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MARKETING

Le marketing, parfois traduit en mercatique, est une discipline de la gestion qui cherche à déterminer les offres de biens, de services ou d'idées en fonction des attitudes et de la motivation des consommateurs, du public ou de la société en général. Il favorise leur commercialisation (ou leur diffusion pour des activités non lucratives). Il comporte un ensemble de méthodes et de moyens dont dispose une organisation pour s'adapter aux publics auxquels elle s'intéresse, leur offrir des satisfactions si possible répétitives et durables. Il suscite donc par son aspect créatif des innovations sources de croissance d'activité. Ainsi l'ensemble des actions menées par l'organisation peut prévoir, influencer et satisfaire les besoins du consommateur et adapter ses produits ainsi que sa politique commerciale aux besoins cernés.


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Petite mytho-poétique de la marque



Petite mytho-poétique de la marque
Cet ouvrage aurait fort bien pu s'intituler // était une fois, tant Georges Lewi nous conte avec grace le pouvoir d'enchantement des marques en se faisant l'archéologue de leur dimension narrative et mythique. En un sens, ce geste n'est pas sans rappeler L'univers, les dieux, les hommes, l'un des admirables textes que l'helléniste Jean-Pierre Veraant a consacré A  la narration des mythes grecs, qui consignait sous forme écrite les récits de légendes grecques que l'auteur racontait A  son petit fils Julien :


- Il y a un quart de siècle, quand mon petit fils était enfant et qu'il passait avec ma femme et moi ses vacances, une règle s'était élie entre nous aussi impérieuse que la toilette et les repas : chaque soir, quand l'heure était venue et que Julien se mettait au lit, je l'entendais m'appeler depuis sa chambre, souvent avec quelque impatience : "Jipé, l'histoire, l'histoire !" J'allais m'asseoir auprès de lui et je lui racontais une légende grecque -.
La question que ne manquera pas de se poser le lecteur est alors de savoir dans quelle mesure les marques ne se seraient pas finalement substituées aux grands récits de notre héritage culturel. Les marques mythiques n'auraient-elles pas subrepticement pris la place des aïeuls s'approchant le soir venu du chevet de leurs petits enfants pour leur raconter une histoire ?
Pour autant, si la plume ve et alerte de Georges Lewi donne e et sens A  des récits de marque, sa narration n'a rien d'une compilation de fables. Que la marque fonctionne A  la manière d'un récit est une histoire entendue depuis longtemps2, qu'elle adenne au statut de mythe est une autre affaire qui ne va pas de soi ; se pose notamment la question du caractère purement fictif ou légitime de ce récit. Dans une idéologie du branding qui augure un décalage important entre la valeur fonctionnelle des produits et la valeur d'image de la marque3 (que se précisément A  construire le récit de marque), la constante surenchère des promesses de marques (qu'illustre fort bien le marché des produits cosmétiques et capillaires) pose le problème de la validité du contrat de marque. - Le mythe est une parole -, écrivait Roland Barthes dans un texte adossé A  celui de ses fameuses Mythologies. Mais si la marque est un mythe, faut-il toujours prendre sa parole pour argent comptant ? La marque peut en effet, si on la prend au mot, nous projeter dans un univers fictionnel factice, d'où la nécessité de démystifier un discours des marques qui est souvent opaque et duplice. En effet, si la marque raconte des histoires, c'est bien aux deux sens du terme. Au sens propre, car la vertu d'une marque est de mettre en récit un système d'offres pour l'enrober d'un univers de signes et de sens qui outrepasse très largement sa valeur fonctionnelle. La marque a donc pour fonction de transformer une substance matérielle en substance signifiante, transmuant les objets en signes, voire en systèmes de signes afin de les rendre désirables et donc consommables. C'est justement cette opération de sémantisation qui nécessite une expérience de déchiffrage de la part du consommateur, A  partir du moment où les signes émis par la marque n'ont pas toujours une totale transparence. Accepter la dimension narrative des marques est une chose, postuler leur dimension mythique ou mythologique en est une autre, qui n'est pas sans conséquence sur le statut et la fonction des marques dans la société contemporaine. L'intérASt du mythe est justement de nous faire passer du sens propre au sens uré. C'est lA  qu'il conent de distinguer le mythe de la simple fable ou du conte. Comme nous allons le voir le mythe est instaurateur au niveau du récit, de l'action et de l'affectité profonde, ce que ne saurait faire la fable. L'apport du mythe et de la pensée mythique est de nous rappeler le lien intime susceptible d'exister entre le récit de marque et des modalités opératoires liées aux croyances et aux comportements des consommateurs. L'économie des marques est fondamentalement liée A  une idéologie du croire et c'est justement pour nous aider A  déchiffrer les croyances véhiculées par les marques que l'apport d'un homme de lettres reconverti en expert des marques peut nous AStre précieux. Par quel processus le récit et l'histoire de la marque lui permettent-ils alors d'accéder au statut de mythe? Telle est la question fondamentale posée par cet ouvrage.
On aurait pu penser que la dimension mythologique de la marque était susceptible de s'incarner au premier chef dans la récupération et le détournement de certains mythes de la cilisation ainsi que l'illustrent par exemple la recréation du Père NoA«l par Coca-Cola, la resi-tation des contes par Walt Disney ou bien le nombre de marques qui s'enracinent sémantiquement ou nominalement dans un patrimoine mythique. L'ouvrage eut te pu se transformer en un récit sur l'usage abusif qu'ont fait les marques des grands récits de la tradition occidentale. Fort heureusement, le projet de Georges Lewi va bien au-delA  d'une simple description de la faA§on dont les marques préemptent les héros mythiques de notre cilisation occidentale. Il s'agit plus essentiellement de considérer la faA§on dont les marques sont devenues essentielles dans la structuration mentale de notre univers de pensée par leur capacité A  s'ériger en entités mythologiques. Non content de prolonger le travail pionnier de Roland Barthes qui, dès les années 1950, mettait A  jour les soubassements des mythologies de la société de consommation, l'ambition de cet ouvrage est de montrer comment le récit de marque est susceptible de dépasser son statut de conte ou de fable pour devenir un mythe. La lecture de l'ouvrage appelle donc un certain nombre de remises en question.
La leA§on première de cette réflexion est de mettre A  mal le logo-centrisme dont se réclament les marques. Il n'est pas innocent en effet que le signe d'identité ultime de la marque soit le logo, dont la parenté avec logos apparait plus qu'édente ; or l'auteur ent nous rappeler que l'économie des marques, pas plus que notre société contemporaine, ne peut se dispenser des mythes ou de leurs équivalents. Les mythes comportent une essentielle dimension de -fictif-, dont témoigne l'évolution sémantique du terme mûthos, qui en ent A  désigner, par opposition A  ce qui est de l'ordre du réel d'une part, de la démonstration argumentée de l'autre, ce qui est du domaine de la pure fiction : la fable4. La marque doit donc se frotter au mûthos autant qu'au logos, c'est-A -dire A  une pensée pré-logique autant qu'A  une rhétorique fondant la supériorité d'une marque sur des bénéfices clairement identifiables et démontrables. Le mythe ent réintroduire quelques gouttes de magie et de surprise dans un univers économique souvent enclin au désenchantement du fait de la sérialisation de processus industriels et des expériences de consommation.
Se pose alors la question du statut et des fonctions de la marque dans une économie réenchantée par le mythe. La marque mythique n'est-elle pas celle qui se muséifie et qui entretient quelque ambiguïté entre ses fonctions strictement commerciales et son statut d'icône culturelle, quitte A  sortir du strict cadre de l'échange marchand? N'est-ce pas la question que posent des magasins-pallons tels que les Niketowns aux états-Unis, sortes de lieux mixtes entre le musée (les produits icônes sont présentés dans des trines le long d'un parcours muséal) et le magasin (ces mASmes produits sont présentés en rayon dans une logique commerciale) ? Accepter de caractériser la marque comme un mythe permet justement de mieux comprendre d'une part ses fonctions anthropologiques et d'autre part ses modalités opératoires. L'anthropologie peut nous AStre d'un grand secours pour comprendre l'idéologie fonctionnelle attachée A  la marque, si l'on songe notamment aux trois fonctions mises en édence par Georges Dumézil dans son ouvrage Mythe et épopée, comme structurant les mythes, la religion, les institutions, le vocabulaire chez les peuples indo-européens, A  savoir :
La fonction de souveraineté qui permet A  la marque de définir un territoire de compétences et de légitimité dans l'esprit des consommateurs-cibles.
La fonction guerrière qui s'inscrit dans l'interface et le rapport A  l'autre et correspond A  un registre de différenciation. La marque fonctionne comme un vérile système racontant des histoires en les matérialisant avec des couleurs, des formes, des personnages. Il s'agit de capitaliser sur des éléments qui permettent la reconnaissance externe de la marque ; ces éléments peuvent AStre de différentes natures ; selon que l'on considère des éléments d'identité textuels (nom de marque, signature, etc.), un code coloriel, un symbole (la pomme pour Apple, le swoosh de Nike, l'écureuil de la Caisse d'épargne), un personnage (le Bidendum de Michelin, la mascotte Quicky de Nestlé), etc. Comme on le verra par la suite, cette fonction guerrière peut aussi renvoyer A  l'instauration de gestuelles spécifiques permettant d'inscrire une étiologie du rite.


Une fonction de reproduction fondée sur un principe d'ubiquité de la marque qui a l'essentielle propriété de se reproduire A  l'infini dans les modalités du temps (sous forme d'extension de gamme ou de marque) et de l'espace (l'internationalisation).
Le mythe pose en second lieu la question du temps dans la mesure où - le temps occupe ensuite une position radicale dans la définition du mythe, non seulement parce qu'il légitime de l'intérieur le discours mythique comme parole fondatrice () en effet pour qu'un événement, une histoire, une narration, toujours singulière au départ, deenne un mythe, deux conditions doivent AStre remplies. Il faut d'une part que ses éléments entrent dans un rapport de compatibilité sémantique et formelle avec l'ensemble des mythes de la population concernée, d'autre part que soit oubliée, effacée son origine indiduelle pour devenir une histoire générale exemplaire - Ainsi la pensée mythique travaille la matière narrative A  la manière des intempéries modelant lentement un paysage en emportant ses parties les plus friables : elle élimine ses éléments insles, anecdotiques, pour ne laisser saillir que des processions de blocs polis par l'usage qui rendent compte d'un travail culturel de pensée appliquée A  une organisation systématique de l'univers. De ce fait, la marque mythique nous montre que le récit de marque est d'abord affaire de structure et non pas d'intention stratégique. Que penser alors de la propension de certaines marques A  s'auto-ériger en instances dines ou mythiques ainsi que l'illustrent les quelques signatures publicitaires suivantes : - le culte du feu - (cheminées Godin), - le feu sacré - (Firestone), - le Dieu du café - (Stentor), - le Dieu de la mer - (moteurs de bateaux Yamaha), - la reine de la forASt - (tronA§onneuses Stihl) ?
La marque serait donc A  considérer comme une - mytho-logique - pour reprendre le terme de Claude Lé-Strauss, c'est-A -dire comme la mise en oeuvre d'une logique renvoyant in fine A  une sorte d'organisation structurale du langage. Autrement dit, le mythe peut AStre considéré comme un système régi par des relations d'oppositions et de complémentarités entre des unités minimales (les mythèmes6), ce système étant considéré comme un système clos sur lui-mASme, sans référence A  la réalité, ni A  la psychologie et A  la sociologie des locuteurs.
La marque mythique pose donc la question de l'auctorialité A  partir du moment où il n'est plus possible d'assigner au récit de marque un auteur. Comme le rappelle Jean-Pierre Vernant, le mythe - se présente sous la ure d'un récit venu du fonds des ages et qui serait déjA  lA  avant qu'un quelconque conteur en entame la narration. En ce sens, le récit mythique ne relève pas de l'invention indiduelle ni de la fantaisie créatrice, mais de la transmission et de la mémoire. La question du temps induite par le mythe pourrait bien mettre A  mal le prométhéisme dont se prémunissent implicitement nombre de directeurs de marques ou de chefs de publicité. La mytho-logique développée par Claude Lé-Strauss présuppose d'ailleurs le caractère formel du système des oppositions et des combinaisons qui régissent le discours mythique, mais aussi et surtout le fonctionnement absolument inconscient des régularités qui assurent le caractère logique du système : ainsi le mythe n'est pas tant parlé par les hommes que ceux-ci l'habitent comme locuteurs en n'exerA§ant sur lui qu'une maitrise apparente. Le récit de la marque mythique n'a pas d'auteur revendiqué, ce qui pose notamment la question de l'intentionnalité du discours de marque dans une logique d'endossement de systèmes d'offre par des marques corporate. - Qui parle ?- ou plus exactement - d'où parle la marque ? -, A  partir du moment où le récit mythique ent du fond des ages et qu'on ne peut lui attribuer d'auteur autre que fictif. N'est-ce pas d'ailleurs le sens de la floraison de noms de marques pseudo-mythiques venant légitimer des systèmes d'offres disparates. Dans une société sous-cultivée où la majorité des consommateurs associent le swoosh de Nike A  une rgule (alors qu'il s'agit d'une représentation urée d'une aile de la déesse grecque de la ctoire qui donne son nom A  la marque), ou bien encore pensent que la peinture de Piet Mondrian est une reprise des codes de la marque de produits capillaires Studio Line ( !), il n'y a qu'un pas menant du simulacre au mythe. Pourquoi finalement aller chercher des noms de marques bricolés A  partir d'un héritage culturel gréco-latin (Vivarte, Vizza, Vivendi, etc.), si ce n'est pour permettre, A  raison d'une énorme pression publicitaire et d'une forte exposition du nom de marque, d'ériger un simulacre en mythe. On peut d'ailleurs penser que cette propension A  mythifier le simulacre sera d'autant plus forte que les marques auront compris que, dans une logique structurale, la - forme - du récit mythique prime aux dépens de la - substance -. Ainsi, comme nous le rappelle justement Georges Lewi, il n'est pas suffisant de permettre aux consommateurs de déchiffrer le mythe, il faut également donner le ton d'une démystification. A€ ce titre, il y lieu de distinguer les marques mythiques et les marques fétiches7. Ainsi la fascination, l'envoûtement, le sortilège, ou l'ensorcellement que provoquent les marques fétiches ne les assimilent pas d'emblée au rang de marque mythique8. En d'autres termes toutes les marques ne sont pas susceptibles de devenir la proie de la parole mythique. C'est justement pour se prémunir de ce risque de confiscation de l'héritage mythologique de nos cultures (aussi variées soient-elles) par des marques qu'il nous semble important de mettre en édence quelques propriétés (ou plus exactement dimensions) essentielles de la marque myth(olog)ique.
Sa dimension universelle : la marque mythique est celle qui a d'abord su franchir certaines étapes clés dans son cycle de e et qui peut prétendre avoir - l'autorité d'un fait naturel -, caractéristique du mythe selon Marcel Détienne9. Dans un contexte d'internationalisation des marchés, on comprend aisément la propension des marques A  s'ériger en mythes capables de traverser les frontières linguistiques et culturelles, dans la mesure où un mythe est perA§u comme mythe par tout lecteur du monde entier. - D'ailleurs, en matière de mythologie, chacun se sent plus ou moins chez soi, sans AStre contraint de choisir entre des histoires fascinantes ou merveilleuses et des faA§ons de penser qui ne sont pas nécessairement les nôtres10. - L'enjeu de la marque mythique est de permettre A  tout consommateur en tant qu'animal symbolique ou imaginaire de se chercher et de se reconnaitre dans un récit qui peut pourtant se parer de vertus exotiques. C'est A  ce titre que l'on a souvent considéré le mythe comme le premier langage d'une humanité sans enfance, sorte de chant de la terre.
Sa dimension d'invariabilité : tous comme les contes populaires, les mythes sont presque toujours assortis de variantes - et cela en dépit de leur valeur religieuse et de leur fonction politico-rituelle, qui pour un esprit moderne, sembleraient exiger un contenu équivoque et sle" -. L'un des principaux apports de Claude Lé-Strauss est d'avoir montré que l'étude d'un mythe ne consiste pas A  retrouver un récit singulier et comme prototypique dont les diverses variantes constitueraient des altérations, mais qu'il s'agit plus essentiellement de reconstituer l'ensemble des variantes ou - transformations - possibles d'un récit, qui ne devrait lui-mASme son statut de mythe qu'au fait d'appartenir A  un tel - groupe de transformations -. Le mythe recouvrerait donc dans cette approche l'ensemble de ses variantes combinatoires. Ainsi plutôt que de lire dans les variabilités des récits mythiques et la pluralité des formes concurrentes l'effet de déformations accidentelles ou de manipulations délibérées qui seraient dues A  des causes externes et contingentes (c'est-A -dire en ce qui concerne l'évolution de la marque mythique dans un univers interculturel : l'adaptation A  un contexte socioculturel spécifique, la censure morale, etc.), on peut également y voir (et telle est l'hypothèse fondamentale de l'approche lé-straussienne) - le fruit spontané d'une dynamique interne : d'un mécanisme autonome qui serait constitutif de la pensée mythique et qui en réglerait de l'intérieur la puissance créatrice et les transformations -l2.
Sa dimension démiurgique : Souvenons-nous que le mythe est aussi un récit fondateur que les membres d'une communauté se transmettent de génération en génération. Comme le souligne Paul Ricœur, - le mythe dit toujours comment quelque chose est né13 -. Le mythe a donc toujours rapport A  une fonction d'instauration qui va AStre assumée par des AStres surnaturels de natures très diverses, des dramatis persohae (dieux, messagers, héros, etc.). Ne reconnait-on pas ici le fait que la marque mythique doive presque toujours s'incarner dans des personnages réels ou imaginaires que peuvent AStre le fondateur (Henri Ford, Richard Branson, etc.), le personnage de marque (Bidendum) ou tout simplement l'endosseur de la marque, qui ont pour fonction d'emblématiser la fonction instauratrice de la marque ? La marque mythique est donc très souvent celle qui a fondé sa catégorie de produits ou du moins l'a redimensionnée de faA§on déterminante, ainsi que l'illustrent des marques aussi différentes qu'Apple ou Nike. Apple nous a permis en effet de regarder l'ordinateur autrement que comme un appareillage technique et performant en mettant successivement l'emphase sur des valeurs telles que la conalité (avec le lancement du Maclntoch en 1984) et l'esthétique (avec l'Imac en 1998), tandis que Nike a démocratisé l'idée mASme de sport en désacralisant et dé-technicisant la pratique sportive pour transformer la chaussure de sport en objet de mode A  usage quotidien. La fonction d'instauration de la marque mythique éveille indéniablement l'idée de son caractère démiurge dans la mesure où elle est avant tout celle qui faA§onne ou refaA§onne un univers mental et installe un système inédit de catégorisation mentale.


Sa dimension paradoxale issue de la contradiction inhérente dont fait preuve le récit mythique a justement pour fonction de résoudre la contradiction fondamentale propre A  toute société. Comme l'a très justement montré Lé-Strauss, le mythe s'avère AStre un outil logique qui opère des médiations ou des connexions entre des formes contradictoires ; ces médiations elles-mASmes présentent des renversements, des permutations qui entrent dans un groupe de transformation. Ainsi, il peut AStre dit que le mythe, dans sa fonction logique, - procède de la prise de conscience de certaines oppositions et tend A  leur médiation progressive14-. C'est ainsi que, toujours selon Lé-Strauss, - l'objet du mythe est de fournir un modèle logique pour résoudre une contradiction -. Or les marques sont souvent gérées selon le principe de la consistance, c'est-A -dire de la sédimentation et de la répétition au cours du temps d'un message fondé sur un avantage concurrentiel. Le paradigme de cohérence a surtout pour fonction édente de contrôler les diverses émanations et d'empAScher un éparpillement des discours de la marque. Mais A  bien y réfléchir, la marque n'a pas plus de raisons qu'un AStre vant d'assumer un certain nombre de contradictions surtout si l'on considère que la cohérence du parcours peut impliquer des discontinuités. Autrement dit la dualité peut parfaitement faire partie d'un projet de marque sans pour autant signifier l'incohérence ou la dilution identitaire. La marque mythique est donc celle qui parent A  reconnecter par un récit intégrateur des valeurs ou principes qui pourraient apparaitre comme contradictoires.
Sa dimension poétique : mASme si le mythe revASt des fonctions anthropologiques bien particulières, il s'adosse de faA§on quasi systématique A  une parole poétique. Ainsi l'on pourrait fort bien appliquer A  propos de certains récits de marques ce que Jacques Roubaud formule concernant les poèmes homériques : - Ils ne sont pas seulement des récits. Ils contiennent le trésor de pensées, de formes linguistiques et d'imaginations cosmologiques, de préceptes moraux, etc. qui constituent l'héritage commun des Grecs de l'époque classique. - De fait les récits de marque dont témoigne Georges Lewi reprennent des intrigues universelles tout autant qu'ils instaurent un régime d'innovation sémantique. La marque mythique doit donc communiquer des sentiments et des émotions, en réactivant une fonction poétique qui permette de dépasser le strict cadre des finalités et des fonctions d'obédience utilitaire ou pratique. Le récit de la marque mythique a la charge de libérer produits et serces de leur finalité première en les ré-aiguillant vers un pôle davantage existentiel. C'est d'ailleurs par sa capacité A  institutionnaliser des valeurs émotionnelles que la marque mythique touche au sacré. Le récit mythique opère en effet une réactivation émotionnelle du temps fondamentale dans le temps historique. Comme le rappelle Paul Ricoeur : - Vivre selon un mythe, c'est cesser d'exister seulement dans la e quotidienne (dans la mesure où) le récitatif et le rite amorcent la sorte d'intériorisation émotionnelle qui engendre ce qu'on peut appeler le noyau mytho-poétique de l'existence humaine16. - C'est en cela que, comme nous le verrons par la suite la marque mythique participe indéniablement d'une étiologie du rite. - Ce lien intime et fonctionnel avec la mémorisation rapproche le mythe de la poésie qui, A  l'origine, dans ses manifestations les plus anciennes, peut se confondre avec le processus d'élaboration mythique". - Ainsi poursuit Vernant : - Pour tisser ses récits sur les aventures des héros légendaires, l'épopée opère d'abord sur le mode de la poésie orale, composée et chantée devant les auditeurs devant des générations successives d'aèdes inspirées par la déesse mémoire, et c'est seulement plus tard qu'elle fait l'objet d'une rédaction, chargée d'élir et de fixer le texte officiel. - Or aujourd'hui encore, un poème n'a d'existence que dans la mesure où il est parlé et qu'il faut le connaitre par cœur et pour lui donner e, se le réciter avec les mots silencieux de la parole intérieure. Le mythe n'est lui aussi vant que s'il est encore raconté, de génération en génération, dans le cours de l'existence quotidienne. La marque mythique doit donc pour survre mettre en œuvre des modalités de mémorisation et de transmission de son récit, comme l'illustre le simple fait que la plupart des marques mythiques ont su déployer de très fortes signatures de marques propres A  une intense circulation sociale [a notamment le bouche A  oreille). En ce sens la marque mythique se situe au carrefour de l'oralité, de la mémoire et de la tradition, qui sont bien les trois conditions d'existence et de sure du mythe. L'on comprend alors pourquoi une marque n'adent au stade mythique que dans la mesure où elle a pu traverser trois générations et qu'en véhiculant des valeurs opérantes elle peut s'ériger en instance de transmission de croyances et de pratiques.
Sa dimension médiumique (ou médiologique) : le mythe ne se contente pas d'enchanter les esprits et les cœurs par un récit. Autrement dit, il ne s'agit pas de rabattre le discours de marque sur un versant exclusivement émotionnel et affectif dans la mesure où le mythe édicté aussi des préceptes et des règles ; il constitue aussi, en dehors de tout enseignement officiel et sans transiter par des formes de médiation culturelles officielles, un bagage de conduites et de savoirs liés aux règles de l'agir, du parler, et du croire. La marque mythique renvoie donc A  la perpétuation de faA§ons de penser, de faire et de dire. En ce sens, elle n'est pas tant instance de communication, que vérile système de transmission capable de maintenir dans le temps une sorte de dynamique de la mémoire collective. La marque mythique jouerait alors sur le mode de l'empreinte et de la pérennisation d'un système de croyances et de valeurs contrairement aux marques gérées sur le mode de l'actualité et la tesse. La marque mythique deent finalement une sphère d'autorité en proposant des modes de consommation, de pensée et donc de e.
Sa dimension rituelle et prescriptive : le caractère médiologique de la marque mythique débouche inexorablement sur une dimension impérative dans la mesure où - surgi historiquement de la contingence (), c'est moi que (le mythe) ent chercher : il est tourné vers moi, je subis sa force intentionnelle, il me somme de recevoir son ambiguïté expansive18 - mais en mASme temps que la parole du mythe m'interpelle, elle est en mASme temps une - parole ée : au moment de m'atteindre, elle se suspend, tourne sur elle-mASme et rattrape une généralité : elle se transit, elle se blanchit, elle s'innocente -. Plusieurs écoles anthropologiques ont en effet souligné le lien étroit liant le mythe et le rite : le mythe fonde le rite en élissant des paradigmes d'action. C'est ce qui permet au mythe de lier le temps fondamental et le temps historique en susurrant implicitement : - VoilA  comment les choses ont été fondées A  l'origine, et elles sont encore aujourd'hui de la mASme faA§on. Par son intention signifiante fondamentale, le mythe permet qu'il soit répété, réactivé dans le rite20. - N'est-ce pas le propre des marques mythiques que d'asseoir des gestuelles spécifiques ? Ainsi peut-on penser au geste spécifique qui permet d'allumer un briquet Zippo, au geste de renversement précédent la consommation d'un Orangina, au - petit geste qui vous perdra - de la marque Mikado. Ce lien du mythe et du rite permet de lire l'intention stratégique de certaines marques voulant s'ériger en mythe par la création d'une gestuelle particulière. Ainsi en est-il de la marque Actimel essayant d'instaurer - le geste santé du matin -. Le rite permet alors d'instaurer une quotidienneté de l'usage qui prélude bien édemment un scénario de fidélité A  l'égard de la marque. L'enjeu de la marque mythique est donc de créer des dispositifs matériels induisant des séquences gestuelles spécifiques : c'est ce que recouvre notamment la notion d'objet factitif. Gillette a tenté d'instaurer en objet mythique le rasoir Mach 3 en inversant la position du manche par rapport A  la lame dans l'optique de créer un nouveau geste de rasage qui empASche les consommateurs de revenir A  des systèmes de rasage concurrentiels et conventionnels. La marque mythique n'est donc pas seulement question de parole et de croyances, elle est aussi affaires de gestes.


Ces propriétés nous mènent légitimement A  la dimension religieuse de la marque mythique, ce qui se comprend d'autant mieux que chez les Grecs, le mythe s'apparente tant A  ce que nous appelons la religion qu'A  ce qu'est pour nous la littérature. Marcel Détienne pose d'ailleurs la question de savoir dans quelle mesure le mythe ne serait pas - le phénomène religieux supérieur, celui qui donne aux autres efficacité et signification et dont les garants () sont de graves administrateurs de la mémoire et de la pensée collective21. Or notre héritage judéo-chrétien nous pousse implicitement A  lire le pouvoir des marques A  travers le prisme des religions monothéistes. Souvenons-nous que Roland Barthes n'hésitait pas lire dans ses Mythologies l'automobile comme - l'équivalent assez exact des cathédrales gothiques, c'est-A -dire A  une grande création d'époque () consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s'approprie en elle un objet parfaitement magique22 - ; de mASme le sociologue Georges Ritzer, dans son important travail sur le réenchantement23, n'hésite pas A  er les centres commerciaux A  de vériles - cathédrales de la consommation -. En définitive, en ant par exemple l'économie des marques et le régime polythéiste de la Grèce ancienne, le travail archéologique de Georges Lewi ne nous conduit-il pas inexorablement A  décaler notre cadre de pensée ? En effet, le panthéon grec suppose des dieux multiples, chacun ayant ses fonctions, ses compétences, ses domaines réservés, ses modes d'actions particuliers et ses types spécifiques de pouvoir24. Loin de l'idée d'omniscience, d'infinité ou d'absolu, ces dieux fonctionnent A  la manière d'un marché (d'ailleurs l'on parle bien A  leur propos de - commerce des dieux -) grace A  un jeu de relations mutuelles où les compétences et les prilèges font l'objet d'une assez stricte répartition. Ces dieux ne sont pas nimbés dans un au-delA  hypothétique, ils sont dans le monde, ils en font partie ainsi que les marques font partie de notre e quotidienne. On a pu parler A  propose de la Grèce de - religion cique - dans la mesure où le religieux reste inclus dans le social et que les Grecs n'opèrent pas comme le font les religions de la révélation de césure entre le religieux, le domestique, le social et le cique. - La religion ne constitue nullement un secteur A  part entière enclos dans ses limites et qui endrait se superposer A  la e familiale, professionnelle, politique ou de loisir, sans se confondre avec elle25. - Ainsi, le polythéisme grec qui ne repose pas sur une révélation, n'impose pas d'autre vérité que celle de l'usage qui prend valeur d'adhésion. La langue, le mode de e, les manières de le, le vAStement (c'est-A -dire tout ce que recouvre justement le domaine d'expertise des marques) mais aussi le culte n'ont besoin d'autre justification que leur existence mASme : - Depuis le temps qu'on le pratique, il a fait ses preuves. Il exprime la faA§on dont les Grecs ont, depuis toujours, réglementé leur rapport A  l'au delA . S'en ésectiuner ce serait déjA  ne plus AStre tout A  fait soi-mASme, au mASme titre que de perdre l'usage de sa langue. - Ce caractère impérieux renvoie bien édemment au régime d'interpellation de la marque mythique qui comme nous l'avons entrevu précédemment propose (voire impose, sur le régime de la naturalité) des faA§ons de penser, de dire et d'agir. Mais l'appel du mythe nous cone A  pousser encore plus loin le parallèle entre les marques et les dieux grecs ; en effet comme le rappelle Jean Pierre Vernant : - Les dieux grecs ne sont pas des personnes, mais des Puissances () S'ils appartiennent au mASme monde que les humains, s'ils ont d'une certaine faA§on la mASme origine, ils constituent une race qui ignorant toutes les déficiences marquant les créatures mortelles du sceau de la négatité - faiblesse, fatigue, souffrance, maladie, trépas -, incame non l'absolu ni l'infini, mais la plénitude des valeurs qui font le prix de l'existence sur cette terre : beauté, force, constante jeunesse, éclat permanent de e26. -
Ainsi, plutôt que de nous emmener dans un au-delA  que pourrait laisser advenir le caractère a priori transcendant du mythe (qui nous dépasse du haut de sa verticalité et de son épaisseur temporelle), Georges Lewi déplace habilement le propos en proposant finalement une analyse polythéiste de l'économie des marques. Non content d'avoir mis en édence la - cale - implicite qui structure notre conception de la marque, il nous propose un dé-calage en montrant la fécondité d'une pensée autre (spatialement et temporellement) de la religion pour mieux appréhender les marques de notre quotidien.
Qu'adent-il alors A  l'issue de ce travail de déchiffrage opéré par Georges Lewi, si ce n'est l'idée d'une marque apparemment sortie des oripeaux de la mondanité pour se recouvrir d'atours religieux. ? Et pourtant en revenant un instant A  la dimension proprement littéraire du mythe, ne pourrait-on tout de mASme énoncer A  l'égard de la marque mythique ce qu'affirme Gilles Deleuze au sujet de la mondanité telle qu'elle se découvre dans l'œuvre de Proust : - Les signes sont spécifiques et constituent la matière de tel ou tel monde () l'unité de tous ces mondes est qu'ils forment des signes émis par des personnes, des objets, des matières ; on ne découvre aucune vérité, on n'apprend rien sinon par le déchiffrage et l'interprétation27 - ? Contrairement aux apparences, la mondanité est partie prenante du mythe. Pourtant, A  première vue, l'économie des marques est issue d'une part de la mise en place au milieu du 19e siècle de systèmes de protection de la propriété industrielle, et d'autre part du développement d'un système social largement fondé sur l'effet d'ostentation. A€ ce titre, on peut penser que l'ancrage socioculturel de la marque est essentiellement mondain puisqu'il s'agit A  l'origine de montrer A  travers des signes extérieurs un pouvoir d'achat et de dilapidation. Le mythe semble A  première vue déplacer la focale sur la dimension narrative, universelle et poétique de la marque. En ce sens, l'ouvrage de Georges Lewi nous conduit implicitement du registre de la marque mondaine A  la marque mythique. Mais inversement, Jean-Pierre Vernant nous rappelle que les multiples dieux grecs sont - dans le monde : ils en font partie - dans la mesure où ils ne l'ont pas créé par un acte qui, chez le dieu unique, marque sa complète transcendance par rapport A  une œuvre dont l'existence dérive et dépend tout entière de lui. - Les dieux sont nés du monde28. - Ainsi, poursuit Vernant : - 11 y a donc du din dans le monde, comme du mondain dans les dinités29. - N'est-ce pas justement ce qu'il nous faut accepter des marques mythiques, leur pouvoir d'AStre dines tout autant que mondaines ?





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