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ECONOMIE

L’économie, ou l’activité économique (du grec ancien οἰκονομία / oikonomía : « administration d'un foyer », créé à partir de οἶκος / oîkos : « maison », dans le sens de patrimoine et νόμος / nómos : « loi, coutume ») est l'activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. L'économie au sens moderne du terme commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam Smith un important corpus analytique qui est généralement scindé en deux grandes branches : la microéconomie ou étude des comportements individuels et la macroéconomie qui émerge dans l'entre-deux-guerres. De nos jours l'économie applique ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines (puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains domaines : international, finance, développement des pays, environnement, marché du travail, culture, agriculture, etc.


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Les limites de la critique straussienne de la modernité : l'idéalisme allemand et la pluralité des philosophies modernes de l'histoire

1/ - Une lecture réductrice de Rousseau et Kant
La lecture straussienne des philosophies de la - seconde vague - présente une double difficulté, l'une de droit, l'autre de fait : tout d'abord, la critique des philosophies de la liberté qui est implicitement contenue dans l'interprétation de Rousseau manifeste certaines ambiguïtés, la continuité - réaliste - qui est censée nous conduire de Hobbes A  Rousseau n'étant pas pleinement édente; d'autre part, il est clair que la définition de l'histoire comme réalisation inconsciente (inintentionnelle) et nécessaire de l'humanité de l'homme (de l'ordre raisonnable et juste) ne vaut nullement pour la totalité des philosophes allemands de cette période puisque aussi bien c'est précisément cette philosophie de l'histoire que le jeune Fichte1, s'inspirant d'ailleurs de la Critique de la raison pratique, entend dénoncer radicalement : poser une telle conception de l'histoire, ainsi que le fait L. Strauss, comme représentative de l'idéalisme allemand reent donc paradoxalement A  légitimer la lecture hégélienne de l'histoire de la philosophie au détriment de l'intégralité1 de la philosophie pratique de Kant et de Fichte : paradoxalement, puisque, d'une part, cette analogie entre la lecture hégélienne et la lecture straussienne, toutes deux - fatalistes - et linéaires2, fait pour le moins question, mais d'autre part aussi parce que cette philosophie pratique représente justement, au sein de l'idéalisme allemand, la seule tentative de restaurer ' ou plutôt d'instaurer ' rigoureusement la scission de l'AStre et du devoir-AStre, et qu'en négliger l'analyse comme si, de Kant A  Hegel, c'était un seul et mASme mouvement qui s'accomplissait, c'est précisément oublier que la philosophie de Hegel se constitue progressivement par une critique du point de vue éthique de Kant (du Kant de la Critique de la raison pratique bien entendu, mais non seulement) et de Fichte3, comme c'est oublier que les philosophies pratiques de Kant et de Fichte se constituent, elles aussi, dans une polémique contre le - dogmatisme - et, notamment pour Fichte, contre les théories déterministes de l'histoire.
Reprenons ces deux points et, tout d'abord, examinons brièvement A  quelles ambiguïtés la lecture straussienne de Rousseau conduit lorsqu'elle prétend réduire Le Contrat social A  une forme de - réalisme - ou d'utilitarisme : si la société décrite dans Le Contrat social doit AStre considérée, ainsi que le pense L. Strauss, comme un - retour approximatif - A  l'état de nature ou encore comme - la meilleure approximation possible - de ce qu'est la e de l'homme naturel, comment attribuer4 pour seule finalité A  cette société le fait de réaliser une - structure permettant la conservation de soi - et favorisant la liberté au sens de la simple - liberté naturelle - ? Dans cette perspective, Le Contrat social n'est plus interprété en vérité comme un retour A  l'état de nature, mais bien plutôt comme un remède A  sa dégradation en - état barbare - et, finalement, en état de nature hobbésien. Comment dès lors maintenir l'affirmation selon laquelle l'état de nature - tendait pour Rousseau A  devenir un étalon positif - ?
Il me semble que la - logique - de l'interprétation de L. Strauss ' indépendamment mASme de la question, sans doute naïve, de sa - véracité - ' devrait conduire A  choisir l'un ou l'autre (mais non les deux !) membre de l'alternative suivante : ou bien l'on fait le Rousseau un penseur - réaliste -, un penseur qui enracine solidement le devoir-AStre dans l'AStre et annonce ainsi le thème de la - ruse de la raison - : on prilégiera alors la théorie de la volonté générale puisque, dans l'idée qu'elle ne peut errer, il y a comme l'affirmation de la nécessité, pour le devoir-AStre, de coïncider avec l'AStre; on interprétera également, dans le mASme sens, Le Contrat social, non en vérité comme une approximation de l'état de nature, mais uniquement ' ce qui est tout différent ' comme un remède A  sa dégradation, comme un remède par conséquent A  l'état historique que Hobbes désigne sous le nom d'état de nature mais dont, comme on sait, Rousseau ne fait qu'une époque relativement tardive de l'histoire de l'humanité; dans cette perspective, la pensée de Rousseau se voit réduite A  n'AStre qu'une suite - logique - de la philosophie de Hobbes. ' Ou bien, au contraire, on insiste sur le fait que Rousseau n'est pas - utilitariste -x, qu'il maintient une double définition de l'état de nature ' comme origine, mais aussi comme état juridique de l'homme2 ' qu'il entend fonder la morale sur la liberté et non sur l'intérASt3 et que, par lA  mASme, il refuse les prémisses de l'historicisme4; mais, dans ces conditions, ne faut-il pas aussi admettre que i) il n'est pas non plus un penseur pleinement -. réaliste - (puisque, précisément, le réalisme, quelle que soit la forme particulière qu'il puisse prendre, consiste toujours A  ancrer la nécessité de la réalisation du meilleur régime dans l'intérASt), que, par conséquent, 2) il maintient la différence entre l'AStre et le devoir-AStre, et que 3) le contrat social n'est pas simplement un remède A  l'état de guerre de tous contre tous, mais bien une tentative de réalisation de la liberté (non pas entendue simplement comme liberté naturelle, mais bien comme - perfectibilité -), le contrat définissant alors, non pas la société qui assure le plus certainement le bonheur des hommes, mais celle qui est le plus conforme A  la - nature humaine -, c'est-A -dire A  la liberté ? Autrement dit : ne faut-il pas admettre qu'en partant des prémisses de Hobbes pour dépasser la conception hobbésienne de l'état de nature Rousseau ne reste pas sur le mASme plan que Hobbes, dans la mesure où, découvrant dans l'état de nature l'idée de liberté, il découvre quelque chose qui, par essence, ne saurait se réduire A  un intérASt empirique et fonder ainsi un - réalisme - ?
La difficulté principale de l'interprétation de Strauss me semble donc tenir au fait que les deux lectures qu'on ent d'esquisser y sont également représentées sans que la contradiction manifeste qui en résulte paraisse devoir AStre thématisée, de sorte qu'on hésite finalement A  savoir si le reproche essentiel adressé A  Rousseau se le fait qu'il accélérerait le mouvement - réaliste - qui conduit A  l'historicisme, ou plutôt son abandon de toute référence A  un devoir-AStre objectif et substantiel au profit d'un devoir-AStre fondé dans et par la liberté humaine. Or, on le voit aisément, ces deux reproches, l'un et l'autre également présents chez Strauss, sont en réalité incompatibles : car fonder le devoir-AStre sur la liberté humaine, c'est précisément renoncer A  toute forme de réalisme (ce qui se manifestera A  l'édence chez Kant et Fichte par la thèse bien connue, et profondément par avance antihégélienne, selon laquelle l'idéal est A  jamais irréalisable), et, inversement, fonder la réalisation de l'idéal dans l'intérASt bien entendu, c'est manifestement renoncer A  penser la liberté ainsi que la pensaient Rousseau, Kant et Fichte1. Telle est d'ailleurs la raison pour laquelle ces philosophies de la liberté, loin d'AStre des étapes dans la voie qui conduit A  l'hégélianisme, ont au contraire représenté dès l'origine ' et Hegel ne s'y est pas trompé ' ses adversaires les plus redoules. Il me semble donc impossible d'admettre l'hypothèse straus-sienne d'un - réalisme - des philosophies de la liberté (réalisme que Strauss attribue, sinon A  Fichte dont il parle peu, du moins A  Rousseau et A  Kant) dans la mesure où, comme le montre d'ailleurs lui-mASme L. Strauss, le réalisme n'a aucun sens s'il n'est associé A  une forme quelconque - d'utilitarisme -a.
La seule objection vérile opposée aux philosophies modernes de la liberté ' objection que Strauss étend A  Kant et A  Rousseau mais qui, A  n'en pas douter, vaudrait également A  ses yeux contre Fichte ' se donc, bien plutôt que le réalisme politique, l'abandon de la référence A  un ordre - objectif - et transcendant ou, ce qui reent au mASme, l'idée moderne de limitation de la liberté par la notion d'universalité. On comprend dès lors plus aisément en quel sens ces penseurs de la - deuxième vague - constituent peut-AStre pour L. Strauss les adversaires les plus sérieux puisqu'ils maintiennent en vérité la différence entre l'AStre et le devoir-AStre et mASme, A  n'en pas douter, la transcendance de ce dernier par rapport A  l'homme : comment en irait-il autrement sitôt qu'est affirmée l'impossibilité d'une réalisation parfaite de l'idéal ? Et n'est-ce pas précisément cette affirmation qui fera pour Hegel des philosophies de Kant et de Fichte, au mASme titre que le judaïsme, les ures prilégiées de la - conscience malheureuse - ? N'est-ce pas encore l'affirmation d'une telle transcendance qui, comme le rappelait Horkheimer2, marquant l'affinité profonde du judaïsme et de la philosophie critique, explique au moins en partie l'influence considérable du kantisme sur la pensée juive allemande3 ?
La vérile différence entre les philosophies modernes de la liberté et la pensée classique ne consiste donc pas, comme le suggère L. Strauss, dans le fait que les premières auraient d'une quelconque faA§on aboli la transcendance de l'idéal, mais bien plutôt en ceci qu'elles produisent une définition de l'idéal qui soit compatible avec une pensée authentique de l'humanité de l'homme (liberté). Il est donc permis de penser que, selon les critères mASmes qui sont ceux de L,. Strauss, ces philosophies de la liberté, dans la mesure où elles attribuent une signification éthique A  la transcendance de l'idéal, possèdent toutes les qualités requises pour fonder une pensée politique A  la fois non historiciste et non positiste.
Dès lors, il semble que ce soit plus en fonction d'un choix éthique personnel qu'au nom d'une discussion vérile de leurs principes que L. Strauss dénonce les postulats sous-jacents A  ces philosophies de la liberté. C'est du moins ce que suggère une analyse, mASme fort brève, de la critique straussienne de l'idée moderne d'universalité entendue comme critère éthique : en effet, l'affirmation selon laquelle - si le critère ultime de la justice deent la volonté générale le cannibalisme est alors aussi juste que son opposé -l, outre le fait qu'elle contient une confusion manifeste, d'ailleurs constante chez L. Strauss, entre volonté générale et majorité2, implique une absurdité si édente qu'elle ne peut guère AStre interprétée autrement que comme argument sophistique destiné plus A  discréditer l'adversaire qu'A  le réfuter. Et pourtant, l'enjeu d'une telle critique eût sans doute dû paraitre essentiel A  L. Strauss : car il ne pouvait assurément ignorer 1' - alternative - que représentaient les philosophies modernes du devoir-AStre face au projet d'une restauration de la pensée classique ni les objections que d'un point de vue - moderne - il conendrait d'opposer A  son propre projet.
Aussi faut-il examiner plus précisément encore ce que la critique de L. Strauss laisse peut-AStre en place dans cette modernité dont elle prétend avoir saisi globalement le sens et la portée. Car si les critiques menées contre le concept rousseauiste ou kantien d'universalité, A  l'édence, manquent leur but, c'est peut-AStre aussi que n'a pas été pleinement mesurée la signification éthique et politique du concept : dénoncer le fait que l'universalité d'une maxime - suffise - A  garantir son caractère éthique, c'est peut-AStre en effet manquer A  la fois la conception de l'humanité, la théorie de la communication et la critique de l'idéologie que cette thèse contient in nucleo1 : car si la - limitation horizontale - est préférée A  l'hétéronomie de la détermination par une quelconque naturalité, ce n'est nullement, comme le veut L. Strauss, par un souci - réaliste -, mais bien parce que, si l'homme est libre, s'il ne possède, A  la différence des choses, ni - nature - ni - perfection -2, le politique doit nécessairement AStre pensé comme espace public ou comme lieu d'une intersubjectité, le propre de l'illusion ou de l'idéologie étant précisément d'- objectiver - l'homme, ou de le réifier en le réduisant A  n'AStre que l'exemplaire d'un concept objectif. Bref, ce que L. Strauss ne prend pas en compte dans la modernité, c'est très précisément la tentative qu'elle recèle d'une instauration, par le concept de - raison pratique -, de l'idéal de liberté comme devoir-AStre : lorsque L. Strauss dénonce la philosophie moderne de l'histoire comme philosophie de la - nécessité - il omet de préciser que cette nécessité, lorsqu'elle est pensée comme simplement pratique ou éthique, n'implique nullement, comme le ferait une nécessité théorique, l'affirmation de la réductibilité de l'idéal au réel. Parallèlement, la thèse selon laquelle, dans la modernité, - la théorie politique deent l'intelligence de ce qu'a engendré la pratique, l'intelligence de l'actuel, et cesse d'AStre la recherche de ce qui devait AStre - ne fait, ici encore, qu'entériner, et A  vrai dire presque mot pour mot, le jugement hégélien qui proclame le triomphe de l'intelligence sur la volonté3, la ctoire du point de vue théorique sur le point de vue éthique - encore - caractéristique des doctrines de Kant et Fichte.
Il est bien édemment difficile de cerner avec précision la mesure dans laquelle l'occultation, par L. Strauss, du point de vue éthique dans la modernité est ou non voulue, entendons : en conformité avec cet - art d'écrire - d'un philosophe lui-mASme soucieux de ne s'adresser qu'A  des - lecteurs intelligents -*, c'est-A -dire, notamment, censés AStre capables de percevoir dans une lecture - peu orthodoxe - autre chose qu'une simple bévue; difficile en effet, puisque, en l'occurrence, la sion linéaire d'une histoire de la philosophie qui progresserait de problèmes en problèmes2 est précisément parfaitement orthodoxe, notamment lorsqu'elle s'applique A  l'idéalisme allemand pour n'y voir qu'une évolution - logique -, inéluclement dominée en dernière instance par l'hégélianisme3.
Quoi qu'il en soit, une telle sion doit AStre remise en question, non seulement pour des raisons d'ordre - philologique - ' parce que, tout simplement, elle ne résiste pas A  une analyse approfondie des auteurs qui, comme Kant et Fichte, ne sont censés représenter qu'une - étape - ' mais peut-AStre aussi parce qu'elle entre en contradiction avec le projet mASme qui est celui de Strauss lorsqu'il prétend remettre en cause l'historicisme et le relatisme : il est clair en effet qu'un tel projet passe par une restauration de l'idée de devoir-AStre comme condition de possibilité d'une critique de la positité du réel. C'est, comme nous l'avons vu, dans cette perspective que L. Strauss souligne la nécessité pour l'homme, face A  des événements semblables A  ceux qui eurent lieu dans l'Allemagne des années trente, de prendre sa - responsabilité - et de - répondre A  la question de la société bonne - sans l'éluder en la - renvoyant A  l'histoire ou A  tout autre pouvoir que sa propre raison -4. Or j'avoue ne pas saisir comment une semblable critique de l'historicisme ' et il serait aisé, en relisant par exemple l'introduction A  Droit naturel et histoire, de multiplier les citations qui mettent en édence la nécessité éthique d'une non-soumission A  la positité du réel ' pourrait se permettre d'évacuer toute référence A  la notion moderne de liberté pensée comme volonté ou comme raison pratique. Bien plus : comment Vidée mASme d'une responsabilité proprement humaine comme unique pouvoir réellement critique (puisque - tout autre pouvoir'- que la raison humaine est explicitement écarté) pourrait-elle se fonder sur un rejet absolu de - l'humanisme moderne - ? Comment ne pas voir aussi qu'A  l'inverse, un - devoir-AStre - pensé en termes purement - objectistes - ou - substantialistes - ne peut rester un devoir-AStre et garder une quelconque puissance critique ?
Précisons encore : si la réalisation de l'idéal dépend de la fortune, si cette fortune ne peut AStre maitrisée par l'homme, ne devons-nous pas inélement renoncer A  toute action qui serait A  le réaliser et, par conséquent, A  toute actité critique ? Comme le montre Fichte, du point de vue d'une liberté qui se veut critique A  l'égard du réel, les philosophies du hasard et les philosophies de la nécessité sont strictement équivalentes1 : que la réalisation du meilleur régime dépende du hasard ou de la nécessité, A  quoi bon de toute faA§on intervenir pour critiquer le réel au nom de l'idéal ? Autrement dit : toute dénonciation du réel au nom de l'idéal ' donc tout refus de l'historicisme et du relatisme ' ne suppose-t-elle pas, ne serait-ce que partiellement, la volonté de - conquérir la chance -, d'avoir un effet dans la réalité ? N'implique-t-elle pas, par conséquent, un minimum de concession A  l'idée moderne, éthique, de liberté ?
Toute l'argumentation de Strauss me semble ici orientée par le souci systématique d'imposer au lecteur une alternative qui évacue ces questions : ou bien j'admets l'existence d'un ordre éthique non humain, substantiel et - objectif -, et je maintiens ainsi la différence entre AStre et devoir-AStre en mASme temps que j'indique une ligne de démarcation nette entre liberté et licence ; ou bien, et tel serait le mouvement de l'humanisme moderne, je renonce A  cette scission, j'enracine l'idéal dans l'AStre au moyen d'un - réalisme - qui montrera la nécessité de la réconciliation des deux termes dans une pensée de la liberté qui ne distingue plus liberté et licence. Bref, l'alternative mise en place par L. Strauss est celle de la Nature et de l'Histoire, le choix en faveur de l'Histoire impliquant une conception strictement théorique (et non plus éthique) des rapports de l'idéal et du réel. Mais comment ne pas voir que cette alternative masque une troisième possibilité qui est précisément celle qu'ensagent les philosophies de la liberté ? Il est sans nul doute permis de mettre en question la philosophie éthique de Kant et de Fichte, en laquelle la liberté est conA§ue comme volonté ou comme raison pratique ; mais peut-on, sans faire vérilement olence A  la pensée de ces auteurs, les réduire de faA§on univoque A  l'un des moments du processus qui conduit vers la soumission A  l'histoire ? Allons plus loin : peut-on éliminer sans contradiction leur problématique s'il est vrai que du point de vue de la philosophie pratique de Kant et de Fichte, comme du point de vue de Strauss lui-mASme lorsqu'il prétend critiquer Heidegger, la pensée qui fait dépendre de la chance la réalisation du meilleur régime est en un sens aussi - historiciste - que celle qui la fait dépendre d'une nécessité théorique puisque, elle aussi, situe l'idéal hors de portée de l'intervention humaine et, l'éloignant ainsi de nous, le prive de tout pouvoir critique ? Du point de vue de la liberté éthique, Nature et Histoire se confondent bien plutôt qu'elles ne s'opposent, et la critique fichtéenne des théories de la ruse de la raison le montrera en dénonA§ant comme foncièrement naturalistes1 toutes les philosophies modernes de la nécessité.
Inversement, s'il n'y a pas de - philosophie de l'histoire - classique comme le prétend L. Strauss, il y a bien A  tout le moins une - pensée - de l'histoire dont nous avons vu qu'elle attribuait A  la chance le pouvoir de réalisation du meilleur régime (ce qui, par conséquent, constitue une négation du principe de raison suffisante qui situe immédiatement la pensée classique comme l'antithèse absolue du réalisme moderne); or c'est précisément d'une telle saisie de la temporalité que Fichte entendra montrer qu'elle implique inélement la négation de tout projet critique A  l'égard de la positité du réel, exactement au mASme titre que la théorie de la ruse de la raison la plus rationaliste.
Cette difficulté ' le fait que la pensée de l'histoire A  laquelle se réfère implicitement L. Strauss est peut-AStre radicalement inappropriée au projet1 d'une critique de Phistoricisme ' se manifeste plus clairement si l'on examine la faA§on dont L. Strauss dénonce la sion moderne du devoir-AStre, non plus seulement sur son versant - réaliste - (parce qu'elle est censée conduire A  la confusion du réel et de l'idéal), mais bien aussi paradoxalement parce que, avec l'abandon de l'idée classique de Nature, le devoir-AStre s'avère tout A  fait séparé de l'AStre2. Cette critique a été très remarquablement reprise par P. Manent3 qui s'applique A  montrer comment les deux perspectives de la philosophie moderne, - la perspective - scientifique - ou - réaliste - ' la sacralisation du - fait - ' et la perspective - morale - ou - utopique - ' la sacralisation du - droit - ' - sont en réalité complices -. Après avoir indiqué en quel sens le - réalisme - machiavélien implique en fait - une transformation du monde non moins radicale que celle dont on attribue le projet A  l'utopie -, P. Manent entend souligner combien, sous la distinction rousseauiste du fait et du droit, c'est en vérité - une reddition A  l'indicatif non moins totale que celle qu'on attribue au machiavélisme - qui se dissimule. La thèse est, sur ce dernier point, on le voit, pleinement en accord avec l'enseignement de L. Strauss : Rousseau semble restaurer la pensée classique en dénonA§ant les politiques utilitaristes de ses prédécesseurs, mais il nous conduit en réalité vers une - reddition A  l'indicatif - qui préure l'historicisme. Comme chez L. Strauss, enfin, la réconciliation des deux courants est opérée triomphalement et, semble-t-il, sans résidu ni résistance, par l'hégélianisme : dans cette perspective, en effet, les philosophies - intégrées - ou - réconciliées - dans la synthèse suprASme n'ont, si l'on ose dire, que ce qu'elles méritent puisque, sous leur opposition, c'est en réalité la complicité qui se dissimule de sorte que leur antagonisme ne demande au fond qu'A  AStre supprimé : - Machiavel, Hobbes, Hegel, tel est le développement de la pensée politique moderne sous les espèces du réalisme ou de la sacralisation du fait; Rousseau, Kant, Hegel encore, tel est le développement de la pensée moderne sous les espèces de l'utopie ou de la sacralisation du droit. Hegel est le terme commun des deux lignées. On sait qu'il considéra son système comme l'achèvement de la philosophie; A  tout le moins, il a achevé la philosophie moderne en réalisant et dévoilant l'unité de son projet en apparence double et contradictoire **,
Dans cette sion ternaire et harmonieuse ' où Fichte brille par son absence ' la olence de la réconciliation hégélienne est A  la fois reconduite et légitimée, tout se passant comme si, les tensions qui ont traversé l'idéalisme allemand n'étant qu'apparentes, la dialectique hégélienne était - au moins vraie pour la modernité -2. Allons plus loin : la faA§on dont P. Manent, suivant toujours en cela L. Strauss, dénonce la complicité de la tradition du droit avec celle du fait, ne peut que se retourner contre son auteur : car ce qui en l'occurrence est sé dans la pensée de Rousseau, c'est le fait qu'elle fonde - l'impératif social - dans un principe si éloigné du réel que l'idéal n'a plus aucune portée critique : - fonder la légitimité d'une société (qui est relation des hommes entre eux) sur l'autonomie de l'indidu, c'est la fonder sur le principe le plus asocial qui soit Dès lors, le principe, l'impératif social, ne peut pénétrer dans la réalité de la société, dans Vindicatif social. Entre la sphère de la légitimité et celle de la réalité, il y a une scission et une incommunicabilité irréductibles ainsi, fonder la société juste sur le droit pur, c'est tendre A  laisser le fait tel qu'il est -8.
Une telle objection, qui reconduit une ambiguïté de la lecture de L. Strauss (Rousseau contribue-t-il A  rapprocher l'AStre et le devoir-AStre par la médiation de l'histoire ou bien les sépare-t-il de telle sorte qu'ils soient désormais sans aucun lien ?), en souligne également les deux difficultés principales : car, tout d'abord, si la - complicité avec le fait - ent de ce que, chez Rousseau, l'idéal est irréalisable, sans lien avec le réel (mais comment, encore une fois, est-ce dans ces conditions un penseur - réaliste - ?), ne conent-il pas de retoumer a fortiori l'accusation contre la pensée classique ? Comment l'idéal pourrait-il en effet AStre plus largement et plus sûrement éloigné du réel que par la notion de chance ? Si c'est de la chance que dépend la réalisation du meilleur régime, n'est-il pas, au moins pour nous, radicalement et définitivement coupé du fait ? Si le philosophe ne peut en aucun cas - provoquer -x cette - heureuse coïncidence -2, s'il doit - simplement - se contenter de - l'appeler de ses vaux et de ses prières -3, quel sens, mASme minimum, peut encore conserver une intervention critique, fût-elle seulement limitée A  la publication d'un livre contre l'historicisme ? Il est A  l'édence impossible de maintenir un lien entre l'idéal et le réel si la - médiation - est confiée A  la chance et l'on voit mal dans ces conditions ce qui interdirait de reprendre l'argumentation de P. Manent contre la philosophie classique telle que la décrit L. Strauss (et singulièrement celle de Platon)4. Cette difficulté interne au projet straus-sien doit AStre rattachée A  la question plus générale de la possibilité d'une critique de l'historicisme qui s'appuie uniquement sur le concept classique de Nature5.
Mais une seconde difficulté, extrinsèque, ent redoubler la première : car Rousseau n'est en réalité nullement représentatif de ce qui est désigné par P. Manent sous le nom de - perspective morale et utopique -. Je n'en donnerai ici que deux indices : tout d'abord, on notera que la critique de P. Manent reprend presque mot pour mot, sans doute involontairement, celle que Fichte adresse A  Rousseau dans Les conférences sur la destination du savant1-. Il est donc pour le moins surprenant de voir urer Rousseau comme représentant des - philosophes de la liberté -, la critique de - l'utopie - telle que l'esquisse P. Manent ne s'appliquant nullement A  Kant (dont la philosophie de l'histoire n'est A  vrai dire pas davantage un réalisme théorique qu'un utopisme moral), ni A  Fichte (qui critique Rousseau pour avoir trop largement séparé le fait et le droit). Par ailleurs, il suffit de prASter attention A  la philosophie du droit de Fichte pour percevoir ' ce qu'avait déjA  bien montré Gurtch2 ' qu'elle n'est en rien un indidualisme juridique (et la Doctrine du droit de Kant la rejoindra sur ce point) : telle est précisément la signification de la distinction cardinale du droit et de l'éthique par laquelle la pensée politique de Fichte et de Kant se sépare de faA§on décisive de celle de Rousseau3; de sorte que faire dépendre la critique de Kant ou de Fichte ' et par lA  mASme l'assentiment au jugement porté par Hegel sur l'ensemble de ses - prédécesseurs - ' de celle de Rousseau est doublement arbitraire : c'est négliger de prendre en compte »' ce qui, on en conendra, ne manquerait pourtant pas d'intérASt pour résoudre la question posée, c'est-A -dire celle des rapports du droit et du fait ' la spécificité de la philosophie de l'histoire et de la philosophie du droit de chacun des auteurs en question.
Il me semble par conséquent ' et telle est A  mes yeux la difficulté centrale de la pensée de L. Strauss ' qu'une critique conséquente de l'historicisme et du positisme ne peut nullement faire l'économie d'une réflexion sur l'historicité ' pensée comme médiation entre le réel et l'idéal ' en se réfugiant dans une position prétendument - naturaliste - et anhistorique. La philosophie de L. Strauss, loin de se tenir A  distance de toute philosophie de l'histoire, véhicule d'ailleurs elle-mASme une conception classique de l'historicité comme - chance -, de sorte que ce qui est au fond en jeu dans l'opposition de la Nature (au sens classique), de l'Histoire (au sens où L. Strauss entend ce terme) et de la Liberté (au sens de Kant et de Fichte), c'est bien le conflit de trois pensées de l'historicité1 :
' Celle au sein de laquelle le processus temporel n'est pas pensé A  partir de la - subjectité - (A  partir des principes logiques ou éthiques du sujet humain), donc comme ne relevant ni du principe de raison suffisante, ni de la libre actité intentionnelle des hommes ; confié A  1' - altérité -, le devenir apparait ainsi comme largement dominé par la - chance - ou le - destin -. C'est au fond cette conception classique de l'historicité que Heidegger (comme L. Strauss) - restaure - sous le nom d' - histoire de l'Etre -.
' La conception moderne réaliste, selon laquelle la médiation entre le réel et l'idéal est opérée par un processus causal déterminé, A  la fois nécessaire et inélucle, car relevant intégralement du principe de raison suffisante. Cette sion de l'histoire, dont L. Strauss voit l'origine chez Machiavel, culmine assurément dans la théorie hégélienne de la ruse de la raison.
' Enfin, la conception moderne non réaliste qui pense en termes éthiques, en termes de devoir-AStre et de liberté, les rapports de l'idéal et du réel, et qui culmine chez Fichte.
Il n'entre pas dans mon propos d'analyser ici la faA§on dont se peuvent articuler ces trois pensées de l'historicité. Ce qui a été dit jusqu'A  présent doit suffire A  nous convaincre de la nécessité d'entreprendre enfin une remise en question de l'idée d'une univo-cité, sinon en apparence du moins quant au fond, des - philosophies de la liberté - constitutives de l'idéalisme allemand. Une telle tache suppose que dans un premier temps on tente d'esquisser, au moins brièvement, ce que l'on entendra ici par - idéalisme allemand -2 et que l'on cerne ce qui pourrait lui avoir tenu heu de projet philosophique et politique commun : car c'est A  partir d'une certaine communauté de projet que l'irréductibilité des divergences se laissera le mieux percevoir.

2 - L' idéalisme allemand et les différentes approches du système
Sans prétendre bien édemment ici en épuiser le sens et la portée, il me semble possible de définir brièvement le projet philosophique apparemment commun aux penseurs de l'idéalisme allemand, comme - projet de système -. Tout indique en effet que la réflexion post-kantienne sur la Critique de la raison pure se caractérise par une double tentative : d'une part, supprimer - la chose en soi - et, corrélativement, conférer une forme vérilement déductive A  ce qui chez Kant n'avait de déduction que le nom1. Par lA , ce que l'idéalisme allemand se A  constituer, c'est bien le système, qui deent alors - cri de ralliement et exigence la plus intime -2. L'idéalisme allemand apparait alors comme le moment où le projet philosophique s'accomplit comme production du système, au sens de la mise en ordre de tout ce qui est par une raison devenue capable de produire l'intelligibilité de tout le réel, de conceptualiser chaque champ de réalité, de cerner la logique des relations qu'entretiennent les divers champs, et par conséquent de les situer les uns par rapport aux autres en une totalité parfaitement achevée où l'imposition A  chaque élément de sa place n'a de sens que par référence A  la structure logique du tout ' structure d'où est rationnellement déduite l'assignation A  chaque élément de son heu et de sa fonction. L'orientation philosophique de l'idéalisme allemand se définit ainsi comme adhésion A  un projet de systématicité rationnelle, où l'unifiant du multiple est la rationalité (subjectité) comme pouvoir de produire et d'enchainer les concepts.
Il conent toutefois, afin de préciser encore la signification de ce projet ' ce qui nous permettra de saisir la faA§on dont pensée philosophique et pensée politique s'articulent au sein de l'idéalisme allemand ', de souligner que le terme de système se dit essentiellement en deux sens, l'un méthodique, l'autre ontologique1 :
' Méthodiquement, la notion de système désigne simplement le mode de présentation ou d'exposition de la philosophie : Que le système soit la forme la plus appropriée de l'exposé philosophique, c'est lA  ce que, de Kant A  Hegel, les philosophes ne cesseront de répéter, le système étant précisément - ce qui convertit la connaissance vulgaire en science -2, de sorte qu' - une philosophie sans système n'a rien de scientifique -3. En ce sens, le système se définit, par opposition A  1' - agrégat -, comme - l'unité de diverses connaissances sous une idée -*, c'est-A -dire comme une unité vérilement organique : - Le Tout est un système organique (articulatio) et non un ensemble désordonné (coacervatio); il peut A  la vérité croitre par le dedans (per intussusceptionem), mais non par le dehors (per oppositionem), semblable au corps de l'animal -5. Ainsi se précise l'essence du système en tant que méthode philosophique : il unit la multiplicité des connaissances en une totalité d'éléments dont la cohésion, l'interdépendance et l'intégration ont pour modèles les propriétés d'un organisme vant.
' Cette référence A  l'AStre vant nous permet de saisir la seconde signification, ontologique, de la notion de système, dans la mesure où elle met en lumière l'analogie qui relie, d'un côté, une méthode philosophique apparemment formelle, et, de l'autre, un élément effectivement issu de la réalité. Comme le remarque A. Renaut : - Cette découverte du système comme mode d'AStre d'un type d'étant est décisive : elle nous met sur la voie d'une saisie du système comme le mode sur lequel existe non seulement un type d'étant (l'organique), mais bel et bien la totalité de l'étant - : cette transition, par laquelle ce qui semblait simplement formel, méthodique, en ent A  caractériser la structure mASme de la réalité, la totalité du réel étant pensée en quelque sorte comme AStre organisé, suppose, on le voit, une certaine - ontologie -, une certaine définition de ce qui constitue l'essence du réel, ou, si l'on veut, la - réalité du réel -. Cette ontologie se laisse elle-mASme aisément repérer : elle tient dans la formule hégélienne selon laquelle - le réel est rationnel - et - le rationnel, réel - : car si ce qui n'est en son fond qu'une forme subjective de la rationalité (l'exigence d'une déduction systématique en laquelle le multiple est dérivé de l'un, n'étant elle-mASme, comme le rappelle Heidegger2, qu'un réquisit formel de la démonstration mathématique) en ent A  AStre pris pour la structure mASme du réel, c'est bien édemment sur fond d'une ontologie en laquelle le réel est défini a priori comme conforme aux principes d'une rationalité logico-mathématique3.
La notion de système ainsi brièvement définie, il conent encore de remarquer que sa mise en relation avec cette ure des Temps Modernes que constitue l'idéalisme allemand repose tout d'abord sur un argument - historique - : selon toute vraisemblance, c'est en effet avec Leibniz qu'en 1695, pour la première fois, le terme de - système - apparait dans le titre d'un ouvrage philosophique : Système nouveau de la nature et de la communication des substances. L'on doit donc assurément rechercher, sinon les raisons historiques de cette apparition d'un usage nouveau ' lA  où les prédécesseurs de Leibniz disaient plus volontiers - discours - ou - méditations - ' tout au moins ses conditions de possibilités philosophiques.
Dans son ouvrage sur Schelling, Heidegger a tenté de répondre A  une telle question en indiquant les six - principales conditions de la construction des premiers systèmes -*. Son analyse souligne essentiellement l'importance du primat de la mathématique dans la constitution de l'idée philosophique de système : le mathématique en effet, en tant - qu'il constitue une interprétation orientée d'une faA§on déterminée de l'essence du savoir en général -, interprétation selon laquelle - il appartient au savoir de fonder initialement et A  partir de lui-mASme la cognoscibilité ' le statut du connaissable comme tel ', et cela en partant de et au sein de propositions premières qui elles-mASmes ne requièrent pas de fondation -2 est en quelque sorte triplement approprié A  l'apparition du projet philosophique du système : tout d'abord, l'exigence d'une déduction des théorèmes A  partir d'un minimum de principes premiers (principe d'économie) tend déjA  A  réaliser une articulation de l'un et du multiple qui est requise pour la constitution d'un système. Ensuite, l'exigence de principes premiers, certains ou édents par eux-mASmes, - implique que l'on recherche, A  l'intérieur du domaine de l'étant en son entier, un objet possible de savoir, tel qu'il permette par soi une autofondation correspondante. Le savoir se tient en effet pour fondé s'il est savoir certain de soi-mASme -3. L'édence qui est censée caractériser dans les mathématiques les propositions premières doit elle-mASme trouver son principe dans une certitude initiale qui garantit toute autre certitude, ou mieux : qui est la forme ou l'essence de toute certitude. En ce sens, le primat du mathématique fait signe vers une - métaphysique de la subjectité -, entendons : vers un projet de fondation du savoir sur la certitude du sujet représentée comme unique critère de vérité : - Cette exigence mathématique de certitude érigée en mesure de tout savoir se trouve historiquement satisfaite de faA§on tout A  fait déterminée. Elle conduit A  l'ego cogito qui est éli comme premier et vérile objet d'un savoir possible, et donc comme vrai C'est ainsi que Dessectiunes a procuré A  l'exigence mathématique de certitude son fondement ainsi que le sol susceptible de satisfaire A  cette exigence en référant le savoir en général A  la certitude de soi de la proposition-de-fond : - je pense, je suis - -*.
Or c'est très précisément cette exigence d'une fondation de la totalité du savoir sur la certitude du sujet (lA  où les penseurs classiques, comme le souligne L. Strauss après Heidegger, auraient préféré une fondation - objective -) qui s'accomplit dans la notion méthodique de systématicité puisqu'elle exige la déduction de la multiplicité des champs du savoir A  partir de l'unité des principes d'une rationalité inhérente A  la subjectité2. Enfin ' et ceci souligne la signification ontologique de la notion de système ' la certitude du sujet érigée en critère de vérité pour tout savoir deent également critère de l'AStre : ne peut AStre considéré comme existant réellement que ce qui est conforme A  la certitude du sujet : - La certitude de soi du penser décide, en tant que proposition-de-fond (principe), et par conséquent de manière principielle, de ce qui - est - Seul ce qui est vrai peut AStre reconnu comme proprement étant. La certitude-de-soi de la pensée est instituée en tribunal qui décide de ce qui peut et de ce qui ne peut pas AStre, et plus encore : de ce que AStre veut dire en général -3.
Comme le montre A. Renaut, cette analyse de Heidegger ' analyse dont on ne saurait sous-estimer la portée si l'on songe que ce qui est ici décrit sous le nom de - métaphysique de la subjectité - continue assurément de survre A  l'achèvement hégélien, ne fût-ce que sous l'idée d'une - science de l'histoire - qui implique bien l'identification du réel au rationnel ' doit cependant AStre complétée dans la mesure où elle se borne A  définir le projet de systématicité commun A  l'idéalisme allemand en référence au primat des mathématiques. Or c'est bien, nous l'avons vu, également par rapport A  l'organique qu'il nous faut encore penser la notion de système : cette nécessité se fera clairement jour si l'on remarque que, dans la démonstration mathématique, les éléments déduits des principes (les théorèmes déduits des axiomes) reposent bien sur un mASme fondement, mais ne sont pas encore pour autant systématiquement ou organiquement liés entre eux. Si donc l'idéalisme allemand pense la totalité du savoir et de l'AStre comme système organisé (et non simplement mathématique), c'est que le réel n'est pas seulement pensé comme conforme au mathématique, mais également comme e ou comme auto-production1. Aussi comprend-on comment, dans la ure la plus achevée du système, chez Hegel, c'est A  partir d'un principe se produisant ou s'engendrant lui-mASme qu'est perA§ue la cohérence du multiple, en quel sens par conséquent ce système pourra se présenter lui-mASme comme une réconciliation du théorique et du pratique, de l'intelligence et de la volonté (autoproduction).
De ce projet philosophique apparemment commun2 A  l'idéalisme allemand, ainsi brièvement esquissé, se peut maintenant - déduire - l'essence de son projet politique : si ce qui est proprement A  penser c'est le système, soit la rationalité du réel3, la pensée politique ne peut AStre qu'une réflexion sur les conditions de réalisation par ou dans l'Etat de cette rationalité systématique. La question politique deent dès lors essentiellement celle de la réalisation du système. C'est lA  ce qui se laisse aisément percevoir dans une analyse ' portant sur l'exemple précis d'une question politique alors centrale, celle de l'Université ' que je rappellerai ici brièvement4 en raison de la valeur paradigmatique de son objet.
S'il est en effet une question politique concrète qui a préoccupé les penseurs de l'idéalisme allemand, c'est bien celle des rapports de l'Université et de l'Etat : en l'espace d'A  peine quinze ans, de 1802 A  1816, Schelling, Fichte, Schleiermacher, Humboldt, Hegel écrivent sur l'Université pour proposer différents plans d'organisation, témoignant ainsi, pour une question politique particulière, d'un intérASt dont il est facile de montrer qu'il est philosophiquement orienté1.
Qu'est-ce en effet que l'Université ? Le concept mASme d'Université implique que le multiple se tourne vers l'unité, autrement dit : une totalisation systématique du multiple. Comme Heidegger le rappellera encore2, l'Uni-versité, au niveau de son concept, exigerait - l'enracinement des sciences dans leur fondement essentiel -, l'imposition A  partir de leur fond d'une - cohérence - A  la - multiplicité des disciplines - qui étudient chacune un champ de réalité. Conforme A  son concept, l'Université devrait institutionnaliser l'exigence systématique de la philosophie, réaliser le philosophique comme tel. C'est bien lA  ce que soulignait déjA  Schelling : les Universités tirent leur nom de l'idéal de - la vérile e organique de toutes les parties du savoir -, c'est-A -dire de la pensée du système, et il s'agit donc d'interroger le réel, la réalité universitaire, A  partir d'une telle pensée. L'intervention philosophique ainsi s'éclaire : exiger du réel, et en particulier de l'Université, qu'il soit systématique, voilA  qui deent inéle lA  où l'orientation philosophique est précisément celle pour laquelle, au niveau théorique du concept, le singulier n'a d'existence que dans - sa cohésion avec ce qui est originaire et un -, lA  où règne l'esprit du système.
Que le projet politique soit bien dans ces conditions celui d'une incarnation de l'idée de système, c'est lA  ce qu'un simple repérage de textes suffit A  montrer A  l'édence, tant ces œuvres sont toutes traversées par l'esprit de ce que Schelling nommait lui-mASme - l'Uni-totalité - :
' Schelling : LeA§ons sur la méthode des études académiques (LeA§on I) : - Quel est le point unique dont dépend toute notre recherche ultérieure ?- ' Réponse : - Il s'agit de l'idée du savoir inconditionné en soi, savoir qui est purement et simplement un et au sein duquel tout savoir ne fait également qu'#-, de ce savoir originaire qui, en se ramifiant, ne se dissocie qu'en fonction des divers degrés qui constituent la manifestation du monde idéal et qui se déploie dans la totalité de l'arbre immense de la connaissance -; soit : l'idée d'une - totalité organique des sciences - dans la - pure transparence d'une connaissance rationnelle universelle -, l'idée du - système -.
' Fichte : déductif d'un élissement d'enseignement supérieur A  fonder A  Berlin (A§ 21) : Quel est - ce vers quoi nous tendons - ? - U unité de la chose A  partir d'un point de vue unique - ' c'est-A -dire l'idée d'une totalité du savoir où chaque élément est - une partie indispensable d'une plus grande totalité -, laquelle doit AStre - pénétrée par un clair concept -, en sorte que les parties - s'enchainent les unes aux autres - (A§ 60).
Chez Schleiermacher et Humboldt, l'idée de système, pour AStre plus implicite, n'en est pas moins largement présente :
' Schleiermacher : Pensées de circonstance sur les Universités de conception allemande : Quel est - le point de vue - qui préside A  l'organisation de l'Université ? Celui de la - Science dans son Idée -, soit : de la science qui, ici, comme chez Fichte ou Hegel, se définit comme le point de vue encyclopédique de l'enchainement interne des parties au sein du Tout.
' Humboldt : Sur l'organisation interne et externe des élissements scientifiques supérieurs A  Berlin : Quel sera le point de départ de l'organisation de l'enseignement ? : - Le principe de subdision des élissements scientifiques supérieurs et de leurs différentes espèces -. Il a nom - l'Idée -. Qu'est-ce que cette Idée ? Elle réunit, explique Humboldt, un principe et un idéal : le - principe originel A  partir duquel le travail scientifique tente de - tout dériver -, c'est-A -dire un unifiant dont tout devrait AStre - déduit -; l'idéal d'une telle dérivation, d'une telle déduction, idéal A  quoi tous les efforts doivent se rapporter ' l'Idée étant ainsi celle-lA  mASme de la science ou du système comme exigence d'une déduction logique, complète, de la multiplicité A  partir d'un principe unique et unificateur.
' A la lecture, enfin, des textes de Hegel1, on sera frappé par la faA§on dont tout ce qui est dit du Lycée et de l'Université part de la conction que le système est achevé, qu'il existe, sous le nom d'Encyclopédie philosophique, - un complexe systématique des sciences - : A  partir de lA , - l'exigence de constituer en un tout ordonné, construit dans toutes ses parties, le vaste champ des objets qui appartiennent A  la philosophie -, c'est-A -dire toutes les sciences, tel est ce A  quoi doit satisfaire la - nouvelle idée - de l'enseignement.
Ce retour permanent d'une exigence d'incarnation de - l'uni-totalité - s'éclaire donc sans difficulté si l'on replace toutes ses interventions dans le cadre de ce qui, philosophiquement, s'accomplit de Kant A  Hegel : la constitution de la philosophie comme système. Le problème politique se situe donc très précisément dans l'espace qui relie mais sépare encore le réel (en l'occurrence : l'Université) et l'idéal (le système) et c'est au sein de ce décalage qu'il prend sens. Mesuré aux exigences de son concept, quel est en effet le spectacle que donne A  voir, de Schelling A  Hegel, l'Université existante ? Ecoutons Schelling : - Lorsqu'au début du curcus académique le jeune homme entre pour la première fois dans le monde des sciences, plus il ressent de goût et de penchant pour la totalité, moins il peut en ressentir une autre impression que celle d'un chaos dans lequel il ne distingue encore rien, ou d'un vaste océan où il se voit jeté sans boussole ni étoile polaire - (LeA§on I). Ecoutons Fichte : dans une Université où l'on n'apprend que des - fragments - du savoir (A§ 2), et cela selon un processus inorganisé où règne - l'effet du hasard -, où c'est - la bonne fortune et le hasard - qui disposent de la formation (A§ 10), l'absence du point de vue encyclopédique - jette l'étudiant sans gouvernail et sans compas dans l'océan confus - (A§ 21). Ecoutons encore Hegel en 1816 : - Il semble que ce soient uniquement la tradition et la considération de leur utilité formelle pour la formation de l'entendement qui maintiennent encore les sciences que nous avons conservées -, par exemple la logique dont nul ne saurait déceler vraiment la faA§on dont elle s'insère dans le concept d'une Université.
Ainsi, l'Uni-versité comme telle n'existe pas ' tel est le diagnostic qui se laisse repérer A  travers ces divers textes : ce qui règne, c'est non pas l'Université comme système, mais, semble-t-il, le chaos. On gaspille les énergies en conduisant les étudiants A  - constater, A  la fin du cursus académique, combien de choses se sont faites en vain et combien ils en ont négligé d'essentielles - (Schelling, LeA§on I). On répète jusqu'A  l'absurde ce qui a déjA  été écrit dans des livres ' la transmission universitaire du savoir prenant ainsi l'allure d'un - procédé pédagogique de pénurie - (Fichte, A§ 2); on prétend cultiver l'originalité, - c'est-A -dire la contingence, l'arbitraire, la particularité de l'opinion -, avant d'avoir donné mASme A  l'opinion de quoi se nourrir ' ce qui est proprement incohérent, tant il est édent que - ce n'est qu'une fois la tASte remplie de pensées que l'étudiant a la possibilité de pousser lui-mASme les sciences plus loin et de gagner une vérile originalité - (Hegel, Sur l'enseignement de la philosophie au Lycée). Réalité peu satisfaisante, donc, que celle de cette Université qui semble sans règles, sans principes, sans concepts. Réalité particulièrement scandaleuse aux yeux de ceux chez qui, au niveau du travail théorique, la rationalité est en voie d'achèvement : en ce sens, l'exigence politique d'une réalité universitaire qui soit A  la hauteur de son concept achevé, peut-AStre - ne fut-elle jamais plus pressante qu'A  l'heure actuelle, où tout dans la science comme dans l'art semble tendre plus fortement vers l'unité, où se rencontrent dans leur domaine respectif les choses apparemment les plus éloignées - (Schelling, LeA§on II). A l'heure où philosopher signifie œuvrer A  cet achèvement du système, la question politique ne peut jaillir que du décalage inacceple entre le réel et le rationnel, en l'occurrence entre les contradictions du monde universitaire et le concept systématique de l'Université.
C'est bien alors l'Histoire ' et sur ce point l'analyse de L. Strauss s'avère pertinente ' qui apparait comme médiation entre le réel et l'idéal. Bien plus, il est permis d'affirmer que dans ces conditions la philosophie de l'histoire constitue le maillon qui relie nécessairement la philosophie comme pensée de l'idéal du système, et la politique comme sée de son incarnation. Il semble donc, au vu de cette brève analyse d'une question politique particulière, mais assurément paradigmatique, que l'interprétation straussienne de la modernité se vérifie intégralement aux trois niveaux que nous avons ensagés : la philosophie spéculative propre A  l'idéalisme allemand semble bien en effet réaliser la liquidation de - l'objectité - grecque, en mASme temps qu'elle instaure une métaphysique humaniste en laquelle la subjectité deent effectivement maitresse de tout savoir et de tout étant; la pensée politique se voit bien dès lors fixer pour cadre de réflexion la question de la réalisation de l'idéal que la philosophie a défini comme le système universel de la domination du sujet; enfin, c'est A  la philosophie de l'histoire qu'est nécessairement confiée la tache de préciser les modalités d'une telle réalisation.
Faisons toutefois le point : le lien, tel qu'il a été dessiné jusqu'ici, semble simple entre l'adhésion au projet théorique de systématicité et la lecture de la réalité universitaire comme chaotique et confuse, bref, comme décalée par rapport A  la sée du système achevé. L'unanimité relevée dans la constatation du décalage devrait entrainer une volonté elle aussi unanime de réforme (voire de révolution) sant A  rendre l'Université adéquate A  son concept, A  ce que rationnellement elle - doit AStre -. Or, c'est précisément ici ' sur la faA§on de concevoir l'action transformatrice ' que l'unanimité disparait, les philosophes se partageant globalement en deux camps opposés : celui, si l'on veut, libéral et réformiste, de ceux qui voient dans le mouvement qui rapproche l'idéal et le réel un processus A  la fois inélucle et immanent au réel, bref, un processus qui n'est pas imposé de l'extérieur (au nom de l'idéal) A  la réalité. On reconnait bien édemment dans cette conception de l'histoire celle que L. Strauss désigne A  bon droit sous le nom de - réalisme -, conception qui, notamment chez Schelling et Hegel, prend la forme d'une théorie de la ruse de la raison. Dans l'autre - camp -, en un sens plus - autoritaire -, mais aussi plus révolutionnaire ' et, A  vrai dire, Fichte en est le seul représentant ', la réconciliation de l'idéal et du réel est pensée au contraire comme fondamentalement non nécessaire, entendons : comme dépendant simplement de la liberté ou de la - bonne volonté - de ceux qui, s'orientant A  un projet politique, décident d'entreprendre sa réalisation que rien ne ent théoriquement garantir. Bref, comme nous l'aons pressenti, c'est bien au niveau de la philosophie de l'histoire qu'apparait le plus manifestement la tension qui traverse en réalité ce qui, en apparence, prenait la forme d'un projet philosophique et politique commun, et c'est en ce point également, on le voit, qu'il nous faut littéralement renverser l'opinion selon laquelle l'idéalisme allemand constituerait en son fond un projet univoque bien qu'extérieurement disé.
La position fichtéenne me semble donc échapper A  l'analyse straussienne de la modernité puisque, sans séparer complètement le réel et l'idéal ' qui restent reliés par une nécessité pratique ', elle ne pose nullement leur unité comme inélucle. Par lA  mASme, aucun des critères, caractéristiques selon L. Strauss, de la modernité, ' l'identité du rationnel et du réel, le réalisme, la préséance de la politique sur l'éthique, l'abaissement du but, la suppression de la transcendance, la supériorité de la liberté sur la raison ' ne parait pouvoir s'y appliquer1. Supposer A  ce niveau une - complicité - de la pensée - utopique - avec le réalisme, complicité qui permettrait leur réconciliation dans l'hégélianisme, reendrait A  dénoncer comme simplement apparente l'opposition cardinale mise ici en édence. Cela reendrait, et sur ce point l'argumentation de P. Manent a le mérite de ne laisser aucune ambiguïté, A  considérer comme légitime et exhaustive la critique hégélienne de la - sion morale du monde -. C'est seulement A  ce prix, on le perA§oit clairement, que l'hypothèse straussienne d'une univocité des philo-sophies de la seconde vague se laisserait vérifier.
L'analyse des conditions de possibilité ontologiques de la philosophie fichtéenne de l'histoire faisant l'objet d'un ouvrage qui fait immédiatement suite A  celui-ci, je me bornerai, dans la seconde section, A  examiner la faA§on dont Fichte entend ruiner définitivement, sans pour autant - sortir de la modernité -, les fondements spéculatifs de ce que Strauss désigne comme l'historicisme rationaliste. Plus clairement peut-AStre : si la base philosophique de l'historicisme rationaliste est l'affirmation selon laquelle rationalité = réalité (de sorte qu'idéalité et réalité coïncident elles aussi nécessairement), on conendra de considérer comme anti-historiciste une philosophie qui dénonce sous toutes ses formes cette identification. Comme pourra le constater le lecteur ' sans doute avec une certaine surprise s'il ne connait Fichte qu'A  travers l'image qu'en donnent les manuels ', le seul et unique objet de la partie théorique des Principes de 1794 est de mettre A  nu les éléments sophistiques inhérents aux positions philosophiques qui en ennent A  poser cette identité (chap. I).
C'est sur la base d'une telle critique de la métaphysique que nous pourrons alors saisir comment (chap. II), dans l'espace ainsi réouvert entre réalité et rationalité, se peut forger le projet d'une philosophie politique dont la finalité serait la création d'un espace public A 'intersubjectité, soit : une théorie du droit naturel moderne (puisque ne renonA§ant pas A  la subjectité) et cependant non historiciste.



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