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ECONOMIE

L'économie, ou l'activité économique (du grec ancien οἰκονομία / oikonomía : « administration d'un foyer », créé à partir de οἶκος / oîkos : « maison », dans le sens de patrimoine et νόμος / nómos : « loi, coutume ») est l'activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. L'économie au sens moderne du terme commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam Smith un important corpus analytique qui est généralement scindé en deux grandes branches : la microéconomie ou étude des comportements individuels et la macroéconomie qui émerge dans l'entre-deux-guerres. De nos jours l'économie applique ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines (puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains domaines : international, finance, développement des pays, environnement, marché du travail, culture, agriculture, etc.


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Les idÉes Économiques dans l'antiquitÉ

Dans l'Antiquité - sauf au Bas-Empire romain - la vie économique ne s'est guère développée sur une grande échelle. L'économie antique fut généralement une économie à cadres restreints (principalement familiale cl locale). Dans une telle ambiance les problèmes d'économie politique (nationale, impériale, mondiale) ne se posaient pas au premier . D'autre part, les écriins de l'Antiquité n'appartenaient pas ordinairement au monde des producteurs et des mar-chands ; les préoccupations économiques n'étaient jamais pour eux primordiales. Sans doute les problèmes de la vie matérielle leur paraissaient-ils indignes que l'on en dissertat. L'écriture, rare alors, se réserit à de plus nobles fins. Aussi bien les Hébreux, les Grecs, les Romains n'ont-ils pas de littérature économique spécialisée. C'est en glanant à travers leurs écrits religieux, philosophiques, et politiques - voire à travers leurs poètes - que nous leur découvrirons quelques lueurs sur le problème économique.

Les idées économiques du peuple d'Israel
La civilisation d'Israël est une civilisation que l'on peut dire exclusivement religieuse. Le type humain qu'exaltent la Loi et les Prophètes est le type du Juste : l'homme qui craint Yahweh. Aucune science humaine n'est cultivée par les Hébreux comme le sont à la même époque l'astronomie par les Chaldéens ou la physique par les Grecs. La Loi défend de faire des images taillées : l'art aussi est sacrifié à la pureté du culte. Il semble que chez ce peuple prédestiné toutes les facultés humaines aient été immolées à l'accomplissement de son extraordinaire et divine mission.
Il n'y a pas de doctrine économique en Israël (1). Non pas que les Juifs se soient jamais montrés, comme certains sages grecs, indifférents aux richesses d'ici-bas. Dans aucune littérature antique sans doute, leur souci ne tient autant de place que dans la Bible. A chaque e l'évocation d'une future prospérité matérielle y ure la réalisation de la Promesse. Mais les Juifs voyaient dans la richesse ou dans la pauvreté la récompense ou la punition de leur fidélité ou de leurs infidélités à Yahweh. Plus tard, avec le livre de Job, la Providence apparait avec des mobiles plus complexes et moins faciles à sonder. Il n'empêche que le succès économique se présente toujours pour les Hébreux comme une manifestation de la volonté divine, non comme le résultat de cette activité « calculée », rationnelle de l'homme, par quoi nous avons défini l'objet de l'économie politique.
Et cependant les institutions et les livres des Juifs ont exercé une influence considérable sur la pensée économique postérieure.
Et d'abord, la Loi. Elle interdit de dérober et même de convoiter les biens du prochain, et sanctionne, par conséquent, la propriété individuelle. Mais il ne s'agit point de la propriété romaine. La propriété en Israël n'est ni perpétuelle ni absolue. Le domaine éminent de Dieu sur toutes les terres est affirmé solennellement. Tous les cinquante ans. revient l'année jubilaire : alors toutes les ventes sont résolues, et la terre revient à son possesseur antérieur. Tous les sept ans « l'année sabbatique » efface l'ensemble des dettes. Il sera interdit aux Hébreux de prêter à intérêt, d'abord aux pauvres, puis à tous leurs compatriotes. Et sans doute toutes ces dispositions de la Loi semblent inspirées par des préoccupations plus pratiques que doctrinales, et essentiellement consertrices. II s'agit de maintenir le morcellement initial des terres, et d'empêcher qu'un petit nombre d'individus ne réussisse à la longue à concentrer la richesse entre ses mains, asser-vissant le reste du peuple. Pourtant la conception de la propriété que traduisent de telles institutions, l'inaliénabilité du sol qu'elles sanctionnent pratiquement, la faveur qu'elles marquent pour les débiteurs, auront une influence considérable sur la pensée juridique et sociale des temps chrétiens.
Plus intéressantes peut-être pour nous que les institutions juridiques mosaïques ou rabbiniques sont quelques réflexions morales contenues principalement dans les Livres sapientiaux. Le trail est honore et estimé chez les Juifs, et l'activité productrice n'y est point du tout décriée. La civilisation hébraïque - qui n'est point esclagiste - est une civilisation laborieuse. Et. comme tous nos auteurs au moins jusqu'à Smith inclus, les écriins sacrés de l'Ancien Testament élissent une hiérarchie parmi les activités économiques. Ils ne les classent point, comme feront plus tard les physiocrates, selon le critère de la productivité, mais - comme tous les auteurs anciens et médiéux - selon leur degré d'honorabilité. Ils louent surtout l'agriculture. Mais écoutez ces malédictions contre le négoce et les commerçants : « Difficilement l'homme de négoce évitera la faute La cheville s'enfonce entre les jointures des pierres. Ainsi le péché pénètre entre la vente et l'achat. » Voilà comme parle la Sagesse de Jésus, fils de Sirach (Ecclésiastique). Jusqu'aux mercanlilistes toujours, et après eux souvent, nous retrouverons la même réprobation. N'est-il point curieux de la rencontrer déjà - en un livre d'inspiration hellénique il est vrai - chez ce peuple marchandeur : dont l'alliance avec son Dieu même revêt l'allure d'un marché ?


Les idées économiques des Grecs

Chez les Hébreux, nous scrutions les écriins sacrés pour y découvrir notre maigre gibier de réflexions économiques. En Grèce, c'est aux philosophes qu'il faudra nous adresser, et principalement aux philosophes politiques. La civilisation grecque est ant tout une civilisation politique. Aucune fonction n'y est considérée comme plus noble que celle qui consiste à quer aux affaires publiques. Toute la classe des citoyens n'a point d'autre occupation. Le modèle ici, c'est le type du bon citoyen, et celui du sage. Le sage grec est pieux parfois, mais ant tout il est raisonnable. Les idées économiques des Hellènes dépendront entièrement de préoccupations philosophiques, politiques, et morales : non de préceptes divins ni de la vie religieuse.
Voici d'abord les sophistes qui exaltent la raison individuelle - le libre examen si l'on veut -, et représentent une réaction individualiste contre la forte organisation de la société hellénique. Par rapport à la « démocratie » antique, leur tendance est démocratique au sens moderne du mol. Ils opposent volontiers la nature à la loi et à l'autorité. Ils dissolvent les dogmes, dissèquent les institutions, ébranlent la légitimité de l'esclage, exaltent l'industrie et le commerce méprisés des conserteurs agrariens. Ils sont hostiles au particularisme national, cosmopolites, partisans du commerce extérieur.
Contre les sophistes se dressent les socratiques, principalement Platon et Aristote. Xénophon a bien écrit une Economique. Mais si ce titre nous semble prometteur, c'est que, non plus que la Henriette de Molière, nous n'entendons le grec. Il ne s'agit que de conseils pratiques pour la gestion d'une économie domestique, d'un ménage. Tel est le sens d'oïxovoui'a, chez tous les auteurs.
Platon et surtout Aristote vont nous fournir une plus riche pature. On les oppose souvent ; eux-mêmes se sont opposés l'un à l'autre sur la question de la propriété individuelle et du communisme. Mais il ne faut pas perdre de vue tout ce qui les rapproche. En face des sophistes qu'ils combattent, ils représentent l'un et l'autre la tradition anti-individualiste, moraliste, agrarienne. ascétique, nationale. Us sont hostiles à la richesse, à toute expansion économique qui risquerait de compromettre la sérénité du sage et la silité de l'Etat. Leur « socialisme » - si l'on veut à toute force affubler leur pensée de cette anachronique étiquette - est réactionnaire. Leur doctrine économique - si l'on tient absolument à leur en prêter une - est anti-économique.
Deux ouvres de PIaton présentent un intérêt pour nous : La Repu-blique et Les Lgis- Ce-ne sont pas des ouvrages d'économie politique. La République commence par une longue discussion sur la justice, et se termine par l'affirmation de l'immortalité de l'ame et de la métempsycose. Mais lorsque Platon en vient à se demander ce qui donne naissance à la société politique, il conclut que c'est à cause de la nécessité et de la fécondité de la division du trail que les hommes se sont associés. Le point de départ de l'utopie platonicienne est donc déjà celui même de La Richesse des Nations d'Adam Smith, dont nous parlerons à son heure. Et c'est sur cette base que le philosophe Platon (l'idéalisme métaphysique est toujours proche parent de l'utopisme social) construire son Etat-modèle. Dans la République qu'il imagine, les citoyens seront répartis en trois classes : celle des gardiens. celle des guerriers, celle des laboureurs (c'est-à-dire des producteurs de toute sorte). L'Etat est gouverné par les « gardiens ». Un bon chien de garde n'est doux qu'avec ceux qu'il connait. Pour que les gardiens de la société soient à la fois vigilants et doux en toutes choses, ne faut-il pas qu'ils connaissent toutes choses, c'est-à-dire qu'ils soient philosophes ? La République de Platon, ce sera la République des philosophes. Aux gardiens il sera défendu d'exercer aucune profession productive, et de toucher aucune monnaie. Il importe que rien, ni l'amour des richesses. ni les soucis de la pauvreté, ni les préoccupations qu'entraine l'exercice d'une activité économique, ne vienne détourner la caste supérieure de sa double mission : cultiver la sagesse et gérer les affaires publiques. Les femmes sont réparties dans les castes, comme les hommes : il y a des guerrièrgs comme des gardiennes-philosophes, et des femmes-laboureurs. Dans la caste des gardiens les femmes sont communes, les unions sans lendemain et étroitement réglées parles magistrats. L'éducation des enfants - qui ne doivent connaitre ni leur père ni même leur mère - est assurée par l'Etal, exclusivement confiée à dcs «soigneuses » pro-fcssionnelles. El nous voici déjà en vue de la phalange fouriériste, et du Brave New World d'Aldous Huxley ! Dans Les Lois, Platon déclare que le chiffre de la population des citoyens sera fixé à 5 040. Pour le maintenir à ce niveau, les magistrats réglementeront l'age et le nombre des unions, favoriseront ou décourageront la nata-lité par des récompenses ou des peines, élimineront les excédents éventuels par des déportations forcées. Aristote - autant que Platon partisan de ce que nous appellerions la « population dirigée », s'il ne l'est pas du communisme des femmes - envisage même que l'avortement et l'infanticide pourraient être ordonnés systémati-quemenent par les magistrats, pour régler le nombre des citoyens.
Et voici maintenant que nous trouvons dans La République platonicienne un ant-goût du racisme. Sans doute, afin d'éviter les jalousies, procédera-t-on pour l'attribution des femmes, à de « subtils tirages au sort ». Mais ceux-ci devront être assez « subtils » pour que « ce soit l'élite des hommes qui ait commerce avec l'élite des femmes ». A ceux des jeunes gens qui auront fait preuve de illance à la guerre, les magistrats accorderont entre autres récompenses « une plus large permission de coucher avec les femmes » ; pour qu'en même temps, grace à ce prétexte, le plus grand nombre possible des enfants provienne de la semence de tels hommes. A l'instar des femmes et des enfants, terres et biens de toute sorte sont communs à tous, au moins pour les deux castes supérieures. En tout cela, ne nous y trompons pas, ce n'est pas un mobile économique qui guide Platon. C'est pour l'équilibre politique qu'il veut une population constante. C'est pour libérer les gardiens de tous soucis de femmes et de biens qu'il abolit la famille et la propriété individuelle.
Par rapport au communisme de La République, Les Lois marquent un repentir : Platon prêche maintenant la généralisation d'une petite propriété foncière, inaliénable et purement viagère. Mais ce n'est pas une reforme agraire sociale-démocratique. Le but de Platon, son idéal n'ont pas changé !
Aristotc n'est point idéaliste, comme Platon, mais « sensua-liste ». il professe que toutes les connaissances nous viennent de l'expérience. Voilà un point de départ philosophique qui l'engage, plutôt qu'à construire des utopies, à observer et analyser dans le concret les faits et les institutions ! Et puis, Aristote est moins exclusivement métaphysicien que Platon : plus moraliste. Il se préoccupe moins de définir la justice et de démêler d'où elle vient que de préciser ce qu'elle exige pratiquement : il ne s'arrêtera pas au seuil de ses applications économiques. Tandis que Platon ne pose que des problèmes de morale publique. Aristote s'inquiète de morale privée : voilà qui l'incline à dégager ses idées économiques du cadre de la politique - encore que le livre où nous les verrons exposées ait précisément pour titre La Politique. Enfin, la morale d'Aristote n'est point tant rationnelle, comme celle de Platon, que « naturelle ». Pour connaitre le devoir, il interrogera la nature, et glissera insensiblement de préoccupations d'ordre normatif à des considérations d'ordre spéculatif, c'est-à-dire scientifique.
En un passage célèbre de sa Politique, Aristote critique le communisme de Platon, avec des arguments psychologiques. La communauté des biens ferait disparaitre le printipal stimulant du trail. L'idée de la propriété est « délicieuse » aux hommes, auxquels il est « naturel » de s'aimer eux-mêmes, d'aimer posséder l'argent, d'aimer donner. Toutefois, il ne faudrait pas pousser trop loin l'opposition sur ce point des deux « socratiques », et s'aller aviser de faire d'Aristote un individualiste. Il approuve le système platonicien des castes, et sa justification de l'esclage par « la nature » est célèbre. Il est même partisan de l'appropriation collective d'une partie des terres. Pour le reste, il exhorte les citoyens soucieux de vertu à mettre en commun l'usage de leurs propriétés. Aristote moins loin que Platon parce qu'il connait mieux l'homme, mais il dans le même sens que lui. C'est chez Aristophane qu'il nous faudrait aller chercher une critique impitoyable - et spirituelle - du communisme platonicien.
Au demeurant. Aristote nous intéresse moins par les réformes qu' il propose que par certaines analyses, tout à fait nouvelles dans l'Antiquité, auxquelles son souci d'édifier une morale concrète l'a conduit. C'est ainsi qu'il se trouve amené à poser une distinction entre deux catégories d'activités, deux modes d'acquérir les richesses, qu'il appelle « l'économie » et la « chrématistique ». L'« économie » d'Aristote, c'est l'économie fermée en nature. l'économie domestique, la production pour la consommation familiale (et peut-être éventuellement pour le troc direct). La « chrématistique » d'Aristote, c'est l'échange monétaire, c'est-à-dire ce que beaucoup d'auteurs de nos jours appellent précisément et exclusivement l'activité économique. Mais Aristote distingue encore deux sortes de chrématistique. L'une « nécessaire », qui comporte l'échange au premier degré : la vente par le producteur, l'achat pour la consommation. Et l'autre, - chrématistique proprement dite - c|ui est l'achat pour la revente. C'est le « cycle argent-marchandise-argent » de Karl Marx, tandis que la « chrématistique nécessaire » d'Aristote équiut au « cycle marchan dise-(argent)-marchandise ». Aristote pose que l'« économie » et là « cnrematislique nécessaire » sont « naturelles ». Au contraire, la chrématistique proprement dite (le commerce) est anti-naturelie et « ne répond à aucune nécessité ». Aristote ne lui ménage point ses invectives.
C'est que d'abord, tandis que l'« économie » voit ses gains naturellement limités comme les facultés productives du sol et du trail, la chrémalistique proprement dite (le commerce) permet un gain qui n'a pas de limites physiques ; cela heurte l'idée de modération qui est commune à Aristote et à tous les écriins jusqu'aux mercantilistes. Le commerçant « s'empresse à vivre cl non à vivre heureux ». Il poursuit l'argent, alors que l'on n'est heureux que par la sagesse, qui implique une condition matérielle sûre, constante et modeste.
Une autre raison pour laquelle Aristote s'en prend à la chré-matistique, c'est qu'elle détourne la monnaie de sa vérile fonction. Aristote fait une analyse sans doute incomplète, mais déjà précise et substantielle, du rôle de la monnaie. H oppose vigoureusement la monnaie aux richesses. Comme tous nos manuels, Aristote voit dans la monnaie d'abord un lorimètre, une unité de leur commune à tous les marchés, et qui repose sur le nomos, c'est-à-dire sur la loi, ou plus probablement sur la coutume ; il y voit encore un intermédiaire commode des échanges et même un moyen utile de différer la contre-prestation. Mais la chrématis-tique en fait un instrument de gain, et cela est contraire à la fonction « naturelle » de la monnaie.
Aristote se sert du même argument pour condamner le prêt d'argent à intérêt. « On a parfaitement raison de haïr le prêt à intérêt - écrit-il. Par là, en effet, l'argent devient lui-même productif et devient détourné de sa fin, qui était de faciliter les échanges. Mais l'intérêt multiplie l'argent. De là précisément le nom qu'il a reçu en grec où on l'appelle rejeton (tôxoç). De même, en effet, que les enfants sont de même nature que leurs parents, de même l'intérêt, c'est de l'argent fils d'argent. Ainsi, de tous les moyens de s'enrichir, c'est le plus contraire à la nature » (2). Ces quelques lignes nous semblent peut-être puériles et sophistiques. Elles ont donné l'élan à toute une abondante littérature, au Moyen Age et jusqu'à nos jours.
Sur l'intérêt, on peut penser qu'Aristote a égaré vingt siècles à sa suite. Mais voici un domaine où l'on aurait mieux fait de moins négliger ses leçons : celui de la théorie de la leur. Aristote y vient à propos de cette fameuse question de la justice. La justice commutative se définit par l'équilence des services échangés. Mais comment mesurer cette équilence, comment er entre elles les leurs de deux objets ? Il faut ici un instrument de mesure. La monnaie ? Mais la monnaie n'est qu'un moyen terme, elle joue un rôle neutre. Pour un peu, Aristote écrirait, comme plus tard Jean-Baptiste Say que « les produits s'échangent contre les produits ». La monnaie du reste, note Aristote, change parfois de leur comme les autres choses, encore que sa leur « comporte plus de fixité » Et qu'est-ce à dire, que la monnaie change de leur, sinon qu'il est une mesure de la leur plus authentique que la monnaie ? « Cette mesure - dit Aristote - dans la réalité, c'est le besoin, qui commande tous les échanges. » Et de nous montrer à l'aide d'une uration géométrique (un parallélogramme, qui à vrai dire n'éclaire pas grand-chose, mais donne une allure toute moderne à la théorie) comment le besoin respectif que l'acheteur et le vendeur ont des objets échangés détermine l'échange et le taux de l'échange. Ainsi, comme l'ensemble des théoriciens du xxc siècle, mais à rencontre de toute la lignée d'économistes qui d'Adam Smith à Karl Marx, Aristote a une théorie psychologique de la leur ! Pour lui comme pour les modernes la leur n'est pas dans les choses, elle vient de nous qui les désirons. Aristote jusque-là. mais pas plus loin. Il professe que l'échange est juste, parce que « naturel », si les besoins satisfaits chez les deux échangistes s'équilibrent. Il ne s'avise pas que les besoins de deux individus ne se peuvent peser ni er. Il en résulte que sa théorie de la leur, boiteuse, n'en a guère. Aristote a découvert le principe de la leur, non la norme de sa mesure. Mais ne soyons pas trop exigeants.
Les développements que nous venons d'analyser remplissent à peine quelques es d'une ouvre aux dimensions considérables. Ce qu'il y a d'admirable chez Aristote, c'est justement que ces quelques es suffisent à le classer bien au-dessus de tous les autres auteurs de l'Antiquité. Lui seul analyse des faits et explique des nécessités essentielles, au lieu de se cantonner dans des débats d'actualité ou de construire des cités idéales.
Pour compléter ce leau de la pensée économique de la Grèce, il serait intéressant peut-être d'étudier l'« anarchisme » des cyniques, et surtout de montrer combien la conception de la « nature » répandue par les stoïciens, et leur idéal de soumission à la nature étaient gros de conséquences sur l'avenir des doctrines économiques. Mais eux-mêmes ne se sont souciés de rien moins que de les imaginer.


Les idées économiques de la Rome antique

Rome, c'est d'abord une société militaire, dont la structure politique - et mentale aussi - est faite en vue de la conquête. Ici. le modèle humain sera le type du héros. Encore un personnage qui n'est guère hanté de préoccupations économiques !
Toute l'ouvre intellectuelle des Romains est d'inspiration grecque. Que l'avons entendu dire par nos doucereux consolateurs académiques (3), amateurs d'illusions fleuries et de rapprochements historiques frelatés : Graecia capta ferum victorem cepil, et artes iniulii agresti Latio ? Comme leurs maitres grecs, les philosophes latins verront d'un mauis oil le progrès économique. Ils prêcheront le retour à la vie simple d'autrefois. O tempora, o mores ! Et d'autant plus que commence sous leurs yeux - résultat des conquêtes, de l'exotisme qui se répand, du luxe qui s'étale, du capitalisme qui se développe, et bientôt de l'économie dirigée du Bas-Empire - la décadence sociale et morale de Rome. Sénèque, Marc Aurèle. Epitecte et tous les stoïciens enseigneront que l'on se doit soumettre à la nature, non point follement essayer de la incre. Pour être heureux, il faut modérer ses désirs, non point chercher à étendre ses satisfactions. Telle est la solution antique au problème que pose la tension entre les besoins des hommes et la parcimonie de la nature, c'est-à-dire au problème économique.
Agriculture signifie pour eux mours viriles et saines, comme plus tard pour les physiocrates à la fin de l'Ancien Régime français, et pour nos contemporains prédicants du retour à la terre.
Dans son De Officiis, Cicéron, comme tous les anciens, dresse une hiérarchie morale des professions. Le commerce est blamé, le com merce de l'argent condamné. Cicéron raconte que Caton disait : « Prélèverais-tu un intérêt ? Tuerais-tu un homme ? (Quid foene-rari, quid hominem occidere ?) » (4).
Et tandis que dans les faits sa relative importance est en déclin, nous voyons toute une série d'auteurs latins consacrer leur plume à l'agriculture. Ce sont les scriptores de re rustica. Virgile avec ses Géorgiques, Caton, Varron, Columelle, d'autres encore, en hexamètres ou en prose, composent des traités d'agronomie, d'où tout aperçu d'économie rurale n'est pas exclu. Varron note que dans les terrains insalubres, il ut mieux employer des salariés que des esclaves : la maladie ou la mort des trailleurs libres n'emporte aucune perte pour le patron. On discute de la dimension des exploitations. Columelle et Pline sont d'accord pour prôner la petite culture intensive : Latifundia perdidere Italiam. Toutefois, ces ouvrages sont ant tout techniques, et moraux et politiques.
Il est un seul domaine où les Romains n'aient point été à la remorque des Grecs : c'est celui du Droit (5). Le droit romain, tel est sans doute l'apport le plus important que les Latins aient fait - sans le savoir et sans l'avoir voulu - à l'histoire de la pensée économique. La distinction du droit public et du droit privé, la dis-tinction du statut des personnes et du droit des choses, des droits réels et des droits personnels : l'institution de la propriété « qui-ritaire », strictement individuelle, perpétuelle et absolue ; la liberté des contrats ; toutes ces conceptions juridiques qui ont reparu dans les sociétés modernes après la longue éclipse du Moyen Age (et de l'absolutisme), c'était, par ance conçu et préparé, le cadre du régime économique libéral. Or le régime économique libéral, en séparant dans les faits les activités économiques des autres activités sociales, a permis à l'esprit humain de prendre conscience de leur spécificité. Ainsi du droit romain, après quinze siècles, naitra l'Economie politique. Mais ant cela, les conceptions juridiques des Romains vont déjà marquer les idées économiques médiéles.



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