NAVIGATION RAPIDE : » Index » ECONOMIE » ECONOMIE GéNéRALE » Marché, économie et société Le marché fictif et l'économie réelle
D'un côté, un marché - pur -, qui correspond aux modèles des théoriciens, de l'autre, la réalité des systèmes économiques, où les entorses au modèle sont la règle. Et si notre représentation de l'économie de marché était un mythe ? LE MARCHé existe-t-il? La question a quelque chose de saugrenu alors que s'étalent au grand jour dent nous vitrines des magasins, publicités, fluctuations des cours de la Bourse, entreprises en proie A la concurrence S'interroger sur l'existence du marché touche mASme A la provocation face aux agriculteurs soumis aux contraintes du Gatt, ou face aux chômeurs qui consultent chaque jour les offres d'emploi sur le -marché du trail-. Et pourtant Le fait que des millions de gens croient en Dieu et acceptent de vivre sous sa loi ne prouve en rien son existence. Le fait de voir le Soleil se lever le matin et se coucher le soir ne prouve pas qu'il tourne autour de la Terre. La physique nous a mASme conincus du contraire Il est des évidences aveuglantes qu'il faut savoir interroger. Et si le marché était lui aussi une fiction ? En examinant comment les scientifiques - économistes, historiens, sociologues, anthropologues - abordent aujourd'hui la question, le doute est permis. En effet, pour les besoins de l'analyse, les économistes libéraux ont construit un modèle -pur- du marché, où fonctionnent A merveille les lois de l'offre et de la demande, mais ce modèle n'existe que dans les manuels. D'un autre point de vue, ceux qui cherchent A appréhender l'économie empiriquement découvrent que les relations marchandes sont autant baties sur les règlements, les organisations, les institutions, les réseaux, les habitudes, que sur les mécanismes, les lois et les rouages décrits par la théorie. Le modèle orthodoxe Pour raisonner de faA§on rigoureuse sur les -lois du marché-, les économistes d'inspiration libérale - dit néoclassiques (1) - ont dû construire un cadre d'analyse beaucoup plus sophistiqué mais de portée plus restreinte. Selon le modèle de référence, il n'y a de vrai marché que dans la mesure où les conditions de la libre concurrence sont respectées et où le jeu de l'offre et de la demande d'un bien est équilibré (voir l'encadré e suinte). Ce modèle de référence, appelé -marché de concurrence pure et parfaite-, a été élaboré A la fin du siècle dernier par Léon Walras. Le projet de cet ingénieur franA§ais, soucieux de rigueur scientifique, était de faire de la science économique une vérile science positive, c'est-A -dire fondée sur les mathématiques et la démonstration rigoureuse. Pour parvenir A ses fins, L. Walras raisonne dans le cadre d'une économie -pure-, qu'il distingue de l'économie - appliquée - et de l'économie - normative-. L'économie -pure- autorise la construction d'un modèle abstrait, qui permet de raisonner rigoureusement sur les relations entre riables (prix, offre, demande). Cette abstraction suppose bien sûr une distance par rapport A la réalité. Mais c'est une étape nécessaire de la recherche qui devrait permettre, dans un second temps, d'intégrer les paramètres réels, ceux de l'économie -appliquée-. Le marché de -concurrence pure- des économistes libéraux est d'abord une construction intellectuelle ayant fait l'objet de développements mathématiques très sophistiqués. Il repose sur des hypothèses extrASmement restrictives par rapport A la réalité. On a parlé A son propos d'- économie de leau noir- (Ronald H. Coase). Comment donc passer du modèle A la réalité ? Deux voies se présentent. La première consiste A complexifier le schéma de départ, A introduire des hypothèses nouvelles, tout en restant dans le cadre formel initial. Cette voie est empruntée aujourd'hui par une grande partie des recherches en microéconomie. Maurice Allais, Prix Nobel d'économie, s'est distingué dans ce domaine. La seconde démarche consiste A abandonner le modèle théorique au profit d'une description des conditions concrètes dans lesquelles se réalisent les échanges. Monopole, oligopole, monopsone Dès lors, on abandonne les modèles pour découvrir des structures hybrides, mais réelles : marchés non concurrentiels, marchés -ouverts- ou -fermés-, échange non marchand ; on découvre aussi que les notions de -capitalisme- de -concurrence- et de -marché- sont loin d'AStre équilentes. Voyons quelques-unes de ces sous-espèces de marché très particulières. L'absence de -libre concurrence- constitue la première entorse au modèle. Sur les marchés réels, on ne rencontre que rarement des offreurs et demandeurs - atomistiques - (c'est-A -dire des agents très nombreux et interchangeables). Le plus souvent, les marchés portent sur des réseaux très structurés d'offreurs et de demandeurs : monopoles, oligopoles, monopsones. Le monopole met ainsi en présence un seul vendeur face A une multiplicité d'acheteurs ; c'est le cas pour la vente d'électricité par EDF. L'oligopole désigne un nombre de vendeurs très réduit (comme sur les marchés de l'acier, du pétrole, de l'automobile, des pneus, etc.) Le monopsone est une structure de marché curieuse, où une multiplicité de vendeurs sont face A un seul acheteur ; c'est le cas de l'installation des poteaux électriques, qu'EDF fait réaliser par des entreprises privées, ou des ts de ac, dont la Seita est en France Tacheteur unique. On parle de monopole bilatéral lorsque le marché met en présence un seul vendeur face A un seul acheteur ; c'est le cas, par exemple, lorsque l'Etat commande un nouvel avion militaire au seul constructeur national : l'entreprise Dassault. Le cas du monopole ou de l'oligopole atteste de l'existence d'un marché sans vraie concurrence. Du modèle A la réalité, la distance est grande. D'autres hypothèses sur lesquelles repose le -marché pur- de L. Walras sont sujettes A caution. Par exemple, en économie réelle, la fluctuation du prix en fonction des offres et des demandes est rarement réalisée. Le prix des cigarettes, des automobiles ou de Sciences Humaines n'évolue pas en fonction de la demande. Si l'entreprise ne parvient pas A écouler ses stocks, elle diminue le plus souvent sa production plutôt que de réduire ses prix (2). En fait, hormis le fonctionnement de la Bourse, souvent pris comme le seul vrai modèle du marché, on sort pour la plupart des produits du cadre proposé par le schéma orthodoxe. La microéconomie peut formaliser de telles situations de -concurrence imparfaite-, mais elle y parvient au prix de sophistications mathématiques périlleuses et déroutantes qui conduisent, selon Bernard Guerrien, A des impasses (3). En prenant encore plus de recul, la prise en compte de l'Etat, des institutions sociales et de leur histoire limite encore plus la portée du modèle de concurrence pure.
Dans la plupart des pays dits - capitalistes - - y compris dans les vitrines du libéralisme -, l'Etat a joué et joue encore un rôle économique de premier . H intervient A plusieurs niveaux. Tout d'abord comme -régulateur-, par le biais des politiques économiques et des interventions monétaires, comme -redistributeur- par le biais de l'Etat-providence (dépenses de santé, de protection sociale), comme -promoteur- de toutes les infrastructures matérielles et sociales (routes, justice, santé, éducation) nécessaires au fonctionnement de l'économie. Ce phénomène n'est pas nouveau ; dans toute l'histoire du capitalisme en Occident, -Etat et marché se sont toujours épaulés- (4). Comme le soulignait récemment l'économiste Nicolas H. Stern, mASme le déclin de l'interventionnisme dans les années 80, A travers les déréglementations et pritisations de nombreuses entreprises publiques dans toute l'Europe, -n'implique pas que l'Etat soit réduit A un rôle anodin dans les affaires économiques et sociales d'un pays- (5). En Europe, les dépenses publiques continuent A se situer entre le quart et la moitié de la production nationale. En France, les prélèvements obligatoires se maintiennent A un taux de 47 % du PIB. Au Japon et dans les -nouveaux pays industriels- (NPI) du Sud-Est asiatique, l'Etat a joué un rôle essentiel d'encadrement du marché dans la croissante des trente dernières années (6). Bref, on est loin du modèle de -concurrence pure et parfaite-. L'existence d'une économie purement libérale ne serait donc qu'une vue de l'esprit ? Selon l'économiste anglais Charles Rowley, il serait plus juste de ranger les économies occidentales contemporaines dans la catégorie des -économies mixtes- (7). Une autre faA§on - inattendue - de relativiser le rôle d'un marché libre dans nos sociétés provient de ce constat : l'existence des entreprises comme -organisations-. En effet, au sein mASme des entreprises, les fonctions internes (de production, commerciale, administrative, etc.) ne sont pas soumises entre elles aux règles du marché. Comment expliquer ce fait curieux : la mise -hors marché- de l'organisation de l'entreprise par les capitalistes eux-mASmes ? Selon l'économiste américain R. Coase, chef de file de l'école dite -néo-institutionnaliste-, les coûts de transactions seraient beaucoup trop importants s'il fallait que tous les services soient -pritisés- sous formes d'entreprises particulières ayant entre elles des relations de commerce. L'historien de l'économie Alfred Chandler expliquait d'ailleurs ainsi la naissance de la grande entreprise A la fin du siècle passé (8). |
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