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ECONOMIE

L’économie, ou l’activité économique (du grec ancien οἰκονομία / oikonomía : « administration d'un foyer », créé à partir de οἶκος / oîkos : « maison », dans le sens de patrimoine et νόμος / nómos : « loi, coutume ») est l'activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. L'économie au sens moderne du terme commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam Smith un important corpus analytique qui est généralement scindé en deux grandes branches : la microéconomie ou étude des comportements individuels et la macroéconomie qui émerge dans l'entre-deux-guerres. De nos jours l'économie applique ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines (puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains domaines : international, finance, développement des pays, environnement, marché du travail, culture, agriculture, etc.


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Que faire?



Réhabiliter la bande des quatre: passé, identité, nation, religion



L'Europe illustre pour deux raisons la limite des rapports entre le modernisme et la démocratie de masse.
La première tient au modèle culturel mASme du modernisme, qui se traduit par une mise A  plat des valeurs et des traditions, et par une réduction des conflits A  l'équation suivante : vrai et moderne contre faux et archaïque. Le résultat, on l'a vu, est un appauvrissement des valeurs.
La seconde raison est cette fois-ci d'ordre sociologique. Le passage de l'Europe technocratique A  l'Europe démocratique signe la fin du règne de la minorité. Hier, le problème était l'action de cette minorité contre la fermeture, aujourd'hui, il est de gérer une Europe faite par tous, et d'autant plus ouverte qu'il n'y a mASme plus la fermeture assurée par l'adversaire communiste. Les problèmes sont inversés. Valoriser les identités, les différences, et le besoin de fermeture devient une des conditions sociologiques et politiques A  la fabrication de l'Europe. Le politologue Pierre Hassner rappelle les dangers qu'il y aurait A  l'ignorer : - L'ouverture des frontières ne supprime pas le besoin de communauté, de solidarité et d'exclusion (ou du moins de distinction entre " nous " et les " autres ") mais peut au contraire l'exacerber en le frustrant. -
Ce double changement oblige A  un renversement copernicien. Le modernisme, confronté A  la démocratie de masse et A  la société ouverte, doit laisser la place A  un mouvement de réhabilitation de la bande des quatre : le passé, l'identité, la nation et la religion. Ce mouvement n'est-il pas, comme A  l'occasion de chaque - renaissance -, le moyen de - revisiter - la tradition et de l'intégrer ultérieurement dans une nouvelle synthèse ?


1 - Le rapport au passé


II fut un obstacle; il devient une condition, un marche-pied. Le passé très violent de l'Europe interdisait de croire possible le dépassement de tant de haines, mais aujourd'hui, où une partie des souvenirs liés A  la Seconde Guerre mondiale s'estompe, rien ne peut se construire sans les fondations du passé dans le cadre de la culture politique démocratique. Assumer l'histoire devient le moyen d'en dépasser les haines '. Plus on va vers l'avenir, plus le passé et la manière de l'appréhender deviennent un enjeu. Ainsi, les relations entre la Russie et la Pologne ne pourront s'améliorer qu'une fois que la responsabilité du tragique massacre de Katyn' découvert en avril 1943 sera reconnue et assumée par le peuple russe 2. Dans l'univers symbolique et politique occidental actuel, sans principe de fermeture, ni physique, ni commerciale, et sans référence transcendantale, il est impossible de construire un nouvel espace politique, culturel et symbolique, sans reconnaitre ou intégrer ce qui fut l'histoire d'hier. Bref, il faut admettre tout simplement que la tradition3 n'est pas pour l'Europe un obstacle A  la modernité, mais une chance. Il n'y aura de nouvelle modernité qu'avec le réexamen et la réintégration de ce qui fut la tradition, y compris dans les dimensions qui hier furent contradictoires et conflictuelles avec des valeurs modernistes d'aujourd'hui. La force de la modernité, qui est la rupture avec le temps et la tradition, s'épuise aujourd'hui, justement parce que la tradition - est vaincue -. C'est le temps qu'il faut réintroduire pour maintenir un minimum de dialectique entre les deux dimensions de la réalité. D'ailleurs, la modernité triomphante est A  la recherche du temps. On le it dans la quasi-obsession du passé, mASme immédiat, avec la glorification des - sixties - et des - seventies - ou de tout ce qui est - antiquité -. Le temps est tellement A  plat qu'instinctivement chacun cherche A  lui redonner de la profondeur. La projection dans l'avenir ne suffit plus A  donner un sens, justement parce que le passé et la tradition contre lesquels cette projection se constituait font défaut.
En réalité, le rapport de forces entre tradition et modernisme qui fut si violent d'un point de vue religieux, social et culturel entre Le Syllabus de 1864 et la séparation de l'Eglise et de l'Etat en 1905 en France - mais avec des épisodes plus ou moins aussi violents dans tous les pays limitrophes - s'est renversé définitivement au profit du second. Les sociétés meurent rarement de trop d'histoire, mais plutôt de l'illusion de croire qu'elles peuvent s'en passer. La modernité ' sous toutes ses formes, scientifique, technique, politique, culturelle, a tellement gagné, avec des résultats éclatants, mais aussi parfois si douteux, qu'elle n'a rien A  craindre d'une réhabilitation des formes du passé et de la tradition. Ou alors, c'est manifester une bien faible confiance dans cette histoire de la modernité. La tradition serait presque la condition d'un nouveau départ de la modernité. Certains diront pour en compléter la dimension anthropologique un peu faible, d'autres pour éviter de renforcer un rationalisme déjA  encombrant, d'autres enfin pour rappeler la question de la transcendance, dans un siècle qui pensait l'air réglée

2 - L'identité

L'ouverture met chaque jour le citoyen européen un peu plus face A  l'autre. Cet autre fut d'abord celui des pays de l'Europe de l'Ouest. C'est maintenant ceux de l'Europe du Nord (Finlande, Suède). En attendant que ce soit ceux de l'Europe centrale (Autriche, Hongrie, Républiques tchèque et slovaque) et orientale (Roumanie, Albanie). Il faut alors réaliser, pour un citoyen ordinaire belge, italien, franA§ais ou allemand, la difficulté représentée par cet élargissement constant. La réaction est : où va s'arrASter l'Europe ? Jusqu'où tel ou tel pays fera-t-il demain partie de l'Europe ? Jusqu'où chaque habitant de l'Europe doit-il se sentir solidaire de tous ces peuples ? Il y a une limite A  l'acceptation de l'autre. Comment peut-on dire que l'Europe c'était six, puis neuf, puis douze, puis dix-huit pays? Comment adhérer durablement A  une Europe dont les frontières ne cessent de s'élargir ? Et surtout comment ignorer qu'un tel processus oblige au renforcement de sa propre identité ? L'identité n'est plus l'obstacle A  l'ouverture, elle en est la condition '. Renforcer les identités est le moyen de fariser l'émergence ultérieure de l'identité européenne2. Tant que ce paradigme de l'identité ne sera pas réexaminé, considéré comme positif au lieu d'AStre considéré comme négatif, il n'y aura pas d'ouverture A  l'autre. Il suffit de regarder le développement des sentiments racistes entre - les deux - Allemagnes, et plus généralement A  l'égard de tous les - étrangers » venus de l'Est, pour comprendre, dans ce mécanisme de rejet, le symptôme de l'incertaine identité de l'Allemagne3. Le problème identitaire n'a donc rien de théorique. L'identité, mélange de la conscience de soi et du regard de l'autre, joue évidemment un rôle primordial dans une société ouverte. D'une certaine faA§on, rien ne sert de condamner le processus identitaire de décomposition de la CEI ou de la Yougoslavie, sans se rendre compte que l'unité antérieure ne tenait que par l'oppression. Face A  la complexité des nouveaux principes collectifs d'identité chacun se replie sur son propre - moi -. La ligue Nord, créée en Lombardie, et qui prône une sorte de sécession entre le nord de l'Italie, industrialisé, et le sud, pauvre et gangrené par la mafia, en est une autre illustration.
L'éclatement de la CEI exprime la limite des mouvements antérieurs de containment. Une fois le carcan brisé, la première démarche a consisté A  plonger, pour ces peuples, dans l'histoire, notamment celle des identités, et l'Europe de l'Ouest a entendu des - noms - qu'elle n'avait jamais entendus depuis la guerre. De lA  A  ir dans cette résurgence une marque d'archaïsme, il n'y a qu'un pas A  ne pas franchir, mASme si ce processus de restructuration identitaire se fait avec conflits4. Le contresens consiste A  faire de ces conflits la preuve du caractère malsain des facteurs identitaires, au lieu d'y ir la réaction contre la négation dont ils furent l'objet pendant soixante-dix ans de communisme. D'où les Européens peuvent-ils s'autoriser A  disqualifier les mouvements identitaires de l'ex-URSS?
Il faut mASme aller plus loin dans la réhabilitation du facteur identitaire et poser l'hypothèse selon laquelle l'identité est la condition d'un dualisme ultérieur. En effet, le monisme identitaire, le plus souvent identifié au nationalisme, n'a de toute faA§on plus sa place dans la construction européenne. Par contre, la préservation d'une logique identitaire de type nationalitaire la conserve. Helmut Kohi déclara d'ailleurs au Bundestag: -Nous resterons enracinés dans nos régions, nous resterons Allemands, Italiens et FranA§ais, et nous sommes en mASme temps Européens '. - Le symptôme évident de l'importance du fait identitaire se it dans la multiplication des colloques, rencontres sur le thème de - l'identité européenne -, des rapports entre identité et culture, nation et Europe. La question des sources et des modalités d'une affirmation identitaire en relation avec l'autre devient un thème obsédant. En fait, la rationalisation du rapport au monde qu'a introduite la modernité a réduit les processus de sub-jectivation, et crée pour le citoyen le besoin d'un nouveau rapport entre objectivité et subjectivité. C'est de ce nouveau contexte dominé par -la relation et la communication-, mASme si elle est beaucoup plus instrumentale que normative, qu'il faut partir pour d'abord légitimer, et ensuite reconstruire, la problématique de l'identité. Celle-ci est tout autre chose que le narcissisme valorisé par ailleurs dans un certain modèle hédoniste.


Enfin, il y a dans le facteur identité un dernier paradoxe qui montre en quoi modernisme et démocratie de masse n'en ont pas fini avec la question de l'identité. Quelle est l'expérience la plus massive, et la plus hideuse du xx' siècle ? Le totalitarisme, qui s'est partout traduit par la négation de l'individu. Et par quel moyen a-t-il été finalement désilisé? Par la force morale la plus élémentaire, la plus - identitaire -, celle des individus, que les mouvements de libération ont réussi A  promouir. Ce sont les - solitaires - (Soljénitsyne, Sakharov2) qui ont, par leur seule résistance individuelle, désilisé des régimes dont personne ne suspectait la fragilité. Ces lunes solitaires individuelles, source ensuite de toutes les libérations collectives, sont l'expression mASme de la force du principe identitaire.


3 - La nation


L'inscription la plus visible de la question de l'identité se trouve évidemment dans la relation A  l'idée de nation. - Une société matériellement et moralement intégrée, A  pouir sle, permanent, A  frontières déterminées, A  relative unité morale, mentale et culturelle des habitants qui adhèrent consciemment A  l'Etat et A  ses lois -, selon la belle définition donnée par Marcel Mauss '.
Le renversement A  faire est également - simple -. Hier - la résistance nationale - était un obstacle A  l'égard de l'Europe. Aujourd'hui l'identité nationale devient une condition de son élargissement. Plus l'espace politique européen s'élargit en nombre de pays, et se structure en unité politique originale, plus il est nécessaire de valoriser les identités de départ. Toujours selon le principe élémentaire selon lequel il ne peut y air de nouvelles identités sans intégration des précédentes.
L'erreur, A  propos de la nation, est de continuer A  raisonner par rapport au passé, comme si rien n'avait changé. Or, la construction de l'Europe, mASme lente et difficile, traduit un déplacement du problème. Il s'agit moins, en s'appuyant sur la nation, de craindre un retour du passé, que de pouir envisager l'avenir avec moins de crainte. La preuve ? C'est au travers du cadre national que les débats sur Maastricht ont eu lieu, parce que celui-ci reste le seul cadre d'expérience A  la disposition des citoyens, ce qui n'a pas empASché, un peu partout, que se constituent, au travers de ce débat national sur l'Europe, les prémices d'un débat européen. D'ailleurs le recensement des différents types de discours tenus sur l'Europe au sein de chaque pays est un bon moyen de comprendre le kaléidoscope des représentations au travers desquelles émerge la problématique de l'Europe.
Laisser la nation A  l'extrASme droite, c'est lui faire un superbe cadeau. Et c'est faire une croix sur presque un siècle d'histoire politique. En effet, de la Rélution franA§aise aux années 1880, le concept de nation a été de tous les combats des libertés contre l'Ancien Régime. La dimension belliqueuse de la nation ne s'est développée qu'après 1880. Il y a donc au moins deux sens et deux histoires de la nation, et ne retenir que la seconde est non seulement faux mais également antidémocratique. La nation, comme la patrie, appartient A  toutes les familles politiques, au moins autant A  la gauche qu'A  la droite. Rien n'est plus incompréhensible que le mouvement actuel visant A  identifier défense de la nation et valeurs de droite '.
Le phénomène le plus dangereux consiste A  élir des signes d'égalité entre nation, sentiment national, idéologies nationalistes et nationalisme. On ne dira jamais assez, dans le contexte d'ouverture actuel, que le nationalisme prend son essor sur l'échec de l'identité nationale. Les conflits actuels liés au nationalisme illustrent cette réalité : le nationalisme se développe d'autant plus que l'identité nationale ou communautaire a été niée. Celui-ci est d'autant plus belliqueux qu'il se développe contre une dévalorisation de la question communautaire. Et ce n'est pas le mouvement de décolonisation du Maghreb, de l'Egypte, de l'Indochine et de la Cochinchine qui prouverait le contraire. Ce n'est donc pas en niant le besoin d'identité exprimé dans le sentiment national que l'on réduit les risques de nationalisme.
Réintroduire le thème de la nation dans le débat sur l'Europe n'est donc pas un moyen de - freiner - la construction politique, mais au contraire de lui donner toutes ses chances.
Dans la phase actuelle, l'identité nationale est d'autant plus importante A  valoriser que la solidarité européenne est faible. Il suffit de ir le conflit yougoslave, ou dans le domaine économique le primat des intérASts nationaux dans les négociations du GATT avec les Etats-Unis en 1992-l993, pour s'en convaincre.
A chaque fois, les traditions, les réflexes, les intérASts nationaux l'emportent. La mauvaise solution consiste A  uloir diminuer au plus vite ce réflexe national, au lieu de le prendre comme une donnée de fait.
D'un point de vue culturel, la perspective choisie ici, la plus importante pour lever progressivement les procès d'intention autour de la nation, consiste A  en parler. Sair lever l'hypothèque qui pèse sur les mots, et s'opposer au discours d'extrASme droite, qui progressivement, en vingt ans, s'autoproclame propriétaire de cette notion. Il faut aussi recenser les différentes conceptions historiques de la nation, car c'est par la distance historique et géographique que la nation peut AStre A  la fois légitimée et relativisée. Que sait-on de l'histoire de la nation en Grèce, en Grande-Bretagne, au Portugal, au Danemark? Intégrer d'abord les représentations et les histoires des uns et des autres. Autant pour les pays A  forte identité que pour les pays A  identité plus ambiguA« (Belgique) ou complexe (Suisse, Irlande). Retrouver les multiples architectures qui se sont constituées entre les mots de communauté, nation, patrie, pays
Il faut ensuite recenser tous les sens du mot -nation-, dans l'histoire des concepts, et des doctrines, et les réintroduire dans le champ normal de la communication politique. Ouvrir une réflexion sur la nation, en l'historicisant, et non pas en continuant de l'aborder sur le mode dichotomique. La culture et le débat, contre l'anathème et la caricature. En recensant les mots, valeurs, mémoires, on verra qu'ils ne se calent plus de la mASme manière qu'hier. Les références sont identiques, pas les contextes. Et pour exorciser la dimension de haine, rien de tel que de faire apparaitre cette différence.
Comment rapprocher le sens des mots si au moins nous n'ans pas connaissance de leurs différences et de leurs ressemblances? L'identité sommeille et surgit le plus souvent dans les mots.
On ne rapprochera les individus, et les nations, qu'avec des mots. Passer du temps A  les comprendre et en faire le tour est donc essentiel. Un exemple des contresens A  ne pas faire se trouve dans la manière dont on nomme depuis les années 90, les phénomènes identitaires nationalistes : les tribus. L'Europe régresserait au stade des tribus avec tous les fantasmes de violence, razzias, conquAStes qui depuis la nuit des temps hantent ce mot. Sympathique, non? A peine normatif! Naturellement ceux qui qualifient ainsi le phénomène d'éclatement n'y sont pas parties prenantes, et appartiennent A  l'Europe de l'Ouest A  l'abri. D'où parlent ceux qui parlent de tribus pour les autres ? C'est ici la hiérarchie, la bonne conscience. Rien ne prouve que les tribus, celles de lA -bas, ne s'en souviendront pas Parler de tribus aux 3 millions de réfugiés de Bosnie souligne le - respect - de l'autre de la part de ceux qui au chaud A  l'Ouest condamnent l'effritement des - tribus -


Difficile par ailleurs de valoriser le mouvement d'affirmation de l'individu A  l'Ouest et de dévaloriser simultanément le mouvement identitaire, ethnique, culturel ou religieux A  l'Est. Il n'y a certes pas de liens directs entre l'individualisme de l'Ouest et l'irrédentisme identitaire de l'Est, mais la moindre des choses serait de ne pas couper les ponts entre ces deux mouvements, mASme s'ils n'ont pas les mASmes origines, ni toujours les mASmes fondements. Ils conduisent tout de mASme A  un tronc commun de valeurs, celui du droit des individus A  disposer d'eux-mASmes. Pourquoi ne pas relier ce qui est le plus discrédité, - les tribus -, A  ce qui est a priori le plus noble dans la tradition démocratique, - le droit de disposer de soi-mASme - ? Montrer les filiations inattendues, et souligner la difficulté A  faire une distinction entre les -bons- et les -mauvais- usages de l'individualisme. C'est ce qu'a proposé la Commission d'arbitrage de la Communauté européenne, présidée par M. Badin-ter, en liant la reconnaissance des nouveaux Etats avec l'intangibi-lité des frontières, le non-usage de la force, et le respect des droits des peuples et des minorités. Et Robert Badinter suggérait A  juste titre l'instauration d'une - citoyenneté européenne pour les minorités qui ne peuvent ni prétendre A  se constituer en Etats souverains, ni faire confiance A  la majorité potentiellement hostile qui les entoure, ni s'unir A  la communauté ethnique dont elles se réclament. Il est clair que seules des formes souples et multiples d'affiliation garanties par une autorité impartiale peuvent espérer éviter l'affrontement perpétuel -.
En fait, au travers de la revalorisation de la nation, se joue le problème essentiel de la mémoire. L'Europe ne pourra se constituer que si les différentes mémoires collectives sont reconnues et légitimées. Ce qui est loin d'AStre le cas entre les deux Europes, et mASme au sein de l'Europe de l'Ouest. L'enjeu de la mémoire est une des facettes de ce problème de la nation. D'une faA§on générale rien n'est plus dangereux que de confondre les différentes formes de nationalisme et d'identifier toute revendication nationale aux formes violentes et expansionnistes du passé ou du présent. Le pire danger est de faire cet amalgame et d'unifier toutes les formes de revendication d'identité nationale. Reconnaitre aujourd'hui le bien-fondé de cette aspiration, observée un peu partout, est sans doute un des meilleurs moyens de rassurer, et d'assurer une transition vers l'Europe démocratique. Cette nécessité est renforcée par la crise économique qui, indépendamment du projet européen, fragilise et menace l'unité des Etats-nations, avec les risques de société duale, de repli sur soi et de refus de - l'étranger -.

4 - Les grandes religions du Livre

Les impasses de la rationalité moderniste, en cette fin de siècle, sont suffisamment visibles pour reconnaitre le bien-fondé d'une cohabitation avec d'autres valeurs, au premier rang desquelles les valeurs spirituelles auxquelles l'histoire de l'Europe doit tant.
Laisser une place A  la dimension spirituelle, dans le projet démocratique laïc européen, ne mettrait nullement en cause celui-ci; il aurait l'avantage d'illustrer le pluralisme, au fondement du modèle démocratique. Laisser une place aux valeurs spirituelles est aussi le moyen de ne pas trop spiritualiser la laïcité. Autrement dit, que ce soit pour des raisons théologiques, spirituelles, historiques, culturelles ou politiques, tout pousse A  rapprocher, dans le respect mutuel de leurs valeurs, l'approche sociopolitique de l'Europe de sa dimension spirituelle. Les deux - ne sont pas de trop - pour aider A  la préservation de la paix, et A  la construction d'une nouvelle unité politique en Europe.
Pour quatre raisons un dialogue plus nourri entre le projet politique démocratique et les questions spirituelles serait utile.
La première est qu'A  travers ce dialogue, on perA§oit assez nettement en quoi le choix n'est pas entre AStre pour ou contre le passé. Dans toutes les villes d'Europe le passé s'impose A  nous, ne serait-ce que par les clochers des églises, et des temples, qui du Nord au Sud et de l'Est A  l'Ouest accrochent nos regards. Impossible aujourd'hui de réfléchir sur l'esthétisme, qui occupe une place centrale dans l'identité culturelle européenne, sans aperceir les références métaphysiques, religieuses et sacrées dans lesquelles celle-ci prend ses racines. Et l'esthétique européenne, y compris quotidienne, est probablement un des facteurs communs les plus importants de l'espace culturel européen. Cette esthétique européenne, c'est d'abord une inable singularité du paysage, marquée par une si longue présence du travail et de l'art des hommes. La place qu'occupent dans ces paysages les monuments religieux avec leur histoire, les passions ou les haines qui ont amené A  leur construction rend un peu illusoire une vision moderniste. Le dialogue, constamment difficile entre les pouirs temporels et spirituels, a largement structuré la société européenne. Eviter de croire que les hommes inventent une histoire tous les deux siècles est une mesure de modestie, mASme si aujourd'hui près de la moitié des adultes européens se déclare sans religion.
Un exemple simple de l'intérASt A  réintroduire une approche spirituelle de la réalité moderne concerne la notion de - l'individu ' -. - La naissance - de l'individu est A  la fois un produit du discours religieux et une prise de distance A  son égard. Elle est en tout cas le grand apport de la philosophie occidentale depuis le xvr1 siècle, A  partir duquel se constituera la société civile, puis finalement la contestation de l'ordre monarchique, l'émergence de la philosophie des Lumières et enfin le modèle démocratique. Louis Dumont dans ses différents ouvrages a parfaitement résumé cette superbe élution pour et contre les religions2. Aujourd'hui le triomphe du modèle démocratique, et avec lui de la -société de communication -, met au centre le concept de l'individu roi dont chacun mesure les limites et les contradictions. La manière dont le discours religieux chrétien a depuis toujours relié la problématique de l'individu A  celle de la personne, en donnant notamment une autre perspective au thème des droits de l'homme, peut AStre utile pour déplacer certaines questions. Il en est de mASme en ce qui concerne, dans un domaine symétrique, les questions essentielles de l'embryologie ou de la défense de la vie. Les progrès de la science reposent les questions essentielles de la définition de la vie, du sujet, de son autonomie et de sa liberté. Si aujourd'hui ces questions sont pour la plupart abordées dans une perspective scientifique, tout prouve, comme le montrent la création et les débats des comités d'éthique, l'intérASt A  nouer des dialogues entre convictions philosophiques étrangères. La confrontation des traditions et des systèmes de valeurs différents n'est pas un luxe pour débrouiller l'extraordinaire complexité de cette question : quelle définition donner aujourd'hui de la vie et de la personne ?
Les acquis, comme les apories du mouvement de libération de l'individu, sont suffisamment connus pour qu'il n'y ait rien A  craindre A  renouer un dialogue autour du thème de la personne et de la dignité de la personne. D'autant que ce couple individu-personne constitue la pierre de touche de toute la construction philosophique, politique, culturelle et sociale du modèle démocratique européen.
Le deuxième intérASt d'une ouverture au discours religieux est de mieux comprendre l'histoire. Il y a en effet une histoire différente des religions selon les pays et chacun en a une très faible connaissance. Les pays de tradition catholique ne connaissent pas grand-chose des cultures de tradition protestante, et encore moins des traditions orthodoxes. Sans parler du rôle essentiel que joua le judaïsme. Comment construire un nouvel espace culturel sans comprendre l'impact de ces traditions ? Il suffit de sair ce qui oppose l'imaginaire catholique d'un Italien et celui d'un protestant anglais ou d'un orthodoxe russe pour comprendre combien la connaissance mutuelle des histoires et des représentations constitue la condition préalable A  tout dialogue, dès lors qu'il s'agit d'autre chose que d'une Europe économique.


Impossible par exemple de comprendre la libération de l'Europe de l'Est, de la Russie et du communisme, sans comprendre le rôle joué par les Eglises catholique et protestante facilement qualifiées de forces - conservatrices - A  l'Ouest. Comment accepter la dimension réductrice de cette interprétation ? Comment imaginer que l'énergie mobilisée par les forces spirituelles pour démanteler un système totalitaire serait sans impact sur la construction démocratique de l'Europe de l'Est ? Pourquoi cet impact serait-il - naturellement - conservateur? C'est une vision réductrice, dont l'avantage pour l'Ouest est de conforter une représentation - réactionnaire » du rôle des Eglises. Si nous ne respectons pas l'histoire de ces Eglises, et si nous ne sans pas nouer un dialogue avec elles, nous facilitons leur enfermement dans un certain conservatisme. Mais A  l'inverse, ne pas ir dans la seule promotion des valeurs du marché, du profit, de l'individualisme le risque de susciter de réels mécanismes de rejet de leur part est tout aussi dangereux. On ne peut pas A  la fois refuser de réfléchir sur la spécificité de ces cultures, et ne jamais remettre en cause les valeurs occidentales. Le risque est grand de ir se développer un rejet des acquis de la modernité. Comme le souligne la revue Esprit : - C'est peu dire que les rélutions de 1989 ne sont pas reA§ues comme l'écho lointain de celle de 1789 : elles seraient vues plutôt comme son ultime défaite, qui est aussi celle du contrat social et de la lonté de progrès. Ces deux dernières idées s'opposent A  celles d'un ordre normal ou naturel des sociétés, qu'il s'agirait maintenant de restaurer grace aux lois anonymes de l'économie de marché, appuyées éventuellement sur les valeurs traditionnelles de la nation et de l'Eglise1.-
Intégrer la problématique religieuse est donc probablement le plus court chemin pour accepter l'importance du pluralisme culturel au sein de l'Europe. Cet exercice de relativisme est aussi un exercice démocratique, a fortiori, quand on pense aux difficultés du dialogue, en Europe, entre les Eglises chrétiennes et l'Islam. L'Islam est largement méconnu, mais aujourd'hui par le nombre et le brassage des populations immigrées, autant que par le retour du sentiment religieux, les Européens sont obligés de mieux le connaitre. L'Occident chrétien, et orthodoxe, est de nouveau aux prises avec l'Islam, et il est impossible d'avancer plus avant dans l'Europe, comme le montre de manière tragique l'exemple yougoslave, sans identifier l'importance du facteur religieux.
Réintégrer une problématique religieuse est aussi utile pour une troisième raison. Les religions chrétiennes et l'Islam gèrent depuis longtemps la question, qui devient centrale pour l'Europe, du rapport entre l'identité et l'universel. Elles ont dû organiser des communautés qui sont par la suite devenues des nations, tout en conservant un lien extérieur, très faible dans le cas des Eglises autocéphales russes, plus fort avec les Eglises protestantes, et évidente avec l'ultra-montanisme catholique. Quelles que soient les solutions apportées, celles-ci ont toujours nourri une réflexion sur le rapport entre soi et les autres entre les quatre niveaux : la personne, la communauté, l'extérieur et l'histoire. Dans cène expérience accumulée d'une réflexion sur les différents niveaux de l'expérience humaine réside une des chances de l'Europe politique et spirituelle de demain. La solution ne consiste évidemment pas A  décalquer des procédures qui relèvent d'autres perspectives eschatologiques ou historiques mais A  intégrer certaines leA§ons du passé. Ce rapport entre l'identité et l'universel est inséparable d'une échelle du temps. L'avantage des religions du Livre est de maintenir une autre chronologie. En un mot, d'échapper A  l'un des effets les plus positifs mais aussi les plus discules de la rationalité occidentale : la maitrise du temps. La société moderne est le symbole d'un temps conquis '. Préserver en son sein la place pour une conception du temps - éternel -, en tout cas d'une échelle de temps plus longue, est un contrepoids culturel dont seul un rationalisme absolu pourrait se plaindre. Si la modernité est née de la séparation de l'homme et du sacré2, il y aura demain une autre séparation A  fariser, de la modernité avec elle-mASme. Non pour un retour A  la tradition, celle-ci n'existant pas en soi, mais pour une nouvelle relation entre temps et modernité.
Le quatrième intérASt A  prendre en compte le facteur religieux consiste A  se méfier d'une vision trop naïve de l'histoire. Si tant de violences et de haines ont été perpétrées au nom de Dieu et de l'amour ', il faudrait beaucoup de naïveté pour croire que l'organisation démocratique d'une nouvelle unité politique qui regroupe les mASmes peuples, sans aucune référence transcendantale, créerait moins de difficultés
En somme, prendre l'histoire des religions comme garde-fou d'un trop grand optimisme historique. La permanence des facteurs de haine est visible dans les conflits ethniques et religieux qui divisent la CEI et la Yougoslavie. Il suffit A  titre d'exemple pour montrer la complexité de ces relations de citer un article de Mgr Athanase Jev-lic, évASque de Banat2, en réponse A  un appel aux évASques serbes signé de six théologiens orthodoxes et écrivains. Il écrit notamment : - De tre paisible abri occidental, us osez sermonner les évASques serbes, y compris une des régions en guerre, dont l'un, Mgr Lucien, de Slanie, sort A  peine de plusieurs mois de détention par les milices croates, tandis que les autres ont dû abandonner leurs sièges épiscopaux. Et c'est A  eux que us recommandez de cesser " des lamentations sur les victimes du passé ", et d'adopter " une vision lucide critique de la réalité ", une réalité qui dans tre lettre est celle que nous présentent les informations de Zagreb ou de certains pays isins [] Depuis cinquante ans, le peuple serbe et son Eglise entendent le sang innocent d'Abel qui geint sous la terre, alors que Caïn n'entend pas la ix de son Seigneur. Si us, ainsi que le reste du monde occidental, AStes sourds aux cris d'Abel, les évASques de l'Eglise serbe, avec leur Eglise vivante et populaire, ne sont pas, et n'ont pas le droit d'AStre sourds -
Ces difficultés sont également visibles dans l'extrASme lenteur du dialogue œcuménique entre les catholiques et les protestants, depuis Vatican II. Quant aux relations avec les Eglises orthodoxes, malgré l'existence du - Haut Conseil œcuménique -, leurs difficultés sont A  la mesure de ce qui sépare les traditions latines et grecques - depuis 1453 - et les traditions autocéphale et ultramontaine dans les rapports entre le pouir temporel et le pouir spirituel.
L'- hiver oecuménique - dont parlent certains en dit long sur les procès d'intention éventuels.
Les concessions faites par la hiérarchie orthodoxe aux régimes communistes laissent des traces en Russie, de mASme que le vieux contentieux avec l'Islam renait en Yougoslavie, en Albanie et en Macédoine. Si l'on prend le retour d'un certain intégrisme religieux comme indicateur d'un mouvement plus général, nul doute que les relations entre les deux Europes seront très difficiles. MASme l'Eglise catholique en parlant de - nouvelle évangélisation - réveille chez les protestants et les orthodoxes de bien mauvais souvenirs. En dépit des changements radicaux par rapport au passé, et du respect mutuel qui s'est instauré lentement dans les années 50, les procès d'intention ne sont pas long A  renaitre. Ceci est la preuve que mASme en matière de religion, la mémoire est longue, le pardon difficile, la confiance hésitante.
Accepter de ir en face ces réalités permet aussi aux autorités laïques de se tourner vers les autorités religieuses pour leur demander, notamment dans le cas de l'Europe centrale et orientale, d'air une action plus directe et plus officielle.
Ces autorités ne peuvent pas seulement - prier pour la paix -. Mettre les autorités religieuses devant leurs responsabilités sociales et politiques traduirait aussi un changement de relations entre les deux protagonistes. Ces religions ne peuvent pas, A  la fois, dénoncer l'illusion d'une société excluant toute référence religieuse et ne pas s'engager dans les conflits politiques et sociaux qui les mettent en cause. Ceci n'est en rien une caution A  un rôle politique plus direct des Eglises. A l'Ouest l'élution est acquise et le sera prochainement A  l'Est, y compris en Pologne. Mais reconnaitre pour le bien de tous la séparation des ordres ne signifie pas ne pas abandonner une certaine responsabilité sociale.





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