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ECONOMIE

L’économie, ou l’activité économique (du grec ancien οἰκονομία / oikonomía : « administration d'un foyer », créé à partir de οἶκος / oîkos : « maison », dans le sens de patrimoine et νόμος / nómos : « loi, coutume ») est l'activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. L'économie au sens moderne du terme commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam Smith un important corpus analytique qui est généralement scindé en deux grandes branches : la microéconomie ou étude des comportements individuels et la macroéconomie qui émerge dans l'entre-deux-guerres. De nos jours l'économie applique ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines (puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains domaines : international, finance, développement des pays, environnement, marché du travail, culture, agriculture, etc.


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Les doctrines économiques de l'ere mercantiliste (i450-i750)



Les doctrines économiques de l'ere mercantiliste (i450-i750)
Ces deux ou trois siècles sont placés sous le signe des grandes découvertes. Des yages et des conquAStes, l'Amérique, la route du Cap, le tour du monde, ilA  ce qu'ils équent tout d'abord. Le vérile père de l'économie politique, ce n'est pas Montchré-tien, ce n'est pas Quesnay, ce n'est pas Smith, c'est Christophe Colomb. Le continent occidental, cela signifie d'abord l'argent du Mexique, l'or du Pérou. En cent ans le stock de métaux précieux sur lequel avait vécu le Moyen Age se trouve multiplié par huit. Sous la pression d'un tel afflux, les prix entrent en danse ; c'est la - rélution des prix -. Les sereines et traditionnelles doctrines de modération, les menues réglementations anciennes ne sont que des digues puériles pour contenir le trafic déchainé. Partout le type du marchand, audacieux, optimiste, aventurier, surgit de terre. II approche le sceptre, et manie les rASnes du gouvernement. Il prend la plume, et l'imprimerie répand la nouvelle conception de la vie qu'il apporte : ardente, optimiste, cruelle. A un idéal de bonheur et de paix succède une mentalité de lutte pour la vie. de soif de succès, de richesse, et de puissance. A un monde essentiellement rural et artisanal, un monde manufacturier et commerA§ant. A une civilisation surtout continentale, une civilisation maritime. Les vaisseaux envahissent la mer et l'océan ; des flottes immenses sont construites et s'entredétruisent ; pendant deux siècles l'Esne, la Hollande, la France et enfin l'Angleterre mèneront pour la suprématie maritime une lutte dont Trafalgar dira le dernier mot.


Notre période est celle encore de la Renaissance, et de la Réforme. Avec la Renaissance remonte A  la surface la notion impériale romaine d'un Etat fort, autoritaire, armé d'une puissante machine administrative au moyen de laquelle il contrôle tout A  l'intérieur, et d'une forte armée sur laquelle il compte pour s'étendre A  l'extérieur. C'est au souffle des lettres antiques renaissantes que ce tendre et fidèle amour du Royaume, dont Jeanne d'Arc n'est pas le seul témoin vers la fin du Moyen Age, se mue en un nationalisme jaloux, orgueilleux, ambitieux. Partout, dans l'Europe chrétienne disloquée spirituellement et politiquement, tandis que Machiavel écrit Le Prince, les Etats affirment leur indépendance et leur lonté de domination. ' Les humanités classiques apportent en mASme temps une notion de l'homme qui, pour n'AStre pas celle de Bentham et du XIXe siècle anglais, n'en mérite pas moins le nom d'individualiste. Le héros antique, fier, courageux, passionné de sa renommée, ardent A  réaliser par lui-mASme, avide d'une grande destinée, c'est un individu. Voyez Les Essais de Montaigne : le premier livre d'abord, celui de sa période stoïcienne ; et puis les autres : et comment on passe de la vertu antique au culte du moi. ' La Renaissance, c'est encore un renouveau d'attention pour les aspects profanes de la vie, et ' tandis que l'on quitte les champs pour les manufactures, les armées et les marines ' une sorte de retour A  la ète Terre, après des siècles vécus les yeux au Ciel. C'est une affirmation de l'Homme contre Dieu : une explosion de lontarisme. On se met A  ir grand, A  s'enivrer de ses œuvres, A  exalter la magnificence et la puissance humaines.
Quant A  la Réforme, M. Gonnard opine que. du point de vue qui nous occupe, il y en a deux. Celle de Luther, l'allemande, se présente A  bien des égards comme une réaction de défense contre la Renaissance, et contre ce que l'Eglise catholique avait accueilli et intégré d'humanisme, depuis les Pères de l'Eglise jusqu'aux papes contemporains. Le luthéranisme est une affirmation de traditionalisme germanique contre le classicisme antique, et de traditionalisme biblique et évangélique, contre la scolastique et les dogmes. C'est une poussée de retour aux sources pures du passé. Luther condamnera vigoureusement le prASt A  intérASt, sera sévère pour le commerce. Du point de vue de la doctrine économique, il nous apparaitrait tout A  fait comme un médiéval réactionnaire, si le nationalisme centrifuge que sa rélte porte en germe ne faisait de lui malgré tout un prophète des temps nouveaux. S'il n'y avait aussi le rejet du salut par les œuvres : Pecca foriiter et crede fortius, s'écrie magnifiquement Luther. Et sans doute pour exalter la foi, non pour prAScher le péché ! Mais certains auront des oreilles et entendont trop bien. ' L'autre Réforme, c'est celle de Calvin, et ce sont aussi les réformations anglaises. La théologie de Calvin, avec son dogmatisme pauliniste, avec sa thèse de la corruption radicale de la nature et de la raison humaines par le péché originel, peut paraitre le comble de l'anti-humanismc. Voyez nos néo-calvinistes et nos barthiens. qui en ressuscitent les origines ! Cependant l'industriel huguenot du temps de Colbert est l'un des grands types du mercantilisme. Et partout, en Hollande, en Angleterre, ce seront souvent les huguenots franA§ais émigrés qui prendront la tASte du mouvement d'expansion industrielle, coloniale, commerciale, bancaire. Dirons-nous avec M. René Gillouin que Calvin a - inventé le capitalisme - ? Les calvinistes, qui disent la nature humaine imperméable A  la grace, éloignent le Ciel de la Terre. Peut-AStre alors la Terre se sent-elle avec eux davantage chez elle pour s'épanouir selon ses propres lois ? ' En Angleterre, l'un des résultats principaux de la Réforme fut de développer la lecture de l'Ancien Testament. Le juste s'y it promettre longue vie et prospérité. Aux quakers et aux puritains, le succès économique apparaitra comme un signe de l'élection divine. Ils condamnent l'ascétisme des règles conventuelles ; mais avec eux l'ascétisme des affaires, l'épargne du bourgeois, l'austère calcul du comple, la vie sans loisirs et le persévérant labeur du patron prendront une saveur chrétienne. DéjA , des ancAStres de Babbit ont surgi en Angleterre au xvnc siècle.
La période qui va de 1450 A  1750 est ce que l'on appelle, dans l'histoire de la pensée économique, l'ère mercantiliste. Elle est marquée par une vigoureuse affirmation du point de vue économique, jadis subordonné, et qui va prendre la première place. Pour la première fois, nous allons air de vériles doctrines économiques. Il n'est point encore question de science autonome. Pour les auteurs de cette époque, les questions économiques se distinguent mal des questions financières, et celles-ci des questions politiques. Et leur pensée est normative, finaliste, bien plus exclusivement que celle d'Aristote et de certains médiévaux. Le mercantilisme, c'est un système d'art économique. Seulement la fin poursuivie n'est plus comme au Moyen Age une fin morale : la justice, le droit naturel ; c'est une fin spécifiquement économique : l'accumulation de l'or, la richesse, le gain.
Les mercantilistes prennent le contrepied des idées médiévales. Le Moyen Age chantait les vertus agricoles et l'économie naturelle d'Aristote : ils exalteront l'or, l'industrie, le commerce. Le Moyen Age prASchait la modération, appréciait les valeurs de sécurité, de silité. Ce seront des dynamiques, qui vanteront l'audace du pionnier et du conquérant. Le Moyen Age subordonnait, limitait et décentralisait le pouir temporel. Ils seront les champions de l'Etal fort, souverain, impérialiste ; d'un Etat qui n'a point tant pour mission de faire régner la justice dans l'ordre que de s'imposer, de s'enrichir et de s'étendre.
Et puis le Moyen Age avait le temps. Patiemment, minutieusement, au fond de leurs couvents, ses clercs élaboraient leurs formules qui se ulaient l'expression définitive de vérités intemporelles. Les auteurs mercantilistes sont pressés. Ils écrivent pour l'imprimeur qui attend, pour le souverain auquel ils destinent des conseils d'action immédiate. Ils nt droit au fait. Ils ont le souci du réel plus que du vrai. Ils ignorent la préoccupation de la synthèse. Ils en ont assez de la philosophie, que les scolastiques ont enfermée en leur grammaire rébarbative et ée. Leur style a plus de relief, d'éclat, que de précision. Aux dépens de la profondeur, ils ont insufflé la vie A  la littérature économique.
Mercantilisme, c'est naturellement un mot postérieur autant que barbare. Etymologiquement, il désigne la doctrine qui exalte le développement des marchés, des marchands, du commerce. Et telles seront bien A  la fois la tendance générale de la pensée économique, et celle de la politique économique, pendant les trois siècles dont il nous faut ici résumer l'histoire. Seulement, cette histoire est trop riche pour qu'un seul mot la résume. Elles n'ont rien au premier abord de mercantiliste. ces utopies que la gue de Platon retrouvé a fait surgir dans la littérature de la Renaissance. Les deux plus célèbres sont celles de Thomas More, et La Cité du Soleil de Campanella.
C'est Thomas More l'humaniste, l'ami d'Erasme, le martyr catholique, le plus aimable de tous les sains qui a doté le cabulaire de l'histoire des doctrines économiques de ce mot d'- utopie -, dont elle fera l'une de ses catégories traditionnelles. Cela n'est pas rien. Mais sans doute faut-il AStre un continental privé d'antennes quant aux choses de l'humour pour lui attribuer davantage, et ir en lui, avec Vilfredo Pareto, l'auteur d'un Système socialiste. Pareto pourrait répondre qu'on en peut construire d'aussi authentiques par fantaisie que sérieusement, et que peu lui importe l'humeur joyeuse ou grave de l'écrivain, pourvu que la matière de ses écrits soit un système qui prASte A  l'analyse théorique. Et puis, les - folies - de la Renaissance ne sont jamais toujours si folatres qu'elles se disent. El quelqu'un a-t-il jamais parlé seulement pour rire ? Si toutefois l'heureuse idée us venait un jour de jeter les yeux dans ce petit livre exquis, ' L'Utopie de Thomas More, ' n'allez pas l'aborder en économistes, car us gacheriez un plaisir de choix pour un assez maigre résultat. Que L'Utopie soit pour us ce qu'elle fut pour son auteur : une fASte de l'imagination, sur un thème platonicien. Libellas vere aureus nec minus salutaris quam festivus de oplimae Reipublicae statu deque nova insula Utopia. Le livre se présente sous forme de dialogue (ou plutôt de trialogue), comme La République. L'esclavage existe en Utopie, les repas y sont pris en commun, et la famille, que More udrait sauver du naufrage, ne sort pourtant guère plus indemne de ses mains que de celles de Platon. Les époux doivent obligatoirement, avant de s'unir, ne s'AStre rien caché l'un A  l'autre de leurs attraits. Des dispositions sont prises pour que toutes les familles aient le mASme nombre d'enfants et quand il le faut, pour maintenir cette égalité, on fait passer des enfants d'une famille A  l'autre. Les sujets d'élite sont dispensés de travail manuel. VoilA  ce que More emprunte A  son modèle. Mais derrière l'Utopie, cessez maintenant de ir en filigrane l'Etat-modèle de Platon. L'Utopie est une ile, c'est l'Angleterre. Et us verrez, bien moins artificiellement qu'un socialiste, poindre en More un mercanti-liste. Le dialogue a lieu A  Anvers, et le principal personnage, le vieillard Hythlodic, qui raconte son yage en Utopie, est un mer-chant adventurer. En Utopie, si l'on en croit son récit, le travail est obligatoire pour tous, sous peine de réduction en esclavage, et étroitement réglementé. Six heures par jour pour chacun. La moitié de l'année dans l'agriculture, mais l'autre moitié dans un métier. La richesse est surabondante. Les métaux précieux ne circulent pas A  l'intérieur de l'ile, mais sont conservés par le gouvernement pour les besoins de la politique extérieure. Car Utopie - ile inexpugnable - a une politique extérieure apre, et joue serré dans la partie diplomatique ; les armes économiques et financières ne sont pas celles dont elle use le moins. En Utopie, règne un apre nationalisme de puissance, persévérant et calculateur, pour qui la finance est un moyen : tout A  fait, déjA , dans le ton du mercantilisme britannique.
La Citta del Sole, de l'Italien Campanella, d'un siècle postérieure A  L'Utopie de More, est autre chose. La forme platonicienne ne crée entre l'une et l'autre qu'une parenté tout extérieure. La Cité du Soleil est sortie du cerveau d'un conspirateur, dans une noire prison sans fenAStres (l'auteur fut plusieurs fois, et une fois trente années, incarcéré) A  la seule lumière intérieure. L'utopisme est la pente naturelle des captifs, leur esprit privé d'apports du dehors, altéré d'impossible efficacité, prend lontiers sa revanche A  nourrir de sa propre substance des rASves de plus en plus construits et vides de réalité. Comment donc celui-lA , auquel plus jamais n'est donné de ir une femme vivante, éviterait-il la misérable aventure de Pygmalion, qui devint amoureux de la statue qu'il sculptait ? J'écris ces lignes près de trois ans après juin 1940, avec tristesse, avec affection, dans un sentiment de camaraderie respectueuse et attendrie.
Et donc Campanella dans son cachot s'enthousiasme pour les grandes inventions ' boussole, imprimerie, arquebus, ' et pour les grandes découvertes, dont la pensée alimente sa nostalgie de l'espace et de l'air libre. Plus qu'historien, il est homme de principes, comme tous les reclus. Sa doctrine est un communisme autoritaire A  fins égalitaires. C'est pour faire régner l'égalité qu'A  l'instar de son modèle platonicien il supprime la famille dans la société solariennc : car la propriété des biens et - l'amour-propre - (l'égoïsme) sont liés, dit-il, A  l'existence en ménage. La Cité du Soleil ressemble sinon A  une prison, du moins A  un couvent dont les règles seraient sévères et le Père Abbé peu commode. Chacun est astreint au travail, quatre heures par jour. Cela suffit, car le régime de tous est frugal et ascétique, et la majeure partie de la journée consacrée A  l'étude. L'œuvre de Campanella, A  la différence de celle de Thomas More, ne rend aucun son mercantiliste. Peut-AStre a-t-elle été pensée en marge des courants du jour, plus probablement en réaction contre eux. Dans l'optique mercantiliste, on vit pour s'enrichir et pour enrichir la nation, le prince.


Selon Campanella, on travaille parce qu'il le faut pour manger, et manger pour vivre ; mais vivre, c'est AStre vertueux, réfléchir, étudier. Campanella rappelle et exagère, et pousse au paradoxe les tendances ascétiques médiévales ; ou plutôt, peut-AStre, il ressuscite l'idéal frugal des plus sévères parmi les sages de l'Antiquité. Ce que nous offre Campanella, c'est moins une doctrine économique, qu'une utopie anti-économique. Nous devrions A  peine ici parler de lui, non plus que de Thomas More, si la fortune que leurs œuvres ont plus tard rencontrée parmi des socialistes el des historiens du socialisme qui les ont sans doute fort mal comprises, ne les avait faits après coup chainons d'une importante lignée dans la généalogie des doctrines économiques.
Ni Campanella ni mASme Thomas More ne sont jamais présentés comme des mercantilistes. Le terme - mercantilisme - semble air été choisi pour désigner adéquatement les doctrines anglaises du xvii siècle, dont la préoccupation essentielle est une balance du commerce farable, et qui reflètent au plus haut point la mentalité mercantile. Mais la pensée dite mercantiliste est loin d'AStre homogène. Elle a revAStu des formes diverses, selon les pays ; elle a élué, le long des trois siècles dont nous faisons l'étude. On parle parfois d'une loi historique selon laquelle la civilisation tendrait A  se déplacer sur la sectiune toujours dans la mASme direction, en remontant du Midi vers le Nord. D'une telle loi, l'histoire du mercantilisme pourrait paraitre une illustration. Nous allons traiter du mercantilisme bullioniste esnol et italien, puis du mercantilisme industrialiste franA§ais, puis du mercantilisme purement mercantile des Anglais. Or, il se trouve que cet ordre géographique, dans lequel nous présenterons les doctrines, coïncide A  peu près avec l'ordre chronologique de leur succession, non moins qu'avec l'ordre logique du développement de l'idée mercantiliste.
Elle est née au début du xvr siècle, comme un reflet de soleil d'Ibérie sur l'or du Nouveau Monde. C'est premièrement lA  où l'or aborde l'Europe ' au Portugal, en Esne ' que l'on a subi la magie des métaux précieux, et que l'on a fait de leur accumulation le but suprASme de l'activité des individus, comme de la politique des princes. Le - chryshédonisme - (doctrine qui place le bonheur dans l'or) est la première forme du mercantilisme. Tout le problème, pour l'Esne, va consister A  conserver chez elle l'or qu'elle importe de ses colonies d'outre-océan, A  l'empAScher de fuir hors des frontières, et de se répandre parmi les autres pays d'Europe. D'où la politique que l'on a appelée - bullioniste - (de l'anglais : bullion = lingot) et qui est une politique de protectionnisme monétaire direct et défensif : interdiction des sorties d'or ; obligation pour les exportateurs esnols de rapatrier leurs créances, et, pour les importateurs étrangers de marchandises esnoles, de dépenser les leurs en Esne ; surévaluations artificielles (1) des monnaies étrangères, pour les attirer en Esne. Ces diverses mesures bullionistes sont prônées par les auteurs et mises en pratique par les gouvernements. Les auteurs sont nombreux, mais aucun ne tranche. On cite Orthiz, comme champion des mesures bullionistes, et Olivarès qui prône le protectionnisme commercial. Dans les faits, la politique bullioniste donne lieu A  une réglementation minutieuse, et extrASmement désordonnée ; car l'abondance d'or engendrait un niveau élevé des prix, cl les gouvernements, ignorants de la théorie quantitative de la monnaie, ne saisissaient pas le lien qui unissait les deux phénomènes. Les mesures prises pour empAScher les prix de monter se mASlaient aux mesures prises pour retenir l'or, avec une inextricable incohérence. L'Etat intervenait A  tort et A  travers, dans tous les sens. Le résultat fut la hausse des prix, la paralysie du commerce extérieur, la misère générale (2). L'afflux excessif de l'or américain, et la politique bullioniste qui l'a retenu de s'écouler A  l'étranger, sont A  l'origine du déclin économique de l'Esne. Le danger n'a pas tout A  fait échappé aux derniers et aux plus grands mercantilistes esnols et italiens (A  cette époque le Royaume de Naples et beaucoup de pays d'Italie sont sous la domination esnole). C'est en Esne le jésuite Mariana ; c'est en Italie, après Botero (1540-l617), le Calabrais Antonio Serra, emprisonné A  Naples probablement comme faux monnayeur (nous ne sommes plus au Moyen Age : maintenant nos auteurs mettent la main A  la pate) qui demande que l'Etat intervienne activement pour fariser le développement de l'industrie, tandis qu'il préconise l'abandon des réglementations en matière de monnaies et de change, parce que
__pour lui déjA  ' le taux du change n'est qu'un symptôme passif
de la situation économique. Cet éclair de perspicacité n'empASche pas Serra de professer que ceux qui nieraient que l'abondance du numéraire fût chose désirable debiano essere inviati in Anticira (traduisez : A  Charenton). La prospérité de l'Esne est en train de mourir de l'- erreur chryshédoniste -. Mais l'- erreur chryshé-donistc - n'est pas morte.
A cette époque, les métaux précieux du Nouveau Monde proviennent exclusivement des colonies esnoles et portugaises. Les pays autres que l'Esne n'exploitent pas de mines d'or. Il ne s'agit pas pour eux de conserver l'or, mais de l'attirer. C'est ce que les mercantilistes franA§ais tenteront de faire en encourageant la production, surtout manufacturière : et les Anglais en farisant le commerce.
Par opposition au mercantilisme esnol, chryshédoniste et bullioniste, on a l'habitude de dire industrialiste et étatiste le mercantilisme franA§ais. C'est que l'on songe A  la politique menée par les rois de France en faveur des industries. Cette politique porte un grand nom : celui de Colbert, qui accède au pouir dès la première année du règne personnel de Louis XIV, en 1661. Mais nos grands doctrinaires mercantilistes sont de beaucoup antérieurs A  Colbert : Jean Bodin, dont La République est de 1576 ; Antoyne de Montchrétien, dont Le Traiclé d'Oéconomie politique ' premier du nom ' porte la date de 1615. L'industrialisme les définit moins que l'humanisme. Ils sont l'un et l'autre, le second surtout, assez peu connus. Comme c'est dommage ! Le mercantilisme franA§ais est tellement plus aimable que le simpliste bullionisme esnol, 1ue l'apre et sec mercantilisme anglais ! Entre la doctrine du bas de laine et celle du livre de comptes, nous croyons découvrir une oasis de poésie ! Pas de dogmes és, pas de système : un bon sens alerte, A  l'affût de ce que suggèrent les faits, sans préjugés. Nous aurons un mercantilisme libre-échangiste avec Jean Bodin : un mercantilisme autarciste avec Montchrétien ; un mercantilisme agraire avec Sully ; un mercantilisme industrialiste avec Colbert ; un mercantilisme fiduciaire avec Law. Rien de tel que les doctrines franA§aises de ce temps-lA  pour faire perdre leur latin aux professeurs qui s'efforceraient A  construire quelque schéma unique du mercantilisme.
Théologien, juriste, acat, diplomate, politique, Jean Bodin ' né A  Angers en 1530, mort de la peste en 1596 ' est un de nos grands humanistes du xvr siècle. Il a un pied dans le Moyen Age, un autre dans la pensée moderne. Il a laissé une Démonomanie, c'est-A -dire un traité sur la sorcellerie, rempli d'histoires pour nous ahurissantes. Mais il est un des premiers A  air prASché la paix entre protestants et catholiques. Député du Vermandois aux Etats Généraux de Blois en 1576, il est enyé en disgrace A  Laon parce qu'il oppose la théorie de la souveraineté déléguée A  celle du pouir royal de droit divin. Or c'est lA  une position rétrograde : ce sont les libertés féodales que Bodin défend contre le pouir royal qui s'affirme (3) : ce faisant, pourtant, il tend la main A  Sieyès et A  Mirabeau, il annonce la Déclaration des Droits de l'Homme. Jean Bodin, aux Etats Généraux, affirme encore l'inaliénabilité du domaine public : et cette théorie est d'un novateur, qui dépasse la conception patrimoniale et féodale de la Royauté. Mais A  côté de cela, ' en cette assemblée réunie pour faire face aux dépenses accrues du pouir central en plein développement ' il se montre hostile A  l'impôt, il affirme que toutes les dépenses du souverain doivent AStre couvertes par les revenus du domaine de la couronne (4). Telle est la pensée de Bodin, riche mélange d'archaïsme et de nouveauté.
Jean Bodin entre sur la scène de l'histoire des doctrines économiques avec sa célèbre Réponse aux Paradoxes de M. de Males-troict, qui date de 1568 : un écrit d'occasion, qui défiera les siècles. A cette époque, les esprits se préoccupent de trouver les causes de l'- enrichissement de toutes choses -. M. de Malestroict a répondu en accusant les nombreuses mutations monétaires effectuées par les rois, et en réclamant leur cessation. Bodin va mettre en valeur une autre cause : l'afflux de métaux précieux. Cette première affirmation de la théorie quantitative de la monnaie ' si précieuse qu'elle puisse paraitre pour la science économique ', serait de peu d'intérASt pour une histoire des doctrines, n'était que Bodin y découvre une consolation A  l'élévation des prix. - L'abondance d'or et d'argent ' écrit-il ' qui est la richesse d'un pays ' doit en partie excuser la charte -. Tout le chryshédonisme est dans cette petite incidente.
Mais la Réponse aux Paradoxes nous apparait d'un mercantilisme moins classique quand elle aborde la question du commerce extérieur. Outre l'abondance monétaire, une autre cause de la - charte -, selon Bodin, c'est la - disette -, dont il rend en partie responsable - la traite -, c'est-A -dire l'exportation des marchandises franA§aises, surtout A  destination de - l'Esnol paresseux qui ne tient vie que de France -. Bodin toutefois se défend de uloir - retrancher du tout la traite -. Les FranA§ais ' - lesquels, dit-il, ne se peuvent nourrir de curedens, comme l'Italien - ' ont besoin d'importer un grand nombre de marchandises, qu'ils ne produisent pas eux-mASmes. Et quand bien mASme ' ajoute-t-il ' nous pourrions vivre - sans crainte ni espérance d'autruy encore deverions-nous toujours trafiquer, vendre, achepter, échanger, prester. ire plutôt donner une partie de nos biens aux étrangers et mASme A  nos ennemis (car ainsi) nous gagnerions plus leur amitié qu'A  leur faire la guerre -. El Bodin, pour éviter - le déshonneur A  la France -, demande qu'on traite les commerA§ants étrangers - en douceur et amitié - et qu'aucune mesure de discrimination - n'empesche le cours de la trafique, qui doibt estre franche et libre, pour la richesse et grandeur d'un Royaume -. Mais le libéralisme commercial de Bodin n'est pas une doctrine de passivité. Bodin revendique toute une série de réformes monétaires (simplification et unification de la terminologie monétaire, instauration de ce que nous nommerions un bimétallisme universel avec rapport légal de l'or et de l'argent), afin de - moyenner l'aisance de la trafique -. Ainsi le souverain intervient, mais pour donner l'impulsion aux initiatives privées, pour féconder, pour dilater la liberté. Par-delA  le mercantilisme, nous touchons lA  sans doute une conception spécifiquement franA§aise du rôle de l'Etat. En 1576, après que les positions audacieuses prises par lui aux Etats de Blois l'eurent fait enyer en disgrace A  Laon, maitre Jean Bodin ' cédant A  la mode platonicienne de l'époque ' publie une République en six livres. C'est un ouvrage humain, respectueux du droit naturel, hostile A  l'esclavage, hostile A  l'usure, hostile A  la guerre ' et A  l'impôt qui pour Bodin est un corollaire de la guerre ' universaliste, tout A  fait opposé au courant cynique de Machiavel. Entre La Réponse et La République. Bodin a vécu. Au contact des réalités politiques et des réalités financières, sa pensée s'est mûrie. La plupart des thèmes mercantilistes ont pris forme en son esprit. Il est populationniste comme le Moyen Age et comme le mercantilisme. Mais c'est le point de vue mcrcanli-liste qui domine : - Il n'est richesse ni force que d'hommes -. écrit Bodin. qui salue dans le nombre élevé des habitants un facteur de prospérité économique et de puissance militaire. Sa doctrine commerciale aussi devient classiquement mercantiliste et industrialiste. Droits A  l'exportation sur les fabricats franA§ais dont l'étranger ne peut se passer, droits A  l'importation sur les fabricats étrangers que la France peut produire, interdiction de l'exportation des matières premières, encouragements A  leur importation, c'est presque tout le programme colbertiste qui déjA  s'élabore, sous la plume de l'humaniste Jean Bodin.


L'année mASme où Bodin fait paraitre sa République, nait A  Falaise Antoyne de Montchrétien. De la douceur angevine, nous passons A  l'apreté normande. Et ne fallait-il pas que le mercantilisme franA§ais eût des racines en Normandie ? Poète A  l'instar de son compatriote et contemporain Malherbe, Montchrétien publie A  Caen une tragédie en vers ; puis il tue en duel un seigneur des environs de Bayeux, se it en grand danger d'AStre pendu, s'enfuit en Angleterre, d'où bientôt il revient gracié et économiste. En 1615, il publie son Traicté de l'O'économie politique, qu'il dédie A  Louis XIII et A  la Reine Mère. Hélas ! Louis XIII A  son gré ne tient pas assez compte des conseils qu'il renferme. Par dépit, Montchrétien ' qui, semblc-t-il, est de confession catholique ' fomente une rélte huguenote dans la région normande. Il est tué dans une embuscade, en 1621. Le tribunal de Domfronl et le Parlement de Rouen condamnent son cadavre A  AStre mutilé et brûlé, et les cendres jetées au vent.
Ainsi s'éclaire le contraste des deux personnages qui dominent la littérature mercantiliste franA§aise. Bodin est un modéré, qui condamne la violence, prASche la tolérance religieuse, reproche A  la théologie catholique de justifier en certains cas le régicide ; Montchrétien est un aventurier séditieux, entreprenant et insle, courageux et brusque. Bodin est un humaniste, un sage ; Montchrétien a plus de brillant que de culture ; il éblouit et conquiert plus qu'il ne convainc. On l'a dit (5), Bodin fait d'avance penser A  Montesquieu ; et Montchrétien, c'est Cyrano de Bergerac avec l'accent normand.
Inventeur du terme d'- économie politique - Montchrétien ne l'est pas de la chose. Son livre n'est guère qu'un commentaire d'actualité. Montchrétien soumet A  Louis XIII et A  la Reine ses réflexions et suggestions. Pour un mercantiliste ' et Montchré-; tien l'est bien plus profondément que Bodin ' le premier but du gouvernement c'est la richesse, et la richesse est affaire de gouvernement. -L'on ne saurait' écrit Montchrétien ' diviser l'économie de la police - (c'est-A -dire de la politique, de l'administration) - Toute société semble AStre composée de gouvernement et de commerce. - Montchrétien blame les moralistes contempteurs du commerce. - Ceux-lA  se trompent ' écrit-il ' qui mesurent la félicité d'un Estat par la seule vertu simplement considérée, et pensent que cette vie ainsi tracassée A  l'appétit du gain Iuy soit du tout contraire. Nous ne sommes plus au temps que l'on se nourrissait de glan tombé des chesnes secous, que les fruits que la terre produisait et l'eau pure estaient de grand's délices - Si l'on objecte les - blasphèmes et parjures arrivans pour et sur le prix des choses ce sont ' répond Montchrétien' vices de l'homme, non de l'art, qui se peut exercer purement et nettement sans iceuz -. Mais soyons indulgents aux esprits marchands, - s'ils se montrent ordinairement plus attachez de leur propre conitise que de l'affection du public - : c'est lA  - un trait de leur art Les meilleurs sont ceux qui peuvent gagner davantage -. Et tout est bien ainsi, car - l'heur des hommes consiste principalement en la richesse nous ne vins pas tant par le commerce des éléments que par l'or et l'argent. Ce sont deux grands etfidelles amis. Ils suppléent aux nécessités de tous hommes. Ils les honorent parmi toutes gens -. Si naïvement, si fraichement exprimé, le chryshé-donisme ne devient-il pas aimable ? El Montchrétien de montrer en l'argent le nerf de la guerre, et de faire l'éloge de la Hollande qui, - avec le labeur franA§ais a mcslé la ménagerie (la politique) anglaise -. Tel est l'idéal que Montchrétien propose A  Louis XIII, pour la France.
Montchrétien montre la France pillée par l'étranger, qui la dépouille de ses capitaux et de ses richesses. Le temps n'est plus où la France - vivait contente de soi-mASme, comme une épouse fidèle bien gardée pour son époux et sa famille -. Les marchands et emprunteurs étrangers l'ont envahie, et - nous bouchent toutes les advenues du profit -. Il y faut mettre ordre par - une bonne police - (6). C'est toujours vers le pouir que les mercantilistes se tournent, vers l'Etat qui, dit Montchrétien, doit toujours rester l'œil ouvert et l'oreille alerte. Il appartient au Roi de restreindre les droits des étrangers, de protéger, d'isoler l'économie franA§aise. Que le pays fournisse le pays. La nation ne doit importer que ce qu'elle ne peut produire : elle ne doit exporter que ce qu'elle ne peut consommer elle-mASme. - Il n'y a que la seule nécessité qui doive contraindre de prendre ailleurs ce que l'on n'a point l'entretien des Estats est comme celuy du corps, qui retient de la nourriture la portion nécessaire, et rejette le superflu -. Doctrine de repli, de défense et non d'expansion : tout l'opposé du mercantilisme anglais. C'est que pour Montchrétien la France est un jardin de délices, un foyer de bonheur ; la terre privilégiée de la courtoisie et de l'aisance raffinée. Il en faut cultiver, préserver les fleurs et les fruits de civilisation. Et sans doute, Montchrétien supplie le Roi de - ter et provigner de nouvelles Frances - en élissant des colonies outre-océan ; de faire la guerre, d'étendre les frontières ; mais non de conquérir des marchés extérieurs. C'est déjA  la tendance franA§aise moderne : annexions territoriales, assimilation politique et culturelle de peuples lointains, plutôt qu'expansion économique parmi les isins
Le mercantilisme est une politique autant qu'une doctrine. En France, dès le règne de FranA§ois I". le chancelier Duprat s'attache systématiquement A  stimuler par des réglementations appropriées l'industrie, la banque, le commerce extérieur, la navigation. Avec Henri IV, nous ans Sully, imbu de l'idée chryshédoniste, soucieux de développer les exportations pour attirer l'or, acat et praticien des mesures bullionistcs. Sully est un fervent de l'initiative étatique et de la réglementation ' et en cela il est nettement mercantilistc. Mais Sully désire spécialiser la France dans la production et l'exportation des denrées agricoles. Et son - mercantilisme agraire - (auquel les physiocrates, un siècle et demi plus tard, emprunteront ce qu'il a d'agrarien pour rejeter ce qu'il a de mercantile) apparait comme une hérésie. Car le mercantilisme franA§ais, pour chacun, c'est Colberl ; et Colbert, c'est l'industrialisme.
On l'a dit, Colbert a fait de la France un Etat et une usine. Sous son impulsion, les manufactures surgissent et s'étendent, la marine marchande se construit. Le but premier, c'est l'or A  attirer dans le royaume : et pour cela, les marches étrangers A  conquérir par la qualité des produits franA§ais. Le moyen, c'est la réglementation ; mais une réglementation qui stimule, encourage, vient en aide ; nullement étouffante. Colbert c'est l'idéal laborieux et heureux de la France, active mais jamais courbée sous la tache, disciplinée et libre, persévérante mais toujours entreprenante. Si notre pays est devenu au xvir siècle une grande puissance économique, militaire, navale, coloniale, c'est grace A  l'intervention de l'Etat, c'est grace aussi A  une politique douanière d'un mercantilisme très orthodoxe. Comme dit Dupont-White, - il en coûta vingt années d'efforts au despotisme et au génie - de Colbert.
Et soixante ans plus lard, sous la Régence, ici John Law, doctrinaire novateur, doué de géniales intuitions prophétiques, non moins que malheureux expérimentateur. John Law a gardé en France une assez mauvaise réputation, presque celle d'un escroc. Qu'est-ce qu'un escroc ? Souvent un honnASte homme un peu trop génial, philanthrope avec un peu trop d'exaltation, et qui n'a pas la bonne fortune de réussir ! Law avait une doctrine aussi réfléchie qu'audacieuse, tout A  fait remarquable pour son époque, et pour quoi la nôtre ' qui s'est tant émerveillée des - miracles de crédit - et tant essayée A  les produire ' se devrait montrer moins sévère. Law fait de la monnaie le pit de la vie économique, et préconise une politique monétaire d'Etat. Et cela est bien mer-cantiliste. Seulement Law n'envisage pas l'accumulation de la monnaie comme un but en soi, mais bien la circulation de la monnaie, abondante, comme le moyen par excellence de stimuler le commerce et la production. Et la monnaie pour lui, ce n'est pas nécessairement la monnaie métallique, l'or et l'argent : c'est aussi bien la monnaie fiduciaire, plus facile A  multiplier et qui ne coûte rien. On a fait du chemin depuis - l'erreur chryshédoniste - ! Est-ce lA  encore du mercantilisme ? Ou bien un - néo-mercantilisme - comme dit M. Gonnard ? ou encore de l'- anti-mercantilisme - comme dit Dubois (pour qui le mercantilisme implique une doctrine métalliste de la monnaie) ? Querelle de mots, aussi vaine qu'insoluble : le mercantilisme n'a pas de frontières naturelles, et pas non plus de frontières nettement délimitées par les traités. Qu'il nous suffise d'air mis en lumière la richesse de la pensée économique franA§aise entre 1560 et 1750, et qu'elle fait éclater les cadres rigides du mercantilisme scolaire.
Quand on éque le mercantilisme franA§ais, on entend bruire les manufactures au rythme clair des chansons de France. Avec le mercantilisme anglais, on respire le vent salé du large, on perA§oit le froissement des effets de commerce. Voici un mercantilisme vraiment, purement mercantile. L'idéal du colbertisme. c'était d'importer le moins possible ' sauf des matières premières ' et d'exporter des fabricats. Les mercantilistes anglais veulent bien importer, A  condition qu'ils exportent davantage encore, et transportent le plus possible. Leur but, c'est d'obtenir un excédent actif de la balance du commerce, que déjA  ils analysent en détail, et dans laquelle ils font une place importante A  ce que nous appelons aujourd'hui les exportations invisibles, en particulier aux frets. Pour eux l'excédent de la balance mesure et constitue le gain du commerce extérieur.
Les auteurs sont nombreux ; le plus souvent ce ne sont pas comme Bodin et Montchretien des intellectuels et des humanistes, mais des hommes de la pratique, marchands ou hommes d'Etat. Les plus célèbres sont Thomas Mun (1571-l641), Josias Child (1639-l690), William Temple (1628-l698). Charles Davenant (1656-l714), ' et William Petty (1623-l687) qui déjA  laisse pressentir le libéralisme et dont nous reparlerons plus loin. Mais le mercantilisme le plus orthodoxe conserve des représentants en Angleterre jusqu'A  la seconde moitié du xvin siècle. C'est en 1767 seulement que James Steuart publie An Inquiry into the Principles of Political Economy, etc. (ce titre a quatre lignes) qui pour la première fois donne en anglais son nom A  notre science, cent cinquante ans après que Montchretien l'en a chez nous baptisée. Pour bien comprendre l'origine de ce terme, il faut d'abord songer A  l'- économie - d'Aristote. L'épithète - politique -, que les mer-cantilistes adjoignent, signifie qu'ils entendent se placer non plus dans le cadre du domaine familial, mais au de la cité. Porter les problèmes de la gestion des affaires domestiques A  l'échelle des Etats, c'est tout le mercantilisme. Aucune expression ne pouvait mieux désigner l'entreprise de Montchretien, de Steuart.
En Angleterre ' - nation de boutiquiers -. comme on dira plus tard ' les auteurs mercanlilistes s'adressent aux marchands, et non plus au Roi comme Montchretien : c'est de la soif individuelle du profit et de l'apre ingéniosité des marchands qu'ils attendent l'enrichissement national, plutôt que de l'impulsion gouvernementale. Ce n'est point qu'ils ne prônent l'intervention de l'Etat. Pour augmenter la quantité de travail, il faudra diminuer le nombre de jours chômés, aménager l'assistance publique de manière A  fariser la natalité, imposer au plus grand nombre le travail et la vie frugale. L'Etat pratiquera la tolérance religieuse pour attirer les émigrés étrangers, il facilitera les naturalisations. Admirez combien ce mercantilisme, étroitement nationaliste en ses fins, est cosmopolite en ses moyens ! Montchretien n'aurait pas préconisé de telles mesures, et Bodin ne l'a fait partiellement que par humanité ! Les mercantilistes anglais attendent encore de l'Etat qu'il farise le défrichement des terres incultes, afin de limiter les importations de grains ; qu'il acquière des colonies, afin que la nation en puisse tirer des matières premières, y puisse écouler ses fabricats. Surtout l'Etat pratiquera une politique douanière orientée vers l'obtention d'un excédent de la balance du commerce. Car pour les mercantilistes anglais, tout se ramène A  cette fameuse aison des deux postes de la balance. L'une des conditions essentielles A  la conquASte des débouchés extérieurs, c'est le bas niveau des salaires. De ce point de vue ' qui est le seul duquel les mercantilistes anglais considèrent le travail ' jamais le salaire ne peut descendre trop bas. Leur doctrine sera tout spécialement sévère aux ouvriers.


L'une des principales discussions auxquelles se soient livrés les mercantilistes anglais, est celle, célèbre, relative au taux de l'intérASt. Thomas Mun soutient qu'un taux élevé de l'intérASt est le signe d'une grande demande de capitaux, donc d'une grande activité commerciale, et qu'il faut par conséquent considérer un taux élevé de l'intérASt comme un élément farable de la situation économique d'une nation. Josias Child répond que seul un bas taux de l'intérASt, en abaissant le ccût de la production, peut permettre A  l'Angleterre de soutenir la concurrence hollandaise. A la suite de Child. la plupart des mercantilistes anglais seront en faveur d'un bas taux de l'intérASt, tantôt réclamant la limitation du taux par ix d'autorité, comme moyen d'accentuer l'expansion industrielle et commerciale, tantôt faisant valoir qu'un bas taux d'intérASt spontanément éli sur le marché des capitaux signifie abondance de numéraire, et constitue donc un symptôme farable (7).
La forme allemande du mercantilisme, c'est le caméralisme. On le rapprocherait plus facilement du colbertisme que des doctrines mercantiles anglaises. Toutefois le caméralisme n'est pas une politique, c'est une science, plus exactement c'est un enseignement :
un enseignement sur les choses de l'Etat, institué par l'Etat. Le mot Kamera désignait alors le lieu où l'on rangeait le trésor public. Les caméralistes enseignaient les règles d'une bonne gestion des finances du Prince. C'est dès 1500 que l'on commence dans les universités allemandes, et d'abord A  Strasbourg, A  fonder des chaires de science camérale. Les caméralistes sont les plus anciens professeurs d'économie politique. Leur enseignement n'a cessé de se développer en Allemagne jusqu'en plein xixc siècle, sous l'impulsion constante des gouvernements ; il a connu une période d'essor particulièrement brillante pendant la guerre de Trente Ans. Tandis que l'enseignement caméraliste se développait, sa matière s'étendait, jusqu'A  englober toutes les questions de droit public, de science politique, d'économie politique, de géographie économique, ire de technique productive. Alors que les écrits mer-cantilistes en Angleterre sont l'œuvre de polémistes, de pamphlétaires, la science camérale est une science de professeurs, et de professeurs allemands investis d'une fonction officielle. Elle est docte, massive, compacte ; abstraite, mais non moins solidement orientée sur la solution des problèmes pratiques allemands de l'heure.
Le caméralisme est populationniste, industrialiste, protectionniste, nationaliste, interventionniste : parce que l'Allemagne est sous-peuplée, dépeuplée par les guerres ; parce que l'Allemagne a sur l'Occident, du point de vue industriel, un retard considérable, et ne peut songer A  se créer une industrie, qu'elle n'en protège les premiers pas contre la concurrence des pays plus avancés ; parce que. tandis que la France, de Louis XI A  la FASte de la Fédération, est en train de se faire, le sens de l'Etat n'est pas encore né en Allemagne. Il s'agit pour les caméralistes d'en sortir, et d'en sortir méthodiquement. Et le caméralisme prône A  peu près les mASmes mesures que Montchrétien. que Colbert. Mais le caméralisme est allemand. On n'y sent point cet individualisme, ce républicanisme, comme on l'a dit, qui souffle dans la ile mer-cantiliste franA§aise. Le caméralisme ' si l'on nous permet un barbarisme A  la mode' est - communautaire-. Il est beaucoup moins hostile aux corporations que le mercantilisme. Il ne compte point tant sur les initiatives d'individus courant A  la recherche du profit, mASme stimulées et disciplinées par le gouvernement, que sur la convergence organique d'efforts conA§us en vue de l'intérASt général, sur le développement du sens national, sur un labeur commun concerté et méthodiquement organisé.
Le caméralisme s'est prolongé jusqu'en plein xixc siècle. Il donne la main A  la doctrine de l'économie nationale de List, A  l'his-torisme de Roscher, dont nous parlerons A  leur heure. Il a marqué durablement la pensée économique allemande ' que l'essor capitaliste et la doctrine libérale ou marxiste n'ont jamais détournée durablement de ses traditions organicisles et - communautaires -. Dans la Stratégie économique d'un Wagemann, dans les savantes réussites financières d'un Schacht ou d'un Funck, on sent les lointains disciples des professeurs caméralistes. Et c'est sans doute du caméralisme allemand que pourraient, avec le moins d'artifice, rapprocher l'époque contemporaine tous ces amateurs d'actualité dans l'histoire des doctrines, A  qui le renouveau présent du protectionnisme monétaire et commercial, du nationalisme économique et de l'interventionnisme suffisent A  parler de - néo-mercantilisme - au xxc siècle.
En revanche, c'est le mercantilisme franA§ais et surtout britannique qu'il faut considérer si l'on veut saisir la transition qui conduit du mercantilisme A  l'économie libérale. Le mercantilisme esnol disait : - Gardons l'or -. Le mercantilisme franA§ais : - Attirons-le, en exportant des fabricats ; et pour cela développons l'industrie -. Le mercantilisme anglais dit : - Vendons plus que nous n'achetons -. Le principe de la balance du commerce est une forme éluée, perspicace du chryshédonisme : mais qui en va tout aussi bien faire apparaitre la contradiction. Il sera bientôt évident qu'une balance du commerce ne saurait demeurer indéfiniment excédentaire. Les mercantilistes attardés, que l'on appelle parfois antimercantilistes, nt le pressentir. Ricardo le démontrera plus tard. Mais si l'or que l'on amasse dans le pays doit nécessairement s'enfuir quelque jour, A  quoi bon l'accumuler ? Est-ce vraiment lA  le but du commerce ? Le gain que la nation en retire est-il donc si vain, qu'il doive nécessairement AStre suivi d'une perte compensatoire ? Ou bien le commerce extérieur ne serait-il pas fécond en soi, indépendamment des importations d'or auxquelles il donne naissance lorsque la balance est positive, et simplement parce qu'il augmente les satisfactions de tous ? C'est ainsi que la mise en valeur, par les mercantilistes anglais, d'un moyen raffiné d'amasser l'or (l'excédent de la balance des comptes) a jeté le doute sur la valeur des fins chryshédoniques. On aperA§oit alors les avantages proprement économiques de la division internationale du travail ; et la ie est ouverte, qui mène au libre-échangisme. Cependant la doctrine monétaire subit une élution parallèle. Le chryshédonisme primitif confondait l'or et la richesse. Mais bientôt ce n'est plus tant l'accumulation de l'or que l'on désire, qu'une circulation abondante de monnaie métallique ou fiduciaire, pour stimuler la production des biens consommables, par quoi maintenant on définit la richesse. Il ne reste plus qu'A  minimiser de plus en plus l'action de la monnaie, jusqu'A  ne plus ir en elle qu'un écran trompeur, et dire que les produits s'échangent contre les produits. De la monnaie substance de la richesse A  la monnaie active, puis A  la monnaie neutre, c'est ainsi que l'on passe du chryshédonisme A  Jean-Baptiste Say.
Pour saisir sur le vif ces transitions doctrinales, il faut aborder des auteurs comme l'Anglais William Petty (1623-l687). Antibul-lioniste, libéral en matière de commerce extérieur, Petty a déjA  la notion de lois économiques naturelles. On a fait de lui le précurseur de Ricardo. Mais il est encore assez mercantilistc pour uloir vendre l'Irlande, après air transporté de force tous ses habitants en Angleterre afin d'y augmenter la densité de la main-d'œuvre.
En France, on qualifie parfois d'- antimercantiliste - Boisguil-bert, mort en 1714. Mais Cantillon surtout mériterait ici mieux qu'une allusion. Irlandais par sa naissance, il est franA§ais par sa carrière. C'est un yageur, qui a visité toute l'Europe, et le Japon, et le Brésil. C'est un banquier, rival de Law, mais qui s'est enrichi en spéculant sur le - Système -. Son principal ouvrage De la Nature du commerce en général parut A  titre posthume en 1755. Cantillon est peut-AStre le premier économiste qui ait une conception vraiment scientifique de l'économie politique, qui lui assigne comme fin la connaissance et non pas l'action. Mais il reste protectionniste, cependant que sa théorie de la valeur-terre (presque symétrique de ce que sera plus tard la théorie classique de la valeur-travail) fait pressentir les physiocrates.
La pensée de tous ces auteurs est riche et nuancée, et de meilleure qualité sans doute que celle des mercantilistes classiques. Leurs œuvres foisonnent de fines remarques, de raisonnements judicieux, d'intuitions prophétiques. Mais on ne les peut résumer aisément. Il n'est pas rare qu'elles contiennent des affirmations difficilement conciliables entre elles, et qui se neutralisent les unes les autres. Ces auteurs de transition se reprennent 'sans cesse eux-mASmes. Ils ient tous les aspects des choses, mais manquent d'esprit de synthèse. Leurs œuvres sont des musées remplis d'objets de prix, mais non point inventoriés ni classés. La tache du guide est bien ingrate
Dans l'histoire des doctrines économiques, comme dans celle de l'humanité au dire de Saint-Simon, les époques organiques alternent avec les périodes critiques. Les secondes sont de beaucoup les plus vivantes et les plus riches, mais l'histoire en est presque impossible A  faire, et c'est pourquoi elles restent mal connues. L'historien des institutions ne retient que les époques organiques. L'historien de la pensée, que les systèmes. Nous ans lA  sans doute l'explication de l'oubli relatif où sont longtemps demeurés Petty, Boisguilbcrt, Cantillon. Et aussi bien ' quoique dans une moindre mesure ' l'ensemble de la littérature économique de l'époque mercantiliste.





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