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DROIT

Le droit est l'ensemble des règles générales et abstraites indiquant ce qui doit être fait dans un cas donné, édictées ou reconnues par un organe officiel, régissant l'organisation et le déroulement des relations sociales et dont le respect est en principe assuré par des moyens de contrainte organisés par l'État.


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Essais sur le politique (i986)

L'ouvre de Claude Lefort doit AStre lue comme une interrogation essentielle sur l'état, aussi bien A  travers les différentes formes qu'il a connues au cours de l'histoire que dans les problèmes contemporains qu'il rencontre et notamment, la bureaucratie.
Dans l'article "Les droits de l'homme et l'état-Providence" dont nous proposons un large extrait ici, Claude Lefort examine la question des droits de l'homme (celle de leur origine, de leur leur et de leur évolution) dans le cadre de l'opposition, désormais traditionnelle, entre l'état "libéral", celui du fameux "laissez-faire, laissez-passer", et l'état-Providence, celui de nos sociétés occidentales développées, où l'état s'illustre dans un rôle d'assistance et de protection : la raison d'AStre de l'état qui fut longtemps de garantir par son autorité le respect des droits de l'homme n'est-elle pas dépassée parce que les droits de l'homme sont eux-mASmes une notion périmée ? L'état moderne n'est-il pas devenu un état gestionnaire, indépendant de toute orientation et finalité politiques ?
Ces questions appellent un retour A  l'origine des droits de l'homme, au sens qu'ils aient lors de leur institution pendant la Révolution franA§aise : ainsi Lefort s'élève-t-il contre l'interprétation de Marx dans la Question juive "faisant des droits de l'homme un travestissement de l'égoïsme bourgeois" comme il combat "l'interprétation, communément répandue, qui réduit les droits de l'homme aux droits individuels et, du mASme coup, ramène la démocratie A  la seule relation qu'entretiennent ces deux termes, l'état et l'individu". L'enjeu de l'interprétation des droits de l'homme est considérable puisqu'il s'agit du sort de la démocratie et du rôle de l'état comme garant et producteur de ces droits. Or la nouveauté de la Déclaration des droits de l'homme, c'est sans doute moins la positivité des droits qu'elle énonce que l'instauration d'un nouveau type de légitimité pour l'homme, affranchie de tout naturalisme et de toute référence A  une norme transcendante. Ce qu'il y a de radicalement nouveau et qui définit l'essence de la démocratie, c'est l'interrogation sur la légitimité, sa recherche incessante, et par lA  le refus de tout ordre extérieur A  l'homme qui lui imposerait sa légitimité. L'affirmation de nouveaux droits au cours des deux siècles passés prouve assez qu'ils sont les réponses politiques et juridiques aux questions nouvelles que posent la société civile et l'état et non les manifestations d'une essence éternelle de la nature humaine.

() Or ma conviction demeure que nous n'avons quelque chance d'apprécier le développement de la démocratie et les chances de la liberté qu'A  la condition de reconnaitre dans l'institution des droits de l'homme les signes de l'émergence d'un nouveau type de légitimité et d'un espace public dont les individus sont autant les produits que les instigateurs ; A  la condition de reconnaitre, simultanément, que cet espace ne saurait AStre englouti par l'Etat qu'au prix d'une mutation violente qui donnerait naissance A  une nouvelle forme de société.
Qu'on me permette donc de revenir brièvement sur l'interprétation de la Déclaration de 1791, car celle-ci me parait infumer la conception que je viens de mentionner.
Après avoir proclamé la fin des distinctions sociales (art. I), la Déclaration énonce, parmi les droits imprescriptibles, la résistance A  l'oppression (art. 2) ; elle spécifie ensuite que le principe de toute souveraineté réside dans la nation. - Nul corps, nul individu, ajoute-t-elle, ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément - (art. 3). Puis, faisant de la loi l'expression de la volonté générale, elle précise : - Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement ou par leurs représentants A  sa formation -. Sans doute la Déclaration se laisse-t-elle guider par l'idée de droits naturels, de droits qui résideraient en chacun. Elle parle de la société politique, on le sait, comme d'une - association politique - et lui donne pour but la consertion de ces droits naturels. Mais comment ne pas voir que, sous le couvert de ce langage, elle fait usage de notions dont le sens ne se dévoile qu'en regard de celles qui étaient au principe de l'ancien ordre politiques, l'ordre de la monarchie. La souveraineté, la nation, l'autorité, la volonté générale, la loi qui en est jugée l'expression, sont présentées de telle manière qu'elles s'avèrent soustraites A  toute appropriation. La souveraineté est dite résider dans la nation, mais celle-ci, nul ne peut désormais l'incarner ; de mASme, l'autorité ne peut s'exercer que suint des règles qui garantissent qu'elle se trouve légitimement déléguée ; la volonté générale se fait connaitre dans la loi, dont l'élaboration implique la participation des citoyens.
Cet ensemble de propositions, remarquons-le, détient sa cohérence, indépendamment de toute référence A  une nature de l'homme, indépendamment de l'idée que chaque individu détient A  sa naissance des droits inaliénables. Cette cohérence est assurée par le principe de la liberté politique. Certes, ce que nous nommons en termes positifs - liberté politique - peut s'appeler - résistance A  l'oppression -. Et il est vrai que ce dernier concept est rangé avec la liberté, la propriété et la sûreté dans la catégorie des droits naturels et imprescriptibles de chacun, des droits que toute association politique a pour but de conserver. Mais, une fois encore, il faut garder A  l'esprit ce que fait advenir, dans l'effectivité du réel, le principe d'une telle résistance. Les Constituants l'enracinent dans la nature de l'homme, soit ! Mais ils le formulent A  rencontre d'un régime où le pouvoir dénie A  ses sujets la faculté de s'opposer A  ce qu'ils jugent illégitime et prétend détenir le droit de contraindre A  l'obéissance. En bref, la formulation des droits de l'homme, A  la fin du XVIIIe siècle, est inspirée par une revendication de liberté qui ruine la représentation d'un pouvoir qui serait situé au-dessus de la société, disposerait d'une légitimité absolue ' soit qu'il procède de Dieu, soit qu'il représente la suprASme sagesse ou la suprASme justice ', enfin, qui serait incorporé dans le monarque ou l'institution monarchique. Ces droits de l'homme marquent une désintrication du droit et du pouvoir. Le droit et le pouvoir ne se condensent plus au mASme pôle. Pour qu'il soit légitime, le pouvoir doit désormais AStre conforme au droit, et, de celui-ci, il ne détient pas le principe.
On nous dit que la liberté, la propriété, la sûreté, étant des droits des individus. L'état acquiert la fonction de les protéger, et que dans cette fonction se signale déjA  la virtualité de sa puissance ' une puissance bientôt décuplée par l'essor de nouveaux droits ' puisque sa neutralité apparente, sa position de garant ou d'arbitre font qu'il se développe sans paraitre faire autre chose que répondre A  l'attente des citoyens ; c'est passer sous silence, je l'ai déjA  noté, cet autre phénomène : une affirmation du droit qui a pour effet de récuser la toute-puissance du pouvoir
Je ne confonds pas les droits et les opinions. Cette confusion me parait au contraire, comme je is le dire, caractéristique d'une perversion de la notion de droit. Mais mon premier souci est de faire reconnaitre un espace public, toujours en gestation, dont l'existence brouille les frontières convenues entre le politique et le non-politique. De ce point de vue, la distinction entre société civile et état, A  laquelle je me suis moi-mASme référé, ne rend pas entièrement compte de ce qui advient avec la formation de la démocratie. Disons qu'elle n'est pertinente qu'A  la condition de ne pas la concevoir comme une pure division. Marx, on s'en souvient, la formulait ainsi. Il opposait au modèle de la société féodale, dans laquelle les rapports politiques lui paraissaient imbriqués dans les rapports socio-économiques, le modèle de la société bourgeoise, dans_laquelle la sphère du politique, tendant A  coïncider avec celle de l'état, se trouverait scindée d'une sphère proprement civile caractérisée par le morcellement des intérASts et les conflits entre leurs agents. Il n'oubliait qu'une chose, c'est que la monarchie d'Ancien Régime ait largement détruit le système féodal et que l'état détenait déjA  le principe de l'autorité ant d'AStre en mesure d'en faire jouer efficacement tous les ressorts. Ce qu'il nomme la société bourgeoise se distingue certes par un renforcement de la puissance étatique, mais non moins par le système représentatif, par l'obligation faite au gouvernement d'émaner de l'ensemble social. Ces deux traits ne sont sans doute pas dissociables ; quoiqu'on puisse mettre l'accent sur l'un plutôt que l'autre, ils ne peuvent AStre analysés séparément
Or, convenons que l'on méconnait trop souvent la portée d'une constitution aux termes de laquelle l'autorité publique s'élit, s'exerce et se renouvelle périodiquement sous l'effet d'une compétition politique et, A  travers elle, des conflits qui s'expriment dans la vie sociale. L'efficacité de la représentation se trouve, il est vrai, contrariée par la permanence d'un appareil d'état dont la complexité ne cesse de s'accroitre, de telle sorte qu'on est tenté de la négliger. Mais il faut résister A  ce mouvement
Remarquons-le : la formation d'un pouvoir de type totalitaire, délivré de la compétition, signifie non seulement la fin des libertés politiques, mais celle mASme des libertés civiles.
Impossible donc de s'en tenir aux termes d'un raisonnement qui ne prend en compte que l'état et la société civile. Celle-ci (si nous voulons conserver le terme) s'inscrit elle-mASme dans une constitution politique, elle a partie liée avec le système de pouvoir démocratique. En outre, quelles que soient l'étendue et la complexité de l'appareil d'état, on le voit impuissant A  s'unifier, tant que chacun de ses secteurs reste soumis aux pressions des catégories particulières d'administrés ou d'acteurs sociaux qui défendent l'autonomie de leur sphère de compétence, et tant que la logique de la gestion que cherchent A  faire préloir les fonctionnaires se heurte A  la logique de la représentation qui s'impose aux autorités élues. Bref, la mASme raison fait que l'état ne peut se refermer sur lui-mASme pour devenir le grand organe qui commanderait tous les mouvements du corps social, et que les détenteurs de l'autorité politique demeurent contraints de remettre en jeu le principe de la conduite des affaires publiques.
C'est A  ce point de mon argument que je rencontre A  nouveau la question placée au centre de notre débat. Il n'a pas tendu A  l'annuler, mais A  la reformuler de manière A  la soustraire A  une réponse qui éluderait ses implications politiques. J'admets en effet que les nouveaux droits qui surgissent A  la faveur de l'exercice des libertés politiques contribuent A  accroitre la puissance réglementaire de l'état.
Dantage : il m'apparait que le système politique se prASte lui-mASme A  cette évolution. De fait, les partis et les gouvernements accueillent des revendications qui leur semblent populaires pour accréditer leur légitimité : ils font modifier en conséquence la législation ; celle-ci donne a l'administration de nouvelles responsabilités qui vont de pair avec de nouveaux moyens de contrôle et de nouvelles occasions de coercition, soit ! Toutefois ne nous arrAStons pas A  ce constat. Pour qu'il y ait une inscription juridique de nouveaux droits, il ne suffit pas que telle ou telle revendication ait rencontré des oreilles complaisantes au sommet de l'état. Encore a-t-il fallu qu'elle bénéficie d'abord ' mASme lorsqu'elle ne concernait qu'une catégorie de citoyens ' de l'accord au moins tacite d'une importante fraction de l'opinion publique, bref qu'elle s'inscrive dans ce que nous nommions l'espace public. Certes, on ne doit pas sous-estimer l'articulation de la force et du droit ' que la force surgisse d'intérASts susceptibles de mobiliser d'efficaces moyens de pression ou qu'elle se fonde sur le nombre. Mais une des conditions du succès de la revendication réside dans la conviction partagée que le droit nouveau est conforme A  l'exigence de liberté dont témoignent les droits déjA  en vigueur. Cest ainsi qu'au XIXe siècle, le droit d'association des trailleurs ou le droit de grève, tout en résultant d'un changement dans les rapports de forces, se sont fait reconnaitre, auprès de ceux-lA  mASmes qui n'en étaient pas les instigateurs, comme une extension légitime de la liberté d'expression ou de la résistance A  l'oppression. C'est ainsi encore qu'au XXe siècle, le vote des femmes ou nombre de droits sociaux et économiques apparaissent A  leur tour comme un prolongement des droits primitifs, ou les droits dits culturels comme un prolongement du droit A  l'instruction. Tout se passe comme si les droits nouveaux s'avéraient rétrospectivement faire corps avec ce qui ait été jugé constitutif des libertés publiques.
Mais observons qu'un tel sentiment anime d'abord ceux qui prennent l'initiative de la revendication. En la formulant, ils défendent certes leurs intérASts, mais ils ont aussi conscience d'AStre victimes, plus que d'un dommage, d'un tort, tant que leur parole n'est pas entendue.
Cette obsertion mérite d'AStre bien pesée. L'appréhension démocratique du droit implique l'affirmation d'une parole ' individuelle ou collective ', qui, sans trouver sa garantie dans les lois élies, ou dans la promesse d'un monarque, fait loir son autorité, dans l'attente de sa confirmation publique, en raison d'un appel A  la conscience publique. En in négligerait-on la nouveauté du phénomène. Une telle parole, si intimement liée soit-elle A  une demande adressée A  l'état, en demeure distincte. A cet égard, la référence au régime totalitaire nous instruit une fois encore. Celui-ci, remarquions-nous, ne fait pas place au modèle de l'état-Providence ; cela ne l'empASche pas de prendre mille mesures concernant l'emploi, la santé publique, l'éducation, le logement, les loisirs, pour tenir compte de certains besoins de la population. Mais ce ne sont pas A  proprement parler des droits dont il se fait le garant. Le discours du pouvoir suffit, il ignore toute parole qui sort de son orbite. Ce pouvoir décide, il octroie ; toujours arbitraire, il ne cesse de faire le tri entre ceux A  qui il concède le bénéfice de ses lois et ceux qu'il en exclut. Maquillées en droits, ce ne sont jamais que des fournitures que reA§oivent les individus, traités qu'ils se voient en dépendants et non en citoyens.
A considérer ce qui fait le ressort du droit en démocratie, nous serions donc tentés de juger impossible de trancher entre ceux qu'on tient pour fondamentaux ' qui ont vu le jour sous le nom de droits de l'homme ' et ceux qui s'y sont ajoutés au fil des temps. Et, en un sens que je is préciser, je crois qu'il en est bien ainsi.
Est-ce A  dire que l'on doive échanger une thèse naturaliste contre une thèse historiciste ? Il importe bien plutôt de récuser ces deux dénominations. L'idée d'une nature de l'homme, si vigoureusement proclamée A  la fin du XVIIIe siècle, n'a jamais donné le sens de l'ouvrage qu'inauguraient les deux grandes Déclarations, américaine et franA§aise. Celles-ci, en ramenant la source du droit A  renonciation humaine du droit, faisaient de l'homme et du droit une énigme. Par-delA  leurs énoncés, elles faisaient reconnaitre le droit A  avoir des droits (selon une expression que j'emprunte A  Hannah Arendt, mais dont elle fait un autre usage), libérant ainsi une aventure dont le cours est imprévisible. Ou, en d'autres termes, la conception naturaliste du droit a masqué l'extraordinaire événement que constituait une déclaration qui était une autodéclaration, c'est-A -dire une déclaration dans laquelle les hommes, A  travers leurs représentants, s'avéraient AStre simultanément les sujets et les objets de renonciation, dans laquelle, tout A  la fois, ils nommaient l'homme en chacun, ils - se parlaient - eux-mASmes, aissaient les uns dent les autres, et, ce faisant, s'érigeaint en témoins, en juges les uns des autres.
Dans cet événement, l'on ne saurait isoler la représentation de la nature de l'homme ; quoiqu'elle se distingue, elle n'est pas détachable de l'assignation A  soi du - naturel - ' le soi, si j'ose dire, étant A  la fois individuel, pluriel et commun ; A  la fois indiqué dans chacun, dans la relation de chacun avec chacun, et dans le peuple. La mASme raison nous interdit donc de fixer la notion de nature humaine de faire de celle-ci une nature en soi sinon A  verser dans l'imaginaire, ' et de souscrire A  une critique des droits de l'homme qui prétendrait, sous le prétexte de ramener de la fiction A  la réalité ' annuler leur portée universelle. Le procès de naturalisme, tel qu'il fut conduit par des penseurs aussi différents que Burke et Marx, en invoquant la réalité historique, ignore paradoxalement ce qui advient d'absolument neuf, sous le couvert de l'affirmation de l'homme, de l'illusion philosophique qui efface les hommes - concrets - au profit d'un AStre abstrait. Ni l'un ni l'autre ne perA§oivent, en effet, ce que l'idée des droits de l'homme récuse : la définition d'un pouvoir détenteur du droit, la notion d'une légitimité dont le fondement serait hors des prises de l'homme, et, du mASme coup, la représentation d'un monde ordonné A  l'intérieur duquel les individus se trouvent - naturellement - classés. Tous les deux, prenant pour cible l'abstraction de l'homme sans détermination, dénoncent l'universel fictif de la Déclaration franA§aise, en méconnaissant ce qu'elle nous lègue : l'universalité du principe qui ramène le droit A  l'interrogation du droit. Cette dernière formule ne se laisse pas annexer par l'historicisme ; elle fait entendre que l'institution des droits de l'homme est beaucoup plus ce que nous venons d'appeler un événement ' quelque chose qui apparaitrait dans la poussée du temps et serait voué A  se perdre en elle : un principe surgit auquel on ne peut désormais que faire retour pour déchiffrer l'individu, la société et l'histoire.
Cependant, juger que la naturalisme et l'historicisme sont deux versants également impraticables pour une pensée des droits de l'homme, voilA  qui ne simplifie pas, mais ne fait que compliquer les données du problème. Nous ne pouvons, semble-t-il, ni dire que les premiers droits nous font toucher le roc, puisque nous renonA§ons A  la croyance en une nature de l'homme ; ni dire que tous les droits conquis ultérieurement composent avec eux une chaine dont chaque maillon porte pareillement la marque des circonstances, puisque nous découvrons dans l'institution des premiers droits une fondation, l'émergence d'un principe d'universalité. Et nous ne pouvons non plus tracer une ligne de clige entre les premiers droits et les nouveaux droits, puisque nous reconnaissons que ceux-ci se sont étayés sur ceux-lA .
Mais la complication me parait nécessaire et elle a le mérite de ne pas nous faire perdre de vue la distinction que nous devons sans cesse interroger entre régime démocratique et régime totalitaire. Cette distinction serait A  tort traduite, dans les termes de la philosophie classique, comme celle d'un régime réglé par des lois et d'un régime sans lois, d'un régime où le pouvoir est légitime et d'un régime où il est arbitraire.
Comme l'a très justement observé Hannah Arendt, le totalitarisme se caractérise bien par le mépris des lois positives, mais il s'agence néanmoins sous le signe de la loi, celle-ci étant fantastiquement affirmée, en conjonction avec le pouvoir, comme au-dessus des hommes, dans le temps mASme où elle se trouve posée comme loi du monde humain, ramenée du ciel sur la terre.
Ce qui distingue la démocratie, c'est que si elle a inauguré une histoire dans laquelle s'abolit la place du réfèrent d'où la loi gagnait sa transcendance, elle ne rend pas, pour autant, la loi immanente A  l'ordre du monde ni du mASme coup, ne confond son règne avec celui du pouvoir. Elle fait de la loi ce qui, toujours irréductible A  l'artifice humain, ne donne sens A  l'action des hommes qu'A  la condition qu'ils la veuillent, qu'ils l'appréhendent, comme la raison de leur coexistence et la condition de possibilité pour chacun de juger et d'AStre jugé. Le partage entre le légitime et l'illégitime ne se matérialise pas dans l'espace social, il est seulement soustrait A  la certitude, dès lors que nul ne saurait occuper la place du grand juge, dès lors que ce vide maintient l'exigence de savoir. Autrement dit, A  la notion d'un régime réglé par des lois, d'un pouvoir légitime, la démocratie moderne nous invite A  substituer celle d'un régime fondé sur la légitimité d'un débat sur le légitime et l'illégitime ' débat nécessairement sans garant et sans terme. Tant l'inspiration des droits de l'homme que la diffusion des droits A  notre époque témoignent de ce débat.
Mais, si nous admettons que celui-ci tient A  l'essence de la démocratie, peut-AStre sommes-nous mieux armés pour circonscrire la portée symbolique des droits énoncés dans les premières Déclarations, sans rien céder A  l'opposition du naturalisme et de l'historicisme, et sans méconnaitre la continuité de ce qui s'affirme depuis l'origine jusqu'A  nos jours.
En effet, les libertés proclamées A  la fin du XVIIIe siècle ont ceci de singulier qu'elles sont indissociables de la naissance du débat démocratique. Dantage : elles en sont génératrices. Il nous faut donc admettre que lA  où elles n'existent pas, on en chercherait en in la première pierre. En renche, quoiqu'ils ne soient pas contingents, les droits économiques, sociaux et culturels peuvent cesser d'AStre garantis, voire reconnus (je ne vois, au reste, nulle part, ni dans l'Angleterre de Mrs Thatcher ni dans l'Amérique de Reagan, qu'ils soient anéantis dans leur principe), la lésion n'est pas mortelle, le processus reste réversible, le tissu démocratique est susceptible de se refaire, non seulement A  la faveur de circonstances favorables A  l'amélioration du sort du plus grand nombre, mais du fait mASme que sont préservées les conditions de la protestation.
J'entends bien ce qu'on objectera. Les libertés demeurent formelles quand elles se combinent avec la pauvreté, l'insécurité de l'emploi, le dénuement dent la maladie. Mais l'argument me parait insoutenable. Appliqué aux sociétés occidentales, il néglige le fait que ces libertés formelles ont rendu possibles des revendications qui ont réussi A  faire évoluer la condition des hommes. Il passe sous silence le statut de ces libertés premières qui résultèrent du droit d'association des trailleurs et au droit de grève, lesquels A  la fois font corps avec les premiers droits acquis, au point que leur suppression impliquerait A  présent la destruction de la démocratie, et avec les droits économiques et sociaux.
En outre, appliqué aux sociétés dans lesquelles une partie misérable de la population est A  présent la victime d'une exploitation sauge, cet argument n'est que trop facile A  retourner contre ceux qui l'invoquent. A quoi bon, demandent-ils, parler des droits de l'homme A  leur propos ? Il s'agit d'un luxe que ne sauraient convoiter des hommes qui font face au drame de la pénurie ou de la famine, des épidémies ou de la mortalité infantile. Ils oublient seulement que les opprimés se voient lA  refuser la liberté de parler, la liberté de s'associer, et souvent la liberté mASme de mouvement, c'est-A -dire tout ce qui leur donnerait les moyens légitimes et efficaces de la protestation et de la résistance A  l'oppression. Et l'expérience n'enseigne que trop clairement combien le mépris des droits de l'homme incite les prétendus révolutionnaires soit A  édifier des régimes de type totalitaire, soit A  en rASver. Ce mépris couvre au plus profond le refus, opposé aux individus, aux communautés paysannes, aux ouvriers et aux peuples en général, du droit A  avoir des droits.
Il est vrai que lorsque nous soutenons que la démocratie élit la légitimité d'un débat sur le légitime et l'illégitime, nous touchons au cour de la difficulté. Ce principe laisse en effet supposer que ce qui est désormais légitime est ce qui est jugé tel ici maintenant. Or, quel est le critère du jugement ? On peut certes répondre qu'il réside dans la conformité du droit nouveau A  l'esprit des droits fondamentaux. Nous-mASmes le suggérions ; le sentiment de cette liaison guide A  la fois ceux qui se sont faits ou se fond les défenseurs de revendications inédites, l'opinion publique qui les agrée et les instances qui leur donnent un débouché juridique. Néanmoins, la réponse ne délivre pas du doute. Les droits fondamentaux, s'ils sont constitutifs d'un débat public, ne sauraient se résumer A  une définition, telle que l'on puisse s'accorder universellement sur ce qui leur est ou non conforme, soit dans la lettre soit dans l'esprit. L'évidence fait toujours défaut. Ainsi se trouverait-on exposé A  la conclusion que ce qui est jugé ici et maintenant légitime ne peut l'AStre qu'en vertu du critère de la majorité. Mais, pour nous rallier A  cette thèse, il faudrait que nous ayons oublié ce que nous venons de dire, A  savoir que le droit ne saurait apparaitre comme immanent A  l'ordre social, sans que déchoie l'idée mASme du droit. Le paradoxe que le droit est dit par les hommes ' que cela mASme signifie leur pouvoir de se dire, de se déclarer leur humanité, dans leur existence d'individus, et leur humanité dans leur mode de coexistence, leur manière d'AStre ensemble dans la cité ' et que le droit ne se réduit pas A  un artifice humain, ce paradoxe a été perA§u dès le début du XIXe siècle, non seulement par des libéraux résolument hostiles A  l'instauration de la démocratie, mais par des penseurs tels que Michelet ou Quinet, aussi attachés A  la souveraineté du peuple ' qu'implique A  leurs yeux le progrès économique et social ' qu'A  la souveraineté du droit.
La légitimité du débat sur le légitime et l'illégitime suppose, répétons-le, que nul n'occupe la place du grand juge. Précisons : nul, c'est-A -dire ni un homme, investi d'une autorité suprASme, ni un groupe, fût-il la majorité. Or, la négation est opérant : elle supprime le juge, mais rapporte la justice A  l'existence d'un espace public ' un espace tel que chacun est suscité A  parler, A  entendre, sans AStre assujetti A  l'autorité d'un autre ; que ce pouvoir qui lui est donné, il est induit A  le vouloir. C'est la vertu de cet espace, toujours indéterminé, car il n'est la propriété de personne, mais seulement A  la mesure de ceux qui se reconnaissent en lui et lui donnent sens, de laisser se proer le questionnement du droit. Qu'en fonction de celui-ci une majorité se forme, ici et maintenant, qui livre une réponse tenant lieu de vérité, aucun artifice ne saurait l'empAScher. Et qu'un homme, fût-il seul, soit en droit de dénoncer la nité ou le tort de cette réponse, voilA  seulement qui confirme l'articulation de la liberté et du droit, l'irréductibilité de la conscience du droit A  l'opinion : la majorité, non l'espace public, se révèle alors éventuellement en défaut. La dégradation du droit ne réside pas dans les erreurs de la majorité, elle résulterait de celle de l'espace public lui-mASme, s'il s'avérait qu'en l'absence du débat qui lui est attaché, une opinion massive, compacte, constante, décidait dans la nuit, au lieu que des majorités se fassent et se défassent, et que les péripéties de l'échange et du conflit entretiennent l'inquiétude et l'heureuse division des convictions.
Posons donc la question : cet espace, est-il ou non en train de se rétrécir, voire de dépérir ? Ou, comme certains le prétendent, n'est-il plus déjA  qu'un simulacre, dont l'Etat se sert pour accréditer ses titres démocratiques ? Ne voyons-nous plus qu'une opinion qui se gonfle, se ramasse sur elle-mASme, s'arrondit pour s'ajuster A  la prise d'un pouvoir tout-puissant ? Posons-la, cette question, mais convenons qu'elle est une question de politique et qu'il serait outrecuidant de trancher dans un sens ou dans un autre.
Le paradoxe dont j'ai parlé et que je crois tenir A  l'essence de la démocratie se trouve A  notre époque formidablement accentué par la pénétration, dans ce qui s'institua autrefois comme l'espace public, d'une masse qui en était exclue. Or, comment apprécier sûrement les effets de ce changement ? A coup sûr, la position toujours plus forte de l'état comme garant des droits sociaux, économiques et culturels tend A  réduire la légitimité du droit A  la sanction donnée aux opinions par une instance dans laquelle parait se condenser le pouvoir social ; tandis que, réciproquement, les opinions tendant toujours dantage A  trouver leur dénominateur commun, en dépit de ce qu'elles émanent de catégories différentes, dans l'attente de cette sanction, se voient virtuellement légitimées pourvu qu'elles disposent de la force du nombre.
Nul doute, A  mes yeux, quant A  la lidité de cette obsertion. Mais elle ne doit pas dissimuler que l'intervention des masses dans l'espace public, loin de l'anéantir, en a considérablement étendu les limites et multiplié les réseaux. Le néo-libéralisme contemporain (qui regagne un étonnant prestige A  notre époque) ne veut rien savoir du sens de cette aventure, ancré qu'il demeure dans une théorie de l'élite qui s'entretenait de l'éviction du droit A  la parole des couches les plus nombreuses et notamment les plus pauvres de la société. Il rend ainsi aveugle dent les problèmes que nous affrontons A  présent, car aucun retour en arrière n'est conceble dans le cadre de la démocratie. Et il nous rend aussi stupides dans la défense de la cause du droit, car on ne peut séparer la généralisation du droit A  la parole de la diffusion du sens du droit dans la société. Autant importe-t-il de s'interroger sur les effets des droits nouveaux, de déceler ce qu'ils ont d'ambigu, ou bien encore de chercher A  repérer la juste distinction du droit et de l'opinion, que beaucoup perdent de vue, autant parait-il in de nier que, pour des millions de gens, l'obéissance muette A  des normes qui n'aient pour elles que de satisfaire aux exigences d'une minorité, ou d'entretenir sur de multiples registres une position de domination, a cédé dent la mise en question du légitime et de l'illégitime.
Qu'on songe, par exemple, aux revendications qui sont A  l'origine d'une nouvelle condition de la femme. Qui jugerait de bonne foi qu'elles témoignent seulement d'un changement dans l'opinion, qu'elles sont guidées par une simple demande de bien-AStre ? Le débat sur la contraception notamment, ou sur l'avortement, a mis en jeu une idée de la liberté que certains peuvent certes contester, mais qui touche A  l'essence de l'individu, des rapports interpersonnels et de la vie sociale. Soit, cet exemple est le plus éloquent. Mais qu'il s'agisse de droits aussi divers que celui des salariés, privés de leur emploi, ou celui des entrepreneurs, affrontés A  des difficultés de gestion, celui des assurés sociaux, celui des immigrés, celui des détenus, celui des objecteurs de conscience, celui des militaires (qui sont aujourd'hui privés de la liberté d'expression) ou encore celui des homosexuels ' autant de droits qui depuis des années sont, en France notamment, matière A  discussion incessante ', convenons qu'ils signalent un sens du droit inablement plus aigu que dans la passé. On croit observer partout le renforcement de la puissance de l'Etat en conséquence des nouvelles revendications, mais l'on passe sous silence sa contestation.
Les récents débats sur l'emploi, sur la sécurité sociale, sur la réforme de la santé publique et de la protection médicale, sur le statut de l'enseignement privé, qui les uns et les autres provoquent des grèves, des conflits massifs, montrent pourtant que ne règne ni l'indifférence ni la passivité. Ce sont, objectera-t-on, des coalitions d'intérASts qui se heurtent, des solidarités corporatistes qui résistent dent un danger, ou bien des préjugés qui se réveillent. Mais la défense des droits fut-elle jamais affranchie des intérASts et des opinions dans le passé ? Dans les querelles sur l'organisation de la médecine ou sur celle de l'enseignement, par exemple, ne se fait-il pas entendre autre chose que le bruit des intérASts ou des préjugés ? On croit encore trouver dans la crise économique le moteur d'une nouvelle expansion de la bureaucratie de la technocratie. Mais n'est-il pas vrai, A  l'opposé, qu'elle met aussi en évidence, d'une faA§on imprévue, le conflit des droits ; qu'elle fait découvrir la contrepartie de certains maux qui n'en demeurent pas moins des maux et la contrepartie de certains bienfaits qui n'en demeurent pas moins des bienfaits ?
Question politique, disais-je, que celle de la survince et de l'élargissement de l'espace public. J'entendais : question qui est au cour de la démocratie. Je n'ai pas la prétention de répondre. Chercher, ne serait-ce que le chemin d'une réponse, ferait l'objet d'une autre discussion. Pour demeurer dans le cadre de celle-ci, je me limiterai A  cette conclusion : il n'y a pas d'institution qui, par nature, suffise A  garantir l'existence d'un espace public dans lequel se proe le questionnement du droit. Mais, réciproquement, cet espace suppose que lui soit renvoyée l'image de sa propre légitimité depuis une scène qu'aménagent des institutions distinctes et sur laquelle se meuvent des acteurs chargés d'une responsabilité politique. Or, quand les partis et le Parlement n'assument plus leur fonction, il faut craindre qu'A  défaut d'une nouvelle forme de représentation, susceptible de répondre aux attentes de la société, le régime démocratique perde de sa crédibilité. Quand, d'une pan, l'exercice de la justice, d'autre part, celui de l'information, A  travers les organes de la presse, de la radio et de la télévision, ne se montrent pas essentiellement indépendants, il faut aussi craindre que ce que je nommais la distinction du pouvoir, de la loi et de la connaissance, qui est A  l'origine de la conscience moderne du droit, perde son efficacité symbolique. Ou, disons encore : quand les acteurs politiques, juridiques et intellectuels donnent souvent le spectacle de leur obéissance A  des consignes dictées par l'intérASt, par le souci de la discipline de groupe, ou par celui de séduire l'opinion, il faut s'inquiéter de la corruption qu'ils répandent.
Pour montrer le rôle des hommes placés sur la scène publique, terminons par cette simple obsertion que j'emprunte A  un article de Pierre Pachet : notre ancien ministre de la Justice, Alain Peyrefitte, disait en substance qu'il n'était pas, A  titre personnel, opposé A  l'abolition de la peine de mort, mais que l'opinion n'était pas mûre. C'était A  la fois élever A  la consistance de l'opinion des humeurs, des peurs, des haines, des appétits de vengeance et lui conférer la légitimité. Peu d'exemples aussi frappants d'un avilissement du droit, de la part d'une autorité censée en AStre le garant. Il a en renche suffi que le nouveau ministre, Robert Badinter, reparle le langage de la justice pour que le fantôme de la toute-puissance de l'opinion s'énouisse.



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