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ECONOMIE

L’économie, ou l’activité économique (du grec ancien οἰκονομία / oikonomía : « administration d'un foyer », créé à partir de οἶκος / oîkos : « maison », dans le sens de patrimoine et νόμος / nómos : « loi, coutume ») est l'activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. L'économie au sens moderne du terme commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam Smith un important corpus analytique qui est généralement scindé en deux grandes branches : la microéconomie ou étude des comportements individuels et la macroéconomie qui émerge dans l'entre-deux-guerres. De nos jours l'économie applique ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines (puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains domaines : international, finance, développement des pays, environnement, marché du travail, culture, agriculture, etc.


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Des marchés aux économies de marché

Des marchés aux économies de marché
Capitalisme ou économie de marché ?
Aujourd'hui, après l'effondrement du « socialisme réel», les institutions économiques et politiques de la société sont très homogènes. L'économie de marché et la « démocratie » représentati, les institutions de la « modernité hétéronome », sont denues unirselles. Mais, à l'échelle de l'histoire, toutes deux sont des phénomènes récents. Si les marchés existent depuis très longtemps, le système de l'économie de marché n'a été instauré qu'il y a deux siècles. Quant à la « démocratie » représentati, ce sont les Pères fondateurs de la Constitution des États-Unis qui l'ont introduite, dans le dernier quart du xvin siècle. D'où la question cruciale qui se pose aujourd'hui : quel rapport y a-t-il entre ces institutions et la crise sans précédent de la société moderne ?
Mais d'abord, pourquoi disons-nous « économie de marché » et pas « économie capitaliste » ? Et qu'entendons-nous par là? Dans ce livre, nous définirons l'économie de marché comme le système où les problèmes économiques (que produire, comment et pour qui ?) se trount résolus « automatiquement » par le mécanisme des prix, et non par des décisions sociales conscientes - système, donc, qui s'autorégule. Le choix du terme n'est évidemment pas inspiré par la soumission à l'usage « politiquement correct » du jour, qui a banni les mots « capitalisme » et - plus commodément -« socialisme ». Je l'emploie parce que je suis convaincu que le concept de « mode de production capitaliste » avancé par Marx et celui d'« économie mondiale capitaliste » proposé par Wallerstein, bien qu'ils aient beaucoup apporté, respectiment, à l'analyse des classes sociales et à celle de la division mondiale du travail, sont trop étroits et dépassés.
Ils sont trop étroits parce qu'ils impliquent que tous les rapports de pouvoir peunt être analysés en termes de rapports de pouvoir économiques (ou réduits à ceux-ci), alors que le pouvoir économique n'est qu'une forme de pouvoir parmi d'autres (c'est l'un des postulats essentiels de ce livre). Donc, si l'on en fait la catégorie centrale pour analyser les phénomènes sociaux marqués par des relations hiérarchiques (au foyer, au travail) ou les problèmes d'« identité » ethnique et culturelle, on arrira nécessairement à des interprétations inadéquates ou simplistes.
Ils sont dépassés parce que, nous le rrons, si l'on s'en sert pour interpréter la mondialisation, on aboutit à l'idée absurde que le plus grand phénomène de notre époque n'est pas une nouauté - quand on n'y voit pas un « mythe » ou une « idéologie » conçue pour justifier un complot capitaliste !
Il est donc clair qu'aucun débat fructueux sur la crise multidi-mensionnelle en cours n'est possible dans le cadre théorique qu'impliquent les concepts en question. Ce qui ne signifie pas, bien sûr, que la catégorie centrale utilisée dans ce livre (l'économie de marché) soit elle-même assez large pour interpréter connablement toute la dirsité des phénomènes sociaux. Mais, puisqu'elle ne sert ici qu'à expliquer une partie de la réalité, le champ économique, sans prétendre que ce champ détermine les autres (pas même en « dernière instance »), elle laisse assez de flexibilité pour élaborer des interprétations interdisciplinaires adéquates de la réalité sociale.
Le terme « économie de marché » désigne donc ici, sans ambiguïté, le système concret apparu en un lieu précis (l'Europe) à une époque particulière (il y a deux siècles). Ce n'est pas une catégorie historique générale, posée par une théorie qui se proposerait d'expliquer l'évolution du système économique à trars l'histoire, comme était censé le faire le concept marxiste de « mode de production ». La méthodologie adoptée dans ce livre postule qu'il est impossible d'élaborer des théories « générales » de l'évolution sociale ou économique sur la base de visions « scientifiques » ou « objectis » de la réalité sociale (voir chapitre 5).
Capitalisme et économie de marché ne sont donc pas synonymes. L'économie de marché telle qu'elle vient d'être définie est plus large que le capitalisme. Elle renvoie à un mode d'allocation des ressources, et le capitalisme à des rapports de propriété. Donc, même si, historiquement, l'économie de marché s'est trouvée associée au capitalisme, c'est-à-dire à la propriété privée et à la gestion* privée des moyens de production, une répartition des ressources par le marché n'est pas inconcevable dans un système de propriété sociale et de gestion sociale des ressources économiques. Faire la distinction entre capitalisme et économie de marché est particulièrement utile à notre époque, où, après l'échec de l'économie de ification centralisée, tant d'esprits dans ce qui s'est autodéclaré « la gauche » redécouvrent les mérites d'une économie de marché « socialiste »'. Simultanément, plusieurs partis « communistes » du Sud (Chine, Vietnam, etc.) ont décidé d'édifier une économie de marché « socialiste », et sont en passe de réussir une synthèse des pires aspects de l'économie de marché (chômage, inégalité, pauvreté) et de l'étatisme « socialiste» (autoritarisme, absence de toute liberté politique). J'espère que ce livre le montrera clairement : l'objectif d'un nouau projet de libération ne doit pas être l'abolition des seuls rapports de propriété capitalistes, mais l'abolition de l'économie de marché elle-même.
Une dernière précision s'impose avant d'entamer l'interprétation du processus historique qui a conduit à l'économie de marché internationalisée que nous connaissons. Si une économie de marché est fondamentalement un système autorégulateur, cela ne signifie évidemment pas qu'en économie de marché il n'y a aucun contrôle social. Nous devons introduire ici une importante distinction entre dirs types de contrôles sociaux, qui va nous aider à comprendre la marchéisation et l'internationalisation actuelles de l'économie.
Il existe trois grands types de contrôles sociaux possibles sur l'économie de marché. Il y a d'abord les contrôles réglementaires. généralement introduits par les élites économiques qui la dominent pour « réglementer » le marché. Ces contrôles visent à élir un cadre sle où l'économie de marché pourra fonctionner sans heurt : ils ne changent rien à sa nature fondamentalement autorégulatrice. Ils ont toujours été nécessaires à la production et à la reproduction du système de l'économie de marché. Citons comme exemples les dirs contrôles qu'introduisent actuellement l'Organisation mondiale du commerce ou les traités de Maastricht et d'Amsterdam : ils visent à réglementer les marchés mondial et européen respectiment, essentiellement dans l'intérêt de ceux qui les dominent (multinationales, grandes firmes nationales et multinationales basées en Europe, etc.). Ce type de dispositif a été très utilisé tout au long de l'histoire de l'économie de marché.
Puis, il y a les contrôles sociaux au sens large : leur objectif premier était de protéger de la concurrence étrangère les élites économiques dominant l'économie de marché, mais certains de leurs effets indirects ont pu bénéficier aussi au reste de la société. Pensons aux dirses mesures protectionnistes en faur des produits nationaux et des marchés intérieurs des capitaux (droits de douane, contrôle des importations, contrôle des changes, etc.). Les élites dominant les grandes économies de marché (le « Nord » - le « club » des économies de marché avancées) étaient particulièrement ardentes à introduire de tels dispositifs pendant leur phase d'industrialisation. Une fois l'objectif atteint, elles ont commencé à les démanteler peu à peu, et contraint à en faire autant les pays périphériques qui n'avaient pas réussi à se délopper «à temps », les condamnant ainsi à rester en permanence hors de leur « club ».
Enfin, il y a les contrôles sociaux au sens strict : ils visent à protéger les êtres humains et la nature contre les effets de la marchéisation. Ces mesures-là sont généralement dues aux luttes sociales de ceux qui souffrent des effets de l'économie de marché, sur eux-mêmes ou sur leur environnement. Exemples typiques : les retraites, les prestations sociales, les mesures macro-économiques pour assurer le plein emploi, etc. Ces contrôles ont proliféré dans la période « étatiste » de la modernité, mais, dans l'économie de marché internationalisée d'aujourd'hui, on les a radicalement réduits ou minés par tous les moyens.


Le passage à la modernité

Les deux grandes institutions qui distinguent la société moderne de la société prémoderne sont le système de l'économie de marché et la « démocratie » représentati. On sait que la société moderne a émergé, très inégalement, d'un système rural vieux de cinq mille ans. On pourrait d'ailleurs soutenir que l'organisation sociale et technologique de la révolution néolithique est restée la base de toute civilisation jusqu'à l'industrialisation. La production industrielle s'est ensuite répandue, très inégalement toujours, de l'Europe au reste du monde.
Cela dit, on aurait tort d'identifier modernité et industrialisation (thèse autrefois proée par la sociologie « scientifique » orthodoxe, mais aujourd'hui très largement partagée, même par les « radicaux » des « nouaux mouments sociaux »). Le déploiement inégal de l'industrialisation, par exemple, ne peut être sérieusement interprété par le manque d'entrepreneurs, l'absence de valeurs industrielles, etc., alors qu'il est parfaitement explicable par le type de déloppement économique que crée le marché, comme nous le rrons au chapitre 3. Donc, accuser l'industrie des maux de la société moderne, comme le font tant de radicaux, éco-féministes, Verts, militants des mouments indigènes, postmodernes, irrationalistes (New Age ou autres), et même certains écoanarchistes, est au mieux une erreur, au pis un fourvoiement. Cette idée incite à se tromper de cible : on va lutter contre la société industrielle au lieu de s'en prendre au système de l'économie de marché et à la « démocratie » représentati, causes ultimes de l'actuelle concentration du pouvoir économique et politique, donc de la crise multidimensionnelle (voir chapitre 4).
Du point de vue où nous nous plaçons ici2, la production industrielle n'a été, dans le passage à la société moderne, que la condition nécessaire. La condition suffisante a été l'introduction parallèle - ac l'aide décisi de l'État - du système de l'économie de marché pour remplacer les marchés locaux (sous contrôle social) qui existaient depuis des milliers d'années. C'est ce qu'explique Karl Polanyi dans son ouvrage classique, La Grande Transformation :
Avant notre époque, aucune économie n'a jamais existé qui fût, même en principe, sous la dépendance des marchés. [] Quoique l'institution du marché ait été tout à fait courante depuis la fin de l'Age de pierre, son rôle n'avait jamais été que secondaire dans la vie économique. [] Alors que l'histoire et l'ethnographie connaissent l'existence de dirs types d'économie, dont la plupart comportent l'institution des marchés, elles n'ont connaissance d'aucune économie antérieure à la nôtre qui soit, même approximatiment, dirigée et réglée par les marchés. [] Tous les systèmes économiques qui nous sont connus jusqu'à la fin de la féodalité en Europe occidentale étaient organisés selon les principes soit de la réciprocité ou de la redistribution, soit de l'administration domestique [c'est-à-dire de la production pour son propre usage], soit d'une combinaison des trois3.
Les systèmes économiques antiques et féodaux étaient tous ancrés dans des rapports sociaux : c'étaient des motifs non économiques qui régulaient la répartition des biens matériels. Durant les premiers siècles du Moyen Age, encore, les produits d'usage courant ne s'achetaient pas et ne se ndaient pas régulièrement sur un marché. Ajoutons qu'avant la révolution industrielle, ni le travail ni la terre n'étaient traités en marchandises. Tout cela montre clairement que le processus de marchéisation n'a commencé qu'ac l'essor de l'industrialisation. C'est donc au début du XIXe siècle seulement qu'a été créé un système de marché autorégulateur, qui, pour la première fois dans l'histoire, a scindé institu-tionnellement la société en sphère économique et sphère politique. Dans aucune formation sociale, ni tribale, ni féodale, ni mercanti-liste, on n'avait vu jusque-là dans la société un système économique séparé4.
Cela n'a pas empêché le libéralisme économique de projeter dans le passé, sur toute l'histoire de la civilisation humaine, les principes inhérents au marché autorégulateur - en déformant la nature et les origines réelles du commerce, des marchés, de la monnaie, de la vie urbaine. Mais presque tous les postulats anthropologiques ou sociologiques de la philosophie du libéralisme économique ont été réfutés par l'anthropologie sociale, l'économie des sociétés primitis, l'histoire des civilisations anciennes et l'histoire économique en général.
Donc, l'élément crucial qui différencie l'économie de marché de toutes les économies passées (où les marchés s'autorégulaient aussi, puisque tout marché tend à élir des prix d'équilibre entre l'offre et la demande) a été la constitution, pour la première fois dans l'histoire, d'un système de marché autorégulateur - un système au sein duquel se sont déloppés des marchés même pour les moyens de production : le travail, la terre et l'argent. Le contrôle du système économique par le marché, écrit Polanyi, « signifie tout bonnement que la société est gérée en tant qu'auxiliaire du marché. Au lieu que l'économie soit encastrée dans les relations sociales [comme par le passé], ce sont les relations sociales qui sont encastrées dans le système économique3 ». La concurrence, force motrice du nouau système, met au cœur de sa dynamique le principe « croitre ou mourir ». C'est pourquoi l'économie de marché, une fois élie, finira inévilement par denir l'économie de marché internationalisée.
C'est l'institutionnalisation de ce nouau système d'organisation économique qui a mis en branle le processus de marchéisa-rion. Ce concept joue un rôle clé dans l'analyse qui va suivre. Voici sa définition : c'est le processus historique qui a fait des marchés sous contrôle social d'autrefois l'«économie de marché» d'aujourd'hui. Ce qui le caractérise essentiellement, ce sont les efforts des élites qui dominent l'économie de marché pour réduire au minimum tout dispositif efficace de « contrôle social sur les marchés », visant à protéger le travail et l'environnement.
Mais rappelons brièment comment ont été créées les deux grandes institutions de la modernité, l'économie de marché et la « démocratie » représentati. Dans les deux cas, l'Etat-nation a joué un rôle crucial. Son émergence à la fin du Moyen Age a rendu possible la « nationalisation » des marchés (leur délocalisation) et les a libérés d'un contrôle social efficace - les deux principales conditions préalables de la marchéisation. Et c'est encore l'Etat-nation qui a conduit à créer le complément politique nécessaire à l'économie de marché : la « démocratie » représentati. Donc, ni le système de l'économie de marché ni son complément politique n'ont été les résultats d'une sorte de processus évolutionniste, comme le supposent en général les marxistes. L'institutionnalisation tant du système du marché que de la « démocratie » représentati a été due à l'action délibérée de l'État, contrôlé par la classe marchande - la noulle élite économique et politique apparue pendant la révolution industrielle en Europe et aux États-Unis. Et la constitution de cette classe n'a rien eu d'« évolutionniste » non plus6.

La naissance de l'économie de marché
L'émergence de l'Etat-nation n'a pas seulement détruit l'indépendance politique de la communauté urbaine ou villageoise, mais aussi son indépendance économique*. Seule l'action délibérée de l'État, aux XVe et xvie siècles, a « nationalisé » le marché et créé un commerce intérieur7. Le XVIe siècle peut d'ailleurs être ramené à cette lutte de l'État naissant contre les villes libres et leurs fédérations, qui fut suivie aux xvif et XVIIIe siècles par de noulles initiatis de l'État, dont la confiscation ou la « clôture » des communaux -totalement achevée en Europe occidentale dans les années 18508.
Mais cette « libération » du commerce par l'État ne l'a libéré que du localisme. Les marchés sont restés secondaires, dans un ordre institutionnel plus que jamais régi par la société. Jusqu'à la révolution industrielle, il n'y a eu aucune tentati d'élir une économie de marché sous la forme d'un grand marché autorégulateur. C'est à la fin du XVIIIe siècle que la transition des marchés réglementés à un système de marchés autorégulateurs s'est achevée, ce qui a marqué la « grande transformation » de la société : le passage à une économie de marché. Jusqu'à cette époque, la production industrielle en Europe occidentale, et notamment en Angleterre où est née l'économie de marché, n'était qu'un simple appendice du commerce.
On pourrait d'ailleurs soutenir que, si la révolution industrielle s'était accomnée d'une révolution sociale - qui aurait permis de concilier contrôle social et usage des machines pour produire à grande échelle -, l'actuelle marchéisation de la société aurait été évitée, ainsi que l'énorme concentration de renus, de fortunes et de pouvoir économique qu'a suscitée l'industrialisation fondée sur le marché. Mais, ac la structure de classes de la société marchande élie dans plusieurs pays européens pendant la révolution industrielle, il n'est pas surprenant que la mise à contribution du « travail » et de la « terre » ait été fondée sur la marchandisation du labeur humain et des ressources naturelles : leur usage n'allait pas dépendre des besoins respectifs des êtres humains et de l'écosystème, mais de leur prix sur le marché.
Puisqu'une révolution sociale n'a pas eu lieu à l'époque, la suite était inévile. Les usines ne pouvaient assurer une production continue sans que leur approvisionnement en moyens de production (en particulier en travail et en « terre ») fût organisé. Mais, dans une société marchande, la seule façon d'y parnir était de transformer le labeur humain et les ressources naturelles en marchandises : elles seraient fournies aux conditions fixées par le marché à trars le mécanisme des prix. L'introduction des nouaux systèmes de production dans une société marchande où les moyens de production étaient sous propriété et contrôle privés a donc inévilement conduit (ac le soutien crucial de l'État-nation) à la transformation des économies socialement contrôlées du passé, où le marché jouait un rôle marginal dans le processus économique, en nos actuelles économies de marché.
Puisque la production était sous contrôle privé, ceux qui disposaient des moyens de production devaient absolument être économiquement « efficaces » pour survivre à la concurrence. Il leur fallait donc assurer :
• Le libre flux du travail et de la terre au moindre coût. Or, dans le cadre de la gestion privée de la production, la liberté de ces flux est inrsement proportionnelle à l'impact des contrôles sociaux (au sens strict) sur les marchés. Plus ces contrôles sont efficaces, en particulier, sur les marchés des moyens de production (travail, capital, terre), plus il est difficile d'assurer leur libre flux au moindre coût : la législation protégeant les salariés, par exemple, a rendu le marché du travail moins flexible, donc le flux de main-d'œuvre moins fluide ou plus coûteux. C'est ce qui suscite la marchéisation : historiquement, les propriétaires et gestionnaires privés des moyens de production se sont toujours efforcés de réduire au minimum les contrôles sociaux sur les marchés.
• Un flux continu d'instissements en techniques noulles, méthodes de production noulles, produits nouaux, afin d'améliorer la compétitivité et les ntes (logique qu'exprime à merille la formule «croitre ou mourir»). C'est ce qui suscite la croissance économique. Ce n'est donc pas par hasard que « l'idée moderne de croissance a été formulée il y a environ quatre siècles en Europe, quand l'économie et la société ont commencé à se séparer9 », même si l'économie de croissance elle-même (définie comme le système d'organisation économique orienté, soit « objectiment », soit délibérément, rs la maximisation de la croissance économique - voir chapitre 2) est apparue bien après la naissance de l'économie de marché du début du xixe siècle et ne s'est épanouie qu'après la Seconde Guerre mondiale.


L'émergence delà « démocratie » représentati

Pour assister à la naissance de la « démocratie » représentati, nous devons renir au dernier quart du xvine siècle : c'est alors que les Pères fondateurs de la Constitution américaine l'ont littéralement inntée. L'idée n'avait, en effet, aucun précédent historique dans le monde antique. Jusqu'à cette époque, le mot « démocratie » avait le sens athénien classique de souraineté du démos, exercice direct du pouvoir par tous les citoyens - même si, bien sûr, la démocratie athénienne était partielle (voir chapitre 5). Cet exercice direct du pouvoir, les Pères fondateurs l'avaient jugé totalement inacceple. Officiellement, parce qu'il aurait institutionnalisé, selon eux, le pouvoir de la « populace » et la tyrannie de la majorité. Mais leur objectif réel était de dissoudre le pouvoir populaire, afin de garantir que le système « démocratique », qui prétendait répartir le pouvoir politique à égalité, serait bien compatible ac la dynamique de l'économie de marché, qui provoquait déjà une concentration du pouvoir économique entre les mains d'une élitel0. Cette compatibilité est évidemment une exigence constante des philosophes libéraux depuis Adam Smith, qui prend la peine de souligner que la grande mission de l'État est de défendre les riches contre les pauvres - tache dont il s'acquitte, obser John Dunn, de façon « nécessairement moins fiable là où les pauvres choisissent les gournants, sans parler du cas où les pauvres sont le gournement, comme à Athènes " ».
Notons-le bien : si la « démocratie » représentati a été inntée, ce n'est pas parce que la population était trop nombreuse. Le raisonnement des Pères fondateurs, souligne Wood, « n'était pas : "La représentation est nécessaire parce que la république a un vaste territoire", mais : "11 est souhaile d'avoir une république territorialement étendue pour que la représentation soit inévile"12 ». La notion fédéraliste de représentation, notamment chez Hamilton, a donc été imaginée pour servir de filtre : elle était exactement l'inrse de Visègoria, l'impératif d'égalité de parole de la démocratie antique - à er à la liberté a" expression de la « démocratie » représentati. Ainsi comprise, la démocratie cessait d'être l'exercice du pouvoir politique: on en faisait au contraire l'abandon de ce pouvoir, qui se trouvait transféré, via les élections, à une élite politique. Bref, non seulement les Pères fondateurs ont vu dans la représentation un moyen d'ésectiuner le peuple de la politique, mais ils l'ont proposée pour la raison même qui avait incité les Athéniens à ne pas recourir à l'élection (sauf dans les cas exceptionnels où il fallait un expert) : parce que l'élection favorise les « économiquement forts ». Si les Athéniens appelaient « oligarchie » le régime où dominent les riches (qui sont par définition une minorité), les Pères fondateurs comme Hamilton ne voyaient aucune incompatibilité entre la démocratie et la domination des riches - mieux : ils considéraient la domination des riches comme la règle en démocratie.
Donc rinstitutionnalisation plus ou moins simultanée du système de l'économie de marché et de la « démocratie » représentati, pendant la révolution industrielle en Occident, a créé le phénomène fondamental de la modernité : la société a été officiellement séparée de l'économie et de l'État, et cette séparation est toujours restée la base de la modernité. Non seulement, comme producteurs, les membres de la société ne peunt pas contrôler le produit de leur travail, mais encore, comme citoyens, ils ne peunt exercer directement le pouvoir politique. L'économie de marché et la « démocratie » représentati ont en fait institutionnalisé la répartition inégale du pouvoir politique et économique entre les citoyens. On pourrait montrer que l'extension graduelle des droits civiques à la grande majorité de la population - qui n'a été achevée qu'au xxe siècle - n'a pas compensé la régression qui a vidé la citoyenneté de son sens concret d'« exercice du pouvoir ». La « démocratie » représentati a créé une citoyenneté passi, qui n'a rien à voir ac la citoyenneté acti de la démocratie antique. Ne soyons donc pas surpris que l'extension des droits civiques n'ait pas réduit la concentration du pouvoir politique et économique, qui a toujours caractérisé la société moderne : elle n'a eu, nous le rrons, qu'un effet temporaire sur l'inégalité économique dans la phase étatiste de la modernité.
Dans notre problématique, c'est donc l'institutionnalisation de l'économie de marché et de la « démocratie » représentati, son complément politique, qui a été la cause ultime des caractéristiques généralement reconnues à la société moderne : le remplacement du groupe ou de la communauté (unité de base traditionnelle de la société) par l'individu; l'assignation de taches spécialisées très précises aux institutions (ac une division du travail extrêmement déloppée), ce qui n'était pas le cas pour les institutions politiques et sociales traditionnelles (la famille, la communauté, le roi, etc.) ; la gestion des institutions par des « règles » et non, comme dans la société traditionnelle, par la coutume et la tradition, etc.



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