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MARKETING

Le marketing, parfois traduit en mercatique, est une discipline de la gestion qui cherche à déterminer les offres de biens, de services ou d'idées en fonction des attitudes et de la motivation des consommateurs, du public ou de la société en général. Il favorise leur commercialisation (ou leur diffusion pour des activités non lucratives). Il comporte un ensemble de méthodes et de moyens dont dispose une organisation pour s'adapter aux publics auxquels elle s'intéresse, leur offrir des satisfactions si possible répétitives et durables. Il suscite donc par son aspect créatif des innovations sources de croissance d'activité. Ainsi l'ensemble des actions menées par l'organisation peut prévoir, influencer et satisfaire les besoins du consommateur et adapter ses produits ainsi que sa politique commerciale aux besoins cernés.


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Les grands traits du mythe

Le mythe n'est ni un conte ni une fable. Le propre de la pensée mythique est d'être universelle et de se retrouver sur tous les continents : « D'un bout à l'autre de la Terre, les mythes se ressemblent », selon Claude Lévi-Strauss. Cependant, l'étude des mythes se fait par rapport au contexte socioculturel de la société qui les a produits -données techno-économiques, croyances, représentations religieuses, réalités géographiques, structures sociales, institutions. Les mythes ont leur logique, aussi rigoureuse que celle de la pensée scientifique qui prétend au sens et à la vérité. Selon Suzanne Saïd1 : «Derrière l'absurdité apparente des mythes se cache un sens. » Un mythe se présente donc comme un système dont il faut dépasser les apparences pour en décrypter le secret. Il ne faut pas attendre du mythe une explication de la réalité quotidienne, mais plutôt une vision du monde. Dans ce système, les deux principaux acteurs sont le cosmos et l'homme.
Philippe Sellier extrait des analyses de l'ethnologie moderne quelques grands traits du mythe2. Pour lui, le mythe est un récit fondateur. Il est anonyme et collectif. C'est un intégrateur social. Le mythe est tenu pour ai. Les héros du mythe sont tous des archétypes dans un monde binaire, les bons d'un côté, les méchants de l'autre.


Le récit fondateur


Selon Philippe Sellier2, « le mythe est un récit et un récit fondateur, un récit instaurateur, il se rapporte au fond des ages ». Ce récit est si ancien et si lointain que son origine en est voilée, il se situe dans un temps avant l'histoire. Il continue à se transmettre sans qu'il y ait le moindre élément de preuve, la moindre trace de sa vérité. « La fonction d'instauration peut être assumée par des êtres surnaturels de nature très diverse : dieux, messagers, héros.3 » Ces ures permettent de poser les termes du récit. Leur caractère importe peu, seules leurs actions sont nécessaires à la structure du récit
Il en est de même pour la marque. La marque-mythe est fondée sur la durée. On en a oublié le point de départ, l'origine. Un mythe ne peut pas se construire sur une marque qui aurait dix ou vingt ans - sauf peut-être dans le domaine de la micro-informatique, technologie de l'accéléré. Quand une marque veut être en osmose avec un mythe existant, elle doit en avoir la durée, la force du temps. En voulant aller trop vite, elle risque de se perdre. Chevignon a voulu s'identifier à la mythologie des héros aviateurs américains, mais la marque a commis l'erreur, entre autres, de vouloir « copier » Marl-boro et associer son nom à l'une des plus fortes transgressions, la cigarette. Elle ne s'était pas encore installée sur son propre marché. Pour atteindre le mythe, une marque ne peut pas faire l'économie du temps de la sagesse, même si cette période semble trop souvent rébarbative aux impétueux créateurs.
Il faut au minimum trois générations pour développer une mar-queimythe. La première génération reçoit la différence et accomne la période héroïque de la marque. La deuxième génération, la plus difficile à convaincre, donne sa confiance à cette marque apportée par les parents. La troisième génération aura conscience de l'apport culturel et sociétal de la marque qui aura su franchir toutes ces étapes.
Il n'y a de mythe que par ouï-dire. Il n'est de marques-mythes que celles dont nos « anciens » nous content la naissance ou les grandes périodes épiques. Un témoin direct percea l'héroïsme, pas le mythe.
Apple s'est pensée marque mythique alors qu'elle avait à peine terminé la première phase de son cycle de vie. C'est une explication possible, rarement avancée, des problèmes qu'elle a rencontrés dans les années 1990.
Dans le domaine de la marque, comme dans la plupart des activités humaines fondées sur la perception, c'est-à-dire sur la mécanique complexe du cerveau humain, on ne peut pas griller les étapes !

Un récit anonyme et collectif

Pour Claude de Grève2, « ce récit est anonyme et collectif. Même si un mythe a été raconté pour la première fois par un individu particulier, il devient mythe précisément parce que la collectivité le prend en charge, le dépouillant de ses aspects individuels ».
Walt Disney a parfaitement intégré cette dimension de la marque mythique. Ses emprunts aux récits eux-mêmes souvent anonymes de personnages venus du fond des ages témoignent de cet éloignement nécessaire.
Les dessins animés de Walt Disney sont devenus des biens anonymes et collectifs. Si le nom de Walt Disney n'est pas tombé dans l'oubli, la réalisation de Blanche-Neige est un récit collectif produit par des équipes de dessinateurs travaillant selon la logique d'un studio. Le film est aussi le fruit d'une synthèse de tous les dispositifs techniques existant à cette époque. «Ce long-métrage mobilisa toutes les Inventions techniques dont le cartoon avait bénéficié depuis une décennie : la bande sonore et le Technicolor. Mais surtout, il réunit une équipe d'artistes hors pair.4 » Le récit lui-même est anonyme : il puise dans le fond de légendes de l'humanité. Walt Disney n'a pas inventé Blanche-Neige, il lui a redonné vie et présence, se mettant au service de cet héritage légendaire. Il en est de même pour Peter Pan, Pocahontas, Les Mille et Une Nuits, Le Bossu de Notre-Dame

Chanel et le désir d'immortalité
Chanel est sans doute la marque mythique par excellence. Ce conte de fées d'une jeune fille paue devenue légende est un réfèrent culturel majeur qui puise dans le fond des ages des attentes enfantines : Cendrillon riche et rayonnante.
« Une femme qui ne se parfume pas n'a pas d'avenir. » Cette formule péremptoire d'une ancienne paysanne auvergnate parvenue au panthéon des quasi-immortels, Mademoiselle Chanel, est à l'image d'une femme qui anticipa une mode adaptée aux exigences de la vie moderne. Le style que Coco Chanel impose dans les Années folles est celui « d'une paueté chic » inspirée des lignes et structures du cubisme, qui fera d'elle le créateur phare des années 1920-l930.
Le look Chanel des années 1950 demeure la référence un demi-siècle plus tard. Les tailleurs, les sacs matelassés à chaine dorée, les escarpins à bout noir, la célèbre petite robe noire, le bouton doré frappé du double C sont les symboles d'un style universel. La « culture Chanel » est à mi-chemin entre une élégance conformiste proche de la caricature et un pressentiment de la modernité pratique et fonctionnelle. Barthes définissait son style « comme l'oubli du corps tout entier, réfugié, absorbé dans la distinction sociale du vêtement5 ». Style et culture sont réactivés et sans cesse recréés par le « kaiser de la couture » Karl Lagerfeld. L'homme aux lunettes noires et au catogan fait entendre par ses créations et ses « reines topmodels » que Chanel relève de l'exceptionnel et d'une mode indémodable. La communication de marque est un réfèrent permanent aux « temps mythiques de Coco ». Karl Lagerfeld ressort le vieux carton à dessins de « Mademoiselle » et s'en inspire, les adapte, prolonge ces temps originels.
Le parfum N" 5, créé en 1921, fera entrer Coco dans le mythe autant que ses tailleurs coupés comme des cardigans, indémodables et copiés à des millions d'exemplaires. « N° 5 : ce code chiffré est-il le chiffre porte-bonheur de Coco, la cinquième formule du parfumeur Ernest Beaux ? Le parfum respire l'indéfinissable, environ 80 ingrédients entrent dans sa composition, mais aucun n'est identifiable.6 »
Dans l'histoire de la marque et de ses valeurs fondatrices, il reste un emblème de l'esprit Chanel. « Je ne connais pas un parfum qui connaisse autant de succès que le N° 5 depuis plus de soixante-quinze ans », dit Jacques Polge, le dernier des « nez » de Chanel, prince des parfumeurs6. Entré dans la légende avec Marylin Monroe qui le « portait comme vêtement de nuit », traité de façon novatrice par Jean-Paul Goude dans un spot où Vanessa Paradis incarne l'esprit Chanel, ce parfum est porteur de l'essence de permanence et d'absolu de la marque. « 80 000 fleurs de jasmin pour 100 millilitres d'un seul N° 5 » : l'alliance entre la marque, le parfum et les fleurs fabrique l'alchimie de la pérennité de la marque. Après le parfum Coco, mis sur le marché en 1984, Jacques Polge récidive avec Allure, son deuxième jus féminin, qui lui aura demandé douze ans de travail. Le mythe vit, Coco et Allure redonnent chair à cette personnalité mythique, symbole d'une féminité libérée « made in France ».
Aujourd'hui, le groupe Chanel est l'entreprise préférée du grand public et la Grande Mademoiselle n'a jamais été autant citée, « sans doute parce que la maison incarne, avec une remarquable constance à travers les années, une certaine idée de la qualité et du style de vie à la française, dont la morosité des temps actuels ne peut que raviver la nostalgie6». C'est aussi une entreprise qui pèse lourd parmi les acteurs mondiaux du luxe. Le poids de la marque Chanel peut être sérieusement'estimé entre 40 et 65 milliards d'euros. L'activité parfums et cosmétiques pèserait 70 % des ventes totales dans le monde. Il est connu que la haute couture ne gagne pas d'argent mais profite à l'image et aux ventes du parfum : « C'est un budget de communication d'image, un laboratoire d'idées indispensable. La haute couture ne rapporte pas mais elle fait vendre.6 »
Le style, l'esprit, la marque ont fait le lit de l'immortalité de Chanel. L'esprit de la Grande Mademoiselle sera-t-il éternel ? Il permet aujourd'hui d'accéder à cette poussière d'étoile à laquelle toute entreprise aspire. Il constitue le patrimoine de la marque, une osmose exceptionnelle entre un récit fondateur et une entreprise prospère.


Le mythe est un intégrateur social


« Le mythe remplit une fonction socio-religieuse. Intégrateur social, il fournit au groupe une explication de l'état présent et lui propose des normes de vie. Le mythe propose en effet à ceux qui y adhèrent des modèles de conduite morale et sociale.7 »
L'une des principales fonctions du mythe est bien d'éclairer le présent, de lui donner un sens pour mieux comprendre la place de l'homme dans la société actuelle au vu d'archétypes anciens : « Comprendre comment les choses ont commencé, c'est savoir ce qu'elles signifient maintenant et quel futur elles continuent d'ouir à l'homme.8 »
Changement d'univers avec Ricard : les frontières et les différences de classe sont abolies au profit de valeurs de partage, de dialogue, autour d'un « apéro convivial » symbolisé par un ensemble d'événements sportifs ou musicaux.


Ricard accomne la vie quotidienne


Une marque qui n'existe dans l'esprit du public qu'à travers ses produits a une présence relativement paue. Mais si elle parvient à entrer dans sa vie quotidienne, à s'associer à des images, des faits, des dates qui appartiennent à l'histoire et aux modes de vie de chacun, elle devient vivante et indispensable. C'est le cas de la société Ricard, qui a multiplié ses territoires de communication depuis sa création en 1932. L'histoire de cette marque est un exemple de brand-linking, cette recherche « d'affection de la marque ». La boisson alcoolisée a souvent rempli cette fonction de rapprochement des hommes et d'intégration sociale.
Leader mondial des anisés, troisième marque mondiale de spiritueux9, Ricard est immédiatement identifiable par deux couleurs qui synthétisent son histoire et ses valeurs : « Le bleu de la Méditerranée et le jaune du soleil, couleurs historiques de la marque qui expriment chaleur et joie de vie.9 » Paul Ricard, qui a mis au point la formule du Ricard, « le ai pastis de Marseille », pressent les vertus du marketing mix dès les années 1950. Par un tir croisé d'opérations mémorables et des contacts constants dans les lieux populaires - cafés, fêtes -, il assoit la notoriété de la marque et construit ses valeurs sur la convivialité, la sympathie, l'innovation. «Il fait construire une "Caravelle", bateau aux couleurs de la marque, qui suit la caravane du Tour de France en 1948 ou encore il fait lier des bouteilles de Ricard à dos de chameaux lors de l'affaire du canal de Suez en 1956. Parallèlement, il forme ses vendeurs. Leurs missions : faire connaitre le produit par des dégustations, garder un contact constant avec les cafés et la distribution, être présents dans chacune des fêtes locales ou nationales.9 » On se souvient que cinq milliards de bouteilles de Coca-Cola auraient été apportées aux Gis en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale.
Après avoir posé les fondations de la marque sur un public large (l'un des archétypes du Français moyen est caractérisé à une époque par l'ensemble béret-camembert-baguette-pastis), Paul Ricard mène une stratégie d'occupation de tous les territoires de communication. La marque s'implique avec tous les Français : peuple et culture. Les arts plastiques et les images de synthèse, la protection de l'environnement, le sport et la musique sont les terrains de conquête de la marque.
Dès les années 1960, l'entreprise fait ure de pionnier en ouant des espaces culturels consacrés à l'art dans plusieurs villes de France. Dans cette dynamique, toujours d'actualité, l'entreprise inaugure l'espace Paul Ricard rue Royale à Paris, destiné à faire connaitre de jeunes artistes, point d'orgue de trente ans de volonté culturelle. Le soutien du salon Imagina et la Bourse de la Création Ricard SA des images de synthèse positionnent la marque dans le haut de gamme de l'innovation artistique et technologique.
La défense de l'environnement est un autre axe majeur de la marque, avec en 1970 la création de l'institut océanographique Paul Ricard sur l'ile des Embiez, « aujourd'hui mondialement reconnu pour ses travaux de recherche en milieu marin». L'ouverture du domaine Paul Ricard de Méjanes en Camargue et la protection de la forêt méditerranéenne contre les incendies viennent compléter cette politique de préservation des milieux naturels. La marque accentue sa pénétration du territoire « en participant à l'embellissement de 10 sites touristiques en France, en collaboration avec le Fonds Français pour la Nature et l'Environnement9 ».
La création du Circuit Paul Ricard en 1970 donne à la marque une présence spectaculaire et médiatique dans des compétitions internationales allant des courses de formule 1 au championnat d'Europe des Véhicules Historiques. Cette dimension sportive est élargie au cyclisme, avec le Tour de France, à la voile et au « Paris-Dakar ».
La musique, comme le sport, est un langage universel. La marque investit ce terrain et organise dès les années 1950 de grandes manifestations musicales. La création en 1988 du « Ricard SA Live Music » fait de Ricard « la seule société à proposer au public des concerts de rock gratuits avec au programme des vedettes internationales». «Au rythme de 40 concerts par an, la plus grande scène mobile d'Europe, Ricard SA Live Music, a rassemblé plus de 4 millions de spectateurs depuis1 sa création.9 » Cet acte de générosité envers les jeunes fait de la marque un réel partenaire de leurs goûts et de leurs passions.
Dernier lieu de présence, la communication. À nouveau, la marque se veut omniprésente, avec des camnes publicitaires à score élevé de reconnaissance (« Un Ricard sinon rien »), la création de carafes par des designers et artistes connus - Garouste et Bonetti -, et de multiples animations.
Cette stratégie de présence multiple dans des lieux et sur des thèmes qui concernent chacun dans sa vie quotidienne, ses passions, ses choix fait de Ricard un exemple remarquable de marque-mythe, habilement construite en soixante ans. La notoriété, le sens, l'image et les signes de la marque ont contribué à créer un univers Ricard désormais inséparable des modes de vie comme des habitudes de consommation.
Nike, Adidas, Reebok jouent parfaitement ce rôle « d'intégrateur social », car elles sont devenues des symboles transgénérationnels, transculturels et surtout de nivellement social. Riches ou paues, on ne fait plus le distinguo dans les cours de récréation, même si l'effort financier n'est pas le même pour tous les parents. Ce que l'école de Jules Ferry avait voulu imposer avec des blouses grises pour tous les élèves, est désormais accepté et revendiqué à travers la « culture jeunes » fondée sur ces « mega brands ».

Le mythe est tenu pour ai

« Le mythe est tenu pour ai. Comme le montrent tous les mythologues, les sociétés où le mythe est vivant distinguent celui-ci de la fable ou du conte qui construisent leur monde en vue du seul plaisir de l'imagination.10»
Pour que le mythe de la marque fonctionne, il lui faut un minimum de aisemblance : des détails qui restituent une cohérence matérielle, physique, à la structure du récit. La réussite du système Disney est construite sur de nombreux éléments de aisemblance. Le cinéma est un lieu privilégié de spectacle : il donne accès au mythe sur grand écran dans un contexte de plaisir ludique - moment de partage privilégié entre les enfants et leurs parents, pop-corn et glaces de l'entracte Jusqu'à une époque récente, Walt Disney ressortait ses films tous les cinq ans après leur première diffusion, touchant de nouvelles générations de parents et d'enfants, entretenant ainsi l'immuabilité du mythe. Aujourd'hui, la stratégie s'est un peu affadie car la marque lance chaque film en vidéocassette un an après sa sortie. Mais elle continue de proposer régulièrement ses films sur grand écran.
Disneyland permet d'aller plus loin en donnant un espace de présence féerique aux personnages de légende. Disneyworld en Californie et à Orlando en Floride, suivi du parc européen Disneyland-Paris à Marne-la-Vallée, prouvent à tous les enfants du monde que Disney et ses personnages mythiques existent aiment, qu'on peut les rencontrer, leur parler, jouer avec eux et se promener dans un pays fantastique grandeur nature. Pour les parents et les enfants, l'entrée dans l'espace du mythe suscite la même émotion, qui abolit différences d'age et de classe, qui fait entrer de plain-pied dans le temps immémorial de l'enfance. Le mythe est ai, il a son ticket d'entrée.
Le parc Disneyland-Paris reçoit chaque année près de 15 millions de visiteurs. Le repositionnement marketing qui est engagé passe par un changement d'identité : EuroDisney devient Disneyland-Paris. Mickey ne pouvait être européen. Sa fonction mythique lui impose de venir d'ailleurs, de l'Ouest, de n'être à Paris que de passage. Les prix sont révisés à la baisse afin d'attirer toutes les classes sociales et les formules de restauration se transforment : « Le parc comprend 60 lieux de restauration. Les 25 millions de repas servis en 1995 font de Disneyland-Paris le plus grand restaurant de France" » Le produit Mickey est en plein développement pour construire l'enveloppe commerciale autour du mythe Walt Disney et lui donner sa aisemblance. Est-ce encore du cinéma ?


Des héros qui incarnent des archétypes


Selon Philippe Sellier, «en tant que récit, le mythe fait agir des héros, mais qui sont dénués de psychologie, qui incarnent des forces, des réalités fondamentales12 ».
Les héros que l'on rencontre à Disneyland ne connaissent pas les ressorts de la psychologie tels qu'un Flaubert ou un Stendhal ont pu les étudier. Ce sont des monotypes, des marionnettes bonnes ou mauvaises, avec un trait de caractère dominant - toujours le même, non susceptible d'évolution. Leur immuabilité est la condition de la aisemblance du mythe et de sa force. Chacun des sept nains est la caricature d'un caractère affirmé : Joyeux, Grincheux, Atchoum Peter Pan volera toujours dans les airs, le Capitaine Crochet sera toujours effrayé par le tic-tac du crocodile grand amateur de chair humaine, Mickey ne changera jamais d'expression et Donald restera toujours Donald. Leur réalité archétypique est la source de leur puissance. Les nuances ne font pas partie du mythe. Les personnages incarnent le blanc ou le noir, pas la subtilité humaine de l'entre-deux. La fascination vient de ce qu'ils sont absolus. Comme les héros grecs : peut-on imaginer Hector, le valeureux, renonçant à défendre Troie, même s'il sait que la mort est la conclusion inélucle du combat ?

Canderel
Lorsque Canderel promet, par le seul pouvoir d'une petite boite devenue un must incontournable, d'égaler la minceur des Parisiennes de Kiraz, la marque est entre la publicité mensongère et le jeu magique de la métamorphose. Un Canderel et hop ! je mincis, je règle mon problème de poids ! Le texte « Qu'est ce qu'il y a ? Vous n'avez jamais vu une fille qui prend du Canderel ? », suivi de la signature « Avec on est mieux que sans», renvoie au jeu de séduction publicitaire. «Boorstin émet ainsi l'idée qu'il faut disculper les publicitaires, la persuasion et la mystification venant bien moins du manque de scrupules de ceux-ci que de notre plaisir à être trompés : elles procèdent moins de leur» désir de séduire que de notre désir d'être séduits. 'J » Dans ce système d'infantilisation et de simplification, le public aime à être trompé et séduit à la fois. La publicité étant « au-delà du ai et du faux13 », on ne sait jamais, peut-être la magie opérera-t-elle et « la parole se réalisera par sa profération même13 ». La marque Canderel se fait le prophète d'une nouvelle technique de minceur qui consiste à «rendre les choses aies en affirmant qu'elles le sont13» et le consommateur en est le complice amusé. Mais nous sommes loin de la responsabilisation indispensable à tout ai régime Pour être aisemblable, le mythe n'est pas toujours ai.


Un monde binaire


« Le mythe se distingue par un trait que Lévi-Strauss a mis en évidence dans tous ses ouages : "la perfection et la violence des oppositions structurales".12 » « Le mythe met en effet enjeu des séries d'oppositions spatiales (haut/bas, intérieur/extérieur), temporelles (nuit/jour, longue/ courte durée), sexuelles (frénésie/froideur)."» L'opposition majeure entre la vie et la mort, difficile à endosser, est pourtant choisie par le mythe Mercedes.
Le propre des mythes est d'affirmer des oppositions tranchées, des polarités indissociables qui éclairent les forces contradictoires qui agissent dans la société et sur un individuel.
Blanche-Neige est tout entière du côté du bien, du blanc, en opposition à la méchante et sombre reine qui se déguise en hideuse sorcière pour apporter le mal - la mort - par une pomme empoisonnée. Le chateau de la reine évoque le monde du pouvoir et ses menaces, en opposition à la forêt magique où les animaux et les nains sont bons, amicaux et protecteurs.
Ces dichotomies se retrouvent dans la plupart des personnages de Walt Disney. Le Capitaine Crochet finira par être dévoré par le crocodile et les sorcières seront détruites. Le Mal est toujours absolu et toujours détruit. Ce n'est pas la vie de tous les jours : il n'y a ni demi-teinte, ni rachat possible.
Ces grandes polarités sont très loin de la vie quotidienne, qui privilégie souvent le compromis, l'entre-deux, la négociation. Mais leur pouvoir d'attraction est puissant. Certains grands mythes du cinéma ont incarné la perfection et la violence jusqu'au bout, jusqu'à en mourir. James Dean, le météore, a brûlé sa vie en quelques instants et y a gagné l'immortalité, comme Marylin Ceux qui vont au bout de leur perfection en meurent et entrent dans la légende. C'est un rite de passage. Les marques-mythes ont la chance de pouvoir survie à l'absolu qu'elles incarnent.


Mercedes et la sécurité

Alors qu'Ayrton Senna sacrifie sa vie dans l'arène sportive en allant jusqu'au bout de son engagement de pilote, Mercedes, au contraire, part en guerre contre la mort. La marque-mythe Mercedes sort de sa condition de constructeur pour s'assimiler à un demi-dieu qui a le pouvoir de sauver les hommes. La condition fondamentale du conducteur automobile est l'insécurité. Mercedes, en faisant de la sécurité son engagement depuis 1939, agit héroïquement, dépassant ses propres limites pour une garantie absolue. Le constructeur apporte une issue heureuse à la condition du pilote, éminemment mortel.
La prévention du risque majeur est un souci relativement récent chez les constructeurs automobiles. Pendant plusieurs décennies, les critères d'une « bonne voiture » étaient la puissance, la rapidité, le style et le confort. Seul Mercedes a su anticiper cette tendance devenue majeure en faisant de la sécurité sous tous ses aspects sa ligne de conduite depuis 1939. Cette année-là, un département d'acciden-tologie est créé au sein de Daimler-Benz. « Le premier prototype fut lancé en 1940 et le 23 janvier 1951, Bêla Barényl, ingénieur chez Daimler-Benz et père de la sécurité passive, obtint le brevet allemand pour sa carrosserie de sécurité. C'est huit ans plus tard, en 1959, qu'apparut sur le marché la première voiture intégrant ces principes, la Mercedes 220.» À une époque où les questions de sécurité étaient inexistantes ou embryonnaires, Mercedes fait ure de précurseur.
Ce coup d'envoi sera suivi de nombreuses actions. À partir de 1959, les premiers essais de collision sont réalisés à Sindelfingen. Les ingénieurs Mercedes étudient en situation réelle la nature, le déroulement et les effets des accidents de voiture. La reconstitution de ces scénarios terribles, associée à la visualisation 3D des programmes de simulation informatique, permet au constructeur de récolter l'ensemble des informations nécessaires pour repenser les multiples aspects de la sécurité.
Un pas de plus est fait en 1966 avec « la définition d'un concept de sécurité qui fait pour la première fois la distinction entre la sécurité passive et la sécurité active'4 ». Si la sécurité passive minimise les conséquences d'un accident, la sécurité active a une fonction préventive : « Le bon accident est celui que l'on évite. » A cette même période, l'ABS et PAirbag sont déjà testés. Ce n'est que dix ans plus tard que leur fiabilité avérée autorisera leur commercialisation en série.
Depuis, les équipements de série installés sur la plupart des Mercedes n'ont cessé de faire de la sécurité une seconde nature de l'automobile : carrosserie de sécurité avec ses « zones de déformation contrôlée », « cellule passagers renforcée », intérieur « sécurisé », colonne de direction de sécurité, système anti-blocage, « rétracteurs de ceinture, arceau de sécurité automatique ». Aujourd'hui, le sac gonflable latéral et le limiteur de tension de la ceinture sont de nouveaux jalons de cette quête surhumaine pour préserver la vie et affirmer la responsabilité et l'engagement de la marque au service de la collectivité.
Pour ce faire, une famille postiche a même été imaginée. Des mannequins munis de capteurs sont soumis à toutes les déformations dues aux chocs du crash test et restituent une information précieuse pour chaque partie du corps et de la voiture.
Certains ironisent sur « la religion de la sécurité » qui est le deuxième visage d'une société de course au progrès moyennant des victimes régulièrement sacrifiées sur son autel : « La Mercedes n'existe, ne se définit, ne se justifie que par sa relation à l'accident La Mercedes ayant besoin d'un accident, il s'agit d'abord de le créer. Ici commence une sorte de happening hyperréaliste, le "crash test", l'accident provoqué, reconstitué en usine. Une batterie de caméras lui a permis de maitriser l'inaccessible, ce qui se joue en quelques millièmes de seconde, le choc, la mort, le handicap à vie. Unité temporelle de base de la démonstration Mercedes, le millième de seconde n'est pas du temps humain.15 »
Fait nouveau dans l'histoire de l'automobile, un constructeur se soucie de l'« autre » conducteur, celui qui n'a pas le privilège de rouler en Mercedes : « Afin de limiter les dommages inévilement causés aux passagers de véhicules plus légers, l'avant de la Classe E a été conçu de façon à absorber, par une marge de déformation plus grande, une partie de l'énergie cinétique de l'autre voiture.14» Une démarche qui fait de Mercedes une entreprise qui a le sens éthique de la protection de la collectivité au-delà de sa propre clientèle. Mercedes apporte bien une solution universelle et héroïque à la condition de l'homme moderne, l'homme en voiture. «Choisira plutôt la vie que la mort », promesse mythique s'il en est ! Cet axiome assure depuis toujours la grandeur d'une marque hors du commun dans l'univers automobile, symbolique de l'homme-dieu.
Toute expression mythique est fondée sur une pensée binaire, sur de grandes oppositions, à l'image de celles qui se retrouvent dans la société, dans le langage, la vie, l'organisation sociale ou la matière. Mircea Eliade, l'un des plus grands mythologues de ce siècle16 présente le point de vue développé par les structuralistes pour lesquels « les couples de contraires, les oppositions, les antagonismes n'ont pas une origine sociale et ne s'expliquent pas non plus par des événements historiques ». « Ils traduisent un système parfaitement cohérent qui informe l'activité inconsciente de l'esprit. Bref, il s'agit d'une structure de la vie et cette structure est identique à la structure de la matière. » Lévi-Strauss exprime la même idée : « L'objet du mythe est de fournir un modèle logique pour résoudre une contradiction. La pensée mythique procède de la prise de conscience de certaines oppositions et tend à leur médiation progressive.17 »
Ces paires d'opposés éclairent autant l'organisation et la structure du monde que celles de l'existence humaine. Elles se retrouvent fréquemment dans les marques. L'opposition rousseauiste nature-culture est courante dans les marques de l'alimentaire : Bio, avec son graphisme vert, affirme être du côté de la vie et de la nature en opposition à l'industrie et à ses produits blancs, cliniques.


La charte du mythe

Disney est une marque mythique exemplaire parce qu'elle a intégré chacun de ces points de passage préalables à la constitution du mythe. Elle a mené le parallélisme avec le mythe par une stratégie de marketing et de communication globale. Elle a intégré tous les atouts que donne l'assise du mythe.
Pour assurer sa fonction, tenir son rôle de marque-mythe, celle-ci doit s'appuyer sur les points principaux de cette charte du mythe :
Elle doit perdre ses origines pour que la société puisse se les réapproprier.
Elle doit remplir une fonction d'intégrateur social, généreux de préférence.
Elle doit identifier tous les éléments de aisemblance sur lesquels elle pourra s'appuyer.
Elle doit vie avec les gens, savoir les rencontrer, être présente.
Elle doit faire agir des héros suffisamment archétypiques, blancs et noirs, pour que la fascination joue autour de la perfection et de la violence.
Parvenu à ce stade, le héros subit un rite de passage obligatoire : il dea absolument aller au bout de son héroïsme et vaincre son opposé, abolir le mal, le temps, la nuit, le vieillissement, la mort-Une marque ne deviendra pas mythe du jour au lendemain. L'origine de la marque mythique ne ure plus dans la mémoire immédiate. Le consommateur sait simplement qu'à sa naissance, la marque existait déjà, qu'elle a toujours été là. La marque, à partir de cette origine lointaine, possède tous les éléments pour recréer l'histoire, reconstruire la aisemblance. Coca-Cola peut se référer à Atlanta, sa ville de naissance, et à l'histoire de ce pharmacien qui découit la formule magique, à la libération de l'Europe de l'oppression nazie Ces éléments alimentent le mythe. La force mythique de la marque est de se référer à une pré-histoire que personne ne connait plus que par ouï-dire. C'est le cas des marques nées au 19e siècle ou dans la première partie du 20e siècle.



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