient nés, la plupart suiient les traces de leur père, professionnellement et par la position sociale.
Les trailleurs du savoir, pour leur part, seront, par définition, spécialisés, qu'ils maitrisent peu ou beaucoup de connaissances relativement frustres ou ancées. Une connaissance appliquée ne sert que lorsqu'elle est spécialisée. À dire vrai, plus elle est spécialisée, plus elle est utile.
La nécessité, pour les trailleurs du savoir, d'appartenir à une organisation, me semble tout aussi importante. Elle seule peut en effet leur apporter la continuité, condition de leur efficacité. Elle seule, surtout, peut convertir leurs connaissances spécialisées en performance.
En soi, le savoir spécialisé n'apporte pas la performance. Un chirurgien n'intervient à bon escient qu'une fois le diagnostic correctement posé, et ce n'est ni sa tache, ni sa compétence. Un spécialiste en études de marché fournit des données, rien de plus. Pour les convertir en informations et à plus forte raison les intégrer dans le processus de décision, il faut qu'interviennent des collaborateurs de la direction commerciale, du marketing, de la production et enfin du service après-vente. Un historien, lui, peut fort bien trailler en solitaire, tant qu'il se contente de conduire sa recherche et de rédiger ses ouvrages. En renche, lorsqu'il s'agit de former ses étudiants, il doit obligatoirement faire appel à des collègues traillant sur d'autres disciplines -des littéraires, des mathématiciens ou à des confrères s'intéressant à d'autres périodes de l'histoire. Cela suppose que le spécialiste ait accès à une organisation.
Comment ? En qualité de consultant, par exemple, ou de prestataire de services spécialisés. Mais, pour la majorité des trailleurs du savoir, ce sera comme employé d'une organisation, à plein temps ou à temps partiel; quant à l'organisation elle-même, il peut s'agir d'un service public, d'un hôpital, d'une université, d'une entreprise ou d'un syndicat, il existe des myriades de structures. Dans la société du savoir, ce n'est pas l'individu qui joue le plus grand rôle. Chaque personne, à la vérité, fait bien plus ure de centre de coût que de performance. C'est l'organisation qui accomplit les taches.

La société de l'employé
La société du savoir est une société de l'employé. La société traditionnelle, celle qui a précédé la Révolution industrielle et le développement de la classe ouvrière, n'était pas composée uniquement d'indépendants. Thomas Jefferson rêit d'une société de petits agriculteurs indépendants, chacun étant propriétaire de sa ferme et l'exploitant sans autre aide que celle de sa femme et de ses enfants, mais c'est resté du domaine de l'utopie. Historiquement, la plupart des hommes ont toujours vécu dans la dépendance de quelqu'un d'autre -mais pas d'une organisation. Ils traillaient pour leur propriétaire ; à la ferme, comme esclaves, serfs, ou journaliers ; à l'atelier, comme comnons ou apprentis ; au magasin, comme vendeurs ; chez un particulier, comme let de pied ou bonne à tout faire, etc. Ils traillaient pour un « maitre ». Et lorsque les usines ont commencé à employer les premiers ouvriers, eux aussi ont traillé pour un « maitre ».
Dans Temps difficiles, le grand roman de Dickens, les ouvriers traillent pour leur « propriétaire », pas pour « l'usine ». C'est seulement vers la fin du siècle que l'usine a évincé le propriétaire en qualité d'employeur. Et ce n'est qu'au cours du 20e siècle que l'entreprise a supté l'usine à son tour, et que le « maitre » a été remplacé par le « patron », qui, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, en a un à son tour.
Les trailleurs du savoir seront à la fois « employés », en ce sens qu'ils auront un « patron », et « patrons », en ce sens qu'ils auront des « employés ».
Autrefois, la science sociale ne connaissait pas les organisations, elle ne les connait, globalement, toujours pas. La première à mériter vérilement le sens moderne du mot, à être considérée comme un prototype et non une exception, c'est certainement l'entreprise moderne, telle que nous la connaissons depuis 1870. Voilà la raison pour laquelle, aujourd'hui encore, quand on pense « management », organe de direction spécifique à l'organisation, on pense au « management d'entreprise ».


L'émergence de la société du savoir a entrainé celle de la société des organisations. Nous traillons presque tous dans et pour une organisation, nous en dépendons, car elle nous permet d'être efficace et de gagner notre vie. Soit elle nous emploie, nous faisons partie de son personnel; soit nous sommes ses prestataires de services - en qualité d'avocat, par exemple, ou de transporteur. De plus en plus, ces prestataires de services forment eux-mêmes des organisations. Le premier cabinet regroupant plusieurs avocats a été créé aux États-Unis il y a un peu plus d'un siècle — jusqu'alors, ceux-ci aient toujours exercé leur métier en trailleurs indépendants. C'est ce qu'ils ont d'ailleurs continué à faire en Europe jusqu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, les cabinets d'avocats, de plus en plus grands, traitent la majorité des affaires. La médecine, au moins aux États-Unis, connait une évolution able. La société du savoir est une société des organisations dans laquelle pratiquement toutes les taches sociales sont exécutées dans et par une organisation.
La plupart des trailleurs du savoir passeront la plus grande partie, si ce n'est la totalité de leur vie professionnelle comme « employés ». Néanmoins, le sens du mot a changé, pas seulement en anglais, mais aussi en allemand, en esnol et en japonais.
Individuellement, ils dépendent de leur poste — ils touchent un salaire ou un traitement, on les recrute et on peut les licencier. Aux yeux de la loi donc, chacun d'entre eux est un « employé ». Collectivement cependant, ce sont, les seuls « capitalistes »; chaque jour dantage, il s'avère en effet qu'ils sont propriétaires des moyens de production, grace à leurs fonds de pension et à leurs autres formes d'épargne (aux États-Unis, les fonds mutuels). Dans les économies traditionnelles (pas seulement les économies marxistes, tant s'en faut), on distingue très nettement les revenus salariaux — destinés à la consommation - des capitaux. La théorie sociale de la société industrielle est largement fondée, d'une façon ou d'une autre, sur les rapports qui s'élissent entre les deux, qu'ils soient conflictuels ou marqués par un équilibre nécessaire et salutaire. Dans la société du savoir, la distinction s'estompe jusqu'à disparaitre. Les fonds de pension sont des « salaires différés », ce sont donc des revenus salariaux. Ils constituent cependant la principale, quand ce n'est pas la seule, source de capital pour la société du savoir.

Plus important peut-être, dans cette société nouvelle, les employés, c'est-à-dire les trailleurs du savoir, possèdent aussi les outils de production. Les prolétaires, eux, comme Marx eut le mérite de le souligner, ne les possédaient, ni ne pouient les posséder, c'est la raison pour laquelle ils étaient « aliénés ». Il s'avérait absolument impossible, expliquait Marx, qu'un ouvrier soit propriétaire de sa machine à peur et puisse l'emmener avec lui quand il allait trailler ailleurs. Il fallait nécessairement que le capitaliste possède la machine et la contrôle. Le vérile investissement dans la société du savoir, ce n'est plus celui qui a servi à financer machines et outils, mais bien celui qui a financé l'acquisition des connaissances détenues par le trailleur du savoir. Sans elles, les machines, aussi ancées et perfectionnées qu'elles soient, ne peuvent être productives.
L'ouvrier de l'ère industrielle ait infiniment plus besoin du capitaliste que ce dernier n'ait besoin de lui, c'est le fondement de l'idée de Marx - probablement une de ses plus graves erreurs — selon laquelle il y aurait toujours un surplus d'ouvriers, « une armée industrielle de réserve », de telle sorte que les salaires ne s'élèveraient jamais au-dessus du niveau de subsistance- Dans la société du savoir, l'hypothèse la plus vraisemblable - certainement en tous cas celle que doivent retenir toutes les organisations — est au contraire qu'elles ont infiniment plus besoin du trailleur du savoir qu'il n'a besoin d'elles. Il revient à l'organisation de « vendre » les opportunités qu'elle offre à des trailleurs du savoir, afin d'en attirer un nombre suffisant, d'une qualité supérieure. Une sorte de relation d'interdépendance est en train de se créer, le collaborateur se renseignant de son côté sur les besoins de l'organisation, tandis que celle-ci devra connaitre les siens, ses exigences et ses attentes.
Une autre conclusion s'impose: puisque la société du savoir est automatiquement une société d'organisations, son organe distinctif et central est le management.
Lorsque ce terme a commencé à être utilisé, il ne s'appliquait qu'au domaine de l'entreprise. La seconde moitié du 20e siècle nous a enseigné que le management est l'organe distinctif de toutes les organisations. Elles en ont toutes besoin - qu'elles utilisent le mot ou non. Tous les cadres et dirigeants font les mêmes choses, quelle que soit la nature de leur affaire ou de leur organisation. Leur rôle consiste toujours à rassembler des hommes, qui détiennent chacun des connaissances différentes, afin de leur faire réaliser quelque chose ensemble. Il leur faut toujours s'arranger pour que les forces de leurs hommes aboutissent à une performance productive, et que leurs faiblesses ne se fassent pas ressentir. Tous doivent réfléchir à ce que l'on considérera comme des « résultats » dans leur organisation, tous doivent en définir les objectifs. Tous sont tenus de repenser régulièrement ce que j'appelle la logique d'entreprise, c'est-à-dire de remettre en cause les hypothèses sur lesquelles l'organisation fonde sa performance et son action, ainsi que celles sur lesquelles elle s'appuie pour décider ce qu'elle ne veut pas faite. Toutes ont besoin d'un organe de réflexion qui étudie les stratégies, autrement dit les moyens à mettre en œuvre pour que les objectifs de l'organisation soient réalisés. Toutes doivent définir les leurs de l'organisation, son système de récompenses et de punitions, son esprit, sa culture. Dans toutes les organisations, les responsables doivent maitriser le management en tant que trail et discipline, mais ils doivent aussi connaitre à fond et bien comprendre l'organisation elle-même, ses objectifs, ses leurs, ses compétences clés, son environnement et ses marchés.
Le management, en tant que pratique, est extrêmement ancien. Pour moi, le manager qui a le mieux réussi dans l'histoire du monde, c'est l'Egyptien qui, il y a 4 700 ans, a le premier conçu la pyramide, sans aucun précédent, en a réalisé les s et l'a construite en un temps record. Contrairement à tout autre ouvrage réalisé par l'homme à la même époque, la première pyramide tient encore debout. En renche, en tant que discipline, le management n'a qu'une cinquantaine d'années. On a commencé à en observer quelques signes précurseurs au moment de la Première Guerre mondiale. Il n'est vraiment n qu'à la Seconde Guerre mondiale, et encore, restait, à l'époque, can tonné aux Etats-Unis. Depuis, c'est la nouvelle fonction qui s'est développée le plus vite, de même que son étude constitue la discipline qui se développe le plus vite. Aucune fonction n'a connu un tel essor au cours des cinquante à soixante dernières années. Aucune, en tout cas, n'a connu une extension mondiale aussi rapide.
Dans les écoles de gestion, on enseigne encore le management comme un ensemble de techniques, la budgétisation, par exemple. Mais, de même qu'une analyse de laboratoire, pour importante qu'elle soit, ne constitue pas l'essence de la médecine, de même les techniques et les procédures du management n'en sont pas l'essence. Rendre les connaissances productives, voilà l'essence du management- Autrement dit, le management est une fonction sociale et, dans sa pratique, authentiquement un « art libéral ».

Le secteur social
Les collectivités de naguère - famille, village, paroisse, etc. - ont quasiment disparu dans la société du savoir. L'organisation, nouvelle entité d'intégration sociale, les a largement suptées. Si l'appartenance à telle ou telle communauté releit du hasard, l'appartenance à une organisation est, elle, volontaire. La collectivité revendiquait la personne tout entière, tandis que l'organisation ne constitue qu'un moyen au service des fins de la personne, un outil. Voilà deux siècles que l'on polémique, surtout en Occident, sur la question de savoir si les communautés sont un organisme ou simplement une extension de la personne. La question ne se pose pas pour la nouvelle organisation ; c'est manifestement une création humaine, une technique sociale.
Dans ces conditions, à qui revient-il d'assumer les taches sociales ? Il y a deux cents ans, dans toutes les sociétés, une communauté locale s'en chatgeait, essentiellement, bien sûr, la famille. Aujourd'hui, les anciennes communautés ont pratiquement cessé de jouer leur rôle traditionnel. Elles n'en seraient d'ailleurs plus capables, puisqu'elles ne sont plus en mesure de contrôler leurs membres, ni même de les retenir. Les gens ne restent plus là où ils sont nés, ni géographiquement, ni même socialement. Par définition, une société du savoir est une société mobile. Toutes les fonctions sociales qu'assumaient les anciennes communautés, bien ou mal - souvent de façon très médiocre, à la vérité — supposaient une certaine permanence indivi' duelle et familiale. « On ne choisit pas sa famille », affirme un vieil adage, l'appartenance à telle ou telle communauté, comme nous l'avons vu, était imposée par le destin. Rompre ces liens signifiait devenir gabond, voire hors-la-loi. Or l'essence de la société du savoir est la mobilité, en termes d'habitat, d'occupation, d'apparte nance.
Cette mobilité se traduit par une multiplication des problèmes sociaux. Les gens n'ont plus de « racines », plus de quartier. Leurs voisins ne sont plus au courant du moindre de leurs faits et gestes, plus personne ne décide à leur place ce qu'ils peuvent avoir comme « ennuis ». La société du savoir, par définition, est compétitive; le savoir étant accessible à tous, chacun doit se placer, progresser, montrer de l'ambition. Elle offre la possibilité de réussir à un nombre de personnes beaucoup plus grand que par le passé. Par conséquent, et par définition, nombreux seront aussi les laissés pour compte, ou du moins ceux qui ne parviendront qu'à la seconde place. Si la mise en œuvre du savoir a enrichi les sociétés développées de façon spectaculaire, dépassant les espoirs les plus fous de n'importe quelle société antérieure, les échecs, qu'ils se traduisent par la pauvreté ou l'alcoolisme, la délinquance juvénile ou la toxicomanie, semblent symptomatiques d'une faillite de la société. Autrefois, il allait de soi que tout le monde ne pouit pas réussir. Dans la société du savoir, non seulement les échecs heurtent notre sens de la justice, mais ils mettent en cause la compétence de la société et l'idée qu'elle se fait d'elle-même.
Dès lors, qui assume les taches sociales dans la société du savoir? On ne peut plus les ignorer ; pourtant, comme nous venons de le voir, la communauté traditionnelle n'est plus en mesure d'y faire face.
Deux réponses contradictoires ont été apportées au cours du siècle. Toutes deux se sont avérées erronées.
La première remonte à la fin du siècle dernier, au moment où, vers 1880, l'Allemagne de Bismarck fit timidement les premiers pas vers l'État-providence. L'idée directrice consistait à affirmer qu'il revient aux gouvernements de résoudre les problèmes sociaux, car ils pouient et deient en assumer la responsabilité. La plupart des gens continuent vraisemblablement à accepter cette solution, surtout dans les pays occidentaux développés - même s'ils n'y croient plus tout à fait. Elle n'a, hélas, pas résisté à l'épreuve des faits. Depuis la Seconde Guerre mondiale, l'Ètat-providence a partout transformé les gouvernements modernes en monstres bureaucratiques. Dans tous les pays industrialisés, le versement des prestations sociales, c'est-à-dire le paiement de toutes sortes de services, absorbe l'essentiel des budgets. Pourtant la société, loin de s'en ttouver mieux, voit les problèmes sociaux se multiplier. Le gouvernement a, certes, une vocation sociale évidente - il doit déterminer la politique à suivre, fixer les normes et, dans une grande mesure, contribuer au financement de l'effort social. En renche, il a prouvé de façon éclatante son incompétence quasi totale pour gérer les services sociaux. Et aujourd'hui, nous savons pourquoi.


J'ai été le premier à conceptualiser l'autre contradiction, dès 1942, dans The Future of lndustrial Man. J'y expliquais que la nouvelle organisation - à l'époque, c'était la grande entreprise - devrait à l'avenir servir de communauté à l'individu, qui y trouverait à la fois sa fonction et son rang; je pensais que c'était sur le terrain, dans les ateliers et les bureaux, que l'on devrait résoudre les problèmes sociaux. Au Japon d'ailleurs - mais cela n'a pas le moindre lien avec mes modestes thèses - les très grands employeurs, entreprises ou administrations, ont effectivement tenté de tenir lieu de « communauté » à leurs salariés. L'emploi « à vie » n'en est qu'une facette; le logement, la protection médicale, les cances, tout était fourni par l'entreprise, surtout dans les grands groupes ; tout concordait donc à montrer au salarié que son employeur lui tenait désormais lieu de communauté, succédant dans ce rôle au village et à la famille d'hier- Hélas, cette formule-là non plus n'a pas fonctionné.
11 s'avère aujourd'hui nécessaire, surtout dans les pays occidentaux, de faire participer les salariés au gouvernement de la communauté d'entreprise. D'où la notion moderne de responsabilisation, qui ressemble beaucoup à ce dont je parlais il y a cinquante ans. Mais cela ne crée pas une communauté, ni les structures qui permettront à la société du savoir d'assumer ses responsabilités sociales. En réalité, qu'il s'agisse de l'enseignement ou de la santé, de s'attaquer aux rares d'une société riche et développée, comme l'alcool ou la drogue, ou aux problèmes liés à l'incompétence et à l'irresponsabilité qui sévissent dans la « sous-classe » urbaine aux États-Unis - tous ces problèmes échappent à la compétence des employeurs.
Le rôle d'employeur appartient, et continuera d'appartenir à l'organisation. Le rapport que cette dernière entretient avec l'individu se distingue de l'appartenance à une communauté, lien indissoluble et à double sens.
La flexibilité de l'emploi conditionne leur survie. Dans le même temps, on constate que ceux qui détiennent des connaissances ancées considèrent de plus en plus l'organisation comme l'instrument qui doit leur permettre d'accomplir leurs propres objectifs. Par conséquent, même au Japon, ils ont de plus en plus souvent tendance à rejeter toute tentative d'embrigadement dans une organisation qui tiendrait lieu de communauté. Ils refusent qu'elle les contrôle, qu'elle leur demande de s'engager pour la vie, ou de subordonner leurs propres aspirations à ses objectifs et à ses leurs. C'est inévile, car les détenteurs du savoir, comme nous l'avons vu plus haut, possèdent leur propre « outil de production » ; ils jouissent donc de la liberté d'aller saisir les meilleures opportunités de se réaliser, progresser et exploiter au mieux leurs connaissances, où qu'elles se présentent.
Par conséquent, ce n'est ni l'Etat ni l'employeur qui doivent prendre en charge les défis sociaux de la société du savoir. C'est le secteur social, une entité nouvelle et distincte.
De plus en plus souvent, ces organisations ont une seconde mission importante : elles créent de la citoyenneté. La société et la cité modernes sont aujourd'hui si complexes et si immenses que la citoyenneté, autrement dit la participation responsable, n'est plus possible. En tant que citoyens, tout ce que nous pouvons faire, c'est de voter de temps en temps et de payer régulièrement nos impôts.
En renche, en œuvrant volontairement pour une institution du secteur social, l'individu peut à nouveau faire une différence.
Il y a quarante ans, le concept de l'homme se consacrant corps et ame à son entreprise prélait - rien ne s'est avéré faux plus vite. À la vérité, plus vous avez de satisfactions professionnelles grace au trail du savoir, plus vous avez besoin d'une sphère d'activité communautaire distincte.

Le nouveau pluralisme
L'émergence de l'ère des organisations aboutit à une remise en cause du rôle de l'Etat. On confie de plus en plus souvent les taches sociales à des organisations individuelles, chacune ayant vocation à en accomplir une et une seule, qu'il s'agisse d'éducation, de santé, ou du nettoyage des rues. D'où le pluralisme croissant de nos sociétés. Nos théories sociales et politiques considèrent pourtant toujours l'Etat comme le seul et unique détenteur du pouvoir. Il est vrai que, depuis le 14e siècle, l'histoire et la politique occidentales n'ont tendu, pendant cinq siècles, qu'à détruire, ou au moins désarmer, tous les autres. Ce mouvement a culminé au 18e et au 19e siècles. À cette époque en effet, tous les vestiges des institutions antérieures qui pouient encore lui faire concurrence, comme les universités ou les églises, ont été nationalisés et leur personnel fonctionnarisé. C'est alors, dès le milieu du 19e siècle, que de nouveaux centres de pouvoir ont surgi, à commencer par l'entreprise moderne, qui a vu le jour vers 1870. Depuis lors, de nouvelles organisations n'ont cessé de se créer.
Dans le pluralisme d'antan, le féodalisme de l'Europe médiéle, ou sous l'ère Edo du Japon au 17e et au 18e siècles, toutes les organisations pluralistes, que ce soit les barons dans l'Angleterre de la Guerre des Deux-Roses ou le daimyo - le seigneur local du Japon de l'ère Edo -tentaient de garder la maitrise de tout ce qui se passait au sein de leur communauté ; ou au moins d'empêcher qui que ce soit d'autre d'exercer son autorité sur les affaires ou les institutions de leur domaine.
Mais à l'ère des organisations, chacune des nouvelles institutions ne s'occupe que de ce qui touche à sa vocation et à sa mission, sans prétendre exercer le moindre pouvoir sur autre chose. Mais aussi sans assumer la responsabilité de quoi que ce soit d'autre. Dès lors, qui assume la responsabilité du bien commun !
Tel a toujours été le problème, jamais résolu, du pluralisme, qui se pose aujourd'hui sous des formes nouvelles. Jusqu'à présent, on imposait des limites à ces institutions en leur interdisant d'empiéter, dans le cadre de leur mission, de leur fonction et de leur intérêt, sur le domaine public ou de contrevenir à la politique de l'Etat. Toutes les lois adoptées aux Etats-Unis contre la discrimination (fondée sur la race, le sexe, l'age, l'éducation, la santé, etc.) au cours des quarante dernières années interdisent les comportements socialement indésirables. Mais la question de la « responsabilité sociale » de ces institutions se pose de plus en plus. Que doivent-elles faire - en dehors de leur propre mission, pour promouvoir le bien commun ? Il s'agit là, bien que nul ne semble s'en rendre compte, d'une demande de retour au pluralisme à l'ancienne. Cela revient en effet à réclamer de confier une partie du « pouvoir public aux mains du privé ».
L'exemple du système scolaire américain démontre très clairement que cette tendance peut menacer sérieusement le fonctionnement des nouvelles organisations.
Le nouveau pluralisme n'a pas encore répondu à une question que l'ancien ait déjà laissée sans réponse : qui se charge du bien commun quand les institutions dominantes de la société se cantonnent chacune à leur domaine? À cela s'ajoute une nouvelle question: comment maintenir la capacité de performance des nouvelles institutions tout en maintenant la cohésion de la société ? La mise en place d'un secteur social fort et fonctionnel revêt donc une double importance. Tout porte à croire que ce secteur social jouera un rôle de plus en plus décisif quant à la performance, sinon à la cohésion, de la société du savoir.
Dès que le savoir est devenu la ressource économique clé, l'intégration des intérêts et celle du pluralisme de la cité moderne ont comrnencé à s'effriter. Les intérêts non économiques prennent de plus en plus de place au sein du nouveau pluralisme, on voit se multiplier des organisations vouées à des « intérêts particuliers » ou à « une seule cause ». En renche, on ne peut plus dire que la politique consiste uniquement à déterminer « qui reçoit quoi, quand et comment », elle doit aujourd'hui se préoccuper de leurs, chacune étant considérée comme un absolu. Impossible, par exemple, d'ignorer le conflit entre le « droit à la vie » de l'embryon et le droit de la femme à disposer de son corps comme elle l'entend et donc d'avorter si elle le souhaite. Impossible d'ignorer l'environnement ; ou la nécessité de rélir l'égalité au bénéfice des groupes qui se plaignent d'être opprimés ou de faire l'objet de discrimination. On le voit, aucun de ces problèmes n'est d'ordre économique; ils relèvent tous, fondamentalement, de l'ordre moral.
On peut toujours parvenir à un compromis quand il s'agit d'intérêts économiques, d'où l'antage de fonder dessus la politique. Le vieux dicton « une demi-miche de pain, c'est encore du pain », n'a rien perdu de sa pertinence. En renche, le demi-bébé issu du jugement de Salomon n'est plus un enfant, mais un petit cadavre mutilé. Aucun compromis ne s'avère possible, dans l'ordre moral. Pour un écologiste, « la moitié d'une espèce en voie de disparition », c'est une espèce éteinte.
Voilà qui aggrave considérablement la crise du gouvernement moderne. Les journaux et les commentateurs continuent de présenter en termes économiques ce qui se passe à Washington, Londres, Bonn ou Tokyo. Mais les groupes de pression qui tentent d'influer sur les politiques gouvernementales ne représentent plus exclusivement des intérêts économiques. Ils se battent aussi pour ou contre des mesures auxquelles ils attachent une leur morale, spirituelle ou culturelle. Chacune de ces préoccupations, représentée par une nouvelle organisation, prétend incarner un absolu. Partager leur miche de pain, ce n'est pas transiger mais trahir.
Ainsi, la société des organisations n'est-elle pas mue par une seule force d'intégration grace à laquelle les organisations isolées au sein de la société et de la communauté se regrouperaient pour former des coalitions. Les partis politiques traditionnels - qui constituent peut-être les créations politiques les plus réussies du 19e siècle ne peuvent plus intégrer des groupes et des points de vue divergents en une commune poursuite du pouvoir. Au lieu de cela, ils sont le théatre de luttes à couteaux tirés entre les groupes qui les composent, chacun luttant pour une victoire écrasante, en vue de la reddition sans condition de l'ennemi.
Cet état de choses soulève à nouveau la question de savoir comment l'Etat peut fonctionner. Dans les pays où la tradition d'une puissante bureaucratie reste fortement imtée, comme le Japon, l'Allemagne et la France, l'administration continue à tenter de cimenter l'État. Mais, même dans ces pays, la cohésion du gouvernement se trouve de plus en plus affaiblie par les intérêts particuliers, essentielle' ment d'ordre moral et non économique.
Depuis Machiavel, la science politique s'est concentrée sur la conquête et l'exercice du pouvoir. Machiavel et, après lui, les politologues et les hommes politiques, sont tous partis du principe qu'une fois qu'un gouvernement a conquis le pouvoir, il peut fonctionner. Désormais, il falloir se demander quelles sont les fonctions que le gouvernement, et lui seul, peut et doit exécuter, et ensuite comment l'Etat doit s'organiser de façon à s'acquitter correctement de ses fonctions dans une société des organisations.
Le 21e siècle sera certainement encore marqué par des bouleversements et des difficultés d'ordre social, économique et politique, au moins pour les premières décennies. L'ère des transformations sociales n'est pas achevée. Les défis qui se préparent seront peut-être plus terrifiants et plus graves que ceux qu'ont entrainé les transformations sociales déjà opérées au 20e siècle.
Mais, ant de nous pencher sur les problèmes que nous réserve l'avenir, il nous faut résoudre ceux auxquels nous sommes déjà confrontés; ce sont des taches prioritaires.
Si le 20e siècle a été une période de transformations sociales, il faudra que le 21e siècle soit celui des innotions sociales et politiques.





Privacy - Conditions d'utilisation




Copyright © 2011- 2024 : IPeut.com - Tous droits réservés.
Toute reproduction partielle ou complète des documents publiés sur ce site est interdite. Contacter