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ECONOMIE

L'économie, ou l'activité économique (du grec ancien οἰκονομία / oikonomía : « administration d'un foyer », créé à partir de οἶκος / oîkos : « maison », dans le sens de patrimoine et νόμος / nómos : « loi, coutume ») est l'activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. L'économie au sens moderne du terme commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam Smith un important corpus analytique qui est généralement scindé en deux grandes branches : la microéconomie ou étude des comportements individuels et la macroéconomie qui émerge dans l'entre-deux-guerres. De nos jours l'économie applique ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines (puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains domaines : international, finance, développement des pays, environnement, marché du travail, culture, agriculture, etc.


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Les caractéristiques fondamentales de la théorie hégélienne de la « ruse de la raison »

Nous avons vu comment, en droit, une philosophie rationaliste de l'histoire se devait inévilement d'opérer une critique radicale de l'idée, naï à ses yeux, d'une liberté pratique. Cette considération peut se voir également confirmer en fait, si l'on perçoit comment la philosophie de l'histoire de Hegel, partant de positions initialement très proches de celles du jeune Fichte, se constitue progressiment, de Tûbingen à Francfort, par une critique de son point de départ, ainsi que l'a très précisément montré B. Bourgeois : « A Francfort, Hegel découvre le rapport spécifique des moments du temps qui fait de celui-ci un processus créateur irrérsible, un denir historique vérile. A ce temps historique, il accordera de plus en plus d'importance comme principe des dirs contenus humains qu'il situait bien, à Berne, dans le temps, mais dont l'origine était pour lui essentiellement la liberté humaine entendue en un sens volontariste, apparemment kantien-fichtéen, formel. Désormais, Hegel va dépasser ce double formalisme du temps comme pure forme, pur milieu, et de la liberté comme autonomie du vouloir »1. Il ne m'est évidemment pas possible de suivre ici le détail de la constitution de la pensée de Hegel pour montrer en quoi elle est bien effectiment caractérisée par un éloignement continu par rapport à une vision éthico-pratique de l'histoire1. Je préférerai donc à l'étude diachronique de la constitution de la philosophie de la ruse de la raison, une étude synchronique indiquant de façon systématique ce que l'on pourrait nommer les grands traits caractéristiques de cette théorie, c'est-à-dire ceux-là mêmes par lesquels elle se constitue comme un antifichtéanisme radical (j'ai été contraint, dans l'exposé de ces traits caractéristiques, à reprendre, pour les compléter, certaines remarques déjà effectuées en avant-propos. Cet inconvénient m'a paru cependant moindre que ceux qui eussent été inévilement engendrés par un discours plus allusif). On pourra dès lors, sur la base de cette analyse, renir à la question de la liquidation du point de vue fichtéen par une telle conception de l'histoire, ce qui supposera une vérile critique interne de l'hégélianisme, visant à déterminer jusqu'à quel point, très précisément, cette conception rationaliste de l'histoire interdit le projet fichtéen d'une vision morale du monde et d'une fondation de l'idée de praxis.

1 / Selon Hegel lui-même, le « présupposé » fondamental sur lequel repose en dernière analyse la théorie de la ruse de la raison n'est autre que « l'idée () que la raison gourne le monde et par conséquent gourne et a gourné l'histoire unirselle. Par rapport à cette raison unirselle et substantielle, tout le reste est subordonné et lui sert d'instrument et de moyen »1. Comme telle, la philosophie de l'histoire de Hegel se donne d'emblée à penser comme une théorie déterministe, comme une théorie dans laquelle les événements historiques sont indissolublement ou nécessairement liés les uns aux autres. Il importe à cet égard de souligner encore que la théorie hégélienne de la ruse de la raison n'est au fond rien d'autre que la conséquence immédiate, au niau de l'histoire, d'un usage illimité du principe de raison suffisante, selon lequel toute chose a sa raison d'être2. Elle revient effectiment à postuler, en même temps que la validité unirselle de ce principe, l'intelligibilité absolue du réel, le fait que tout y soit explicable, que l'on puisse, au sein du réel historique, rendre raison de chaque événement8, même de ce qui en apparence n'est pas à l'évidence marqué du sceau de l'unirsalité, de la rationalité. Il est également remarquable que cette affirmation possède un caractère de réciprocité, de sorte que l'on peut poser que toute affirmation illimitée du principe de raison suffisante (ou de ce qui n'en est qu'une autre rsion : le principe de causalité) implique une représentation de l'histoire comme ruse de la raison, puisqu'elle implique la nécessité de penser le réel comme entièrement explicable, donc comme entièrement rationnel en droit ou en soi, sinon en fait ou pour nous. Cette simple remarque, qui peut sembler triviale, permet cependant de mesurer toutes les difficultés d'une critique de la ruse de la raison, difficultés qui se peunt au fond résumer de la façon suivante : est-il possible de renoncer à un usage illimité du principe de raison suffisante ? La volonté d'expliquer « objectiment » le réel, de trour une logique, quelle qu'elle soit, dans l'enchainement des événements historiques, n'implique-t-elle pas un usage du principe de raison (ou de causalité), et par là même une vision de l'histoire comme ruse de la raison ? Dans ces conditions, toute approche scientifique ou « objecti » de l'histoire n'est-elle pas vouée à faire réapparaitre, qu'elle le uille ou non, la théorie hégélienne de la ruse de la raison1 ? A de telles questions, la réponse hégélienne est, en tout cas, claire : il est impossible de limiter le principe de raison et celui-ci doit valoir entièrement pour l'histoire, s'il est vrai que « cette raison est immanente dans la réalité historique » et « s'accomplit en et par celle-ci »2.

2 / Déterministe, la vision hégélienne de l'histoire se présente elle-même également comme idéaliste, puisqu'elle implique l'affirmation de l'identité du rationnel et du réel, ce dernier étant posé comme « explicable » de part en part. En ce sens, on le voit, cette vision de l'histoire repose bien sur une certaine application de l'ontologie, sur une définition du réel comme soumis a priori aux deux principes logiques qui sous-tendent la Théodicée leibnizienne : le principe d'identité (le réel, en tant qu'identique à lui-même, est identifiable) et le principe de raison suffisante. La théorie de la ruse de la raison repose donc sur le postulat ontologique selon lequel le réel est a priori et en son fond conforme à ces deux structures logiques de la rationalité.

3/ La théorie de la ruse de la raison est par là même dialectique : elle suppose en effet que la raison se réalise par son contraire, par la déraison, c'est-à-dire par le jeu chaotique des intérêts et des passions particulières, par son « autre »; comme tel, le contraire ou 1' « autre » de la raison n'est en réalité qu'une altérité apparente, puisqu'il fait partie, ne serait-ce qu'à titre d'instrument, de la rationalité globale. Et l'on pourrait aisément montrer comment cette structure dialectique fondamentale - la raison se réalise par son « autre » apparent - se spécifie en une multiplicité de couples apparemment antinomiques, mais réellement réconciliés par la dialectique : c'est ainsi que le droit se réalise par la force, l'unirsel par le jeu particulier des penchants, l'esprit par le processus naturel des luttes d'intérêts, la conscience par l'inconscient, etc. Les trois termes par lesquels nous avons défini jusqu'à présent la ruse de la raison renvoient donc inéluclement les uns aux autres : toute pensée idéaliste, toute pensée qui affirme l'unité du réel et du rationnel, est nécessairement dialectique et déterministe, et réciproquement : si la raison se réalise dialectiquement par son « autre » apparent, c'est bien que l'irrationnel lui-même est nécessaire à la réalisation de la raison, donc que tout le réel, qui est rationnel, c'est-à-dire explicable, est utile et nécessaire.

4 / La théorie de la ruse de la raison implique donc par essence la négation radicale de l'idée même de praxis ; la réduction du point de vue éthique (du point de vue de l'action libre ou du devoir-être fichtéen) à une pure illusion liée à lafinitude du sujet : « l'accomplissement du but infini consiste ainsi seulement à supprimer l'illusion selon laquelle il ne serait pas encore accompli »*, illusion qui est celle de la praxis qui s'imagine que le Bien, loin d'être réalisé de toute éternité dans le monde, doit être encore introduit en lui. Si le réel est déjà, de toute éternité, exhaustiment rationnel, l'idée même de praxis - entendons : l'idée d'une action transformatrice exercée par un sujet sur le réel, en vue de le rendre meilleur - est absurde, et cela pour deux raisons :
- D'abord parce que cette idée suppose nécessairement la possibilité d'une prise de décision, la possibilité pour le sujet fini de se penser soi-même comme l'auteur de ses actions, et non comme le jouet d'une quelconque force extérieure; or une telle supposition est contraire au principe de raison suffisante qui exclut toute possibilité d'un premier commencement intramondain : car si la liberté de commencer soi-même une série d'événements dans le monde était possible, le réel ne serait pas rationnel, de part en part explicable, mais il serait arbitraire et dépendant de la volonté de chaque sujet fini. La croyance en la liberté entendue en ce sens est donc une illusion de la conscience commune.
- Ensuite, si l'idée de praxis est purement illusoire, c'est que la raison n'est pas en réalité formelle; elle n'est pas une simple forme vide, un simple « projet » ou « programme » seulement idéal, grace auquel on informerait ou transformerait de l'extérieur le réel (la matière). Mais la raison, si l'on prend au sérieux la proposition selon laquelle le réel est rationnel (et comment ne pas la prendre au sérieux dès lors qu'on refuse de rejeter le principe d'identité et le principe de raison, c'est-à-dire les conditions de possibilité de toute pensée logique ?), est la totalité de ce qui est, non une forme abstraite semblable à ce que Kant et Fichte nomment « raison pratique ». L'idée de praxis, l'idée d'une transformation du réel et d'un projet de rationalisation qui n'est pas encore réalisé, mais doit l'être, qui est donc seulement formel et idéal, doit ainsi être elle-même expliquée à partir de l'idée correcte de la raison comme totalité du réel : il faut « rendre raison » de l'apparition dans la conscience finie de cette pensée formelle de la raison que véhicule l'idée de praxis; il faut montrer comment le réel suscite de lui-même l'illusion du devoir-être, l'illusion de la praxis, l'illusion de la décision volontaire, puisque « c'est dans cette illusion que nous vivons »1. La solution de cette question est finalement assez simple : elle consiste à montrer comment ce que nous, êtres finis, prenons pour un libre projet, pour une praxis, est en réalité déterminé intégralement par le processus historique au sein duquel nous sommes situés ; l'illusion de la praxis est créée par le noument même de l'histoire, et elle doit être supprimée : « L'Idée en son processus se crée elle-même cette illusion, s'oppose un autre et son agir consiste à supprimer cette illusion »*. Il est remarquable que cette forme de négation de la praxis se retrou dans toute théorie de la ruse de la raison, fût-elle prétendument « matérialiste ». Ainsi par exemple, Marx ne fait que donner un « contenu » économique à la pensée hégélienne de la rationalité philosophique lorsqu'il réduit la praxis révolutionnaire à sa production mécanique par le moument d'accumulation du capital : « A mesure que diminue le nombre des potentats du capital qui usurpent et monopolisent tous les avantages de cette période d'évolution sociale, s'accroit la misère, l'oppression, l'esclavage, la dégradation, l'exploitation, mais aussi la résistance de la classe ouvrière sans cesse grossissante et de plus en plus disciplinée, unie et organisée par le mécanisme même de la production capitaliste »2. L'idée de praxis est niée radicalement dès qu'elle est pensée en termes de production (donc causalement, dans les termes du principe de raison) à partir d'un processus extérieur à elle, ce que Hegel résume magistralement : « Cette dialectique est par suite, non l'action externe d'un entendement subjectif, mais l'ame propre d'un contenu de pensée qui proe organiquement ses branches et ses fruits. La pensée en tant que subjecti ne fait qu'assister à ce déloppement de l'Idée comme de l'activité propre de la raison et ne lui ajoute aucun complément de sa part. Considérer rationnellement un objet, ce n'est pas apporter du dehors à l'objet une raison et le transformer par là, mais l'objet est pour lui-même rationnel »8.
L'affirmation de la rationalité totale du réel a donc pour effet nécessaire la suppression de tout point de vue critique ou éthique (= externe) sur le monde au profit de la seule critique interne, immanente, qui se confond en réalité ac l'intelligence de l'objet étudié - puisque l'objet est de toute éternité conforme à ce qu'il doit être. Ou, comme le dit Hegel dans un texte remarquable en lequel il résume son propre itinéraire philosophique face aux positions (supposées) de Kant ou de Fichte, c'est le point de vue de 1' « intelligence » qui remplace enfin celui de la « volonté » : « Tandis que l'intelligence ne se préoccupe que de saisir le monde tel qu'il est, la volonté, par contre, vise à faire préalablement du monde ce qu'il doit être (). Ici se présentent les contradictions dans lesquelles on est ballotté à l'intérieur du point de vue de la moralité. C'est là en général, touchant le domaine pratique, le point de vue de la philosophie kantienne et aussi de la philosophie fichtéenne. Le Bien doit être réalisé, on a à travailler à le produire, et la volonté n'est que le Bien en train de se manifester actiment. Mais si alors le monde était comme il doit être, l'activité de la volonté disparaitrait par là. La volonté exige donc elle-même que son but ne soit pas réalisé. La finité de la volonté est par là exprimée exactement. Mais on ne peut en rester à cette finité, et c'est par le processus de la volonté elle-même qu'elle est supprimée ainsi que la contradiction qui est contenue en elle. La réconciliation consiste en ce que la volonté retourne, en son résultat, à la présupposition de la connaissance, par conséquent elle consiste dans l'unité de l'Idée théorique et de l'Idée pratique. La volonté sait le but comme ce qui est sien et l'intelligence appréhende le monde comme le concept effectif»1. Cette critique implique une certaine conception de la volonté, en même temps qu'une dénonciation du point de vue de la « finité éthique » qu'il faut ici restituer (puisque, visant à résorber et à dépasser la dimension éthique - c'est-à-dire le point de vue fichtéen -, Hegel prétend se situer au-delà d'une telle dimension, prétention dont il faut évaluer la légitimité) :
- La théorie hégélienne de la volonté peut être d'abord envisagée comme une reprise élargie du kantisme. Comme Kant, en effet, Hegel fait résider l'essence de la volonté dans l'autoposition ou l'autonomie : « Surmonter le contingent est en général tout autant, d'un côté, la tache de la connaissance, qu'il s'agit aussi, d'un autre côté, dans le domaine de la pratique de ne pas en rester à la contingence de la volonté ou au libre arbitre»1. La volonté « vérilement libre » doit donc « contenir en elle le libre arbitre comme supprimé »2. La volonté ne correspond donc à son vérile concept que lorsqu'elle devient raison pratique, c'est-à-dire volonté morale unirselle et non volonté particulière : « La raison pratique est appréhendée comme la volonté se déterminant elle-même et cela d'une manière unirselle, c'est-à-dire comme volonté pensante »3. En cela donc, Hegel ne semble que reprendre le concept kantien d'autonomie. Mais ce qu'il ajoute au kantisme, c'est l'idée que la volonté unirselle ne doit pas s'opposer au libre arbitre, à la volonté particulière, mais se réconcilier ac elle4. Du point de vue pratique, la marque de la finité de la vision morale du monde, c'est bien en effet le hiatus séparant indéfiniment volonté unirselle et volonté particulière (d'où résulte la forme d'impératif prise par la loi morale).
Or, selon Hegel, ce point de vue, dangereux5, est en outre contradictoire et intenable : car la volonté morale prétend souhaiter que le Bien soit finalement réalisé; mais si tel était le cas, le point de vue même de l'action morale disparaitrait. Par là s'éclaire, quant à ses racines, le formalisme fichtéen : la volonté morale, en réalité, ut plutôt elle-même (comme processus) que le Bien (comme résultat) puisque - la valeur résidant dans l'intention morale, et non dans le résultat de l'action - la réalisation du Bien supprimerait toute intention morale, donc serait tout autant suppression du Bien, en une contradiction qui, selon Hegel, conduit à recourir à ce « mauvais infini » que constitue, à titre de prétendue solution, la notion d'idéal réalisable seulement à l'infini : « La conscience a donc à promouvoir elle-même cette harmonie et à faire sans cesse des progrès dans la moralité. Mais il faut toujours renvoyer l'accomplissement parfait à l'infini, car s'il s'introduisait effectiment, alors la conscience morale se supprimerait La perfection n'est donc pas effectiment accessible; elle doit être seulement pensée comme une tache absolue, c'est-à-dire qu'elle demeure toujours une tache à remplir »*. Et cependant, il faut en même temps penser que cette tache est réalisable, comme l'exprime la formule : « tu dois, donc tu peux », de sorte que la vision morale du monde se perd dans « les contradictions d'une tache qui doit rester tache et qui doit toujours être remplie »2, contradictions qu'elle ne peut, sinon résoudre, du moins estomper que « dans les lointains nébuleux de l'infinité dans lesquels, précisément pour cette raison, il faut rejeter l'atteinte du but »3.
On doit donc, pour dépasser ces contradictions, concevoir ia possibilité d'une réconciliation de la volonté morale ac le réel qui ne soit plus indéfiniment différée. Et c'est là que Hegel inrse littéralement le point de vue fichtéen : loin que ce soit le monde réel qui, transformé par l'activité morale du sujet, se rapproche de l'idéal pour finalement coïncider ac lui (coïncidence qui, en réalité, ne peut jamais avoir lieu du point de vue éthique), c'est au contraire la représentation de l'idéal qui, peu à peu, va coïncider ac le réel, déjà parfait en lui-même : « L'aspiration insatisfaite disparait lorsque nous reconnaissons que le but final du monde est aussi bien accompli qu'il s'accomplit éternellement. C'est là d'une façon générale la position de l'homme fait; tandis que la jeunesse croit que le monde est absolument en proie au mal et qu'il faut pour commencer faire de lui quelque chose de tout autre, la conscience religieuse considère, par contre, le monde comme régi par la providence divine et donc comme correspondant à ce qui doit être » ; il y a donc, conclut Hegel, « concordance de l'être et du devoir-être »x. Opposant la position du « jeune homme » à celle de « l'homme fait », Hegel ne fait ici que réinterpréter sa propre évolution depuis la période de Tùbingen - largement dominée par une représentation éthique de l'histoire - jusqu'à celle de Francfort où s'opère la réconciliation de l'idéal ac le réel. Il est donc clair2 que c'est par une réfutation du point de vue fichtéen que se constitue la philosophie hégélienne de l'histoire.
Cette critique, on le voit, prétend prendre la forme d'une intégration, d'une Aufhebung, et non pas d'un pur et simple « rejet » : c'est dire qu'elle se présente elle-même comme une critique interne des positions de Fichte. Par suite, si Hegel entend dépasser la « vision morale du monde », c'est au sens où la conscience commune est, elle aussi, dépassée par la spéculation philosophique3, c'est-à-dire par un point de vue plus rationnel, de sorte que la persistance d'une position éthico-pratique provient au fond d'une incompréhension de la nature du savoir, autrement dit, d'une certaine forme d'irrationalisme. Au reste, en montrant combien cette insuffisance rationnelle risquait d'engendrer des positions politiques néfastes, Hegel, rattachant la politique de Fichte à celle de la Terreur, a su conférer une force persuasi à sa critique en s'attirant la sympathie des adrsaires de l'oppression politique. Aussi a-t-on bien sount admis, comme allant de soi, que la dénonciation de la vision morale du monde était une cause entendue et que l'opposition du devoir-être et de l'être qui la caractérise, devait définitiment être jugée formelle et intenable4, de sorte que, de toute la philosophie hégélienne, c'est peut-être cette critique qui a reçu l'assentiment le plus large, même de la part d'adrsaires déclarés du système hégélien1. On reviendra dans ce qui suit sur la question de la validité de cette critique. Il importe pour l'instant de souligner qu'aux yeux de Hegel lui-même elle ne possède de signification et de portée réelles qu' « adossée », si l'on ose dire, à la théorie de la ruse de la raison. Il serait donc tout à fait absurde de vouloir reprendre la critique hégélienne de Fichte sans en reprendre aussi des implications que Hegel lui-même jugeait inélucles : si Hegel peut critiquer le « terrorisme » de Kant et de Fichte, c'est bien au nom d'une théorie de la ruse de la raison, donc au nom d'une ontologie idéaliste (la définition du réel comme conforme aux principes d'identité et de raison suffisante) ; privée de cette double référence, cette critique perdrait tout son poids et sombrerait inévilement dans la platitude. Inrsement, bien sûr, si l'on « se sert » de Kant ou de Fichte pour critiquer la ruse de la raison (pour ouvrir le système clos par Hegel), il faut aussi en admettre les conséquences, c'est-à-dire admettre les implications du point de vue éthique. Rien de plus vide, par conséquent, que ce jeu stérile qui consisterait à « jouer » un « bon Hegel » contre un « mauvais Fichte » (Hegel critique de la Terreur), et un « bon Fichte » contre le « mauvais Hegel » (Fichte critique de la ruse de la raison et partisan de 1' « ourture du système »). Ces deux philosophies ne sauraient être aussi simplement réconciliées par leurs « bons côtés » sans qu'on les pri du même coup de toute leur signification et de toute leur vigueur en annulant par là, naïment, l'enchainement systématique et la cohésion interne de toutes leurs caractéristiques.

5 / Si l'idée de praxis est purement illusoire, si par conséquent l'histoire n'est pas vérilement faite par l'action des hommes - « car ce que l'individu s'imagine dans son individualité ne peut faire loi pour l'unirselle réalité »2 -, si les hommes ne sont que « les instruments et les serviteurs de l'histoire unirselle »*, force est d'admettre qu'elle est faite par et pour un autre : « On peut dire en ce sens que la providence divine, vis-à-vis du monde et de son processus, se comporte comme la ruse absolue. Dieu laisse faire les hommes ac leurs passions et leurs intérêts particuliers, et ce qui se produit par là, c'est la réalisation de ses intentions, qui sont quelque chose d'autre que ce pour quoi s'employaient tout d'abord ceux dont il se sert en la circonstance »2. Sans doute Dieu n'est-il pas ici un être qui transcende le processus historique, mais la Raison immanente à ce processus, ou encore le point de vue à partir duquel est perçue, à trars la multitude chaotique des conflits d'intérêts particuliers, la rationalité qui s'en dégage comme une résultante; il reste cependant, et c'est là une caractéristique de cette vision théologique de l'histoire, que la signification vérile du processus historique échappe aux individus, non pas du tout que cette signification échapperait à toute emprise de la raison, mais bien au contraire parce que, en tant que pleinement rationnelle, elle dépasse la sphère d'intelligibilité de tout agent historique. C'est en ce point précis que la pensée hégélienne rejoint les thèmes essentiels de la Théodicée leibnkienne, c'est-à-dire, au fond, l'idée que « considérée comme histoire unirselle, la raison n'est pas la volonté subjecti, mais l'action de Dieu »3. Si « la Théodicée consiste à rendre intelligible la présence du mal face à la puissance absolue de la raison »4, il va de soi qu'elle est la forme même de toute théorie de la ruse de la raison - celle-ci visant en effet à montrer que ce qui nous semble, d'un point de vue fini, à la fois partiel et partial, mauvais dans le monde (la guerre, les conflits d'intérêts particuliers, bref les contradictions et les antagonismes de tous genres), est en réalité, d'un point de vue plus général (le point de vue de Dieu), l'élément nécessaire d'un plus grand bien, le moment indispensable à la réalisation parfaite de la raison, de sorte que si l'on supprimait du monde ce qui nous parait mauvais, il serait en réalité moins rationnel, moins parfait. Le fond de cette argumentation réside donc bien dans l'idée leibnizienne que le monde est entièrement conforme au « principe du meilleur », entendons : que tout y a pleinement sa raison d'être. Ainsi l'idée même de Théodicée s'oppose on ne peut plus radicalement à celle de praxis, puisque tout projet d'une amélioration du monde est intrinsèquement absurde dès lors qu'on admet la perfection, la rationalité de l'unirs et de son histoire.

6 / Une telle pensée de l'histoire doit inévilement être en quelque façon naturaliste; je ux dire par là qu'inévilement, malgré la différence bien connue qui sépare selon Hegel les « sciences de l'Esprit » de celles de la nature1, la philosophie de l'histoire doit conduire à ne considérer l'homme que sous son aspect naturel : il est bien clair en effet que celui-ci n'intervient dans l'histoire qu'à titre de force composante inconsciente et que Hegel reprend à son compte l'image « physique » de la composition de la résultante2. Dès lors, si « l'histoire unirselle ne commence ac aucune fin consciente », mais si « la fin ac laquelle commence l'histoire () n'existe qu'en soi, c'est-à-dire comme nature » ou comme « désir inconscient », il va de soi que dans cette histoire « l'homme fait son apparition comme être naturel se manifestant comme volonté naturelle : c'est ce que nous avons appelé le côté subjectif, besoin, désir, passion, entendement particulier, opinion et représentations subjectifs »8. Bref, tout ce en quoi et par quoi l'homme participe à l'histoire n'est pas proprement humain, mais naturel. Soit, comme le soulignera bien Fichte : dans toute théorie de la Providence, l'homme ne peut être que fétichisé ou réifié, intégré qu'il est dans un système qui le détermine de toute part.

7 / A la fois « naturaliste » et théologique, la théorie de la ruse de la raison implique enfin une certaine représentation de la fin de l'histoire, renvoyant elle-même à une conception ternaire de l'ensemble de l'évolution historique de l'humanité. Ces deux points liés entre eux1, se peunt d'ailleurs eux aussi aisément déduire de l'exigence d'une soumission totale du réel au principe de raison suffisante : en effet, si les événements historiques sont liés inéluclement les uns aux autres par une « chaine » de raisons, il faut bien admettre qu'en un certain sens ils sont déjà virtuellement compris au commencement même de l'histoire; ou, pour utiliser le vocabulaire hégélien, si quelque chose se « déloppe » dans l'histoire, c'est parce que quelque chose était « au départ » d'abord seulement « enloppé », seulement « en germe » : « Ce qui tout de suite se présente à nous dans l'évolution, c'est qu'il doit exister quelque chose qui se déloppe, donc quelque chose d'enloppé - le germe, la disposition, la puissance, c'est ce qu'Aristote nomme Sûvajiiç, c'est-à-dire la possibilité () ou, comme on l'appelle, l'en soi »2. L'histoire possède donc trois moments : le moment de l'en soi, dans lequel l'ensemble de l'évolution est contenu sous forme enloppée, sous forme de germe; le moment du déploiement, ce que Hegel nomme Yétre-là, c'est-à-dire l'évolution historique proprement dite, en laquelle se déploient réellement dans le temps les événements ; et enfin le moment du retour à l'unité, de recollection, qui reproduit l'origine, l'en soi, mais après avoir explicité, déployé, tout ce qui n'était en lui qu'à l'état de germe (ce que Hegel nomme le pour soi). Cette dernière étape marque alors la fin de l'histoire unirselle - en l'occurrence, pour Hegel, l'apparition de l'Etat moderne.



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