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MANAGEMENT

Le management ou la gestion est au premier chef : l'ensemble des techniques d'organisation des ressources mises en œuvre dans le cadre de l'administration d'une entité, dont l'art de diriger des hommes, afin d'obtenir une performance satisfaisante. Dans un souci d'optimisation, le périmètre de référence s'est constamment élargi. La problématique du management s'efforce - dans un souci d'optimisation et d'harmonisation- d'intègrer l'impact de dimensions nouvelles sur les prises de décision de gestion.


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Les postulats de l'économie classique

La plupart des ouages relatifs à la théorie de la Valeur et de la Production ont surtout traité la répartition entre divers usages d'un volume donné de ressources* (2) employées et les conditions qui, cette quantité de ressources étant supposée employée, déterminent leurs rémunérations respectives et les valeurs relatives de leurs produits (3).
La question du volume des ressources disponibles, c'est-à-dire du chiffre de la population susceptible d'être employée, de l'importance de la richesse naturelle et du capital* accumulé, a souvent été traitée, elle aussi, d'une manière descriptive. Mais la théorie pure des facteurs qui déterminent l'emploi effectif des ressources disponibles a rarement fait l'objet d'un examen approfondi. Il serait évidemment absurde de dire qu'elle n'a jamais été étudiée. Car elle a été la matière de toutes les discussions relatives aux fluctuations de l'emploi, et celles-ci ont été nombreuses. Ce que nous voulons dire, ce n'est pas que l'on a négligé le sujet, mais qu'on a jugé si simple et si évidente la théorie fondamentale sur laquelle il repose que l'on s'est borné, tout au plus, à la mentionner (1).

La théorie classique de l'emploi, supposée simple et évidente, a été, croyons-nous, fondée, pratiquement sans discussion, sur deux postulats fondamentaux, savoir :
I. — Le salaire est égal au produit marginal* du travail.
Ceci veut dire que le salaire d'une personne employée est égal à la valeur qui serait perdue si l'emploi était réduit d'une unité (déduction faite des autres coûts que la réduction corrélative de la production épargnerait) ; avec cette restriction que l'égalité peut être contrariée, conformément à certains principes, par l'imperfection de la concurrence et des marchés.
II. — L'utilité du salaire quand un volume donné de travail est employé est égale à la désutilité* marginale de ce volume d'emploi.
Ceci veut dire que le salaire réel d'une personne employée est celui qui est juste suffisant (au jugement des personnes employées elles-mêmes) pour attirer sur le marché tout le volume de travail effectivement employé ; avec cette restriction que l'égalité pour chaque unité individuelle de travail peut être contrariée par une coalition des unités disponibles, analogue aux imperfections de la concurrence qui affaiblissent le premier postulat. La désutilité doit s'entendre ici comme englobant les raisons de toute nature qui peuvent décider un homme ou un groupe d'hommes à refuser leur travail plutôt que d'accepter un salaire qui aurait pour eux une utilité inférieure à un certain minimum. Ce postulat n'exclut pas ce qu'on peut appeler le chômage « de frottement ». Interprété dans le monde réel il se concilie en effet avec divers défauts d'ajustement qui s'opposent au maintien continu du plein emploi*. Un tel chômage peut être dû par exemple à un déséquilibre temporaire des ressources spécialisées, résultant d'un calcul erroné ou du caractère intermittent de la demande, ou aux retards consécutifs à des changements imprévus, ou encore au fait que le transfert d'un emploi à un autre ne peut être effectué sans un certain délai de telle sorte qu'il existe toujours dans une société non statique une certaine proportion de ressources inemployées à reclasser. Outre le chômage « de frottement » le postulat admet encore le chômage « volontaire », dû au refus d'une unité de main-d'œue d'accepter une rémunération équivalente au produit attribuable à sa productivité marginale, refus qui peut être libre ou forcé et qui peut résulter soit de la législation, soit des usages sociaux, soit d'une coalition au cours d'une négociation collective de salaires, soit de la lenteur des adaptations aux changements, soit enfin de la simple obstination de la nature humaine. Mais en dehors du chômage « de frottement » et du chômage « volontaire » il n'y a place pour aucune autre sorte de chômage. Les postulats classiques n'admettent pas la possibilité d'une troisième catégorie, que nous définirons par la suite, le chômage « involontaire ».
Compte tenu des restrictions qui précèdent, le volume des ressources* employées se trouve, suivant la théorie classique, convenablement déterminé par les deux postulats. Le premier nous donne la courbe de la demande de main-d 'œue, le second la courbe de l'offre et le volume de l'emploi* se fixe au point où l'utilité de la production marginale* balance la désutilité* de l'emploi marginal.
Il résulterait de ceci qu'il n'y aurait que quatre moyens possibles d'accroitre l'emploi :
a) Améliorer l'organisation ou la prévision de manière à diminuer le chômage « de frottement » ;
b) Abaisser la désutilité marginale du travail telle qu'elle est exprimée parle salaire réel au-dessous duquel la main-d'œue cesse de s'offrir, de manière à diminuer le chômage « volontaire ».
c) Accroitre la productivité physique marginale du travail dans les industries produisant les biens de consommation ouière (pour employer le terme commode par lequel le Professeur Pigou désigne les biens dont les prix gouvernent l'utilité des salaires nominaux) ;
d) Augmenter par rapport aux prix des biens de consommation ouière les prix des autres catégories de richesses tout en accroissant l'importance relative de celles-ci dans les dépenses totales des non-salariés.
Telle est, si nous la comprenons bien, la substance de la Théorie du Chômage du Professeur Pigou, seul exposé détaillé qui existe de la théorie classique du chômage (1).

Est-il exact que les deux catégories précédentes couent tous les cas possibles de chômage, compte tenu du fait qu'en règle générale lapopulation trouve rarement autant d'ouage qu'elle le voudrait sur la base du salaire courant ? Car on ne conteste guère que, si la demande de main-d'œue était plus élevée, une quantité plus grande de travail s'offrirait généralement sur le marché aux salaires nominaux existants (2). L'école classique concilie ce fait avec son second postulat en disant que, si la demande de main-d'œue au salaire nominal existant se trouve satisfaite avant que les personnes désireuses de travailler à ce salaire soient toutes employées, c'est qu'il existe chez les ouiers une volonté commune, avouée ou tacite, de ne pas travailler à un salaire moindre et que, si la main-d'œue dans son ensemble consentait à une réduction des salaires nominaux, une quantité plus grande d'emploi serait offerte. S'il en était ainsi, un chômage de cette nature, malgré les apparences, ne serait pas à proprement parler involontaire et deait être rangé dans la catégorie précédente du chômage « volontaire », dû aux effets des discussions collectives de salaire, etc.
Cette explication appelle deux observations : la première, qui a trait au comportement effectif des travailleurs vis-à-vis des salaires réels et des salaires nominaux, n'a pas une importance théorique fondamentale ; la seconde est au contraire fondamentale.
Supposons, pour le moment, que la main-d'œue ne soit pas disposée à travailler pour un salaire nominal inférieur au niveau existant des salaires nominaux et qu'un abaissement de ce niveau conduirait, à la suite de grèves ou autrement, au retrait du marché du travail d'une partie de la main-d 'œue actuellement employée. S'ensuit-il que le niveau existant des salaires réels mesure exactement la désutilité marginale du travail ? Ce n'est pas une conséquence nécessaire. Car, si une réduction du salaire nominal existant provoque le retrait d'une certaine quantité de travail, il ne s'ensuit pas qu'une baisse de la valeur du salaire nominal existant exprimée en biens de consommation ouière produirait le même effet si elle résultait d'une hausse du prix de ces biens. En d'autres termes, il est possible que dans une certaine limite les exigences de la main-d'œue portent sur un minimum de salaire nominal et non sur un minimum de salaire réel. Les économistes classiques ont supposé tacitement que ce fait ne changeaitpas grand-chose à leur théorie. Mais ce n'est pas exact Car, si les salaires réels ne sont pas la seule variable dont l'offre de travail dépend, leur raisonnement s'écroule tout entier et laisse complètement irrésolue la question de savoir ce que sera en fait le volume de l'emploi (1). Ces économistes semblent n'avoir pas remarqué qu'il faut que l'offre de travail ne soit pas (2) exclusivement fonction du salaire réel pour que leur courbe de l'offre de travail ne se déplace pas tout entière à chaque variation des prix. Leur méthode est donc solidaire de leurs hypothèses très spéciales et ne peut être adaptée à l'étude du cas le plus général.
Or l 'expérience courante enseigne indisculement qu 'une situation où la main-d'œue stipule (dans une certaine limite) en salaires nominaux plutôt qu'en salaires réels n'est pas une simple possibilité, mais constitue le cas normal. Alors que la main-d'œue résiste ordinairement à la baisse des salaires nominaux, il n'est pas dans ses habitudes de réduire son travail à chaque hausse du prix des biens de consommation ouière. On dit parfois qu'il serait illogique de la part de la main-d'œue de s'opposer à la baisse des salaires nominaux et non à celle des salaires réels. Pour les raisons indiquées ci-dessous (p. 42) ce n'est peut-être pas aussi illogique qu'on pourrait le croire à première vue ; et, comme nous le montrerons plus tard, il est heureux qu'il en soit ainsi. En tout cas, logique ou illogique, l'expérience prouve que telle est en fait l'attitude de la main-d'œue.
Au surplus, que le chômage caractéristique d'une période de dépression soit dû au refus de la main-d'œue d'accepter une baisse des salaires nominaux, c'est une thèse qui n'est pas clairement démontrée par les faits. Il n'est pas très plausible d'affirmer que le chômage aux États-Unis en 1932 ait été dû soit à une résistance opiniatre de la main-d'œue à la baisse des salaires nominaux, soit à sa volonté irréductible d'obtenirun salaire réel supérieur à celui que le rendement de la machine économique pouvait lui procurer. Le volume de l'emploi connait d'amples variations, sans qu'il y ait de changements apparents ni dans les salaires réels minima exigés par la main-d'œue ni dans sa productivité. L'ouiern'est pas plus intransigeant en période de dépression qu'en période d'essor, bien au contraire. Il n'est pas ai non plus que sa productivité physique diminue aux époques de crise. Ces faits d'observation forment donc un terrain préliminaire où l'on peut mettre en doute le bien-fondé de l'analyse classique.
n serait intéressant de connaitre les conclusions d'une enquête statistique sur le rapport qui existe dans la réalité entre les variations des salaires nominaux et celles des salaires réels. Dans le cas d'une variation n'affectant qu'une seule industrie, il est probable que les salaires réels varient dans le même sens que les salaires nominaux. Mais dans le cas de variations du niveau général des salaires on constaterait, croyons-nous, que la variation des salaires réels qui accomne une variation des salaires nominaux, loin d'être ordinairement du même sens que celle-ci, est presque toujours du sens opposé (1). Autrement dit, lorsque les salaires nominaux montent, on constaterait que les salaires réels baissent, et, lorsque les salaires nominaux baissent, que les salaires réels montent La raison en est que, dans la courte période*, la baisse des salaires nominaux et la hausse des salaires réels doivent toutes deux accomner, pour des motifs différents, la diminution de l'emploi ; la main-d'œue accepte plus volontiers des réductions de salaire lorsque l'emploi décline et dans les mêmes circonstances les salaires réels ont tendance à croitre puisque, si l'équipement reste inchangé, la productivité marginale de la main-d'œue augmente à mesure que l'emploi
diminue.
A la vérité, s'il était exact que le salaire réel existant fût un minimum au-dessous duquel il ne s'offrirait en aucun cas plus de main-d'œue qu'il n'en est actuellement employé, aucun autre que celui « de frottement » ne pourrait exister. Mais il serait absurde de supposer qu'il en est toujours ainsi. Car en général une quantité de main-d'œue supérieure à celle qui est actuellement employée s'offre au salaire nominal existant, même s'il y a une hausse du prix des biens de consommation ouière et si par conséquent le salaire réel baisse. Dans ce cas, les biens de consommation ouière équivalents au salaire nominal existant ne mesurent pas exactement la désutilité marginale* du travail et le second postulat se trouve en défaut.
Mais il existe une objection plus fondamentale encore. Le second postulat découle de l'idée que les salaires réels dépendent des négociations de salaires entre les entrepreneurs et les ouiers. Sans doute admet-on que dans la réalité les négociations sont conduites en termes de monnaie et l'on concède même que les salaires réels jugés acceples par la main-d'œue puissent dépendre dans une certaine mesure du niveau auquel le salaire nominal correspondant se trouve éli. Néanmoins, c'est le salaire nominal fixé de la sorte qui est censé déterminer le salaire réel. La théorie classique suppose donc qu 'il est toujours loisible à la main-d 'œue de réduire son salaire réel en acceptant une diminution de son salaire nominal. Le postulat d'après lequel le salaire réel et la désutilité marginale du travail tendent à être égaux exige manifestement que la main-d 'œue soit en mesure de fixer elle-même le salaire réel en échange duquel elle travaille sinon la quantité d'emploi offerte à ce salaire.
En bref, la théorie traditionnelle soutient que les accords conclus entre les entrepreneurs et les ouiers pour la fixation du salaire nominal déterminent aussi le salaire réel, de telle sorte que, dans le cas d'une libre concurrence chez les employeurs et d'une absence de coalition chez les ouiers, ceux-ci pourraient, s'ils le désiraient, faire concorder le taux de leurs salaires réels avec la désutilité* marginale de la quantité d'emploi offerte par les employeurs à ce taux. Et s'il n'en est pas ainsi, il n'y a plus de raison de supposer que le salaire réel et la désutilité marginale du travail s'ajustent spontanément l'un à l'autre.
Les conclusions classiques, il ne faut pas l'oublier, sont destinées à s'appliquer à la main-d'œue dans son ensemble. Elles ne signifient pas simplement qu 'un individu peut trouver du travail en acceptant un abaissement de salaire nominal que ses comnons refusent. Elles sont censées être également applicables à un système fermé et à un système ouvert. Elles ne dépendent ni des caractéristiques propres d'un système ouvert ni des effets qu'une réduction des salaires nominaux dans un seul pays produit sur son commerce extérieur, lesquels n'interviennent évidemment pas dans le raisonnement. Elles ne se rattachent pas davantage aux conséquences indirectes de l'action qu'une baisse de la masse globale des salaires par rapport au volume de la monnaie exerce sur le système bancaire et l'état du crédit, conséquences qui seront examinées en détail au chapitre 19. Elles reposent uniquement sur l'idée que, dans un système fermé, une réduction du niveau général des salaires nominaux s'accomne nécessairement, au moins dans la courte période* et compte tenu de restrictions secondaires, d'une certaine réduction des salaires réels, laquelle n'est pas toujours proportionnelle.
Or il n'est pas évident que le niveau général des salaires réels dépende du montant du salaire nominal stipulé parles employeurs et les ouiers. On peut s'étonner, à la vérité, que si peu d'efforts aient été consacrés à élir le bien ou le mal fondé de cette assertion. Car ladite assertion se concilie difficilement avec la teneur générale de la théorie classique, laquelle nous a enseigné que les prix sont gouvernés par le coût premier* marginal exprimé en monnaie et que ce coût premier lui-même dépend en grande partie des salaires nominaux. Il aurait donc été logique pour l'école classique de soutenir qu'en cas de variation des salaires nominaux les prix varient dans une proportion sensiblement égale, de telle sorte que le salaire réel et le niveau du chômage restent pratiquement inchangés, le gain ou la perte limités qui en résultent pour la main-d'œue étant imputés aux autres éléments du coût marginal qui n'ont pas été affectés par la variation (1 ). L'école classique semble avoir écarté cette manière de voir, partie en raison de sa ferme conviction que la main-d'œue est en mesure de fixer elle-même son salaire réel et partie sans doute en raison de la prédominance de l'idée que les prix dépendent de la quantité de monnaie. Et, une fois admise la proposition que la main-d'œue est toujours en mesure de déterminer elle-même son salaire réel, on continuera de la soutenir parce qu'on la confondit avec une autre proposition, selon laquelle la main-d 'œue est toujours en mesure de déterminer le salaire réel qui correspond au plein emploi*, c'est-à-dire à la quantité maximum d'emploi qui est compatible avec un salaire réel donné.
En résumé, le second postulat de la théorie classique soulève deux objections : la première concerne le comportement effectif de la main-d 'œue. Une baisse des salaires réels, due à une hausse des prix non accomnée d'une hausse des salaires nominaux, ne fait pas baisser, en règle générale, l'offre de main-d'œue dont on dispose au salaire courant au-dessous de la quantité effectivement employée avant la hausse des prix. Supposer qu'une hausse des prix puisse avoir ce résultat, c'est supposer que toutes les personnes actuellement dépourvues d'emploi, quoique désireuses de travailler au salaire courant, cesseraient d'offrir leurs services en cas d'une hausse même limitée du coût de la vie. C'est sur cette étrange supposition que la Théorie du Chômage du Professeur Pigou (1) parait reposer et c'est elle qu'admettent implicitement tous les membres de l'école orthodoxe.
Mais la seconde objection, dont l'importance est plus fondamentale et que nous développerons dans les chapitres suivants, découle des raisons qui nous empêchent d'admettre que le niveau général des salaires réels puisse être directement déterminé par les négociations de salaires. L'école classique, en supposant que les contrats de salaire peuvent déterminer le salaire réel, a fait une hypothèse arbitraire. Car il se peut que la main-d'œue considérée dans son ensemble n'ait à sa disposition aucun moyen d'amener l'équivalent en biens de consommation ouière du niveau général des salaires nominaux à concorder avec la désutilité* marginale du volume courant* d'emploi. Il se peut qu'elle n'ait aucun moyen de réduire ses salaires réels à un chiffre donné en révisant les clauses monétaires des accords conclus avec les entrepreneurs. Telle sera notre thèse. Nous nous efforcerons de prouver que le rôle essentiel dans la détermination du niveau général des salaires réels est joué par certains autres facteurs. Un de nos buts principaux sera d'élucider ce problème. Nous soutiendrons qu 'il y a eu un malentendu fondamental au sujet des règles qui gouvernent en cette matière le fonctionnement réel de l'économie où nous vivons.

Bien que la compétition des individus ou des groupes d'individus autour des salaires nominaux soit souvent censée déterminer le niveau général des salaires réels, en fait cette compétition a un autre objet. Puisque la mobilité de la main-d'œue est imparfaite et puisque les salaires ne tendent pas à élir une exacte égalité d'avantages nets dans les divers emplois, tout individu ou groupe d'individus qui consent à une réduction de ses salaires nominaux par rapport à ceux des autres individus ou groupe d'individus subit une réduction relative de salaire réel, qui suffit à justifier sa résistance. D'autre part, il est impossible de résister à toute diminution de salaire réel qui résulte d'une baisse du pouvoir d'achat de la monnaie affectant pareillement tous les travailleurs ; et en fait les réductions de salaire réel qui se réalisent de cette façon ne rencontrent généralement pas de résistance, à moins qu'elles n'atteignent une ampleur extrême. Au surplus une résistance à la baisse des salaires nominaux dans certaines industries n'oppose pas au progrès de l'emploi global le même obstacle infranchissable qu'une résistance analogue à toute réduction des salaires réels.
En d'autres termes, la compétition autour des salaires nominaux influe surtout sur la répartition du salaire réel global entre les groupes de travailleurs et non sur son montant moyen par unité de travail, lequel dépend, comme nous le verrons plus tard, d'une autre série de facteurs. La coalition entre les travailleurs d'un certain groupe a pour effet de protéger leur salaire réel relatif. Quant au niveau général des salaires réels, il dépend des autres forces du système économique.
Il est donc heureux que, par instinct et d'ailleurs sans s'en rendre compte, les travailleurs se montrent des économistes plus raisonnables que les auteurs classiques, lorsqu'ils résistent aux réductions des salaires nominaux, lesquelles n'ont jamais ou presque jamais un caractère tout à fait général, même si l'équivalent réel de ces salaires est supérieur à la désutilité* marginale du volume existant de l'emploi ; alors qu'ils ne résistent pas aux réductions de salaires réels qui sont associées aux progrès de l'emploi global et laissent inchangés les salaires nominaux relatifs, à moins qu'elles n'aillent jusqu'à menacer de faire tomber le salaire réel au-dessous de la désutilité marginale du volume d'emploi existant. Tout syndicat opposera une certaine résistance à une amputation des salaires nominaux, si faible soit-elle. Mais, puisque aucun syndicat ne songe à déclencher une grève chaque fois que le coût de la vie augmente, on ne peut, comme le fait l'école classique, imputer à ces organismes l'obstacle qui s'oppose à tout accroissement de l'emploi global.

Il nous faut maintenant définir la troisième catégorie de chômage, c'est-à-dire le chômage involontaire au sens strict du mot, dont la théorie classique n'admet pas la possibilité.
Il est clair qu'un état de chômage « involontaire » ne signifie pas pour nous la simple existence d'une capacité de travail non entièrement utilisée. Une journée de travail de huit heures ne constitue pas du chômage du seul fait qu'il n'est pas au-dessus de la capacité humaine de travailler dix heures. Nous ne devons pas considérer non plus comme chômage involontaire le refus de travail d'une corporation ouière qui aime mieux ne pas travailler au-dessous d'une certaine rémunération réelle. De notre définition du chômage « involontaire », il convient aussi d'exclure le chômage « de frottement ». Cette définition sera la suivante : // existe des chômeurs involontaires si, en cas d'une légère hausse du prix des biens de consommation ouière par rapport aux salaires nominaux, V offre globale de main-d'œue disposée à travailler aux conditions courantes* de salaire et la demande globale de main-d'œue aux mêmes conditions s'élissent toutes deux au-dessus du niveau antérieur de l'emploi. Une seconde définition, qui revient d'ailleurs au même, sera donnée au chapitre suivant (p. 54).
De cette définition, il résulte que l'égalité du salaire réel et de la désutilité marginale de l'emploi, que présuppose le second postulat, correspond lorsqu'elle est interprétée dans le monde réel à l'absence de chômage « involontaire ». C'est cet état des affaires, lequel n'exclut ni le chômage « de frottement » ni le chômage « volontaire » que nous appellerons le « plein emploi ». Ceci s'accorde, comme nous le verrons, avec les autres caractéristiques de la théorie classique, qui deait logiquement être considérée comme une théorie de la distribution des richesses en situation de plein emploi. Aussi longtemps que les postulats classiques restent valables, le chômage involontaire au sens précédent du mot ne peut exister. Le chômage apparent ne peut donc être que le résultat ou de la perte temporaire de travail de la main-d'œue « à reclasser » ou du caractère intermittent de la demande portant sur certaines ressources hautement spécialisées ou de l'effet sur l'emploi de la main-d'œue libre d'un « closed shop » imposé par un syndicat. Les écrivains de tradition classique, ayant ignoré l'hypothèse spéciale qui se trouvait à la base de leur théorie, ont été amenés à la conclusion inévile et parfaitement logique dans cette hypothèse que le chômage apparent (sous réserve des exceptions admises) ne peut être dû en définitive qu'au refus des facteurs* inemployés d ' accepter une rémunération en rapport avec leur productivité marginale. Un économiste classique peut considérer avec sympathie le refus de la main-d'œue d'accepter une amputation du salaire nominal, il admettra qu'il peut n'être guère sage de l'obliger à s'adapter à des conditions qui ont un caractère temporaire, mais la probité scienti fique l'oblige à déclarer que ce refus n'en est pas moins la cause profonde du mal.
Cependant, si la théorie classique n'est applicable qu'au cas du plein emploi*, il est évidemment trompeur de l'appliquer aux problèmes du chômage involontaire, à supposer qu'une pareille chose existe (et qui le niera ?). Les théoriciens de l'école classique ressemblent à des géomètres euclidiens qui, se trouvant dans un monde non euclidien et constatant qu'en fait les lignes droites qui semblent parallèles se coupent fréquemment, reprocheraient aux lignes leur manque de rectitude, sans remédier autrement aux malencontreuses intersections qui se produisent. En vérité il n'y a pas d'autre remède que de rejeter le postulatum d'Euclide et de construire une géométrie non euclidienne. Une opération de ce genre est aujourd'hui nécessaire dans le domaine de la science économique. Il est indispensable qu'on se débarrasse du second postulat de la doctrine classique et qu'on élabore le comportement d'un système où le chômage involontaire au sens strict du mot est possible.

Si nous insistons sur le point qui nous sépare de la doctrine classique, nous ne devons pas pour autant méconnaitre un point important qui nous reste commun. Car nous conservons le premier postulat comme par le passé, sous le bénéfice des mêmes restrictions que la théorie classique ; et il convient de s'arrêter un moment pour en examiner la portée.
Ce postulat signifie que, dans un état donné de l'organisation, de l'équipement, et de la technique, il y a une relation biunivoque entre le salaire réel et le volume de la production (et par suite de l'emploi), de telle sorte qu'un accroissement de l'emploi ne peut, en général, se produire sans être accomné d'une diminution des salaires réels. Nous ne contestons pas cette loi primordiale, qu'ajuste titre les économistes classiques ont déclarée inattaquable. Dans un état donné de l'organisation, de l'équipement et de la technique, le salaire réel gagné par une unité de travail est associé par une relation biunivoque (inverse) au volume de l'emploi. Par conséquent, si l'emploi augmente, il faut en règle générale que dans la courte période* la rémunération de l'unité de travail, exprimée en biens de consommation ouière, diminue et que les profits augmentent (1).
Ceci n'est que le revers d'une proposition familière : pendant la courte période, où l'équipement, la technique, etc., sont supposés rester constants, l'industrie travaille normalement avec des rendements décroissants ; de sorte que le volume marginal de la production dans les industries produisant les biens de consommation ouière (lequel gouverne les salaires réels) diminue forcément à mesure que l'emploi augmente. Aussi longtemps que cette proposition reste aie, toute mesure propre à augmenter l'emploi amène inévilement une baisse parallèle de la production marginale et partant du taux des salaires mesurés au moyen de cette production.
Mais, si on ésectiune le second postulat, un déclin de l'emploi*, encore que nécessairement associé au fait que le travail reçoit un salaire équivalant à une quantité plus grande de biens de consommation ouière, ne résulte pas nécessairement du fait que le travail leur exige une quantité plus grande de ces biens ; et une disposition chez la main-d'œue à accepter des salaires nominaux plus faibles n'est pas nécessairement un remède au chômage. Toutefois la Théorie du Salaire dans son rapport avec l'Emploi, que nous sommes en train d'anticiper, ne pourra être complètement élucidée avant que nous ayons atteint le chapitre 19 et son Appendice.

Depuis J.B. Say et Ricardo les économistes classiques ont cru que l'offre crée sa propre demande, ce qui veut dire en un certain sens évocateur mais non clairement défini que la totalité des coûts de production doit nécessairement, dans la communauté entière, être dépensée directement ou indirectement pourl'achat de la production.
Dans les Principes d'Économie Politique de Stuart Mill cette doctrine est expressément développée :
Les moyens de paiement des marchandises sont les marchandises elles-mêmes. Les instruments dont chacun dispose pour payer la production d'autrui sont les produits qu'il possède lui-même. Les vendeurs sont tous nécessairement et au sens propre du mot des acheteurs. Si l'on pouvait doubler tout à coup la capacité de production du pays on doublerait l'offre de marchandises sur tous les marchés, mais on doublerait du même coup le pouvoir d'achat. Tout le monde doublerait sa demande en même temps que son offre ; chacun serait à même d'acheter deux fois plus parce que chacun aurait deux fois plus à offrir en échange (1).
Comme corollaire de la même doctrine on a supposé que tout acte individuel d'abstention de consommer conduisait à investir dans la production des biens capitaux le travail et les marchandises qui n'étaient plus nécessaires pour la consommation. Le passage suivant extrait de la Pure Theory ofDomestic Values (2) de Marshall illustre la thèse traditionnelle :
Le revenu de chacun est tout entier dépensé en achat de marchandises et de
services. Sans doute dit-on communément qu'un homme dépense une partie de son revenu et épargne le reste. Mais c'est une vérité économique familière qu'on achète aussi bien des marchandises et du travail avec la portion de revenu que l'on épargne qu' avec celle que l'on dépense, au sens commun du mot. Lorsque quel-qu'un cherche à obtenir une satisfaction immédiate au moyen des marchandises et des services qu'il achète, on dit qu'il dépense. Lorsqu'il fait affecter le travail et les marchandises qu'il achète à la production de biens dont il espère tirer le moyen de pourvoir ultérieurement à ses satisfactions, on dit qu'il épargne.
Il est ai qu'on pourrait difficilement citer des passages ables dans les derniers ouages (1) de Marshall ou dans ceux d'Edgeworth et du Professeur Pigou. La doctrine n'est plus énoncée aujourd'hui sous une forme aussi crue. Néanmoins elle sert encore de base à toute la théorie classique, qui s'effondrerait sans elle. Des économistes contemporains qui hésiteraient à accepter la doctrine de Mill acceptent sans hésitation des conclusions qui exigent cette doctrine comme prémisse. Presque toute l'œue du Professeur Pigou, par exemple, repose sur l'idée qu'en dehors des effets de frottement l'action de la monnaie n'a pas d'importance vérile et que la théorie de la production et de l'emploi peut être construite tout entière (comme celle de Mill) sur la base des échanges réels, la monnaie étant introduite par acquit de conscience dans un dernier chapitre ; cette opinion est la forme moderne de la tradition classique. La pensée contemporaine est encore tout imprégnée de l'idée que, si on ne dépense pas l'argent d'une façon, on le dépensera d'une autre (2). A ai dire, les économistes d'après guerre réussissent rarement à soutenir cette manière de voir d'une façon cohérente, car leurs idées actuelles sont trop influencées parla tendance contraire et par des faits d'observation trop manifestement incompatibles avec leurs conceptions anciennes (1). Mais ils n'ont pas déduit de conséquences d'une assez vaste portée et n'ont pas révisé leur théorie fondamentale.
Que l'on ait appliqué ces conclusions au genre d'économie où nous vivons réellement, peut-être cela résulte-t-il d'abord d'une fausse analogie avec une sorte d'économie sans échange comme celle de Robinson Crusoé, où le revenu que les individus consomment ou épargnent en conséquence de leur activité productrice est exclusivement et réellement constitué par les produits en nature de leur activité. Mais en outre, s'il a paru très plausible que les coûts de la production fussent dans leur ensemble toujours couverts par les produits des ventes résultant de la demande, c'est parce qu'il est difficile de distinguer cette proposition d'une autre qui possède une forme analogue et qui, elle, est inconteslement aie, c'est que dans une communauté il est nécessaire que le revenu obtenu parles membres qui participent à une activité productrice soit dans son ensemble exactement égal à la valeur de la production.
De même, il est naturel de penser que l'acte par lequel un individu s'enrichit sans apparemment rien prendre à autrui doit aussi enrichir la communauté tout entière, de telle sorte que (comme le passage de Marshall que nous venons de citer) un acte d'épargne individuelle conduit nécessairement à un acte parallèle d'investissement. Car, ici encore, il est incontesle que la somme des accroissements nets de la richesse des individus est exactement égale à l'accroissement global net de la richesse de la communauté.
Ceux qui ont raisonné ainsi n'en ont pas moins été victimes d'une illusion d'optique qui fait confondre deux activités essentiellement distinctes. Ils ont cru à tort qu'il existait un lien unissant les décisions de s'abstenir d'une consommation immédiate aux décisions de pourvoir à une consommation future, alors qu'il n'existe aucune relation simple entre les motifs qui déterminent les premières et ceux qui déterminent les secondes.
C'est donc l'hypothèse de l'égalité entre le prix de demande de la production dans son ensemble et de son prix d'offre qui doit être regardée comme le « postulatum d'Euclide » de la théorie classique.
Cette hypothèse une fois admise, tout le reste en découle ; les avantages sociaux de l'épargne privée et nationale, l'attitude traditionnelle vis-à-vis du taux de l'intérêt, la théorie classique du chômage, la théorie quantitative de la monnaie, les avantages inconditionnels du laissez-faire dans le commerce extérieur et beaucoup d'autres choses que nous deons mettre en doute.

A différents endroits de ce chapitre, nous avons successivement fait reposer la théorie classique sur les hypothèses :
1° Que le salaire réel est égal à la désutilité* marginale de l'emploi* existant ;
2° Qu'il n'existe rien de pareil au chômage involontaire au sens strict du mot ;
3° Que l'offre crée sa propre demande en ce sens que pour tous les volumes de la production et de l'emploi le prix de la demande globale est égal au prix de l'offre globale.
Or ces trois hypothèses sont équivalentes, en ce sens qu'elles sont simultanément aies ou fausses, chacune d'elles découlant logiquement des deux autres.



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