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ECONOMIE

L’économie, ou l’activité économique (du grec ancien οἰκονομία / oikonomía : « administration d'un foyer », créé à partir de οἶκος / oîkos : « maison », dans le sens de patrimoine et νόμος / nómos : « loi, coutume ») est l'activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. L'économie au sens moderne du terme commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam Smith un important corpus analytique qui est généralement scindé en deux grandes branches : la microéconomie ou étude des comportements individuels et la macroéconomie qui émerge dans l'entre-deux-guerres. De nos jours l'économie applique ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines (puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains domaines : international, finance, développement des pays, environnement, marché du travail, culture, agriculture, etc.


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L'économie de croissance et la chute de l'étatisme socialiste



L'économie de croissance et la chute de l'étatisme socialiste
La naissance de l'économie de croissance


Fukuyama a déclaré triomphalement la «fin de l'Histoire» quand l'effondrement du projet socialiste, dans ses versions de l'Est et de l'Ouest - le « socialisme réel » et la social-démocratie -, est devenu évident. Identifiant (à juste titre) la modernité à l'économie de marché et à la « démocratie » représentative, il a conclu (à tort) que son universalisation actuelle, sous la forme de la mondialisation néo-libérale, signifiait qu'il n'y avait plus d'autre phase vers laquelle nous pourrions évoluer. D'où la « fin de l'Histoire ».
Mais le projet socialiste - plus précisément sa forme étatiste, seule à avoir été essayée historiquement (sa version libertaire n'a jamais été mise à l'épreuve) - n'a été qu'une bataille dans la guerre entre la tradition de la démocratie/autonomie et celle de l'hétéronomie. Son écroulement ne marque pas la «fin de l'Histoire », mais simplement l'échec de cette tentative particulière de créer une société autonome.
L'effondrement du projet socialiste n'est que la dislocation de ce que nous appellerons Vétaiisme socialiste : la tradition historique qui avait pour but la conquête du pouvoir d'État par des moyens légaux ou révolutionnaires - point de passage obligé, selon elle, pour transformer radicalement la société. Il convient de souligner aussi qu'avant même la dislocation réelle de l'étatisme socialiste, il était déjà évident pour de nombreux esprits à gauche qu'il y avait une incompatibilité fondamentale entre son projet et l'aspiration au partage égalitaire du pouvoir politique, économique et social entre tous les citoyens. L'appropriation et la gestion des ressources économiques par l'État, même quand elles ont apporté la sécurité de l'emploi et beaucoup amélioré la répartition des revenus et des richesses, se sont rélées inaptes à créer les conditions de la démocratie économique, du partage à égalité du pouvoir économique - sans parler du pouvoir politique. Et l'étatisme socialiste n'a pas non plus fait sensiblement avancer la démocratie dans la société - au foyer, sur le lieu de travail, dans les élissements d'enseignement, etc.
Pour analyser les raisons de l'effondrement du projet socialiste, il faut partir de ce constat : l'idéologie socialiste et la forme prise par les sociétés « socialistes » créées au XXe siècle sont intrinsèquement liées à l'idéologie de la croissance et à l'économie de croissance. Les économies capitaliste et « socialiste » sont en effet des sous-types de l'économie de croissance, c'est-à-dire d'un système d'organisation économique orienté, soit « objectivement », soit délibérément, vers la maximisation de la croissance. Mais comment l'économie de croissance est-elle apparue ?
Examinons l'interaction des facteurs « objectif» et « subjectif» qui a présidé à sa naissance. Le facteur objectif, c'est la dynamique « croitre ou mourir » de l'économie de marché. Le facteur subjectif, c'est l'influence de l'idéologie de la croissance. Dans la problématique de ce livre, et contrairement à ce qu'affirment la plupart des courants du mouvement vert, l'idéologie de la croissance - qu'on peut simplement définir comme l'idéologie fondée sur cette signification imaginaire sociale : « La croissance illimitée de la production et des forces productives est défait le but central de la vie humaine1 » - n'est pas la cause unique ni même principale de l'apparition de l'économie de croissance. Elle a simplement servi à justifier «objectivement» l'économie de marché et sa dynamique, qui conduisaient inévilement à l'économie de croissance capitaliste. Ce qui n'est pas sans conséquence pour formuler la question centrale qui se pose à nous aujourd'hui. Il ne s'agit pas simplement de changer nos valeurs, comme le soutiennent naïvement certains Verts radicaux, ni même de condamner la croissance économique en soi. La question clé est tout autre : comment créer une société nouvelle d'où seraient exclues la domination institutionnalisée de l'être humain sur l'être humain et l'idée, qui en découle, de domination de la nature ? Cette interrogation-là nous conduira à une conclusion claire : ce n'est pas seulement l'idéologie de la croissance qu'il faut abandonner, c'est l'économie de marché elle-même.
Les facteurs objectif et subjectif n'ont pas contribué dans les mêmes proportions à l'émergence des deux types d'économie de croissance. Le facteur objectif a pesé particulièrement lourd dans la naissance et la reproduction de l'économie de croissance capitaliste. Il n'a joué pratiquement aucun rôle dans la naissance de l'économie de croissance « socialiste », mais il a été important pour sa reproduction. Inversement, le rôle du facteur subjectif- les « valeurs » de la croissance — a été purement idéologique dans l'économie de croissance capitaliste (il a justifié l'économie de marché émergente), mais crucial dans la naissance et la reproduction de l'économie de croissance «socialiste»: les Lumières avaient assimilé le Progrès au développement des forces productives, et leurs idées ont beaucoup influencé le mouvement socialiste naissant.

Les deux types d'économie de croissance
L'avènement du « socialisme réel » a créé un second type d'économie de croissance, où la croissance économique n'était pas le sous-produit de la dynamique de l'économie de marché, comme dans l'économie de croissance capitaliste, mais un objectif politique délibéré. Dans ces deux types d'économie de croissance, et dans la forme hybride qu'est la social-démocratie, les moyens sont différents mais la fin est la même : maximiser la croissance. Toutefois, la compatibilité entre la fin et les moyens est bien moindre dans le type socialiste que dans le type capitaliste - et c'est cela, en réalité, qui a provoqué l'éclipsé de l'économie de croissance socialiste.
Comme nous l'avons vu au chapitre 1, la marchéisation et la croissance nourrie par la concurrence ont été, historiquement, les deux traits fondamentaux du système de l'économie de marché. La production mécanisée opérant dans le cadre de la propriété et de la gestion pries des moyens de production les suscite nécessairement : la marchéisation résulte des efforts des maitres de l'économie de marché pour réduire au minimum les contrôles sociaux sur les marchés ; la croissance, du processus micro-économique de recherche du profit par amélioration continue de l'efficacité. La théorie économique, tant orthodoxe que marxiste, démontre que, pour stimuler au maximum la croissance et l'efficacité, il est essentiel d'accroitre sans cesse la division du travail, la spécialisation et l'étendue du marché. Voilà pourquoi la technologie moderne a toujours été conçue pour maximiser l'efficacité en poussant plus loin la division du travail et la spécialisation, sans se soucier des conséquences globales pour l'économie et la société. La croissance, le renforcement de la division du travail et l'exploitation des avantages atifs obligent, par exemple, à rompre avec le principe d'indépendance économique, avec l'économie autocentrée. Mais cette rupture a des répercussions considérables sur l'économie (chômage, pauvreté, crise dans l'économie de marché; irrationalité économique dans le socialisme), la culture (désintégration des liens sociaux et des valeurs communes), la société en général (rétrécissement radical de l'autonomie individuelle et collective) et, nous le verrons, l'environnement.


La conséquence inévile de la recherche du profit par la maximisation de l'efficacité et de la taille du marché a été la concentration du pouvoir économique entre les mains des élites dominantes. Mais cette concentration n'est pas restée l'apanage de l'économie de croissance capitaliste : elle a eu lieu aussi dans son homologue socialiste. Seules la nature de la propriété des moyens de production et la façon dont on les répartit entre les divers usages distinguent les deux types d'économie de croissance dans leur dynamique de concentration.
Pour la propriété, tant sa forme capitaliste (prie) que sa forme socialiste (d'État) orientent le processus de production vers la satisfaction d'intérêts partiels, puisque toutes deux octroient à une minorité le droit de le contrôler. Directement dans le premier cas : la propriété prie reconnait ouvertement ce droit à la minorité capitaliste. Indirectement dans le second : la propriété d'État conférait des prérogatives ables à l'élite bureaucratique des pays du « socialisme réel ».
Pour le mécanisme d'allocation des ressources, tant le marché que la ification mettent une poignée d'individus en position privilégiée aux dépens de l'écrasante majorité. Mais en économie de croissance capitaliste, la concentration du pouvoir économique entre les mains de l'élite capitaliste s'effectue « automatiquement », par la répartition inégale du revenu qui résulte du fonctionnement même de l'économie de marché. En économie de croissance socialiste, la concentration du pouvoir économique entre les mains de l'élite bureaucratique passe par une autre concentration chez cette même minorité : celle du pouvoir politique, qui assure sa mainmise sur l'attribution ifiée des ressources.
Donc, comme la concentration « socialiste » du pouvoir est un effet secondaire quand le socialisme s'incarne politiquement dans la « démocratie » soviétique et économiquement dans la ification centrale, la concentration capitaliste du pouvoir est elle aussi un effet secondaire quand le libéralisme prend respectivement, à ces deux niveaux, la forme de la « démocratie » représentative et de l'économie de marché. Dans les deux cas, la concentration du pouvoir est justifiée par l'idéologie, directement pour le marxisme, indirectement pour le libéralisme. Le premier l'estime incontournable pendant la période de « transition » vers le communisme ; le second ne la juge pas incompatible, tant qu'elle est « légale », avec le principe libéral fondamental de «primauté de l'individu», même si elle nie l'universalité de ce principe. La conclusion est claire : il n'est pas vrai que le « socialisme réel » conduise à la libération des êtres humains, et il n'est pas vrai non plus que le « capitalisme réel » assure la primauté de l'individu.
La distinction effectuée dans cet ouvrage entre économie de croissance capitaliste et économie de croissance socialiste repose évidemment sur le mode d'allocation des ressources économiques, non sur la nature des régimes. Précision particulièrement importante pour les régimes du « socialisme réel », qui ne peuvent certes pas être définis comme socialistes, même à l'aune des critères du marxisme classique2. En économie de croissance capitaliste, on laisse le mécanisme des prix déterminer la croissance et régler les problèmes économiques fondamentaux (que produire, comment et pour qui ?). En économie de croissance socialiste, la plupart de ces décisions sont prises dans le cadre d'un mécanisme de ification centralisée. En vertu de ce distinguo, nous allons ranger sous la rubrique « économie de croissance capitaliste » les économies de croissance occidentales qui se sont essentiellement épanouies après la Seconde Guerre mondiale et ont revêtu soit une forme social-démocrate (pendant la modernité étatiste), soit la forme néolibérale actuelle ; et sous la rubrique « économie de croissance socialiste», les systèmes économiques d'avant 1989 à l'Est, dans les pays du « socialisme réel ».
Cette distinction est nécessaire : même si la propriété - notamment la gestion directe des moyens de production - n'était que formellement sociale dans l'économie de croissance socialiste, le fait que l'attribution des ressources s'effectuait essentiellement par la ification centralisée et non par le mécanisme des prix constitue une différence qualitative importante. Alors que dans l'économie de croissance capitaliste (et dans l'« économie socialiste de marché ») l'objectif « croissance » et les buts intermédiaires (efficacité, compétitivité) viennent « de l'intérieur » - de la logique et de la dynamique du système lui-même -, dans l'économie de croissance socialiste les mêmes fins sont imposées «de l'extérieur», par les décisions politiques des bureaucrates du Parti qui dirigent la ification. Autrement dit, il est concevable qu'une économie ifiée puisse poursuivre des objectifs différents de ceux d'une économie de marché. Un certain niveau de développement des forces productives sera toujours nécessaire, au moins pour satisfaire les besoins de base de tous les citoyens, mais cela n'impose pas de rivaliser avec l'économie de croissance capitaliste dans une lutte pour maximiser la croissance (le slogan soviétique était : « rattraper et dépasser l'Amérique »), avec ce qu'induit cette lutte : le besoin constant d'améliorer l'efficacité. Donc, si l'économie de croissance est dans le cas capitaliste le résultat inélucle des mécanismes de l'économie de marché au niveau micro-économique, elle constitue simplement dans le cas socialiste l'objectif choisi au niveau macro-économique.
En dépit de cette différence de base, les deux types d'économie de croissance partagent de nombreux traits, dont deux particulièrement importants : la concentration du pouvoir économique et les dégats écologiques. Si ces caractéristiques se retrouvent dans les deux versions, c'est parce qu'elles ont en commun un objectif intermédiaire : Y efficacité. Celle-ci, dans les deux systèmes, est définie en fonction de critères techno-économiques étroits — la minimisation des intrants et la maximisation du produit -, non sur la base de la satisfaction des besoins humains, qui est censée être le but d'un système économique3. Donc, même si la concentration du pouvoir économique dans l'économie de croissance socialiste résulte essentiellement de celle du pouvoir politique entre les mains des élites du Parti et non du fonctionnement « automatique » du système économique, l'objectif retenu, maximiser la croissance et l'efficacité, a imposé l'usage des mêmes méthodes de production à l'Est et à l'Ouest. Et comme le concept d'efficacité économique que partagent les deux systèmes ne tient aucun compte des « externalités » du processus économique, notamment des effets négatifs de la croissance sur l'environnement, le résultat net, c'est le désastre écologique général que l'on constate aujourd'hui sur toute la ète.




Économie de croissance et idéologie de la croissance

Le premier trait fondamental du système de l'économie de marché, la marchéisation, avait divisé l'intelligentsia de l'ère industrielle et suscité les deux grands mouvements politiques et théoriques, le libéralisme et le socialisme (voir chapitre 1). Aucune scission able n'a eu lieu au sujet du second, la croissance économique. Celle-ci est devenue un élément central du paradigme social dominant (le système de croyances, d'idées et de valeurs associé aux institutions politiques, économiques et sociales) dans les versions tant capitaliste que socialiste de l'économie de croissance. La croissance économique est devenue un objectif libéral et socialiste, bien qu'elle soit intrinsèquement liée à l'économie de marché et que les élites dirigeantes des pays du « socialisme réel » aient remplacé celle-ci par la ification centralisée.
Donc, malgré l'opposition de leurs idéologies dominantes, le libéralisme à l'Ouest et le socialisme à l'Est, l'économie de marché et l'économie ifiée ont partagé la même idéologie de la croissance. Une idéologie créée il y a plus de deux cents ans, dans le sillage de la révolution industrielle et de la dynamique « croitre ou mourir » enclenchée par l'économie de marché. Le passage à la modernité avait alors donné le coup d'envoi à des formes nouvelles d'organisation sociale, qui incarnaient ce que Castoriadis appelle une nouvelle « signification imaginaire sociale4 » : la diffusion sans limite de la « domination rationnelle », qui assimile le Progrès au développement des forces productives et à la maitrise de la nature. C'est pourquoi, pour les libéraux comme pour les socialistes, pour Adam Smith5 comme pour Karl Marx6, le problème fondamental était de trouver comment l'humanité, avec l'aide de la science et de ses applications technologiques, allait pouvoir maximiser la croissance. Marx insistait encore plus vigoureusement, d'ailleurs, sur l'importance d'une croissance rapide. L'idéologie de la croissance a donc complété l'idéologie libérale de l'économie de croissance capitaliste et l'idéologie socialiste de l'économie de croissance socialiste. En ce sens, elle a été le fondement idéologique ultime des deux économies de croissance, la capitaliste et la socialiste, en dépit de leur structuration différente des modèles hiérarchiques de concentration du pouvoir. De plus, elle a fonctionné comme une sorte d'« idéologie en dernière instance », puisque c'est elle qui a déterminé l'issue finale de la lutte entre les deux idéologies : l'échec économique de l'économie de croissance socialiste (son incapacité à créer une société de consommation de type occidental) a été la raison principale de son effondrement, et de la prédominance actuelle de l'économie de croissance capitaliste et de son idéologie propre, le libéralisme.
L'idéologie de la croissance, commune aux deux types d'économie de croissance, peut aussi rendre compte d'un autre de leurs points communs : une dégradation similaire de l'environnement. Elle a été en fait plus forte dans les pays du « socialisme réel », pour deux raisons : les technologies qu'ils utilisaient étaient moins performantes, et les effets de pollution étaient intensifiés par leur structure de prix, qui sous-évaluait l'énergie et les matières premières, donc incitait à les surutiliser. De même que la concentration de pouvoir actuelle ne saurait être réduite aux rapports de production capitalistes, comme l'affirment les marxistes, de même la crise écologique ne saurait être réduite aux rapports et aux conditions de production capitalistes, comme le soutiennent les éco-marxistes7. D est évident, de toute manière, qu'une interprétation de la crise écologique par les rapports de production capitalistes serait incapable d'expliquer la présence d'une crise écologique encore plus sérieuse dans les pays du « socialisme réel », en dépit de l'absence de rapports de production capitalistes au sens de propriété prie des moyens de production. Donc, s'il est erroné d'attribuer la crise écologique à la seule idéologie de la croissance, comme le font les environnementalistes et les courants « réalo » au sein du mouvement vert, en négligeant le cadre institutionnel de l'économie de marché et les rapports de pouvoir qui en découlent, il serait tout aussi faux d'imputer cette crise essentiellement aux conditions de production capitalistes, comme tentent de le faire les écomarxistes, en négligeant l'impact important de l'idéologie de la croissance sur la théorie et la pratique de l'étatisme socialiste.
En fait, pour donner une interprétation adéquate de la crise écologique, nous devons nous référer non seulement à l'interaction des rapports de production et des conditions de production capitalistes (comme le font les écomarxistes), mais encore à l'interaction de l'idéologie et des rapports de pouvoir qui résultent de la concentration du pouvoir dans le cadre institutionnel d'une société hiérarchique. Cependant il faut aussitôt souligner que, si l'idée de domination de la nature est aussi vieille que la domination sociale dans la société hiérarchique, la première tentative historique de la dominer massivement a eu lieu avec la naissance de l'économie de marché et le développement de l'économie de croissance qu'elle a entrainé. Pour expliquer la crise écologique actuelle, nous devons donc examiner d'abord les facteurs historiques qui ont conduit à l'émergence de la société hiérarchique en général, puis analyser sa forme contemporaine, où l'élite doit essentiellement son pouvoir à la concentration du pouvoir économique.
Cela dit, bien que l'idéologie de la croissance ait sous-tendu les idéologies libérale et socialiste, on ne doit pas ignorer le lien interne entre les fins et les moyens. Même si les deux types d'économie de croissance poursuivent la même fin (maximiser la croissance économique), la différence des moyens utilisés compte beaucoup. La ification est un moyen fondamentalement compatible avec un système de propriété sociale des moyens de production, et le marché avec la propriété prie. Donc, si diverses combinaisons entre ification, marché, propriété sociale et propriété prie des ressources productives ont été historiquement proposées et mises en œuvre, le fait est que la combinaison « ification-propriété sociale » est la seule capable d'assurer la satisfaction des besoins de tous les citoyens (en associant peut-être à la ification des formes artificielles de « marché », comme celles proposées au chapitre 6). Toute combinaison « marchés réels-propriété prie des ressources productives » (comme dans les économies de marché) effectuera nécessairement une répartition très inégale des bénéfices économiques de la croissance, qui ne répondra pas aux besoins de tous les citoyens. Et même une combinaison « marchés réels-propriété sociale des moyens de production » créera aussi (en raison de la dynamique propre du mécanisme de marché) d'importantes inégalités : on le voit bien dans les économies « socialistes de marché » aujourd'hui (Chine, Vietnam).



La concentration : résultat inévile de la dynamique de l'économie de marché
La concentration du pouvoir économique n'est évidemment pas un phénomène nouveau. Dans toutes les sociétés hiérarchiques, la concentration des richesses a toujours accomné celle du pouvoir politique et militaire entre les mains des diverses élites - situation généralement « légitimée » par tout un système de règles sociales fondé sur la religion. Ce qui est nouveau dans l'économie de croissance, c'est que la reproduction du système social lui-même, et du pouvoir des élites qui le contrôlent, dépend absolument de la réalisation de l'objectif « croissance », lui-même «justifié » par son identification avec le Progrès. La croissance intervient à trois niveaux : elle est l'objectif économique et social premier, le moyen de reproduction fondamental de la structure de répartition inégale du pouvoir économique et politique qui caractérise la société hiérarchique moderne, et enfin la clé de voûte de l'idéologie qui la soutient. La société hiérarchique a donc pris une forme inédite avec l'économie de marché à l'Ouest et l'économie ifiée à l'Est. Dans ce nouveau dispositif, l'élite ne tire plus seulement son pouvoir (comme par le passé) de la concentration du pouvoir politique, militaire ou, plus généralement, social. Elle le doit fondamentalement à la concentration du pouvoir économique — que celle-ci s'effectue par le jeu du marché ou par le contrôle central de la ification.
Mais cette caractéristique de la société hiérarchique moderne -compter pour se reproduire sur la maximisation de la croissance économique - est aussi sa contradiction fondamentale. Pas pour la raison que l'on donne souvent (les graves conséquences environnementales de la perpétuation de l'économie de croissance). La condition nécessaire à la reproduction de l'économie de croissance pose problème par sa nature même. C'est la concentration de ses bénéfices dans une petite fraction de la population de la ète, donc une inégalité colossale dans la répartition du revenu mondial. Et cela à deux niveaux :
• Il est matériellement impossible duniversaliser — d'offrir à l'ensemble de la population mondiale - les normes de consommation dispendieuses dont jouissent aujourd'hui les « sociétés des deux tiers » du Nord et les élites du Sud. « H est clair, soulignent Michael Carley et Ian Christie, que la consommation matérielle de la population industrielle ne peut pas être étendue à tous les êtres humains sur terre. L'augmentation de la production que cela nécessiterait est énorme. Ne serait-ce que pour universaliser le niveau de vie actuel du Nord, il faudrait multiplier par cent trente la production industrielle mondiale8 » - et ce calcul n'intègre aucune projection, ni sur la poursuite de la croissance, ni sur l'expansion de la population9 !
Dans cette optique, on pourrait prouver que le taux de croissance rapide que connaissent aujourd'hui des pays comme la Chine n'est physiquement soutenable que si, parallèlement, l'inégalité continue à progresser considérablement.
• Une économie de croissance universalisée est écologiquement impossible, en l'état actuel du savoir et du coût des technologies «respectueuses de l'environnement ». Etant donné ce coût et la concentration du revenu mondial, la généralisation de ces technologies est impensable. De plus, si elles étaient universelles, leur impact sur l'environnement resterait-il aussi bénéfique? C'est pour le moins douteux.
La concentration et la dégradation écologique ne sont donc pas seulement des conséquences de l'instauration de l'économie de croissance, mais aussi des conditions préalables fondamentales de sa reproduction. Les théoriciens de la « société civile » qui analysent la situation en termes de sous-consommation espèrent que les élites de la Triade, pour parer à la menace d'une insuffisance de la demande (en raison de la montée de l'inégalité), seront amenées à instaurer une économie mixte mondiale10. C'est l'inverse qui est vrai. La croissance du Nord n'est pas menacée par l'inégalité toujours plus forte de l'économie de marché internationalisée, bien au contraire : elle en dépend. Comme la production de l'économie de croissance est impossible sans pillage de la nature, sa reproduction physique est impossible sans aggravation de la concentration du pouvoir économique.
Il me parait donc évident que l'actuelle concentration du pouvoir économique, politique et social aux mains des élites qui dominent l'économie de croissance n'est pas un simple phénomène culturel lié aux valeurs élies par la révolution industrielle, comme le croient naïvement d'importants courants du mouvement écologiste. L'équilibre écologique ne sera pas restauré par un simple changement de valeurs (abandon de la logique de croissance, de la soif de consommation, etc.), qui nous inspirerait un mode de vie respectueux de l'environnement. La concentration du pouvoir est le résultat inévile d'un processus historique : il a commencé avec l'instauration des structures sociales hiérarchiques et l'idéologie de la domination de l'homme sur l'homme et sur la nature" qu'elles impliquaient, et il a atteint son apogée au cours des deux derniers siècles avec le développement de l'économie de marché et de son sous-produit, l'économie de croissance.
L'économie de marché/croissance et la concentration du pouvoir économique sont les deux faces d'une même pièce. Ni la concentration du pouvoir économique, ni les conséquences écologiques de l'économie de croissance ne sont éviles au sein du cadre institutionnel actuel de l'économie de marché internationalisée. Mais, voyant s'accélérer la concentration du pouvoir économique '2, beaucoup comprennent que le Progrès, au sens d'amélioration du bien-être par la croissance, est nécessairement non universel. L'heure de rité sonnera pour le système social actuel quand tout le monde se rendra compte clairement que l'existence même des normes de consommation dispendieuses suppose que seule une faible proportion de la population mondiale puisse en jouir - demain comme aujourd'hui.





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