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ECONOMIE

L’économie, ou l’activité économique (du grec ancien οἰκονομία / oikonomía : « administration d'un foyer », créé à partir de οἶκος / oîkos : « maison », dans le sens de patrimoine et νόμος / nómos : « loi, coutume ») est l'activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. L'économie au sens moderne du terme commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam Smith un important corpus analytique qui est généralement scindé en deux grandes branches : la microéconomie ou étude des comportements individuels et la macroéconomie qui émerge dans l'entre-deux-guerres. De nos jours l'économie applique ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines (puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains domaines : international, finance, développement des pays, environnement, marché du travail, culture, agriculture, etc.


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Le grand retour du taux de change : argentine-brésil

Wall Street, septembre-octobre 1998 : le stade suprASme de la contagion

Près de six mois après l'amorce de silisation en Asie du Sud-Est, le défaut sur la dette russe en août 1998 a ouvert la dernière phase de la crise des marchés émergents. Dans les semaines suivantes, la volatilité extrASme des marchés, les pertes supportées par des opérateurs de premier et les réactions hétérodoxes de certains gouvernements ont exercé de très fortes pressions sur l'ensemble du système financier international. Dès le mois d'août, une attaque spéculative de grande ampleur a désilisé la place de Hong Kong : l'autorité monétaire de Hong Kong a répondu de la manière la plus hétérodoxe, en intervenant massivement sur son propre marché boursier A  hauteur de 15 milliards de dollars US. Le scandale a été immense : de Milton Friedman A  Alan Greenspan et au Wall Street Journal, beaucoup ont cru qu'un des derniers bastions du monde libre venait de tomber'.
Mais A  ce moment-lA  le foyer de la crise s'était déjA  déplacé et atteignait le centre du système financier international : A  la mi-septembre, la quasi-faillite du hedge fund new-yorkais LTCM (Long Term Capital Management) a imposé des tensions maximales aux marchés financiers internationaux, qui ont vu un déclin sensible de leur liquidité. En septembre et en octobre le désarroi des investisseurs, des analystes de marché et de la presse financière internationale a reflété une forme d'incertitude radicale, qui portait moins sur l'évolution immédiate de tel ou tel marché que sur la dynamique d'une crise que rien ne semblait plus arrASter : au bout d'une année de course folle, tous les s de silisation avaient échoué A  contenir la contagion et tous les dominos de la finance internationale semblaient devoir vaciller, puis tomber les uns après les autres.
Quel argument opposer, après tous ces échecs, au fragile gouvernement indonésien lorsqu'il montrait son intérASt pour le contrôle des capitaux éli en Malaisie ? Comment défendre la non-intervention de l'état dans la redistribution des actifs privés, alors que l'Autorité monétaire de Hong Kong venait d'intervenir massivement en Bourse ? Comment prAScher la discipline financière et l'ajustement budgétaire A  de multiples pays - mineurs -, alors que les pays - systémiquement importants - bénéficiaient de s de sauvetage de dizaines de milliards de dollars ?
Avec un sens parfait du timing, Paul Krugman a signé en août dans le magazine Fortune un article retentissant (1999b) qui défendait le recours au contrôle sur les sorties de capitaux, dès lors que la crise financière menaA§ait d'échapper A  tout contrôle : c'est ce qu'il appelait le - B -. qui devait suivre les échecs répétés du Fonds monétaire. Venant des sommets de la légitimité académique, cette prise de position a semblé confirmer que toutes les orthodoxies admises pouvaient AStre contestées, que les lois d'airain des marchés internationaux étaient devenues faillibles et contesles.
La chute des cours boursiers et obligataires, la réallocation des portefeuilles vers les titres les moins risqués, enfin l'extrASme volatilité des échanges ont atteint l'ensemble des places internationales. Jamais autant qu'A  l'automne 1998 (FMI, 1998; BRI, 1999; Daes, 1999) l'émergence d'une dynamique globale de déflation n'a semblé menacer aussi directement l'économie mondiale, et plus seulement ses territoires les plus lointains. Comme en Asie, la préférence accrue pour la liquidité a entrainé des baisses brutales des cours, des délais accrus de liquidation des positions, enfin des effets inédits de corrélation entre marchés. Cela, en retour, a infirmé régulièrement les stratégies de couverture de risque et accentué le reflux panique de toutes les classes d'investisseurs face A  l'illisibilité croissante des possibles stratégies d'ajustement.
Par exemple, la réduction brutale des fonds prAStés A  l'ensemble des hedge funds, dès la fin septembre, les a contraints A  réduire l'ensemble de leurs positions d'autant plus rapidement qu'ils opéraient avec un leer financier élevé. Conséquence, on a observé une liquidation massive des positions en yens prises depuis des années, du fait des taux d'intérASt très bas suis au Japon (le yen-carry trade) : en trois jours, cette dese a gagné près de 15 % s-A -s du dollar, soit un mouvement jamais observé entre deses majeures. Cela venant après de longs mois de déclin lent de cette dese, de nombreux investisseurs ont été pris derechef A  contre-pied et ont subi de nouvelles pertes.
Sur les marchés américains, l'indice le plus commenté de la prime massive donnée A  la liquidité des titres est apparu sur le marché des bons du Trésor américain, en principe l'actif le plus sûr du monde : pendant trois semaines, pour une mASme maturité du titre, on a observé un élargissement de 10 A  enron 35 points de base du spread entre les tranches les plus récemment émises (on tlie ruri), par rapport aux tranches plus anciennes et moins liquides (off the run), parce que détenues plus largement par des investisseurs institutionnels devant les conserver jusqu'A  maturité (Das, 1999 ; Furfine, 2001a et b).
Un autre exemple, le 10 octobre le marché des futures sur les bons du Trésor américain, A  Chicago, a été suspendu après avoir enregistré une baisse supérieure aux maxima : et, après le délai réglementaire, les échanges n'ont pas repris parce qu'il n'y avait pas du tout de demande de contrat - un des tout premiers marchés dérivés mondiaux était entièrement gelé.
Les émissions primaires d'obligations d'entreprises bien cotées (investment grade) se sont réduites de 60 % en septembre par rapport A  la moyenne des sept premiers mois de l'année, tandis que les titres A  haut risque diminuaient de 85 % ; les émissions de papier commercial se sont réduites A  2 milliards de dollars en octobre, contre 15 milliards en moyenne mensuelle au second trimestre. Enfin, on a relevé un net durcissement des conditions du crédit des banques2, qui laissait apparaitre le risque financier majeur qui a finalement été été : l'apparition d'une situation de large rationnement des entreprises, en réponse A  l'affaiblissement des intermédiaires financiers. La multiplication des accidents de paiement puis des faillites aurait pu alors amorcer une dynamique auto-entre-tenue d'accentuation de la crise tant sur le des intermédiaires financiers que sur celui des entreprises et de l'actité réelle.
Pourquoi cette nouvelle étape de la contagion interne a-t-elle été étée ? Outre la solidité des marchés financiers et du système bancaire américains, cet essoufflement de la crise s'explique d'abord par la réduction A  trois reprises des taux directeurs de la Réserve fédérale, dont l'une, le 15 octobre, est intervenue exceptionnellement entre deux réunions du Fédéral Open Market Committee, en charge de la politique monétaire. Agissant de fait comme prASteur en dernier ressort international, elle annonA§ait ainsi clairement que la détente des marchés internationaux était sa priorité absolue3. Ensuite, la liquidation des positions de LTCM s'est poursuie régulièrement, sans qu'aucun nouveau sinistre financier n'apparaisse dans son sillage. Pourtant, pendant plusieurs semaines, les nuits de milliers de banquiers ont été hantées par la - théorie des cafards - : quand l'une de ces affreuses bAStes (LTCM) apparait dans une cuisine, on peut AStre sur que d'autres (fonds en déroute) vont suivre bientôt. Cette fois, par chance, le cafard était solitaire4.
A€ ces éléments internes aux marchés américains, un dernier volet doit AStre ajouté : le 8 novembre a été annoncé un large programme de soutien préventif au Brésil (41 milliards de dollars), soumis depuis le mois d'août A  des sorties de capitaux massives. Ce n'a certes pas empASché le pays de lacher son ancrage de change, en janer. Mais l'extrASme turbulence de l'automne était clairement, en soi, la meilleure justification de cette intervention : une nouvelle crise majeure dans une économie de premier , venant immédiatement après la crise russe et l'affaire LTCM, aurait pu avoir des conséquences désastreuses pour l'ensemble de l'économie mondiale. Plus que tous ceux qui l'ont précédé, ce programme préventif était donc bien orienté vers l'ensemble des marchés de capitaux internationaux, et non pas seulement vers le marché de change brésilien5.

La crise de change réussie du Brésil

L'épilogue brésilien de la crise de 1997-l998 n'a pas été réconfortant seulement parce que l'Argentine, le Mexique ou l'Afrique du Sud n'ont pas été emportés A  leur tour par une nouvelle vague de contagion. Il y a une autre raison : pour la première fois depuis 1995, une crise de change majeure a sui exactement le scénario décrit dans les manuels d'économie. Soit, dans Tordre, le décrochage de l'ancre, la consolidation des marchés, la baisse progressive des taux d'intérASt, la préservation des gains de termes de l'échange et la reprise des exportations et de la croissance. Ce dernier élément a certes été peu spectaculaire au Brésil, mais au total le bilan tranche heureusement avec les scénarios d'effondrement conjoints de l'offre, de la demande et de l'intermédiation observés au cours des dix-huit mois antérieurs ou bien au Mexique.
L'enchainement qui s'était amorcé A  partir d'août 1998 était pourtant de très mauvais augure. Alors que le gouvernement avait bien répondu aux premiers coups de semonce de la fin 1997, le reflux des capitaux internationaux après le défaut russe a mis sous pression le régime serré de bande glissante, ce qui a imposé A  la fois une hausse des taux d'intérASt, A  plus de 30 % en termes réels, et des interventions de change massives (32 milliards de dollars entre août et décembre). Dès lors la menace principale ne provenait pas tant du solde courant (4,3 % du PIB), d'une certaine surévaluation du change ou du système financier, comme en Asie. Dans la grande tradition latino-américaine, le risque se trouvait sur le des finances publiques et de la vulnérabilité de la monnaie nationale A  une reprise de l'inflation. Depuis quatre ans, une croissance molle, un fédéralisme budgétaire mal réglé, un mécanisme de retraite bancal et des taux d'intérASt très élevés avaient entrainé un gonflement régulier de la dette publique (voir par exemple Cardoso et Helwege, 1999). Aussi, en 1998, face A  la pression des marchés internationaux, le scénario catastrophe a été immédiatement perA§u par les agents : toute hausse des taux allait se transformer très te en un déficit budgétaire accru, porteur d'un nouvel accroissement de la dette et donc d'une défiance plus grande des investisseurs (Sgard, 1998b).
Le gouvernement a bien tenté de faire voter, puis d'appliquer des programmes successifs de correction budgétaire, mais les résultats ont été lents : le solde primaire a été réduit d'un point de PIB en 1998, revenant ainsi A  l'équilibre, mais les paiements d'intérASt se sont accrus de plus de quatre points tandis que la dette publique a augmenté de dix points de PIB en dix-huit mois de crise6. C'est beaucoup, et c'est très rapide. Aussi, début janer 1999, deux_ mois après le de soutien préventif du FMI, quand un des états constitutifs de la fédération brésilienne (le Minas Gérais) a annoncé qu'il arrAStait de serr sa dette envers l'état fédéral, la ruée a été immédiate : dans les jours suivants, plus de 1 milliard de dollars sont sortis du pays quotidiennement. On a commencé par élargir la bande du fluctuation du real, le 13, mais comme au Mexique, en Indonésie, en Corée et en Russie, la manœuvre a échoué rapidement : l'ancrage est abandonné le 16, après quoi le change s'effondre de 35 % en trois semaines, dans un contexte d'extrASme volatilité des marchés et d'incertitude sur la capacité de l'économie A  absorber le choc, voire sur la capacité des autorités A  refinancer la dette publique (Baig et Goldfajn, 2000).
La silisation a répondu A  deux facteurs immédiats : la signature d'un nouvel accord avec le FMI qui garantissait d'importants crédits pour l'année en cours ; et la dextérité, sinon la chance du nouveau gouverneur de la Banque centrale, Arminio Fraga, recruté directement parmi les dirigeants du hedge fund de George Soros. Au-delA , la confiance revenant progressivement sur les marchés, les taux d'intérASt ont baissé fortement d'avril A  juin, ce qui a facilité la silisation budgétaire : c'était l'autoréalisation fonctionnant dans le bon sens tandis que le FMI savourait les résultats positifs d'une politique de taux d'intérASt forts, face A  une crise de change.
Au-delA  d'une gestion de crise réussie, le succès du Brésil se mesure cependant A  un constat : l'économie est sortie de la crise par la mASme voie que celle par laquelle elle y était entrée, parce qu'il n'y a pas eu de rupture systémique sur le intérieur. D'abord, le secteur bancaire a résisté sans problème, grace aux restructurations mises en œuvre depuis 1994 dans le secteur public, mais aussi A  un secteur bancaire privé sorti des années de haute inflation avec des niveaux exceptionnels de capitalisation et de savoir-faire technique : on est très loin de ces énormes pyramides reposant sur une base de capitaux infime, qui se sont écroulées en Thaïlande et en Indonésie au premier choc extérieur (Belacqua et Garcia, 1999 ; Puga, 1999).
Surtout, l'absence d'emballement immédiat des prix intérieurs a été décisif pour replacer l'économie sur une trajectoire identifiable, par opposition A  l'immense incertitude qui a sui la chute du change, jusqu'en avril. Cela était le risque majeur brésilien. L'heureuse surprise renvoie pour partie A  une politique monétaire très restrictive et A  un enronnement international nettement déflationniste (FMI, 1999). Mais, remarque-t-on, cette stratégie monétaire orthodoxe est exactement celle qui avait échoué A  de nombreuses reprises depuis les années soixante-dix et jusqu'en 1991 ( Color) : elle n'avait pas réussi alors A  infléchir assez te les anticipations d'inflation, rendues très rigides par l'indexation, si bien que les taux d'intérASt réels étaient restés extrASmement élevés, plaA§ant en quelques mois toutes les dettes publiques et privées sur une trajectoire explosive ; très te il avait fallu lacher prise, c'est-A -dire monétiser une partie de ces passifs.


La reconstruction réussie d'une monnaie nationale

En 1999, la très grande incertitude sur la réponse de l'inflation au change renvoie ainsi A  une histoire monétaire ancienne et, en particulier, au processus de désintégration monétaire qui accomne toutes les expériences de haute inflation : face au risque de transfert, dû A  la taxation inflationniste de l'épargne et des encaisses monétaires, les réactions de protection des agents entraine un déplacement progressif des fonctions d'unité de compte et de paiement sur des supports alternatifs. La monnaie nationale se désintègre, ce qui affecte fortement sa qualité de bien public : la faible capacité A  l'utiliser comme instrument de politique économique est une des conséquences les plus durables des crises inflationnistes.
En règle générale, dans les économies en développement, cette perte des fonctions monétaires prend la forme de la dollarisation. Elle s'associe le plus souvent avec des fuites de capitaux importantes, des crises olentes mais des stratégies de silisation relativement aisées : il suffit d'ancrer le change sur le dollar de manière crédible, dans le pire des cas avec un cur-rency board. En revanche, depuis les années soixante et surtout A  partir de la fin des années quatre-ngt, l'économie brésilienne avait répondu A  l'accélération tendancielle de l'inflation en indexant sur des indices statistiques internes la quasi-totalité des prix : biens, salaires, loyers, actifs financiers, contrats d'assurance, dette publique, impôts, cadres comples, etc. Alors que, sous une forme atténuée, cette méthode est commune dans les pays A  inflation moyenne - dans l'OCDE des années soixante-dix ou bien au Chili -, elle est exceptionnelle face A  des expériences d'insilité majeure (Simonsen, 1995). Elle demande notamment une confiance forte dans les institutions nationales et une offre de - serces anti-inflationnistes -, par le système bancaire, qui soit A  la fois efficace et bon marché.
Au Brésil, cette méthode de coordination face au risque inflationniste a eu l'avantage de préserver une régulation monétaire plus autocentrée, mais elle l'a aussi rendue très inertielle. La quasi-totalité de l'échelle des prix relatifs tendait A  reproduire d'une période A  l'autre le rythme acquis de dérive nominale, si bien que la silisation était plus difficile que dans un cas de dollarisation, mais aussi moins urgente : la très grande capacité collective A  limiter les coûts immédiats de l'inflation explique que la silisation finale ait été très tardive, avec le Real de 1994. Celui-ci reposait toutefois sur une intuition théorique très originale, qui renvoyait explicitement au caractère institutionnel de la monnaie et qui éclaire le succès de la dévaluation de 1999 (Franco, 1995 ; Sgard, 1998a).
Jusqu'A  la fin des années quatre-ngt toutes les stratégies, tant orthodoxes qu'hétérodoxes, saient A  relacher le lien entre la monnaie nationale et ses substituts afin de rendre A  la première le monopole le plus large possible sur les fonctions monétaires. Une approche entièrement inverse a été adoptée en 1994 : les autorités ont précipité une recoordination complète et volontaire des agents sur un indice de prix unique, publié quotidiennement par la Banque centrale, ce qui a conduit A  un divorce quasi complet avec l'unité de paiement. La population comptait et payait dans deux unités entièrement autonomes, ce qui marquait l'achèvement du processus d'indexation amorcé trente ans plus tôt. Puis, du jour au lendemain, la eille unité de paiement, qui se dépréciait de près de 50 % par mois, a été abandonnée et sa fonction transférée sur l'indexateur, sur lequel la population avait déjA  ancré l'unité de compte. La Banque centrale a donc commencé A  émettre une nouvelle monnaie, qui recevait de fait le monopole de l'unité de paiement et dont l'unité de compte n'était autre que l'indice de prix utilisé jusque-lA  pour se protéger de la dépréciation de la eille monnaie. Formellement, le nouveau real était aussi parfaitement désindéxé que le eux cruzeiro, la veille, était absolument indexé. Chapeau !
Toutefois, la hantise des autorités brésiliennes était d'avoir seulement purgé l'économie de l'inflation acquise, mais non de ses mécanismes sous-jacents d'indexation. La silisation aurait été purement nominale, sans aucunement impliquer une modification de la formation des prix : si le réancrage de l'unité de paiement et de l'unité de compte se révélait faible, la population pourrait A  nouveau transférer la seconde sur un support alternatif en cas de reprise de l'inflation. C'est pourquoi, A  la veille de la dévaluation de janer 1999, il était absolument impossible de savoir si une dépréciation du change de 5 % ou de 25 % produirait immédiatement une inflation équivalente sur Xensemble de l'échelle des prix.
Dans ce cas, la monnaie nationale échouerait A  assurer une correction durable des termes de l'échange entre biens échangeables et non échangeables : très te un nouveau glissement du change injecterait une dose supplémentaire d'inflation, selon une dynamique bientôt incontrôlable d'accélération par paliers. Tant les Brésiliens (notamment le ministre des Finances Pedro Malan) que de nombreux experts extérieurs, y compris au Fonds monétaire, ont (trop) craint de faire ressortir brutalement le monstre inflationniste de la boite où il avait été si difficilement enfermé.
Au deuxième trimestre 1999, on a découvert que le Brésil avait bien retrouvé une monnaie entière, capable d'absorber un choc nominal sévère sur les prix des biens échangeables, sans le transformer immédiatement en une pure inflation : les Brésiliens continuaient de compter et payer dans la mASme unité, ce qui n'était pas du tout le cas cinq ans plus tôt. La publication des premiers indices de prix, en mars et avril, a donc déchiré le voile d'ignorance des agents quant au - vrai modèle - de formation des prix. Cela a réli la possibilité de coordonner les anticipations des agents de manière beaucoup plus forte et de réduire rapidement les primes de risque incluses dans les taux d'intérASt. D'un côté on était le dérae sur le budget et la dette publique, de l'autre le pays pouvait adopter un nouveau régime monétaire, reposant sur un change flottant et une stratégie de ciblage d'inflation (inflation-targeting).
C'était l'issue exactement inverse de celle A  laquelle sont condamnés les pays fortement dollarisés qui, ne parvenant pas A  réintégrer les deux fonctions monétaires dans une unité nationale unique, ont les plus grandes difficultés A  mener une politique de change active : dès que le change glisse, l'ensemble de l'échelle des prix s'ajuste, A  l'identique. Telle est, de manière superlative, l'expérience de l'Argentine qui a adopté en 1991 un currency board après avoir exemplifié depuis le début des années soixante-dix le modèle de protection contre l'inflation par ancrage externe de l'unité de compte, contrairement A  l'ancrage interne du Brésil. Le contraste radical entre la dévaluation réussie de 1999 et la sortie catastrophique du board, en décembre 2001, reflète ainsi des choix collectifs sur les usages monétaires qui remontaient A  près de quatre décennies.


Le désastre argentin de 2001


En 1991, le currency board argentin ne répondait pas A  une contrainte portée par les marchés internationaux, dont l'Argentine était alors exclue, mais au seul constat d'un épuisement extrASme de la monnaie nationale et du crédit des autorités nationales. Après une phase ultime d'hyperinflation (1989-l990), le board est simplement apparu comme la dernière solution avant la dollarisation totale et spontanée de l'économie7. Il n'avait pas d'autre objet que d'assurer par un ancrage institutionnel la cohésion entre l'unité de compte, largement transférée au dollar, et le peso national, préservé en tant que junior partner aux côtés du dollar. C'est en quoi, toutes choses égales par ailleurs, cette stratégie se rapproche du Real : elle ne recherche aucunement un relachement du lien entre la monnaie nationale et ses substituts, mais au contraire l'adhésion la plus étroite possible A  l'indexateur et A  l'unité de paiement alternative, qui sont ici portés par le dollar. La différence est qu'en Argentine ces substituts monétaires sont extérieurs au pays.
Rétrospectivement, la leA§on de 1991 reste valable : le mécanisme très contraignant du board est un moindre mal quand on a atteint la dernière extrémité de la crise monétaire et que la Banque centrale a déjA  perdu ses capacités d'action. C'est une sorte de sas intermédiaire, qui permet de rendre un cadre sle A  l'économie et de restaurer A  moyen terme une certaine autonomie de la politique économique.
Jusqu'en 1998, tout s'est bien passé : croissance forte, entrées de capitaux, succès face A  la crise mexicaine de 1995. renforcement des banques. Le problème est qu'au lieu de profiter de cette phase positive pour sortir progressivement du board, on a répété que le choix fait en 1991 était irréversible : tous les gouvernements successifs ont affirmé, pour résumer, qu'après tant d'années d'inflation tout retour A  une politique monétaire active entrainerait une reprise immédiate de l'inflation. On n'a pas non plus profité de la relative prospérité pour renforcer les institutions publiques et l'état de droit dans un pays où ils sont historiquement faibles et corrompus.
Au-delA , le principal problème posé par ce régime monétaire est qu'il n'y a jamais de bon moment pour en sortir et tenter de rendre au seul peso une capacité d'ajustement monétaire. Quand la situation est bonne, le board n'est pas vraiment gASnant et quiconque suggérerait de le relacher serait immédiatement accusé d'affoler les marchés et de mettre en question la croissance. Mais quand la situation se détériore, plus on avance dans la crise et plus les incitations sont fortes pour ne lacher A  aucun prix. Cela, anticipait-on, parce que au lendemain d'un décrochage la Banque centrale n'aurait ni la crédibilité, ni les instruments, ni une règle claire de comportement pour engager une gestion active de la monnaie et du change. Dans un contexte de panique, on s'exposerait A  une dollarisation spontanée, qui détruirait A  la fois la monnaie nationale, les banques et une grosse partie de l'épargne intérieure. A€ partir de janer 1999, après le choc de la dévaluation brésilienne, ce sont donc l'incertitude et les risques extrASmes que présente toute sortie A  chaud du board qui expliquent la paralysie des responsables politiques comme du Fonds monétaire.
De fait, la rupture s'est révélée destructrice. Construit pour résister techniquement A  toute attaque de change, le currency board a été abandonné en janer 2002 après quarante-deux mois de récession, des sorties de capitaux s'élevant A  un minimum de 20 milliards de dollars, une contraction massive du crédit bancaire, le défaut sur sa dette extérieure de 142 milliards de dollars et une suspension très large des actités bancaires. D'habitude, ce sont précisément le coût social de la récession et la montée de risques systémiques sur les paiements qui conduisent la Banque centrale la plus déterminée A  lacher prise. Or, ici, on est allé très loin dans la destruction de l'institution monétaire avant de rompre l'ancrage institutionnel.
Dans un premier temps, en août 2001, on a vu la création de monnaies parallèles - notamment des - patagons - - par la lle de Buenos Aires et les pronces. Exclus des marchés de capitaux et sans recours aux fonds de la Banque centrale, ces acteurs insolvables et illiquides n'ont pas non plus été retirés du marché. Ils ont donc commencé A  émettre des reconnaissances de dette représentatives de leurs arriérés, sans pouvoir bien sûr les placer sur un marché concurrentiel : pour leurs fonctionnaires qui recevaient leurs salaires sous cette forme, c'était A§a ou rien. Pour accroitre la valeur d'usage de ces titres on leur a donné alors un pouvoir libératoire, notamment sur le paiement des impôts, qui a été ensuite accepté par un certain nombre d'entreprises commerciales privées, généralement au locals.
Cela rappelle l'expérience des monnaies régionales et privées en Russie, où l'incapacité A  résoudre une situation de large insolvabilité a conduit aussi A  l'émission de pseudo-monnaies. Dans les deux cas, l'échec A  réguler l'insolvabilité a donc conduit A  porter atteinte A  l'autorité de l'état : non seulement, en Argentine, on a olé la règle d'émission qu'il s'était imposée depuis dix ans. mais on contestait directement son monopole régalien sur l'instrument monétaire. Alors qu'elle était déjA  fractionnée entre le dollar et le peso, l'unité de paiement se fragmentait un peu plus et se privatisait.
Second temps, A  partir de novembre, la pression s'est portée aussi sur le système bancaire et les paiements privés : anticipant une rupture prochaine du change et des problèmes aigus de solvabilité bancaire, les déposants ont commencé A  retirer en masse leurs dépôts. En l'absence de prASteur en dernier ressort, la seule solution pour éter un effondrement complet a été le contingentement des retraits (début décembre) : c'est ce qu'on a appelé le - corral -, destiné A  protéger les banques commerciales contre les ruées de déposants (corrida en esnol). Problème, il a fallu sauvegarder aussi la Banque centrale en bloquant la conversion en dollars des actifs libellés en pesos, tout comme l'exportation de fonds, le tout revenant A  élir un solide contrôle sur les mouvements de capitaux. Résultat, les manifestations se sont succédé A  partir de décembre, emportant deux présidents de la République, et l'économie s'est rapidement asphyxiée : la récession s'est creusée du fait du blocage très large des échanges, entrainant un nouvel accroissement des faillites, du chômage et de la pauvreté.
D'un point de vue monétaire, l'élément le plus étonnant est donc qu'on a accepté le fractionnement de l'unité de paiement et du système de paiement avant d'abandonner l'ancrage externe de l'unité de compte officielle, le 12 janer. L'explication habituelle renvoie au risque de change massif porté par les bilans privés, souvent lourdement chargés de dette en dollars : tout glissement du change était susceptible de rendre très te insolvable une large partie du secteur privé, A  commencer par les banques, ce qui aurait pu conduire A  une accélération autoréalisatrice de la crise. Toutefois, il est apparu progressivement que l'enjeu central ne portait pas tant sur les bilans et les paiements privés que sur la monnaie nationale, que l'on cherchait A  émanciper du dollar.
Depuis dix ans, toutes les règles monétaires étaient fondées explicitement sur l'entière substituabilité des deux monnaies. Contrairement au currency board de Hong Kong, l'Argentine s'était dotée d'un régime bimonétaire complet : les dépôts bancaires étaient dollarisés A  hauteur de 65 %, mASme le système de paiement interbancaire était dollarisé et le dollar cash circulait dans le pays avec le mASme statut légal que le peso. Dans ces conditions, la rupture du lien entre les deux unités de compte risquait fort de ne pas produire un taux de marché : la population allait se recoordonner sur l'une des deux, tant le recours simultané A  deux unités de compte au interne était coûteux - cela parce qu'on n'avait pas affaire A  deux qualités de voiture ou mASme d'obligations financières, mais A  deux institutions publiques concurrentes.
La Hongrie du lendemain de la Seconde Guerre mondiale fournit un exemple exceptionnel des risques attachés au bimonétarisme, dans un cadre insle. En janer 1946. après qu'un large financement inflationniste des dépenses publiques eut porté l'inflation A  des niveaux élevés, l'état a cherché A  protéger ses propres recettes fiscales, entre le moment de leur prélèvement et celui où les dépenses étaient réglées (effet Oliveira-Tanzi). 11 a donc indexé sur les prix intérieurs (indice journalier) les obligations fiscales des agents, ainsi que les comptes courants bancaires sur lesquels il plaA§ait sa trésorerie.
Cette protection contre la dérive de l'unité de compte étant également offerte A  la population, elle s'est généralisée très te. Puis, une part croissante des dépenses et des tarifs publics a pu AStre réglée dans l'unité indexée, et des billets ont été émis A  partir du mois de mai. Ainsi, l'unité de compte recevait aussi la fonction d'unité de paiement et l'économie était bimonétaire. avec une unité protégée contre l'inflation et une autre qui ne l'était aucunement. Deux mois plus tard, cette dernière était entièrement détruite. En juillet 1946, l'inflation dans la monnaie faible a atteint 4,2.1016, soit un record historique absolu ; et lorsque, A  la fin du mois, cette partie non protégée de la masse monétaire a été retirée de la circulation, sa contre-valeur s'élevait en tout A  2 300 dollars (Bomberger et Makinen, 1983).
Ce risque explique la stratégie définie progressivement en Argentine A  partir de janer 2002 : obtenir une - re-pesifica-tion - de l'économie, avant de tenter de desserrer progressivement le contrôle sur la liquidité interne et sur les paiements extérieurs. D'abord incitative, cette politique a été ensuite imposée aux agents privés : conversion de l'actif et du passif bancaires (A  des taux différents), de la dette publique domestique, des prix, des salaires, des contrats commerciaux et financiers, etc. En un mot, le gouvernement argentin a tenté de réaliser autoritairement, dans un contexte de crise aiguA« et de blocage des marchés, ce que les Brésiliens avaient réussi lors du Real, principalement par la modification volontaire des comportements. C'est-A -dire réancrer les fonctions d'unité de compte et de paiements sur la seule monnaie nationale, de manière suffisamment forte pour résister au glissement du taux de change et autoriser ainsi un ajustement des termes de l'échange.
En Argentine, la crise monétaire était toutefois beaucoup plus complexe qu'au Brésil en 1994 ou en Hongrie en 1946 : on n'a sans doute jamais fait pire dans une économie capitaliste. Elle se développait en effet sur trois s simultanément. D'abord venait un scénario russe de fractionnement de l'unité de compte sous la forme de monnaies parallèles, en raison de l'insolvabilité irrésolue des acteurs publics. Puis s'est ajouté un modèle de double crise, de type thaïlandais ou indonésien, issu des banques et des paiements privés, qui a précipité le gel des dépôts et le contrôle des capitaux, c'est-A -dire la fragmentation du système de paiement. Enfin a émergé l'hypothèse hongroise d'autodestruction de l'unité de compte nationale, le peso, une fois que son ancrage avec le dollar a été rompu.
Tenter dans ces conditions un - rapatriement carcéral - de deux fonctions monétaires sur le seul peso était donc voué A  l'échec : d'ailleurs, il a fallu tout de suite renfermer dans un double corral pour le protéger contre une autodestruction immédiate. Au-delA , l'avenir le plus probable verrait, sans doute tôt ou tard, la perte définitive du peso par une dollarisation volontaire ou incontrôlée, ajoutée A  la destruction large du système bancaire et enfin au développement de monnaies parallèles. Limitées généralement A  une circulation réduite au spatial, ces dernières subsisteraient en dessous d'un système de paiement officiel en dollars, chargé notamment d'assurer le lien avec les paiements internationaux et le serce de la dette extérieure, une fois celle-ci restructurée9. Mais, avant cela, cette crise simultanée des deux fonctions monétaires publiques et des paiements privés pose aussi une dernière question, aux implications sociales et politiques terrifiantes : comment les droits de propriété résisteront-ils A  l'addition inédite de ces trois chocs monétaires, dans un contexte de large insolvabilité publique et privée ?
Quelles leA§ons plus générales peut-on tirer des expériences contrastées du Brésil et de l'Argentine ? Avant tout, elles contredisent les affirmations lancinantes de l'orthodoxie monétariste sur la - confiance - des agents et la - crédibilité - des banques centrales, ces essences volatiles si difficiles A  extraire et si te perdues. A priori, ces deux pays ont connu en effet des passés inflationnistes très ables, qui auraient dû avoir des conséquences elles aussi proches : la seule différence porte sur les mécanismes développés et adoptés par les agents pour se prémunir contre les transferts de revenus.
Cinq ans après la silisation réussie de 1994, le Brésil a démontré que les fonctions monétaires avaient été réintégrées dans une unité nationale efficace. Cela avait notamment été rendu possible par leur transfert vers des substituts internes, et non vers le dollar, au cours des années de haute inflation, du fait de décisions politiques ponctuelles et aussi d'effets de recoordination plus spontanés. Le Brésil a pu alors dévaluer en bon ordre et conduire avec succès une politique de ciblage d'inflation - soit, par excellence, un régime qui repose sur la -crédibilité - de l'institut d'émission. Cela n'implique certes pas que cette économie, qui reste vulnérable, soit désormais A  l'abri des crises venues tant de l'intérieur que de l'extérieur : ces finances publiques, son déficit courant et une croissance peu dynamique sont les éléments majeurs de vulnérabilité. Mais, au moins, sur l'enjeu monétaire de l'après-inflation ce pays a pu suivre une voie inablement supérieure A  celle de l'Argentine.
Dans ce dernier pays, qui a poussé le plus loin la logique de dollarisation, le board, porté par un dispositif de commitments extraordinairement contraignant, n"a aucunement progressé vers la reconstruction d'une capacité de régulation monétaire au national. ConA§u pour institutionnaliser et rendre explicites les conséquences de la perte de cet instrument, il a simplement gelé cet état de fait dans un régime dont les règles, de part en part, reposaient sur l'hypothèse que toute restauration d'une politique discrétionnaire aurait nécessairement des conséquences désastreuses. Sa propre crédibilité a décliné très te A  partir de 1999 et, A  la sortie du board, la capacité de sure du peso n'émit guère différente de ce qu'elle était A  son entrée, dix ans plus tôt.
La divergence énorme entre les monnaies brésilienne et argentine ne tient pas tant aux engagements et décisions successives des autorités, en particulier argentines. Elle s'explique par les conditions dans lesquelles les fonctions monétaires ont été transférées sur d'autres supports pendant la haute inflation, puis réinstituées dans une (ou deux) monnaie cohérente au cours des années quatre-ngt-dix, dans un cadre de silité nominale retrouvée. On ne saurait rendre compte de ces expériences par la seule référence A  un choc psychologique, comme chez Sargent (1982), ou A  un crédit de confiance accumulé préalablement. Des décisions politiques ont pesé fortement en certaines occasions, tel le Real, mais les règles d'usage monétaires sur lesquelles les agents se sont (re)coor-donnés de manière informelle ont aussi fait émerger de puissants effets d'externalité, notamment des externalités de réseaux, qui se sont inscrits dans les institutions publiques et dans le système financier privé ; c'est ce qui leur a conféré une irréversibilité accrue, mais aussi une forte silité face aux chocs exogènes.
Seul l'accord de la population pour utiliser largement la monnaie nationale dans ses contrats, ses prix et ses paiements donne A  la monnaie sa qualité de bien public, grace A  laquelle elle pourra éventuellement serr l'ajustement macroéconomique. C'est alors qu'il est utile de faire appel A  un banquier central expérimenté et asé.



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