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ECONOMIE

L’économie, ou l’activité économique (du grec ancien οἰκονομία / oikonomía : « administration d'un foyer », créé à partir de οἶκος / oîkos : « maison », dans le sens de patrimoine et νόμος / nómos : « loi, coutume ») est l'activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. L'économie au sens moderne du terme commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam Smith un important corpus analytique qui est généralement scindé en deux grandes branches : la microéconomie ou étude des comportements individuels et la macroéconomie qui émerge dans l'entre-deux-guerres. De nos jours l'économie applique ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines (puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains domaines : international, finance, développement des pays, environnement, marché du travail, culture, agriculture, etc.


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L'idée de la sécurité sociale

Traduisant Beveridge chez FranA§ois Perroux, et esquissant des études sur son œue qui n'ont pas paru, j'y ai adjoint cette première transition entre le philosophe et l'économiste.

L'idée de la sécurité sociale n'est pas immédiatement éclaircie par le mot lui-mASme. Elle ne s'étend pas A  toutes les formes de sécurité que la société promet A  ses membres. Les risques qu'elle coue ne prennent pas tous naissance dans la vie en société. Ainsi l'expression est trompeuse. C'est par approximations et par oppositions successives qu'on pourra dégager sa signification spécifique.
L'organisation de la sécurité apparait en un premier sens comme la fonction cardinale de la société politique. Dans la défense contre les attaques de l'extérieur, le pays ne se distingue pas de ses propres citoyens ; il font corps. L'armée en est l'instrument le plus ancien ; mais la pratique militaire n'est pas l'unique moyen de cette défense nationale. La politique de la population, les lois sur l'immigration et la nationalité, les encouragements aux naissances, attestent la reconnaissance moderne que le problème a plus d'un aspect. La recherche instinctive ou cohérente d'une certaine indépendance économique s'inspire de cet effort de l'état pour survie qui est la condition préalable de son action intérieure de paix et de progrès.
Au-dedans, la société protège les uns contre les autres les groupements ou les personnes qui la constituent. Cette œue de police et de justice ne se limite pas A  l'interdiction du vol et du meurtre. La multiplicité imprévisible des contacts entre les hommes s'accomne de dommages éventuels dans lesquels une responsabilité, pour arbitraire qu'elle soit, doit AStre fixée. L'extension jurisprudentielle de la responsabilité involontaire, la diéorie du quasi-délit, élargissent la zone de protection. Elle s'étend aussi de proche en proche A  ces périls plus insidieux que chaque homme, par la maladie et la contagion, fait courir aux autres hommes. Les siècles passés pratiquaient l'isolement des lépreux ; l'hygiène et la médecine préventive prolongent l'action de police. La vaccination forcée, la déclaration des maladies infectieuses, le contrôle sanitaire des écoles, le certificat prénuptial, peut-AStre un jour prochain l'obligation aux malades de se soigner réparent la négligence individuelle par la prévoyance collective et limitent les effets de ces attentats involontaires que l'homme commet contre sa propre vie et la vie des autres.
Entre les risques de la vie en société, il y a lieu de mettre A  part ceux qui naissent de la guerre ou des troubles intestins. La réparation des dommages causés par les émeutes procède de l'idée d'une faute des collectivités locales, elle est une sanction non seulement restitutive mais répressive dont les pouvoirs publics attendent un effet préventif. L'indemnisation des dommages de guerre constitue expressément une affirmation de la solidarité nationale. Les pensions aux mutilés et aux veuves de combattants acquittent une dette de reconnaissance collective.

Sans doute dans la mesure où la sécurité sociale donne aux malades le moyen de se soigner, entre-t-elle en rapports étroits avec cette police médicale. Mais sa signification est autre. Elle s'intéresse A  son bénéficiaire directement, les répercussions sur les autres sont au deuxième . Elle ne fait pas de discrimination selon l'origine du mal ou du risque. A la différence des assurances ou des quasi-délits, l'invalidité ou la maladie qu'elle considère n'ont pas besoin d'avoir été causées par la faute d'un autre ou par son service. Paradoxalement, les risques contre lesquels elle prétend prémunir peuvent aussi bien provenir de causes individuelles et naturelles. Si le chômage se lie au fonctionnement du régime économique, la maladie, l'invalidité, la vieillesse menacent aussi bien l'homme seul. Celui qui élève une famille assume des charges et des risques que la structure de la vie commune ne fait pas naitre, s'il lui appartient de les atténuer.
Encore la prise en charge partielle par la collectivité des pertes dues aux événements naturels ou au jeu imparfait des institutions économiques excède-t-elle le domaine de la sécurité sociale. L'état n'indemnise pas le propriétaire dont la maison, la ferme, ou l'usine a brûlé, mais il accorde des secours massifs dans les grands cataclysmes, inondations, glissements de terrains, calamités agricoles. Ce ne sont pas ici les personnes qui comptent, leurs biens ni leur droit. Une partie considérable du corps social est atteinte, qu'il faut sauver. C'est par une idée analogue que l'état renfloue les grandes banques dont la faillite ruinerait une masse de déposants et mettrait en difficulté un vaste réseau d'entreprises. Ces interventions sont sporadiques, elles nécessitent A  chaque fois une décision particulière de la puissance publique.
La spécificité de la sécurité sociale apparait par opposition. Son premier trait, c'est qu'elle s'instaure durablement ; elle s'inscrit dans des institutions permanentes, dotées de règles fixes, de ressources assurées, de services réguliers. Deuxièmement, entre toutes les formes de la sécurité sociale, face A  ces quatre interventions de la puissance publique que sont la défense du corps social, la protection des individus et des groupes, la solidarité nationale, le secours dans les cataclysmes, elle remplit une fonction bien délimitée. Ce qu'elle vise dans tous les cas, ce n'est rien d'autre qu'assurer A  l'individu les moyens de subsister, et cette idée rassemble l'assurance maladie, l'assurance invalidité, les primes de chômage, les retraites de vieillesse, les allocations familiales, par quelques mécanismes que ces risques soient couverts. La sécurité sociale est institutionnelle ; elle a pour objet le maintien d'un revenu individuel ou familial suffisant aux besoins essentiels. Cette analyse dissout l'expression ambiguA«. La sécurité sociale est la garantie de la subsistance économique des personnes par l'action collective organisée.
Ainsi entendue, elle comporte un certain nombre d'options, morales, économiques, politiques. Elle ne se développe sans réticence que si la conscience collective prend une vue claire des valeurs qu'elle représente, déblaie les difficultés ou les objections que suscitent d'autres valeurs reA§ues. Impose-t-elle un renoncement A  ces autres valeurs ; ou au contraire une mise en place plus exacte, une délimitation des domaines, dissipe-t-elle l'apparence d'antinomie ?
Dans les ressorts moraux qu'elle propose A  l'action, la sécurité sociale tend A  substituer l'organisation A  l'initiative charile, l'obligation A  la simple faculté, la silité A  l'aventure. C'est dire qu'elle parait se heurter aux valeurs de la charité, de la liberté, du risque.
Certains esprits conservateurs ou religieux se laissent parfois aller au regret que l'organisation administrative de l'assistance, les hôpitaux publics, et plus encore un système compréhensif de sécurité, suptent et éliminent l'admirable mouvement de charité qui animait les siècles chrétiens. Mais c'est lA  une confusion de s. La charité a un domaine propre, qui est illimité et d'où rien ne peut la chasser : c'est celui des disgraces, des deuils, des désespoirs. Le soulagement des souffrances physiques, des misères matérielles n'est pas sa vocation propre. Elle y est seulement supplétive. Entretenir l'inorganisation et la misère pour que de belles ames aient l'occasion de se dévouer, c'est imiter l'homme qui allume l'incendie pour montrer son courage A  l'éteindre. La charité est au service de la misère, et non la misère au service de la charité. L'objet de la charité est de soulager les autres, non de se sauver soi-mASme. Et la charité si elle est sincère doit souhaiter sa propre élimination d'un domaine où les droits de la personne humaine appellent l'idéal de la justice, où l'ordre de grandeur des besoins exige les techniques de l'action collective.
Or, la théorie de l'assurance fait ressortir que les risques emportent d'autant moins de frais qu'ils sont plus largement répartis. Cette considération justifie A  elle seule l'obligation A  tous d'AStre parties au système de la sécurité, d'échanger contre un versement certain et limité la couverture d'une perte incertaine mais sans limite.
Comme l'initiative charile est suptée par l'institution, la liberté semble sacrifiée A  ces obligations. Mais la liberté n'est pas la faculté d'agir A  sa fantaisie, de courir pour soi-mASme n'importe quel risque et d'y parer par ses voies propres, sans se soucier des intérASts et de l'action des autres. Quand l'action pour AStre efficace a besoin d'AStre générale et coordonnée, la liberté ne consiste pas A  refuser concours, mais A  coopérer délibérément. Les pensées peuvent s'opposer valablement, mais l'action qui s'inscrit dans le réel n'y peut réaliser la contradiction ; elle est nécessairement unique. La loi de l'action, passé la libre discussion des moyens, c'est la convergence des efforts pour accomplir la décision prise.

Au surplus, le risque n'est jamais limité A  celui qui prétend l'assumer. C'est pourquoi une analyse plus fine ésectiune l'antithèse entre la philosophie de l'aventure et du risque et la philosophie de la sécurité et de la silité. Reprocher A  l'idée de la sécurité sociale qu'elle endort l'effort, qu'elle dissout la hardiesse virile, qu'elle condamne les pionniers et les créateurs en répandant l'esprit du rentier ou du fonctionnaire, qu'elle tue A  la limite le progrès qu'elle prétend servir, c'est généraliser indûment un thème dont il ne convient pas de nier l'importance et la force. Mais il faut vérifier d'abord l'incidence finale du risque. Chacun a le droit de s'exposer sans que ce droit implique immédiatement un droit égal d'exposer les autres. Cette remarque ne vaut pas seulement au combat. Le banquier qui refuse orgueilleusement l'assurance des dépôts, sous prétexte qu'elle rend inutile sa science et sa prudence, ce sont les déposants qu'il lie A  la chance. Celui qui ne se soigne pas, contamine les autres ; celui qui hasarde sa fortune ne se condamne peut-AStre pas seul A  la misère, mais les siens aussi ou ceux qu'il emploie. Aussi est-il juste que le droit de risquer ne commence qu'après que ceux qui peuvent AStre entrainés involontairement soient assurés de ne pas manquer du nécessaire. Cette réserve n'est pas seulement équile, mais efficace. Au-delA  d'un minimum assuré, il reste encore assez d'incitations et d'occasions A  la recherche de voies nouvelles ou A  l'effort pour émerger. La philosophie du risque et celle de la sécurité, si elles sont restreintes chacune A  leur champ propre, se complètent au lieu de s'opposer. Il y a entre la sécurité et le risque une alliance subtile, analogue A  celle de l'habitude et de l'action volontaire ; et bien que l'habitude semble réduire peu A  peu la part de la volonté, sagement utilisée elle l'élargit, parce que la volonté, en s'en remettant A  l'habitude pour accomplir ce qu'elle sait faire, est libérée pour s'employer A  d'autres techniques ou d'autres conduites. Ainsi de la machine et de l'action humaine qu'elle libère. Il ne s'agit que d'éliminer les risques éliminables, c'est-A -dire inutiles, pour prendre librement ceux sans lesquels rien de grand ne peut AStre accompli. Bien plus, le nombre des hommes qui ne craindront pas l'engagement et l'aventure ne pourra que s'accroitre, dès lors qu'ils partent d'une base assurée et que, pour eux et autour d'eux, les besoins les plus urgents ne restent pas A  découvert.
Ainsi n'est-il pas si évident que la pression de la nécessité soit pour l'action économique le ressort le plus efficace. Une certaine philosophie orthodoxe ne voit pas de salut hors de ces lois d'airain : le progrès technique et les prix les plus bas ne sont assurés que par l'élimination des entreprises les moins adaptées ; vous ne mangerez que si vous pouvez travailler, ou que si vous avez épargné, ou vos parents pour vous. Ce monde économique sans ame, cette rigoureuse condition d'une production suffisante, on ne les veut tempérés que par des palliatifs extra-économiques, l'assistance, l'obligation alimentaire, la charité. La femme du capitaine d'industrie se fait dame patronesse.
Il n'est pas mASme nécessaire de sortir du mode de raisonnement économique pour apercevoir les limitations de ce naturalisme. L'ajustement de la production par l'élimination des entreprises qui n'ont pas su prévoir la demande est un procédé coûteux, qui comporte de grandes pertes matérielles et un grand gaspillage de forces. Le pur besoin et la crainte de mourir de faim ne suffisent pas A  tirer des hommes tout l'effort dont Us sont capables. Beve-ridge dit magnifiquement que le bétail peut AStre mené par la peur, mais que les hommes doivent AStre conduits par l'espérance. La psychologie économique ne se limite plus A  ressasser le mobile du plus grand gain monétaire. Le goût du travail bien fait, mais aussi la rancune et la haine, introduisent leurs grandeurs positives ou négatives dans le complexe du rendement humain. L'expérience des années de pénurie nous a assez enseigné que la nourriture, le vAStement, le logement, les commodités de la vie exercent sur la productivité une influence décisive.
Aussi n'est-ce pas seulement une exigence morale et des considérations sur l'ordre humain, mais la réflexion économique elle-mASme qui conduit A  réviser la notion du revenu. Selon les pays, les masses ont inégalement saisi la signification du revenu réel derrière le revenu monétaire. Mais l'attention au revenu réel sous-tend l'évolution des idées et des institutions. Non seulement la notion corrige les recettes en monnaie par le niveau des prix. Mais elle met en relief l'inégalité des biens obtenables sur des revenus nominalement égaux suivant les charges que chacun supporte. Elle permet d'introduire dans l'évaluation les prestations gratuites, les avantages en nature, les facilités ou les agréments accessoires, et mASme ces éléments non chiffrables et indéfiniment variés qui tendent A  diminuer la peine et le souci.

La révision du concept du revenu n'affecte pas seulement la théorie de la distribution, elle transforme la théorie mASme de la production. L'inhumaine conception du prix des services producteurs ne peut imposer sa logique jusqu'au bout. En fait, le niveau de vie est un facteur du rendement. Les revenus versés ou gagnés constituent A  leur tour la demande qui régit le volume de la production. Mais encore l'analyse mASme des coûts fait apparaitre la nature et la signification réelles des frais de production, que voilent les habitudes comples. L'équipement fixe des entreprises est tenu universellement pour un coût constant, c'est-A -dire que la dépense en doit AStre couverte mASme s'il ne produit pas, et que, mise A  part l'usure, elle ne varie pas avec la quantité produite. Mais la main-d'œue payée au temps, ou A  la pièce, est rangée parmi les frais proportionnels. Or la force de travail, comme la machine, doit subsister et AStre entretenue ; sa propre subsistance est pour l'ouier une charge fixe, la formation et l'entretien d'une force de travail est une charge fixe pour l'ensemble de l'économie. La pratique comple des entreprises opère inconsciemment un virement des coûts constants en coûts proportionnels ; elle laisse A  l'ouier le soin des ajustements nécessaires. Et les entreprises ou les industries qui ne pratiquent pas la formation professionnelle et ne subviennent pas aux besoins de leurs chômeurs répercutent sur la communauté une partie de leurs frais réels de production. Ainsi au cœur mASme de l'analyse des coûts, le revenu reprend son sens humain et s'identifie pour le théoricien comme pour la conscience populaire aux moyens de subsistance permanente de l'individu et de sa famille. L'idée d'un revenu de base ne s'oppose pas A  l'idée du prix d'une contribution productive, elle s'en déduit.
Cette critique de la notion du revenu rejoint la critique de la notion d'épargne ; la subsistance de l'ensemble de la communauté n'est pas seulement le but de la production, on voit qu'elle en constitue aussi le coût. Celle des producteurs, dans les moments ou A  l'age où ils ne peuvent plus travailler, est comprise dans le coût global de production. Proportionner leur sécurité A  leur épargne personnelle, ce n'est pas seulement une formule inhumaine, c'est les frustrer de leur dû.
L'esprit de l'individualisme est de considérer la sécurité personnelle comme une prime, dont l'effet ultime, par les efforts qu'elle suscite, sera de développer la richesse sociale. On prétend proportionner le gain A  la contribution productive ; on veut encore que chacun soit incité A  gagner assez pour pouvoir épargner, et A  épargner assez pour assurer ses vieux jours. Car cette épargne bénéficie A  la communauté parce qu'elle détermine une accumulation de capitaux qui accroit la productivité. Ainsi une relation réciproque apparait entre la sécurité et l'épargne, la sécurité fournit un mobile puissant A  l'épargne, et seule l'épargne semble rendre possible un surcroit de richesses qui, en finanA§ant la sécurité, permet de l'offrir A  quelques-uns.
Dans ce système on se consolera de l'idée qu'elle ne soit pas donnée A  tous ; les fins supérieures de la productivité ne permettent pas de vains regrets. On sait de reste comment l'injustice n'atteint pas seulement ceux qui ne peuvent épargner, mais aussi bien ceux qui épargnent. Ceux A  qui la sécurité était promise, ils se sont vus frustrés par les dépréciations monétaires. Voici donc l'épargne personnelle incapable d'assurer la sécurité personnelle ; ses bénéficiaires mASmes contraints A  souhaiter que d'autres moyens puissent AStre trouvés.
Ces épargnes, dont on admet qu'elles enrichissent la communauté, fournissent A  la théorie orthodoxe une justification de l'inégalité des revenus ; les mieux pourvus ne consomment pas tout ce qu'ils gagnent. Mais alors l'injustice est apparente. C'est reconnaitre sous une forme embryonnaire, dont la théorie moderne a tiré de toutes autres conséquences, la dépendance de l'épargne au niveau du revenu. C'est avouer que la sécurité fondée sur l'épargne personnelle ne peut AStre ouverte A  tous. Au surplus, si l'épargne libre ne nait que de l'inégalité des ressources, c'est une apologétique insoutenable que de justifier le service d'un intérASt comme le prix de l'abstinence ; les classes qui supportent l'abstinence, ce sont en fin de compte, non celles qui épargnent, mais celles qui n'obtiennent qu'une part du revenu social inférieure A  celle que leur aurait value une répartition plus égale.
Du moins cette épargne par les plus riches est-elle socialement efficace ? Il est clair qu'une telle méthode d'accumulation comporte un immense gaspillage, puisqu'avant de fournir une épargne les classes riches détournent l'industrie vers la production d'objets de luxe et d'une masse de choses inutiles. La nécessité de l'épargne ne peut AStre que la nécessité d'une épargne globale dans la collectivité, et elle peut AStre assurée plus économiquement par d'autres voies. Car il faut encore vérifier le lien entre les épargnes personnelles et cette épargne collective. Il est clair qu'elles ne se confondent pas. Un individu peut s'enrichir A  prASter son argent A  d'autres qui le consomment ; il peut placer son argent en achats de maisons ou de titres, et le vendeur dépenser l'argent reA§u ; il peut laisser dormir son argent dans un coffre. Ces prASts, ces transferts, cette thésaurisation sont bien une épargne individuelle, qui mASme, sous réserve de la silité monétaire, accroit la sécurité de celui qui la pratique, mais elle n'enrichit pas la collectivité.
Ainsi la réflexion économique chasse le jugement moral d'un domaine où il n'a rien A  faire. - Dans l'épargne, dit J.-M. Key-nes, le vice et la vertu n'ont pas de rôle. - Il faut pousser plus loin le renversement. L'épargne par elle-mASme n'est que le fait de ne pas consommer. En tant que telle, elle n'est donc rien de plus qu'une restriction de la demande ; elle peut aussi bien AStre la source d'une capacité de production inemployée, c'est-A -dire d'une réduction du revenu social et d'un appauissement stérile. Ce qui accroit la productivité, c'est seulement la construction effective de biens capitaux réels, c'est-A -dire l'investissement. Tant qu'il reste une capacité inemployée et de la main-d'œue disponible, l'investissement n'exige pas la restriction de la consommation. Au contraire le développement des industries d'équipement fournit un pouvoir d'achat supplémentaire qui accroit la demande dans les industries de consommation. Le surcroit d'investissement accroit directement et indirectement le revenu social jusqu'au point qui dégage une production supplémentaire non consommée qui le contrebalance. En ce sens l'investissement créé l'épargne et non pas inversement. Cette idée remet sur ses pieds la notion du financement.

Le financement de la production, c'est l'obtention d'un pouvoir d'achat qui permette de payer les ressources productives au cours du processus de production et d'attendre la vente du produit. Dans une économie qui a des stocks et une réserve de main-d'œue, un surcroit de production dans une branche ne retire rien aux autres industries ni A  la consommation du reste de la communauté. C'est seulement si la limite A  la création de richesses est dans l'insuffisance des moyens de production disponibles que le financement de l'investissement exige un transfert de moyens réels de subsistance, des détenteurs excédentaires aux producteurs de biens nouveaux. L'épargne a cessé d'AStre, et doit cesser d'AStre, la source unique de la sécurité personnelle. L'épargne cesse aussi d'apparaitre, et doit cesser d'apparaitre, comme la source unique du financement.
Le problème ai, c'est celui des biens réels. Cet axiome est A  double sens. La richesse sociale est une création continue, elle exige la production effective, c'est-A -dire que la demande soit égale A  la capacité de production, ou que la capacité de production rejoigne la demande. La première exigence, c'est celle du plein emploi, la seconde, celle du développement de l'économie. Dans cet éclairage, le problème de la sécurité sociale n'est que celui d'une production courante suffisante. Il s'agit de savoir si les producteurs auront le moyen ou l'occasion de créer assez de biens, et de fournir assez de services, pour couir en mASme temps que leurs besoins ceux des autres A  qui l'age, ou la maladie, ou le chômage refusent la possibilité de gagner leur vie. Le financement de la sécurité sociale, c'est l'accroissement du volume de la production joint au transfert d'une fraction des revenus monétaires de ceux qui les gagnent A  ceux qui sont dénués de ressources. Elle est une redistribution du revenu social. Le lien avec l'épargne est rompu.
Avec l'épargne individuelle d'abord. La sécurité sociale ne se proportionne pas comme la sécurité personnelle A  la richesse accumulée par l'individu. Ces prestations ne sont pas mASme mesurées aux cotisations versées par le bénéficiaire, mais A  l'échelle de ses besoins.
Avec l'épargne collective aussi bien. Une cotisation spéciale ou l'impôt général levés sur ceux qui gagnent réduisent leur revenu dépensable. Mais cette épargne forcée est dépensée en consommation par les bénéficiaires. L'épargne globale a la chance d'AStre moindre que si la sécurité sociale n'était pas élie dans la mesure où l'amputation des gros revenus et les versements aux classes paues conduisent A  la dépense en consommation de sommes qui auraient été épargnées. Dans une économie suréquipée qui souffre d'une insuffisance de la demande, la redistribution accroit la demande effective et l'utilisation de la capacité de production. La sécurité sociale et le plein emploi apparaissent en relation réciproque ; elle contribue A  fournir l'occasion A  ce surcroit de production qui en retour fournit le surcroit de revenu réel sur lequel elle s'appuie. Dans une économie sans abondance, la sécurité sociale doit fournir l'une des incitations majeures A  l'accroissement de la production et l'un des objectifs prioritaires dans l'orientation de la production.
Ces idées ouent une perspective heureuse : celle de la coïncidence entre les conditions d'une répartition plus humaine et celle d'une production plus abondante, celle de l'harmonie entre un surcroit de justice et un surcroit de richesse, celle de l'accord, qui après tout n'est que contingent, entre les exigences morales et les possibilités économiques. Nous avons essayé de situer la sécurité sociale parmi toutes les garanties que la collectivité peut donner A  la personne, d'ésectiuner les objections morales qui la combattent, de noter la révision des concepts économiques qu'elle comporte ; il reste A  définir l'idéal politique qu'elle propose.
D'abord une alliance entre le bonheur et la grandeur. Il faut maintenir que la sécurité sociale n'est pas premièrement sociale dans ses fins, mais dans ses moyens. La prise en charge par l'Etat des grandes pertes accidentelles, le secours aux villes incendiées, aux communes détruites par les glissements de terrain, aux régions dévastées par l'inondation et la sécheresse, aux rentiers ou aux entreprises ruinés par un krach financier, ne sont obligatoires que par l'ampleur du désastre ; mais A  chacun de se prémunir contre l'incendie, et chaque entrepreneur court le risque de mauvaises affaires en échange de l'espoir d'un profit. Au contraire, n'y eût-il qu'une famille dans le besoin, qu'un malade trop paue pour se soigner, qu'un vieillard A  l'abandon, une action publique serait obligatoire. Simplement elle ne serait pas nécessaire. C'est l'ampleur des besoins qui met en mouvement l'action collective, mais non qui la rend exigible. En retour, on voit aisément quel bénéfice la puissance nationale tire de cette politique sociale. La gratuité des soins médicaux assure la défense de la race : les allocations pour enfants tendent A  promouvoir la natalité. La nation n'exige pas le sacrifice de la personne, mais au contraire le développement de la personne par l'accomplissement de ces fins unanimes.

Telle est la seconde implication. La sécurité sociale n'est qu'une forme particulière et nettement définie des garanties que la collectivité offre A  ses membres. Mais elle s'inscrit A  nouveau dans un ensemble plus large, où elle rejoint la gratuité de l'éducation, l'accession A  la culture, au loisir, A  l'air pur. Beveridge la définit dans des termes d'une simplicité émouvante : - Que les hommes, mASme dans les moments où ils ne peuvent travailler, aient toujours de quoi payer le boulanger, le boucher, le charbonnier, le propriétaire, et le médecin, qu'aucun enfant n'ait froid ou faim, qu'aucun vieillard ne reste sans soins. - Mais il ne faut pas qu'aucun esprit reste en friche, qu'aucune ame soit écartée des sources vives de la culture, tenue aveugle aux œues de la civilisation. On aurait tôt fait de dresser la liste de ces exigences de notre commune humanité, qui constituent ce minimum social que notre temps peut donner A  tous les hommes.
Or la loi de l'échange ne suffit pas A  l'assurer. Il est ai que pour la collectivité le développement de l'instruction, des soins médicaux, des loisirs ornés, constitue une valorisation décisive du capital humain ; mais elle ne peut s'évaluer en chiffres, s'amortir sur une période donnée. Il est ai que les études offertes A  tous révéleront quelques hommes dont l'action eût été perdue, et sera déterminante en quelque secteur de l'immense labeur commun. Mais c'est un placement trop aléatoire et d'un rendement trop diffus pour que tout autre que la communauté elle-mASme puisse miser sur cette productivité de surcroit. Il faut faire trop long crédit.
Aussi ce minimum social de la santé, du loisir, de l'étude, du revenu de base appartient-il au domaine des valeurs, celles qu'il importe A  tout prix de soustraire A  la loi du marché. Car elles sont d'une autre nature, et c'est les dégrader que d'en élir l'équation comple. Elles sont de l'ordre de ces dépenses dont la destination n'est pas de produire de l'argent ni des satisfactions matérielles, mais de faire des hommes.
Et il n'est pas plus permis de proportionner le droit de subsister A  la capacité de fournir présentement un service monnayable, que de subordonner le droit A  la santé ou aux études A  la disposition des moyens, gagnés ou reA§us, d'en payer le prix. Cet impératif se situe au-delA  du débat sur l'égalité ou l'inégalité des hommes. Beveridge fait bien apparaitre comment l'apparente antinomie entre les nécessités de l'organisation économique et les exigences de la liberté se résout sitôt que l'analyse dissout ce complexe et met A  part, une A  une, les libertés essentielles. Ainsi en va-t-il de l'égalité.
Il est vain d'arguer qu'il n'y a pas d'égalité dans la nature, que les animaux ne sont pas également forts, que la naissance dispense inégalement l'esprit ou la beauté. L'inférence de la nature A  la politique n'est pas valable ; sans quoi la force deait éternellement l'emporter sur l'intelligence et la justice. Elle présuppose l'évolution linéaire, elle exclut les infléchissements, les renversements du pour au contre. Tout semble indiquer que la signification de l'ordre humain, c'est de corriger l'ordre naturel au bénéfice des valeurs supérieures de la connaissance et de l'amour.
Encore ce nihilisme inconscient assume-t-il que l'inégalité sociale n'est précisément rien d'autre que l'inégalité naturelle. L'injustice criante au contraire, c'est celle qui réserve les études ou les places A  quelques-uns, sans rapport A  leurs dons ou A  leurs mérites. L'enfant mal nourri ou écarté des études, voilA  bien la condamnation sans preuves. Une alimentation saine et suffisante, de l'air pur, une instruction, cette égalité des chances donnée aux corps et aux esprits, ne voile pas l'inégalité naturelle, c'est elle seule qui peut la faire apparaitre. Est-il rien de moins naturel et qui repose sur plus de circonstances historiques, le hasard, l'institution, que l'inégalité des fortunes ?
Il faudrait encore distinguer entre ces égalités au départ, qui sont la condition d'une inégalité bien fondée, et qui permettent A  la communauté de dégager ses élites valables, et l'égalité foncière qui veut qu'aucun homme ne soit sacrifié ou abandonné, et qui se lie A  des besoins universellement ables. Réunies elles constituent ces égalités essentielles, qu'il n'est pas permis de refuser, devant la souffrance, devant l'instruction, devant la santé, devant la mort. Il n'est pas indispensable que tous les hommes soient également riches, il est contradictoire qu'ils aient tous un égal pouvoir, comme il n'est pas possible, et cette inégalité-lA  n'est pas souvent de mASme sens que les autres, qu'ils soient tous également heureux. Mais aucune dialectique n'est nécessaire pour affirmer le droit de vie.



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