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DROIT

Le droit est l'ensemble des règles générales et abstraites indiquant ce qui doit être fait dans un cas donné, édictées ou reconnues par un organe officiel, régissant l'organisation et le déroulement des relations sociales et dont le respect est en principe assuré par des moyens de contrainte organisés par l'État.


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Traité du gouvernement civil (i690)



Contemporain de Pufendorf, Locke publie en 1690 les deux Traités du gouvernement civil. Tous deux peuvent AStre lus comme une réfutation de l'absolutisme politique. Le premier est une critique pied A  pied des thèses absolutistes de Filmer. Mais c'est dans le second traité que Locke expose une théorie positive de "l'origine des limites et des fins vériles du pouvoir civil". Il s'agit de fonder la limitation des gouvernements sur l'idée de la liberté et de l'égalité naturelles.


Sans pouvoir exposer ici les thèses fondamentales de Locke, rappelons que pour lui le gouvernement civil est en quelque sorte la forme institutionnalisée de l'état de nature. Si l'état de nature est "celui d'une parfaite liberté d'agir, de disposer de sa personne et de ses propriétés sous les limites de la loi naturelle", nous sommes renvoyés A  la loi naturelle comme fondement de tout l'édifice juridique et politique. Or sur la loi naturelle, Locke reste assez laconique, faute peut-AStre de pouvoir en élir démonstrativement le contenu. Notons que si la liberté et la vie sont inaliénables, elles doivent AStre défendues contre toute agression. L'une des thèses les plus célèbres de Locke est que cette présertion passe par la subsistance et la propriété (property). "Par propriété il ne faut pas entendre la seule propriété des biens matériels, mais ce que les théoriciens du droit naturel appelaient le suum, ce qui appartient en propre A  quelqu'un et dont les autres doivent s'abstenir. Au fond ce terme de propriété signifie que quelqu'un a un droit sur quelque chose qu'on ne peut lui enlever sans son consentement", note Y. Michaud (Locke, Bordas p. 36).
Les interprétations de la théorie de Locke ne sont guère convergentes. Est-elle essentiellement une défense du constitutionnalisme (Laslett), une idéologie de la bourgeoisie accumulatrice (Mac Pherson) ? Locke est-il l'avocat du droit naturel (Tully, Dunn) ou au contraire celui qui l'a trahi (Léo Strauss) ? Il n'est pas question ici de trancher. Notons cependant, avec J. Dunn, que la primauté accordée par Locke A  la loi naturelle le distingue radicalement de Lobbes. La loi naturelle qui régit l'état de nature fournit A  Locke un critère hors de l'histoire pour juger de la leur morale de la politique et de la législation présentes. Cette mASme loi naturelle permet de définir les conditions morales A  partir desquelles se crée la communauté politique légitime, où des hommes égaux peuvent remplir leurs devoirs envers Dieu. Que Locke soit le théoricien de la montée de l'individualisme possessif ou le penseur du libéralisme Militariste, il n'en reste pas moins que pour Locke la société civile est surtout destinée A  permettre aux hommes de réaliser la vocation A  laquelle Dieu les appelle.

Chapitre II De l'état de Nature
4. Pour bien entendre en quoi consiste le pouvoir politique, et connaitre sa vérile origine, il faut considérer dans quel état tous les hommes sont naturellement. C'est un état de parfaite liberté, un état dans lequel, sans demander de permission A  personne, et sans dépendre de la volonté d'aucun autre homme, ils peuvent faire ce qu'il leur plait, et disposer de ce qu'ils possèdent et de leurs personnes, comme ils jugent A  propos, pourvu qu'ils se tiennent dans les bornes de la loi de Nature.
Cet état est aussi un état d'égalité ; en sorte que tout pouvoir et toute juridiction est réciproque, un homme n'en ayant pas plus qu'un autre. Car il est très évident que des créatures d'une mASme espèce et d'un mASme ordre, qui sont nées sans distinction, qui ont part aux mASmes antages de la nature, qui ont les mASmes facultés, doivent pareillement AStre égales entre elles, sans nulle subordination ou sujétion, A  moins que le seigneur et le maitre des créatures n'ait éli, par quelque manifeste déclaration de sa volonté, quelques-unes sur les autres, et leur ait conféré, par une évidente et claire ordonnance, un droit irréfragable A  la domination et A  la souveraineté.
5. C'est cette égalité, où sont les hommes naturellement, que le judicieux Hooker regarde comme si évidente en elle-mASme et si hors de contestation, qu'il en fait le fondement de l'obligation où sont les hommes de s'aimer mutuellement : il fonde sur ce principe d'égalité tous les devoirs de charité et de justice auxquels les hommes sont obligés les uns envers les autres. Voici ses paroles :
- * Le mASme instinct a porté les hommes A  reconnaitre qu'ils ne sont pas moins tenu d'aimer les autres, qu'ils sont tenus de s'aimer eux-mASmes. Car voyant toutes choses égales entre eux, ils ne peuvent que comprendre qu'il doit y avoir aussi entre eux tous une mASme mesure. Si je ne puis que désirer de recevoir du bien, mASme par les mains de chaque personne, autant qu'aucun autre homme en peut désirer pour soi, comment puis-je prétendre de voir, en aucune sorte, mon désir satisfait, si je n'ai soin de satisfaire le mASme désir, qui est infailliblement dans le cour d'un autre homme, qui est d'une seule et mASme nature avec moi ? S'il se fait quelque chose qui soit contraire A  ce désir que chacun a, il faut nécessairement qu'un autre en soit aussi choqué que je puis l'AStre. Tellement, que si je nuis et cause du préjudice, je me dispose A  souffrir le mASme mal ; n'y ayant nulle raison qui oblige les autres A  avoir pour moi une plus grande mesure de charité que j'en ai pour eux. C'est pourquoi le désir que j'ai d'AStre aimé, autant qu'il est possible, de ceux qui me sont égaux dans l'état de nature, m'impose une obligation naturelle de leur porter et témoigner une semblable affection. Car, enfin, il n'y a personne qui puisse ignorer la relation d'égalité entre nous-mASmes, ni les autres hommes, qui sont d'autres nous-mASmes, ni les règles et les lois que la raison naturelle a prescrites pour la conduite de la vie. -
6. Cependant, quoique l'état de nature soit un état de liberté, ce n'est nullement un état de licence. Certainement, un homme, en cet état, A  une liberté incontesle, par laquelle il peut disposer comme il veut, de sa personne ou de ce qu'il possède : mais il n'a pas la liberté et le droit de se détruire lui-mASme, non plus que de faire tort A  aucune autre personne, ou de la troubler dans ce dont elle jouit, U doit faire de sa liberté le meilleur et le plus noble usage, que sa propre consertion demande de lui. L'état de nature a la loi de la nature, qui doit le régler, et A  laquelle chacun est obligé de se soumettre et d'obéir : la raison, qui est cette loi, enseigne A  tous les hommes, s'ils veulent bien la consulter, qu'étant tous égaux et indépendants, nul ne doit nuire A  un autre, par rapport A  sa vie, A  sa santé, A  sa liberté, A  son bien : car, les hommes étant tous l'ouvrage d'un ouvrier tout-puissant et infiniment sage, les serviteurs d'un souverain maitre, placés dans le monde par lui et pour ses intérASts, ils lui appartiennent en propre, et son ouvrage doit durer autant qu'il lui plait, non autant qu'il plait A  un autre, et étant doués des mASmes facultés dans la communauté de nature, on ne peut supposer aucune subordination entre nous, qui puisse nous autoriser A  nous détruire les uns les autres, comme si nous étions faits pour les usages les uns les autres, de la mASme manière que les créatures d'un rang inférieur au nôtre, sont faites pour notre usage. Chacun donc est obligé de se conserver lui-mASme, et de ne quitter point volontairement son poste pour parler ainsi. Et lorsque sa propre consertion n'est point en danger, il doit, selon ses forces, conserver le reste des hommes ; et A  moins que ce ne soit pour faire justice de quelque coupable, il ne doit jamais ôter la vie A  un autre, ou préjudicier A  ce qui tend A  la consertion de sa vie, par exemple, A  sa liberté, A  sa santé, A  ses membres, A  ses biens.
7. Mais, afin que personne n'entreprenne d'enhir les droits d'autrui, et de faire tort A  son prochain ; et que les lois de la nature, qui a pour but la tranquillité et la consertion du genre humain, soient observées, la nature a mis chacun en droit, dans cet état, de punir la violation de ses lois, mais dans un degré qui puisse empAScher qu'on ne les viole plus. Les lois de la nature, aussi bien que toutes les autres lois, qui regardent les hommes en ce monde, seraient entièrement inutiles, si personne, dans l'état de nature, n'ait le pouvoir de les faire exécuter, de protéger et conserver l'innocent, et de réprimer ceux qui lui font tort. Que si dans cet état, un homme en peut punir un autre A  cause que quelque mal qu'il aura fait ; chacun peut pratiquer la mASme chose. Car en cet état de parfaite égalité, dans lequel naturellement nul n'a de supériorité, ni de juridiction sur un autre, ce qu'un peut faire, en vertu des lois de la nature, tout autre doit avoir nécessairement le droit de le pratiquer.
8. Ainsi, dans l'état de nature, chacun a, A  cet égard, un pouvoir incontesle sur un autre. Ce pouvoir néanmoins n'est pas absolu et arbitraire, en sorte que lorsqu'on a entre ses mains un coupable, l'on ait droit de le punir par passion et de s'abandonner A  tous les mouvements, A  toutes les fureurs d'un cour irrité et vindicatif. Tout ce qu'il est permis de faire en cette rencontre, c'est de lui infliger les peines que la raison tranquille et la pure conscience dictent et ordonnent naturellement, peines proportionnées A  sa faute, et qui ne tendent qu'A  réparer le dommage qui a été causé, et qu'A  empAScher qu'il n'en arrive un semblable A  l'avenir. En effet, ce sont les deux seules raison qui peuvent rendre légitime le mal qu'on fait A  un autre, et que nous appelons punition. Quand quelqu'un viole les lois de la nature, il déclare, par cela mASme, qu'il se conduit par d'autres règles que celles de la raison et de la commune équité, qui est la mesure que Dieu a élie pour les actions des hommes, afin de procurer leur mutuelle sûreté, et dès lors il devient dangereux au genre humain ; puisque le lien formé des mains du Tout-Puissant pour empAScher que personne ne reA§oive de dommage, et qu'on n'use envers autrui d'aucune violence, est rompu et foulé aux pieds par un tel homme. De sorte que sa conduite offensant toute la nature humaine, et étant contraire A  cette tranquillité et A  cette sûreté A  laquelle il a été pourvu par les lois de la nature, chacun, par le droit qu'il a de conserver le genre humain, peut réprimer, ou, s'il est nécessaire, détruire ce qui lui est nuisible ; en un mot, chacun peut infliger A  une personne qui a enfreint ces lois, des peines qui soient capables de produire en lui du repentir et lui inspirer une crainte, qui l'empASchent d'agir une autre fois de la mASme manière, et qui mASme fassent voir aux autres en exemple qui les détourne d'une conduite pareille A  celle qui les lui a attirées. En cette occasion donc, et sur ce fondement1 chacun a droit de punir les coupables, et d'exécuter les lois de la nature.
9. Je ne doute point que cette doctrine ne paraisse A  quelques-uns fort étrange : mais ant que de la condamner, je souhaite qu'on me dise par quel droit un Prince ou un état peut faire mourir ou punir un étranger, qui aura commis quelque crime dans les terres de sa domination. 11 est certain que les lois de ce Prince ou de cet état, par la vertu et la force qu'elles reA§oivent de leur publication et de l'autorité législative, ne regardent point cet étranger. Ce n'est point A  lui que ce souverain parle ; ou s'il le faisait, l'étranger ne serait point obligé de l'écouter et de se soumettre A  ses ordonnances. L'autorité législative, par laquelle des lois ont force de lois par rapport aux sujets d'une certaine république et d'un certain état, n'a assurément nul pouvoir et nul droit A  l'égard d'un étranger. Ceux qui ont le pouvoir souverain de faire des lois en Angleterre, en France, en Hollande, sont A  l'égard d'un Indien, aussi bien qu'A  l'égard de tout le reste du monde, des gens sans autorité. Tellement que si en vertu des lois de la nature chacun n'a pas le pouvoir de punir, par un jugement modéré, et conformément au cas qui se présente, ceux qui les enfreignent, je ne vois point comment les magistrats d'une société et d'un état peuvent punir un étranger ; si ce n'est parce qu'A  l'égard d'un tel homme, ils peuvent avoir le mASme droit et la mASme juridiction, que chaque personne peut avoir naturellement A  l'égard d'un autre.
10. Lorsque quelqu'un viole la loi de la nature, qu'il s'éloigne des droites règles de la raison, et fait voir qu'il renonce aux principes de la nature humaine, et qu'il est une créature nuisible et dangereuse ; chacun est un droit de le punir : mais celui qui en reA§oit immédiatement et particulièrement quelque dommage ou préjudice, outre le droit de punition qui lui est commun avec tous les autres hommes, a un droit particulier en cette rencontre, en vertu duquel il peut demander que le dommage qui lui a été fait soit réparé. Et si quelque autre personne croit cette demande juste, elle peut se joindre A  celui qui a été offensé personnellement, et l'assister dans le dessein qu'il a de tirer satisfaction du coupable, en sorte que le mal qu'il a souffert puisse AStre réparé.
11. De ces deux sortes de droits, dont l'un est de punir le crime pour le réprimer et pour empAScher qu'on ne continue A  le commettre, ce qui est le droit de chaque personne ; l'autre, d'exiger la réparation du mal souffert : le premier a passé et a été conféré au magistrat, qui, en qualité de magistrat, a entre les mains le droit commun de punir ; et toutes les fois que le bien public ne demande absolument qu'il punisse et chatie la violation des lois ; il peut, de sa propre autorité, pardonner les offenses et les crimes : mais il ne peut point disposer de mASme de la satisfaction due A  une personne privée, A  cause du dommage qu'elle a reA§u. La personne qui a souffert en cette rencontre, a droit de demander la satisfaction ou de la remettre ; celui qui a été endommagé, a le pouvoir de s'approprier les biens ou le service de celui qui lui a fait tort : il a ce pouvoir par le droit qu'il a de pourvoir A  sa propre consertion ; tout de mASme chacun, par le droit qu'il a de conserver le genre humain, et de faire raisonnablement tout ce qui lui est possible sur ce sujet, a le pouvoir de punir le crime, pour empAScher qu'on ne le commette encore. Et c'est pour cela que chacun, dans l'état de nature, est en droit de tuer un meurtrier, afin de détourner les autres de faire une semblable offense, que rien ne peut réparer, ni compenser, en les épountant par l'exemple d'une punition A  laquelle sont sujets tous ceux qui commettent le mASme crime ; et ainsi mettre les hommes A  l'abri des attentats d'un criminel qui, ayant renoncé A  la raison, A  la règle, A  la mesure commune que Dieu a donnée au genre humain, a, par une injuste violence, et par un esprit de carnage, dont il a usé envers une personne, déclaré la guerre A  tous les hommes, et par conséquent doit AStre détruit comme un lion, comme un tigre, comme une de ces bAStes féroces avec lesquelles il ne peut y avoir de société ni de sûreté. Aussi est-ce sur cela qu'est fondée cette grande loi de la nature : 5/ quelqu'un répand le sang d'un homme, son sang sera aussi répandu par un homme2. Et Caïn était si pleinement conincu que chacun est en droit de détruire et d'exterminer un coupable de cette nature, qu'après avoir tué son frère, il criait : Quiconque me trouvera, me tuera. Tant il est vrai que ce droit est écrit dans le cour de tous les hommes.
12. Par la mASme raison, un homme NB. dans l'état de nature, peut punir la moindre infraction des lois de la nature3. Mais peut-il punir de mort une semblable infraction ? demandera quelqu'un. Je réponds, que chaque faute peut AStre punie dans un degré, et avec une sévérité qui soit capable de causer du repentir au coupable, et d'épounter si bien les autres, qu'ils n'aient pas envie de tomber dans la mASme faute. Chaque offense commise dans l'état de nature, peut pareillement, dans l'état de nature, AStre punie autant, s'il est possible, qu'elle peut AStre punie dans un Etat et dans une république. Il n'est pas de mon sujet d'entrer dans le détail pour examiner les degrés de chatiment que les lois de la nature prescrivent : je dirai seulement qu'il est très certain qu'il y a de telles lois, et que ces lois sont aussi intelligibles et aussi claires A  une créature raisonnable, et A  une personne qui les étudie, que peuvent AStre les lois positives des sociétés et des états ; et mASme sont-elles, peut-AStre, plus claires et plus évidentes. Car, enfin, il est plus aisé de comprendre ce que la raison suggère et dicte, que les fantaisies et les inventions embarrassées des hommes, lesquels suivent souvent d'autres règles que celles de la raison, et qui, dans les termes dont ils se servent dans leurs ordonnances, peuvent avoir dessein de cacher et d'envelopper leurs vues et leurs intérASts. C'est le vérile caractère de la plupart des lois municipales des pays, qui, après tout, ne sont justes, qu'autant qu'elles sont fondées sur la loi de la nature, selon lesquelles elles doivent AStre réglées et interprétées.


13. Je ne doute point qu'on n'objecte A  cette opinion, qui pose que dans l'état de nature, chaque homme a le pouvoir de faire exécuter les lois de la nature, et d'en punir les infractions ; je ne doute point, dis-je, qu'on n'objecte que c'est une chose fort déraisonnable, que les hommes soient juges dans leurs propres causes ; que l'amour-propre rend les hommes partiaux, et les fait pencher vers leurs intérASts, et vers les intérASts de leurs amis ; que d'ailleurs un mauis naturel, la passion, la vengeance, ne peuvent que les porter au-delA  des bornes d'un chatiment équile ; qu'il ne s'ensuivrait de lA  que confusion, que désordre, et que c'est pour cela que Dieu a éli les Puissances souveraines. Je ne fais point de difficulté d'avouer que le Gouvernement civil est le remède propre aux inconvénients de l'état de nature, qui, sans doute, ne peuvent AStre que grands partout où les hommes sont juges dans leurs propre cause : mais je souhaite que ceux qui font cette objection, se souviennent que les Monarques absolus sont hommes, et que si le Gouvernement ici est le remède des maux qui arriveraient nécessairement, si les hommes étaient juges dans leurs propres causes, et si par cette raison, l'état de nature doit AStre abrogé, on pourrait dire la mASme chose de l'autorité des Puissances souveraines. Car enfin je demande : le Gouvernement civil est-il meilleur, A  cet égard, que l'état de nature ? N'est-ce pas un Gouvernement où un seul homme commandant une multitude, est juge dans sa propre cause, et peut faire A  tous ses sujets tout ce qui lui plait, sans que personne ait droit de se plaindre de ceux qui exécutent ses volontés, ou de former aucune opposition ? Ne faut-il point se soumettre toujours A  tout ce que fait et veut un Souverain, soit qu'il agisse par raison, ou par passion, ou par erreur* ? Or, c'est ce qui ne se rencontre pourtant point, et qu'on n'est point obligé de faire dans l'état de nature, l'un A  l'égard de l'autre, car, si celui qui juge, juge mal et injustement dans sa propre cause, ou dans la cause d'un autre, il en doit répondre, et on peut en appeler au reste des hommes.
14. On a souvent demandé, comme si on proposait une puissante objection, en quel lieux, et quand les hommes sont ou ont été dans cet état de nature? ? A quoi il suffira pour le présent de répondre, que les Princes et les Magistrats des gouvernements indépendants, qui se trouvent dans l'univers, étant dans l'état de nature, il est clair que le monde n'a jamais été, ne sera jamais sans un certain nombre d'hommes qui ont été, et qui seront dans l'état de nature. Quand je parle des Princes, des Magistrats, et des sociétés indépendantes, je les considère précisément en eux-mASmes, soit qu'ils soient alliés, ou qu'ils ne le soient pas. Car, ce n'est pas toute sorte d'accord, qui met fin A  l'état de nature ; mais seulement celui par lequel on entre volontairement dans une société, et on forme un corps politique. Toute autre sorte d'engagements et de traités, que les hommes peuvent faire entre eux, les laisse dans l'état de nature. Les promesses et les conventions faites, par exemple, pour un troc, entre deux hommes dans l'Isle déserte dont parle Garcilasso de la Vega, dans son histoire du Pérou ; ou entre un Suisse et un Indien, dans les déserts de Y Amérique, sont des liens qu'il n'est pas permis de rompre, et sont des choses qui doivent AStre ponctuellement exécutées, quoique ces sortes de gens soient, en cette occasion, dans l'état de nature par rapport l'un A  l'autre. En effet, la sincérité et la fidélité sont des choses que les hommes sont obligés d'observer religieusement, en tant qu'ils sont hommes, non en tant qu'ils sont membres d'une mASme société.
15. Quant A  ceux qui disent, qu'il n'y a jamais eu aucun homme dans l'état de nature, je ne veux leur opposer que l'autorité du judicieux Hooker. Les lois dont nous avons parlé, dit-il, entendant les lois de la nature*, obligent absolument les hommes A  les observer, mASme en tant qu'ils sont hommes, quoiqu'il n'y ait nulle convention et nul accord solennel passé entre eux pour faire ceci ou cela, ou pour ne pas le faire. Mais parce que nous ne sommes point capables seuls de nous pourvoir des choses que nous désirons naturellement, et qui sont nécessaires A  notre vie, laquelle doit AStre convenable A  la dignité de l'homme ; c'est pour suppléer A  ce qui nous manque, quand nous sommes seuls et solitaires, que nous avons été naturellement portés A  rechercher la société et la comnie les uns des autres, et c'est ce qui a fait que les hommes se sont unis avec les autres, et ont composé, au commencement et d'abord, des sociétés politiques. J'assure donc encore, que tous les hommes sont naturellement dans cet état, que j'appelle état de nature, et qu'ils y demeurent jusqu'A  ce que, de leur propre consentement, ils se soient faits membres de quelque société politique : et je ne doute point que dans la suite de ce Traité cela ne paraisse très évident.

Chapitre III De l'état de Guerre
16. L'état de guerre, est un état d'inimitié et de destruction. Celui qui déclare A  un autre, soit par paroles, soit par actions, qu'il en veut A  sa vie, doit faire cette déclaration, non avec passion et précipitamment, mais avec un esprit tranquille : et alors cette déclaration met celui qui l'a fait, dans l'état de guerre avec celui A  qui il l'a faite. En cet état, la vie du premier est exposée, et peut AStre ravie par le pouvoir de l'autre, ou de quiconque voudra se joindre A  lui pour le défendre et épouser sa querelle : étant juste et raisonnable que j'aie droit de détruire ce qui me menace de destruction ; car, par les lois fondamentales de la nature, l'homme étant obligé de se conserver lui-mASme, autant qu'il est possible ; lorsque tous ne peuvent pas AStre conservés, la sûreté de l'innocent doit AStre préférée, et un homme peut en détruire un autre qui lui fait la guerre, ou qui lui donne A  connaitre son inimitié et la résolution qu'il a prise de le perdre : tout de mASme que je puis tuer un lion ou un loup, parce qu'ils ne sont pas soumis aux lois de la raison, et n'ont d'autres règles que celles de la force et de la violence. On peut dont traiter comme des bAStes féroces ces gens dangereux, qui ne manqueraient point de nous détruire et de nous perdre, si nous tombions en leur pouvoir.
17. Or, de lA  vient que celui qui tache d'avoir un autre en son pouvoir absolu, se met par lA  dans l'état de guerre avec lui, lequel ne peut regarder son procédé que comme une déclaration et un dessein formé contre sa vie. Car j'ai sujet de conclure qu'un homme qui veut me soumettre A  son pouvoir, sans mon consentement, en usera envers moi, si je tombe entre ses mains, de la manière qu'il lui plaira, et me perdra, sans doute, si la fantaisie lui en vient. En effet, personne ne peut désirer de m'avoir en son pouvoir absolu, que dans la vue de me contraindre par la force A  ce qui est contraire au droit de ma liberté, c'est-A -dire, de me rendre esclave Afin donc que ma personne soit en sûreté, il faut nécessairement que je sois délivré d'une telle force et d'une telle violence ; et la raison m'ordonne de regarder comme l'ennemi de ma consertion, celui qui est dans la résolution de me ravir la liberté, laquelle en est, pour ainsi dire, le rempart. De sorte que celui qui entreprend de me rendre esclave se met par lA  avec moi dans l'état de guerre. Lorsque quelqu'un, dans l'état de nature, veut ravir la liberté qui appartient A  tous ceux qui sont dans cet état, il faut nécessairement supposer qu'il a dessein de ravir toutes les autres choses, puisque la liberté est le fondement de tout le reste ; tout de mASme qu'un homme, dans un état de société, qui ravirait la liberté, qui appartient A  tous les membres de la société, doit AStre considéré comme ayant dessein de leur ravir toutes les autres choses, et par conséquent comme étant avec eux dans l'état de guerre.
18. Ce que je viens de poser montre qu'un homme peut légitimement tuer un voleur qui ne lui aura pourtant pas causé le moindre dommage, et qui n'aura pas autrement fait connaitre qu'il en voulût A  sa vie, que par la violence dont il aura usé pour l'avoir en son pouvoir, pour prendre son argent, pour faire de lui tout ce qu'il voudrait. Car ce voleur employant la violence et la force, lorsqu'il n'a aucun droit de me mettre en son pouvoir et en sa disposition, je n'ai nul sujet de supposer, quelque prétexte qu'il allègue, qu'un tel homme entreprenant de ravir ma liberté, ne me veuille ravir toutes les autres choses, dès que je serai en son pouvoir. C'est pourquoi, il m'est permis de le traiter comme un homme qui s'est mis avec moi dans un état de guerre, c'est-A -dire, de le tuer, si je puis : car enfin, quiconque introduit l'état de guerre, est l'agresseur en cette rencontre, et il s'expose certainement A  un traitement semblable A  celui qu'il a résolu de faire A  un autre, et risque sa vie.
19. Ici parait la différence qu'il y a entre l'état de nature, et l'état de guerre, lesquels quelques-uns ont confondus, quoique ces deux sortes d'états soient aussi différents et aussi éloignés l'un de l'autre, que sont un état de paix, de bienveillance, d'assistance et de consertion mutuelle, et un état d'inimitié, de malice, de violence et de mutuelle destruction. Lorsque les hommes vivent ensemble conformément A  la raison, sans aucun supérieur sur la terre, qui ait l'autorité de juger leurs différends, ils sont précisément dans l'état de nature : ainsi la violence, ou un dessein ouvert de violence d'une personne A  l'égard d'une autre, dans une circonstance où il n'y a sur la terre nul supérieur commun, A  qui l'on puisse appeler, produit l'état de guerre ; et faute d'un juge, dent lequel on puisse faire aitre un agresseur, un homme a, sans doute, le droit de faire la guerre A  cet agresseur, quand mASme l'un et l'autre seraient membres d'une mASme société, et sujets d'un mASme état. Ainsi, je puis tuer sur-le-champ un voleur qui se jette sur moi, se saisit des rASnes de mon chel, arrASte mon carrosse ; parce que la loi qui a été faite pour ma consertion ' si elle ne peut AStre interposée pour assurer, contre la violence et un attentat présent et subit, ma vie, dont la perte ne saurait jamais AStre réparée, me permet de me défendre ' me met dans le droit que nous donne l'état de guerre, de tuer mon agresseur, lequel ne me donne point le temps de l'appeler dent notre commun Juge, et de faire décider, par les lois, un cas, dont le malheur peut AStre irréparable6. La prition d'un commun Juge, revAStu d'autorité, met tous les nommes dans l'état de nature : et la violence injuste et soudaine, dans le cas qui vient d'AStre marqué, produit l'état de guerre, soit qu'il y ait, ou qu'il n'y ait point de commun Juge.
20. Mais quand la violence cesse, l'état de guerre cesse aussi entre ceux qui sont membres d'une mASme société ; et ils sont tous également obligés de se soumettre A  la pure détermination des lois : car alors ils ont le remède de l'appel pour les injures passées, et pour prévenir le dommage qu'ils pourraient recevoir A  l'avenir. Que s'il n'y a point de tribunal dent lequel on puisse porter les causes, comme dans l'état de nature ; s'il n'y a point des lois positives et de Juges revAStus d'autorités ; l'état de guerre ayant une fois commencé, la partie innocente y peut continuer avec justice, pour détruire son ennemi, toutes les fois qu'il en aura le moyen, jusqu'A  ce que l'agresseur offre la paix et désire se réconcilier, sous des conditions qui soient capables de réparer le mal qu'il a fait, et de mettre l'innocent en sûreté pour l'avenir. Je dis bien plus, si on peut appeler aux lois, et s'il y a des Juges élis pour régler les différends, mais que ce remède soit inutile, soit refusé par une manifeste corruption de la justice, et du sens des lois, afin de protéger et indemniser la violence et les injures de quelques-uns et de quelque parti ; il est mal aisé d'envisager ce désordre autrement que comme un état de guerre : car lors mASme que ceux qui ont été élis pour administrer la justice, ont usé de violence, et fait des injustices ; c'est toujours injustice, c'est toujours violence, quelque nom qu'on donne A  leur conduite, et quelque prétexte, quelques formalités de justice qu'on allègue, puisque, après tout, le but des lois est de protéger et soutenir l'innocent, et de prononcer des jugements équiles A  l'égard de ceux qui sont soumis A  ces lois. Si donc on n'agit pas de bonne foi en cette occasion, on fait la guerre A  ceux qui en souffrent, lesquels ne pount plus attendre de justice sur la terre, n'ont plus, pour remède, que le droit d'appeler au Ciel.
21. Pour éviter cet état de guerre, où l'on ne peut avoir recours qu'au Ciel, et dans lequel les moindres différends peuvent AStre si soudainement terminés, lorsqu'il n'y a point d'autorité élie, qui décide entre les contendants ; les hommes ont formé des sociétés, et ont quitté l'état de nature : car s'il y a une autorité, un pouvoir sur la terre, auquel on peut appeler, l'état de guerre ne continue plus, il est exclu, et les différends doivent AStre décidés par ceux qui ont été revAStus de ce pouvoir. S'il y ait eu une Cour de justice de cette nature, quelque Juridiction souveraine sur la terre pour terminer les différends qui étaient entre Jephté et les Ammonites, ils ne se seraient jamais mis dans l'état de guerre : mais nous voyons que Jephté fut contraint d'appeler au Ciel*. Que l'éternel, dit-il, qui est le Juge, juge aujourd'hui entre les Enfants d'IsraA«l, et les enfants d'Ammon. Ensuite, se reposant entièrement sur son appel, il conduit son armée pour combattre. Ainsi, dans ces sortes de disputes et de contestations, si l'on demande : Qui sera le Juge ? l'on ne peut entendre, qui décidera sur la terre et terminera les différends ? Chacun sait assez, et sent assez en son cour ce que Jephté nous marque par ces paroles : l'éternel, qui est le Juge, jugera. Lorsqu'il n'y a point de Juge sur la terre, l'on doit appeler A  Dieu dans le Ciel. Si donc l'on demande, qui jugera ? on n'entend point, qui jugera si un autre est en état de guerre avec moi, et si je dois faire comme Jephté, appeler au Ciel ? Moi seul alors puis juger de la chose en ma conscience, et conformément au compte que je suis obligé de rendre, en la grande journée, au Juge souverain de tous les hommes.

Chapitre IV De l'Esclage
22. La liberté naturelle de l'homme, consiste A  ne reconnaitre aucun pouvoir souverain sur la terre, et de n'AStre point assujetti A  la volonté ou A  l'autorité législative de qui que ce soit ; mais de suivre seulement les lois de la nature. La liberté, dans la société civile, consiste A  n'AStre soumis A  aucun pouvoir législatif, qu'A  celui qui a été éli par le consentement de la communauté, ni A  aucun autre empire qu'A  celui qu'on y reconnait, ou A  d'autres lois qu'A  celles que ce mASme pouvoir législatif peut faire conformément au droit qui lui en a été communiqué. La liberté donc n'est point ce que le Chelier Filmer nous marque. Une liberté, par laquelle chacun fait ce qu'il veut, vit comme il lui plait, et n'est lié par aucune loi7. Mais la liberté des hommes, qui sont soumis A  un Gouvernement, est d'avoir, pour la conduite de la vie, une certaine règle commune, qui ait été prescrite par le pouvoir législatif qui a été éli, en sorte qu'ils puissent suivre et satisfaire leur volonté en toutes les choses auxquelles cette règle ne s'oppose pas ; et qu'ils ne soient point sujets A  la fantaisie, A  la volonté inconstante, incertaine, inconnue, arbitraire d'aucun autre homme : tout démontre de mASme que la liberté de la nature consiste A  n'AStre soumis A  aucunes autres lois, qu'A  celles de la nature.


23. Cette liberté par laquelle l'on n'est point assujetti A  un pouvoir arbitraire et absolu est si nécessaire, et est unie si étroitement avec la consertion de l'homme, qu'elle n'en peut AStre séparée que par ce qui détruit en mASme temps sa consertion et sa vie. Or, un homme n'ayant point de pouvoir sur sa propre vie, ne peut, par aucun traité, ni par son propre consentement, se rendre esclave de qui que ce soit, ni se soumettre au pouvoir absolu et arbitraire d'un autre, qui lui ôte la vie quand il lui plaira. Personne ne peut donner plus de pouvoir qu'il n'en a lui-mASme ; et celui qui ne peut s'ôter la vie, ne peut, sans doute, communiquer A  un autre aucun droit sur elle. Certainement, si un homme, par sa mauise conduite et pas quelque crime, a mérité de perdre la vie, celui qui a été offensé et qui est devenu, en ce cas, maitre de sa vie, peut, lorsqu'il a le coupable entre ses mains, différer de la lui ôter, et a droit de l'employer A  son service. En cela, il ne lui fait aucun tort ; car au fond, quand le criminel trouve que son esclage est plus pesant et plus facheux que n'est la perte de sa vie, il est en sa disposition de s'attirer la mort qu'il désire, en résistant et désobéissant A  son maitre.
24. VoilA  quelle est la vérile condition de l'esclage, qui n'est rien autre chose que l'état de guerre continué entre un légitime conquérant et un prisonnier. Que si ce conquérant et ce prisonnier venaient A  faire entre eux un accord, par lequel le pouvoir fût limité A  l'égard de l'un, et l'obéissance fût limitée A  l'égard de l'autre, l'état de guerre et d'esclage cesse, autant que le permet l'accord et le traité qui a été fait8. Du reste comme il a été dit, personne ne pount, par convention, et de son consentement, céder et communiquer A  un autre ce qu'il n'a point lui-mASme, ne peut aussi donner A  un autre aucun pouvoir sur sa propre vie.
J'avoue que nous lisons que, parmi les Juifs9, aussi bien que parmi les autres nations, les hommes se vendaient eux-mASmes : mais il est visible que c'était seulement pour AStre serviteurs, et non esclaves. Et comme ils ne s'étaient point vendus pour AStre sous un pouvoir absolu, arbitraire, despotique ; aussi leurs maitres ne pouient les tuer en aucun temps, puisqu'ils étaient obligés de les laisser aller en un certain temps'0, et de ne trouver pas mauis qu'ils quittassent leur service. Les maitres mASmes de ces serviteurs, bien loin d'avoir un pouvoir arbitraire sur leur vie, ne pouient point les mutiler ; et s'ils leur faisaient perdre un oil, ou leur faisaient tomber une dent, ils étaient tenus de leur donner la liberté.

CHAPITRE V De la Propriété des choses
25. Soit que nous considérions la raison naturelle, qui nous dit que les hommes ont droit de se conserver, et conséquemment de manger et de boire, et de faire d'autres choses de cette sorte, selon que la nature les fournit de biens pour leur subsistance ; soit que nous consultions la révélation, qui nous apprend ce que Dieu a accordé en ce monde A  Adam, A  Noé, et A  ses fils ; il est toujours évident, que Dieu, dont David dit*, qu'il a donné la terre aux fils des nommes, a donné en commun la terre au genre humain. Mais cela étant, il semble qu'il est difficile de concevoir qu'une personne particulière puisse posséder rien en propre. Je ne veux pas me contenter de répondre, que s'il est difficile de sauver et d'élir la propriété des biens, supposé que Dieu ait donné en commun la terre A  Adam et A  sa postérité, il s'ensuivrait qu'aucun homme, excepté un Monarque universel, ne pourrait posséder aucun bien en propre : mais je tacherai de montrer comment les hommes peuvent posséder en propre diverses portions de ce que Dieu leur a donné en commun, et peuvent en jouir sans aucun accord formel fait entre tous ceux qui y ont naturellement le mASme droit.
26. Dieu, qui a donné la terre aux hommes en commun, leur a donné pareillement la raison, pour faire de l'un et de l'autre l'usage le plus antageux A  la vie et le plus commode. La terre, avec tout ce qui est contenu, est donnée aux hommes pour leur subsistance et pour leur satisfaction. Mais, quoique tous les fruits qu'elle produit naturellement, et toutes les bAStes qu'elle nourrit, appartiennent en commun au genre humain, en tant que ces fruits sont produits, et ces bAStes sont nourries par les soins de la nature seule, et que personne n'a originellement aucun droit particulier sur ces choses-lA , considérées précisément dans l'état de nature ; néanmoins, ces choses étant accordées par le Maitre de la nature pour l'usage des hommes, il faut nécessairement qu'ant qu'une personne particulière puisse en tirer quelque utilité et quelque antage, elle puisse s'en approprier quelques-unes. Le fruit ou gibier qui nourrit un Sauge des Indes, qui ne reconnait point de bornes, qui possède les biens de la terre en commun, lui appartient en propre, et il en est si bien le propriétaire, qu'aucun autre n'y peut avoir de droit, A  moins que ce fruit ou ce gibier ne soit absolument nécessaire pour la consertion de sa vie.
27. Encore que la terre et toutes les créatures inférieures soient communes et appartiennent en général A  tous les hommes, chacun pourtant a un droit particulier sur sa propre personne, sur laquelle nul autre ne peut avoir aucune prétention. Le trail de son corps et l'ouvrage de ses mains, nous le pouvons dire, sont son bien propre. Tout ce qu'il a tiré de l'état de nature, par sa peine et son industrie, appartient A  lui seul : car cette peine et cette industrie étant sa peine et son industrie propre et seule, personne ne saurait avoir droit sur ce qui a été acquis par cette peine et cette industrie, surtout, s'il reste aux autres assez de semblables et d'aussi bonnes choses communes.
28. Un homme qui se nourrit de glands qu'il ramasse sous un chASne, ou de pommes qu'il cueille sur des arbres, dans un bois, se les approprie certainement par-lA . On ne saurait contester que ce dont il se nourrit, en cette occasion, ne lui appartienne légitimement Je demande donc : Quand est-ce que ces choses qu'il mange commencent A  lui appartenir en propre ? Lorsqu'ils les digère, ou lorsqu'il les mange, ou lorsqu'il les cuit, ou lorsqu'il les porte chez lui, ou lorsqu'il les cueille ? Il est visible qu'il n'y a rien qui puisse les rendre siennes, que le soin et la peine qu'il prend de les cueillir et de les amasser. Son trail distingue et sépare alors ces fruits des autres biens qui sont communs ; il y ajoute quelque chose de plus que le nature, la mère commune de tous, n'y a mis ; et, par ce moyen, ils deviennent son bien particulier. Dira-t-on qu'il n'a point un droit de cette sorte sur ces glands et sur ces pommes qu'il s'est appropriés, A  cause qu'il n'a pas lA -dessus le consentement de tous les nommes ? Dira-t-on que c'est un vol, de prendre pour soi, et de s'attribuer uniquement, ce qui appartient A  tous en commun ? Si un tel consentement était nécessaire, la personne dont il s'agit, aurait pu mourir de faim, nonobstant l'abondance au milieu de laquelle Dieu l'a mise. Nous voyons que dans les communautés qui ont été formées par accord et par traité, ce qui est laissé en commun serait entièrement inutile, si on ne pouit en prendre et s'en approprier quelque partie et par quelque voie. Il est certain qu'en ces circonstances on n'a point besoin du consentement de tous les membres de la société. Ainsi, l'herbe que mon chel mange, les mottes de terre que mon let a arrachées, et les creux que j'ai faits dans des lieux auxquels j'ai un droit commun avec d'autres, deviennent mon bien et mon héritage propre, sans le consentement de qui que ce soit. Le trail, qui est mien, mettant ces choses hors de l'état commun où elles étaient, les a fixées et me les a appropriées.
29. S'il était nécessaire d'avoir un consentement exprès de tous les membres d'une société, afin de pouvoir s'approprier quelque partie de ce qui est donné ou laissé en commun, des enfants ou des lets ne sauraient couper rien, pour manger, de ce que leur père ou leur maitre leur aurait fait servir en commun, sans marquer A  aucun sa part particulière et précise. L'eau qui coule d'une fontaine publique appartient A  chacun ; mais si une personne en a rempli sa cruche, qui doute que l'eau qui y est contenue, n'appartienne A  cette personne seule ? Sa peine a tiré cette eau, pour ainsi dire, des mains de la nature, entre lesquelles elle était commune et appartenait également A  tous ses enfants, et l'a appropriée A  la personne qui l'a puisée.
30. Ainsi, cette loi de la raison, fait que le cerf qu'un Indien a tué est réputé le bien propre de cet homme, qui a employé son trail et son adresse, pour acquérir une chose sur laquelle chacun ait auparant un droit commun. Et parmi les peuples civilisés, qui ont fait tant de lois positives pour déterminer la propriété des choses, cette loi originelle de la nature, touchant le commencement du droit particulier que des gens acquièrent sur ce qui auparant était commun, a toujours eu lieu, et a montré sa force et son efficace. En vertu de cette loi, le poisson qu'un homme prend dans l'Océan, ce commun et grand vivier du genre humain, ou l'ambre gris qu'il y pASche, est mis par son trail hors de cet état commun où la nature l'ait laissé, et devient son bien propre. Si quelqu'un mASme, parmi nous, poursuit A  la chasse un lièvre, ce lièvre est censé appartenir, durant la chasse, A  celui seul qui le poursuit. Ce lièvre est bien une de ces bAStes qui sont toujours regardées comme communes, et dont personne n'est le propriétaire : néanmoins, quiconque emploie sa peine et son industrie pour le poursuivre et le prendre, le tire par-lA  de Y état de nature, dans lequel il était commun, et le rend sien.
31. On objectera peut-AStre, que si, en cueillant et amassant des fruits de la terre, un homme acquiert un droit propre et particulier sur ces fruits, il pourra en prendre autant qu'il voudra. Je réponds qu'il ne s'ensuit point qu'il ait droit d'en user de cette manière. Car la mASme loi de la nature, qui donne A  ceux qui cueillent et amassent des fruits communs, un droit particulier sur ces fruits-lA , renferme en mASme temps ce droit dans de certaines bornes*. Dieu nous a donné toutes choses abondamment. C'est la voix de la raison, confirmée par celle de l'inspiration. Mais A  quelle fin ces choses nous ont-elles été données de la sorte par le Seigneur ? Afin que nous en jouissions. La raison nous dit que la propriété des biens acquis par le trail, doit donc AStre réglée selon le bon usage qu'on en fait pour l'antage et les commodités de la vie. Si l'on passe les bornes de la modération, et que l'on prenne plus de choses qu'on n'en a besoin, on prend, sans doute, ce qui appartient aux autres. Dieu n'a rien fait et créé pour l'homme, qu'on doive laisser corrompre et rendre inutile. Si nous considérons l'abondance des provisions naturelles qu'il y a depuis longtemps dans le monde ; le petit nombre de ceux qui peuvent en user, et A  qui elles sont destinées, et combien peu une personne peut s'en approprier au préjudice des autres, principalement s'il se tient dans les bornes que la raison a mises aux choses dont il est permis d'user, on reconnaitra qu'il n'y a guère de sujets de querelles et de disputes A  craindre par rapport A  la propriété des biens ainsi élie.
32. Mais la principale matière de la propriété n'étant pas A  présent les fruits de la terre, ou les bAStes qui s'y trouvent, mais la terre elle-mASme, laquelle contient et fournit tout le reste, je dis que, par rapport aux parties de la terre, il est manifeste qu'on en peut acquérir la propriété en la mASme manière que nous avons vu qu'on pouit acquérir la propriété de certains fruits. Autant d'arpents de terre qu'un homme peut labourer, semer, cultiver, et dont il peut consommer les fruits pour son entretien, autant lui en appartient-il en propre. Par son trail, il rend ce bien-lA  son bien particulier, et le distingue de ce qui est commun A  tous. Et il ne sert de rien d'alléguer que chacun y a autant de droit que lui, et que, par cette raison, il ne peut se l'approprier, il ne peut l'entourer d'une clôture, et le fermer de certaines bornes, sans le consentement de tous les autres hommes, lesquels ont part, comme lui, A  la mASme terre commune. Car, lorsque Dieu a donné en commun la terre au genre humain, il a commandé en mASme temps A  l'homme de trailler ; et les besoins de sa condition requièrent assez qu'il traille. Le créateur et la raison lui ordonnent de labourer la terre, de la semer, d'y ter des arbres et d'autres choses, de la cultiver, pour l'antage, la consertion et les commodités de la vie, et lui apprennent que cette portion de la terre, dont il prend soin, devient, par son trail, son héritage particulier. Tellement que celui qui, conformément A  cela, a labouré, semé, cultivé un certain nombre d'arpents de terre, a vérilement acquis, par ce moyen, un droit de propriété, sur ses arpents de terre, auxquels nul autre ne peut rien prétendre, et qu'il ne peut lui ôter sans injustice.
33. D'ailleurs, en s'appropriant un certain coin de terre, par son trail et par son adresse, on ne fait tort A  personne, puisqu'il en reste toujours assez et d'aussi bonne, et mASme plus qu'il n'en faut A  un homme qui ne se trouve par pourvu. Un homme a beau en prendre pour son usage et sa subsistance, il n'en reste pas moins pour tous les autres : et quand d'une chose on en laisse beaucoup plus que n'en ont besoin les autres, il leur doit AStre fort indifférent, qu'on s'en soit pourvu, ou qu'on ne l'ait pas fait. Qui, je vous prie, s'imaginera qu'un autre lui fait tort en bunt, mASme A  grands traits, de l'eau d'une grande et belle rivière, qui, subsistant toujours tout entière, contient et présente infiniment plus d'eau qu'il ne lui en faut pour étancher sa soif ? Or, le cas est ici le mASme ; et ce qui est vrai A  l'égard de l'eau d'un fleuve, l'est aussi A  l'égard de la terre.
34. Dieu a donné la terre aux hommes en commun : mais, puisqu'il la leur a aussi donnée pour les plus grands antages, et pour les plus grandes commodités de la vie qu'ils en puissent retirer, on ne saurait supposer et croire qu'il entend que la terre demeure toujours commune et sans culture. Il l'a donnée pour l'usage des hommes industrieux, laborieux, raisonnables ; non pour AStre l'objet et la matière de la fantaisie ou de l'arice des querelleurs, des chicaneurs. Celui A  qui on a laissé autant de bonne terre qu'il en peut cultiver et qu'il s'en est déjA  approprié, n'a nul sujet de se plaindre ; et il ne doit point troubler un autre dans une possession qu'il cultive A  la sueur de son visage. S'il le fait, il est manifeste qu'il convoite et usurpe un bien qui est entièrement dû aux peines et au trail d'autrui, et auquel il n'a nul droit ; surtout puisque ce qui reste sans possesseur et propriétaire, est aussi bon que ce qui est déjA  approprié, et qu'il a en sa disposition beaucoup plus qu'il ne lui est nécessaire, et au-delA  de ce dont il peut prendre soin.


35. D est vrai que pour ce qui regarde une terre qui est commune en Angleterre, ou en quelque autre pays, où il y a quantité de gens, sous un mASme Gouvernement, parmi lesquels l'argent roule, et le commerce fleurit, personne ne peut s'en approprier et fermer de bornes aucune portion, sans le consentement de tous les membres de la société. La raison en est, que cette sorte de terre est laissée commune par accord, c'est-A -dire, par les lois du pays, lesquelles on est obligé d'observer. Cependant, bien que cette terre-lA  soit commune par rapport A  quelques hommes qui forment un certain corps de société, il n'en est pas de mASme A  l'égard de tout le genre humain : cette terre doit AStre considérée comme une propriété de ce pays ou de cette paroisse, où une certaine convention a été faite. Au reste, on peut ajouter A  la raison, tirée des lois du pays, cette autre qui est d'un grand poids : savoir, que si on venait A  fermer de certaines bomes, et A  s'approprier quelque portion de la terre commune, que nous supposons, ce qui en resterait ne serait pas aussi utile et aussi antageux aux membres de la communauté, que lorsqu'elle était tout entière. Et, en cela, la chose est tout autrement aujourd'hui qu'elle ne l'était au commencement du monde, lorsqu'il s'agissait de peupler la terre, qui était donnée en commun au genre humain. Les lois sous lesquelles les hommes viient alors, bien loin de les empAScher de s'approprier quelque portion de terre, les obligeaient fortement A  s'en approprier quelqu'une. Dieu leur commandait de trailler, et leurs besoins les y contraignaient assez. De sorte que ce en quoi ils employaient leurs soins et leurs peines devenait, sans difficulté, leur bien propre ; et on ne pouit, sans injustice, les chasser d'un lieu où ils aient fixé leur demeure et leur possession, et dont ils étaient les maitres, les propriétaires, de droit divin : car, enfin, nous voyons que labourer, que cultiver la terre, et avoir domination sur elle, sont deux choses jointes ensemble. L'une donne droit A  l'autre. Tellement que le Créateur de l'univers, commandant de labourer et cultiver la terre, a donné pouvoir, en mASme temps, de s'en approprier autant qu'on en peut cultiver ; et la condition de la vie humaine, qui requiert le trail et une certaine matière sur laquelle on puisse agir, introduit nécessairement les possessions privées.
36. La mesure de la propriété a été très bien réglée par la nature, selon l'étendue du trail des hommes, et selon la commodité de la vie. Le trail d'un homme ne peut AStre employé par rapport A  tout, il ne peut s'approprier tout : et l'usage qu'il peut faire de certains fonds, ne peut s'étendre que sur peu de chose : ainsi, il est impossible que personne, par cette voie, empiète sur les droits d'autrui, ou acquière quelque propriété, qui préjudicie A  son prochain, lequel trouvera toujours assez de place et de possession, aussi bonne et aussi grande que celle dont un autre se sera pourvu, et que celle dont il aurait pu se pourvoir auparant lui-mASme. Or, cette mesure met, comme on voit, des bornes aux biens de chacun et oblige A  garder de la proportion et user de modération et de retenue : en sorte qu'en s'appropriant quelque bien, on ne fasse tort A  qui que ce soit. Et, dans le commencement du monde, il y ait si peu A  craindre que la propriété des biens nuisit A  quelqu'un, qu'il y ait bien plus de danger que les hommes périssent, en s'éloignant les uns des autres et s'égarant dans le ste désert de la terre, qu'il n'y en ait qu'ils ne se troussent A  l'étroit, faute de place et de lieu qu'ils pussent cultiver et rendre propre. Il est certain aussi que la mASme mesure peut toujours AStre en usage, sans que personne ne reA§oive du préjudice. Car, supposons qu'un homme ou une famille, dans l'état où l'on était au commencement, lorsque les enfants d'Adam et de Noé peuplaient la terre, soit allé dans l'Amérique, toute vide et destituée d'habitants ; nous trouverons que les possessions que cet homme ou cette famille aura pu acquérir et cultiver, conformément A  la mesure que nous avons élie, ne seront pas d'une fort grande étendue, et qu'en ce temps-ci mASme, elles ne pouient nuire au reste des hommes, ou leur donner sujet de se plaindre, et de se croire offensés et incommodés par les démarches d'un tel homme ou d'une telle famille ; quoique la race du genre humain, ayant extrASmement multiplié, se soit répandue par toute la terre, et excède infiniment, en nombre, les habitants du premier age du monde. Et l'étendue d'une possession est de si peu de leur sans le trail, que j'ai entendu assurer qu'en Esne mASme, un homme ait permission de labourer, semer et moissonner dans des terres, sur lesquelles il n'ait d'autre droit que le présent et réel usage qu'il faisait de ces sortes de fonds. Bien loin mASme que les propriétaires trouvent mauis le procédé d'un tel homme, ils croient, au contraire, lui AStre fort obligés A  cause que, par son industrie et ses soins, des terres négligées et désertes ont produit une certaine quantité de blé, dont on manquait. Quoi qu'il en soit, car je ne garantis pas la chose, j'ose hardiment soutenir que la mASme mesure et la mASme règle de propriété, savoir, que chacun doit posséder autant de bien qu'il lui en faut pour sa subsistance, peut avoir lieu aujourd'hui, et pourra toujours avoir lieu dans le monde, sans que personne en soit incommodé et mis A  l'étroit, puisqu'il y a assez de terre pour autant encore d'habitants qu'il y en a ; quand mASme l'usage de l'argent n'aurait pas été inventé. Or, quant A  l'accord qu'ont fait les hommes au sujet de la leur de l'argent monnayé, dont ils se servent pour acheter de grandes et stes possessions, et en AStre les seuls maitres, je ferai voir ci-après comment cela s'est fait, et sur quels fondements, et je m'étendrai sur cette matière autant qu'il sera nécessaire pour l'éclaircir.
37. Il est certain qu'au commencement, ant que le désir d'avoir plus qu'il n'est nécessaire A  l'homme eût altéré la leur naturelle des choses, laquelle dépendait uniquement de leur utilité par rapport A  la vie humaine ; ou qu'on fût convenu qu'une petite pièce de métal jaune, qu'on peut garder sans craindre qu'il diminue et déchoie, balancerait la leur d'une grande pièce de viande, ou d'un grand morceau de blé : il est certain, dis-je, qu'au commencement du monde, encore que les hommes eussent droit de s'approprier, par leur trail, autant des choses de la nature qu'il leur en fallait pour leur usage et leur entretien, ce n'était pas, après tout, grand-chose, et personne ne pouit en AStre incommodé et en recevoir du dommage, A  cause que la mASme abondance subsistait toujours en son entier, en faveur de ceux qui voulaient user de la mASme industrie, et employer le mASme trail.
Ant l'appropriation des terres, celui qui amassait autant de fruits sauges, et tuait, attrapait, ou apprivoisait autant de bAStes qu'il lui était possible, mettait, par sa peine, ces productions de la nature hors de Yétat de nature, et acquérait sur elles un droit de propriété : mais si ces choses venaient A  se gater et A  se corrompre pendant qu'elles étaient en sa possession, et qu'il n'en fit pas l'usage auquel elles étaient destinées ; si ces fruits qu'il ait cueillis se gataient, si ce gibier qu'il ait pris se corrompait, ant qu'il pût s'en servir, il violait, sans doute, les lois communes de la nature, et méritait d'AStre puni parce qu'il usurpait la portion de son prochain, A  laquelle il n'ait nul droit, et qu'il ne pouit posséder plus de bien qu'il lui en fallait pour la commodité de la vie.
38. La mASme mesure règle assez les possessions de la terre. Quiconque cultive un fonds, y recueille et moissonne, en ramasse les fruits, et s'en sert, ant qu'ils se soient pourris et gatés, y a un droit particulier et incontesle. Quiconque aussi a fermé d'une clôture une certaine étendue de terre, afin que le bétail qui y paitra, et les fruits qui en proviendront, soient employés A  sa nourriture, est le propriétaire légitime de cet endroit-lA . Mais si l'herbe de son clos se pourrit sur la terre, ou que les fruits de ses tes et de ses arbres se gatent, sans qu'il se soit mis en peine de les recueillir et de les amasser, ce fonds, quoique fermé d'une clôture et de certaines bornes, doit AStre regardé comme une terre en friche et déserte, et peut devenir l'héritage d'un autre. Au commencement, Caïn pouit prendre tant de terre qu'il en pouit cultiver, et faire de l'endroit qu'il aurait choisi, son bien propre et sa terre particulière, et en mASme temps en laisser assez A  Abel pour son bétail. Peu d'arpents suffisaient A  l'un et A  l'autre. Cependant, comme les familles crûrent en nombre, et que l'industrie des hommes s'accrut aussi, leurs possessions furent pareillement plus étendues et plus grandes, A  proportion de leurs besoins. On n'ait pas coutume pourtant de fixer une propriété A  un certain endroit : cela ne s'est pratiqué qu'après que les hommes eurent composé quelque corps de société particulière, et qu'ils eurent bati des villes : alors, d'un commun consentement, ils ont distingué leurs territoires par de certaines bomes ; et, en vertu des lois qu'ils ont faites entre eux, ils ont fixé et assigné A  chaque membre de leur société telles ou telles possessions. En effet, nous voyons que, dans cet endroit du monde qui demeura d'abord quelque temps inhabité, et qui vraisemblablement était commode, les hommes, du temps A !Abraham, allaient librement A§A  et lA , de tous côtés, avec leur bétail et leurs troupeaux, qui étaient leurs richesses. Et il est A  remarquer qu'Abraham en usa de la sorte dans une contrée où il était étranger. De lA , il s'ensuit, mASme bien clairement, que du moins une grande partie de la terre était commune, et que les habitants du monde ne s'appropriaient pas plus de possessions qu'il leur en fallait pour leur usage et leur subsistance. Que si, dans un mASme lieu, il n'y ait pas assez de place pour nourrir et faire paitre ensemble leurs troupeaux ; alors, par une accord entre eux, ils se séparaient'2, ainsi que firent* Abraham et Lot, et étendaient leurs paturages partout où il leur plaisait. Et c'est pour cela aussi qu'ésaû abandonna son père" et son frère, et élit sa demeure en la montagne de Séir.
39. Ainsi, sans supposer en Adam aucune domination particulière, ou aucune propriété sur tout le monde, exclusivement A  tous les autres hommes, puisque l'on ne saurait prouver une telle domination et une telle propriété, ni fonder sur elle la propriété et la prérogative d'aucun autre homme, il faut supposer que la terre a été donnée aux enfants des hommes en commun ; et nous voyons, d'une manière bien claire et bien distincte, par tout ce qui a été posé, comment le trail en rend propres et affectées, A  quelques-uns d'eux, certaines parties, et les consacrent légitimement A  leur usage ; en sorte que le droit que ces gens-lA  ont sur ces biens déterminés ne peut AStre mis en contestation, ni AStre un sujet de dispute.
40. Il ne parait pas, je m'assure, aussi étrange que ci-dent, de dire, que la propriété fondée sur le trail, est capable de balancer la communauté de la terre. Certainement c'est le trail qui met différents prix aux choses. Qu'on fasse réflexion A  la différence qui se trouve entre un arpent de terre, où l'on a té du ac ou du sucre, ou semé du blé ou de l'orge, et un arpent de la mASme terre, qui est laissé commun, sans propriétaire qui en ait soin : et l'on sera conincu entièrement que les effets du trail font la plus grande partie de la leur de ce qui provient des terres. Je pense que la supputation sera bien modeste, si je dis que des productions d'une terre cultivée, 9 dixièmes sont les effets du trail. Je dirai plus. Si nous voulions priser au juste les choses, conformément A  l'utilité que nous en retirons, compter toutes les dépenses que nous faisons A  leur égard, considérer ce qui appartient purement A  la nature, et ce qui appartient précisément au trail : nous verrions, dans la plupart des revenus, que 99 centièmes doivent AStre attribués au trail.
41. Il ne peut y avoir de plus évidente démonstration sur ce sujet, que celle que nous présentent les divers peuples de l'Amérique. Les Américains sont très riches en terres, mais très pauvres en commodités de la vie. La nature leur a fourni, aussi libéralement qu'A  aucun autre peuple, la matière d'une grande abondance, c'est-A -dire, qu'elle les a pourvus d'un terroir fertile et capable de produire abondamment tout ce qui peut AStre nécessaire pour la nourriture, pour le vAStement, et pour le plaisir : cependant, faute de trail et de soin, ils n'en retirent pas la centième partie des commodités que nous retirons de nos terres ; et un Roi en Amérique, qui possède de très amples et très fertiles districts, est plus mal nourri, plus mal logé, et plus mal vAStu, que n'est en Angleterre et ailleurs un ouvrier A  la journée.
42. Pour rendre tout ceci encore plus clair et plus palpable, entrons un peu dans le détail, et considérons les provisions ordinaires de la vie, ce qui leur arrive autant qu'elles nous puissent AStre utiles. Certainement, nous trouverons qu'elles reA§oivent de l'industrie humaine leur plus grande utilité et leur plus grande leur. Le pain, le vin, le drap, la toile, sont des choses d'un usage ordinaire, et dont il y a une grande abondance. A la vérité, le gland, l'eau, les feuilles, les peaux nous peuvent servir d'aliment, de breuge, de vAStement : mais le trail nous procure des choses beaucoup plus commodes et plus utiles. Car le pain, qui est bien plus agréable que le gland ; le vin, que l'eau ; le drap et la soie, plus utiles que les feuilles, les peaux et la mousse, sont des productions du trail et de l'industrie des hommes. De ces provisions, dont les unes nous sont données pour notre nourriture et notre vAStement par la seule nature, et les autres nous sont préparées par notre industrie et par nos peines, qu'on examine combien les unes surpassent les autres en leur et en utilité : et alors on sera persuadé que celles qui sont dues au trail sont bien plus utiles et plus estimables ; et que la matière que fournit un fonds n'est rien en aison de ce qu'on en retire par une diligente culture. Aussi, parmi nous-mASmes, une terre qui est abandonnée, où l'on ne sème et ne te rien, qu'on a remise, pour parler de la sorte, entre les mains de la nature, est appelée, et avec raison, un désert, et ce qu'on en peut retirer, monte A  bien peu de chose.
43. Un arpent de terre, qui porte ici trente boisseaux de blé, et un autre dans l'Amérique, qui, avec la mASme culture, serait capable de porter la mASme chose, sont, sans doute, d'une mASme qualité, et ont dans le fond la mASme leur. Cependant, le profit qu'on reA§oit de l'un, en l'espace d'une année, ut 5 livres, et ce qu'on reA§oit de l'autre, ne ut peut-AStre pas un sol. Si tout le profit qu'un Indien en retire était bien pesé, par rapport A  la manière dont les ch





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