Les psychologues affirment que la connaissance nait et s'affermit dans l'action. Cette approche a été popularisée par Piaget qui l'a introduite dans le cadre de ses recherches sur la construction cogni-tive des enfants. Elle a eu un succès croissant dans la philosophie, notamment avec Habermas ; et certains commentateurs veulent en faire le paradigme moderne de la gestion : il n'y a pas d'action sans connaissance, disent-ils, et inversement.
A se situer sur un plan très général, on les suivrait aisément. Cependant, une définition aussi sommaire ne permet de répondre A aucune des questions que nous nous posons A propos de la connaissance. D'une part, la notion d'action - qui est clé dans la théorie de Piaget - n'est pas assimilable A la réalité du travail, qui s'exerce sur un objet précis et économiquement finalisé, mais surtout, cette définition oublie qu'il existe une logique autonome dans la formation de la connaissance, ce que les philosophes appellent le -moment réflexif-. Pour le dire d'un trait, elle ne distingue pas suffisamment le moment de l'action de celui de la réflexion.
Il s'agit pourtant lA du problème posé A l'entreprise, de son principal problème, mASme.
Le problème de l'efficacité face A la dualité des modes d'organisation
Que la connaissance soit liée A l'action est pour elle un acquis plus que centenaire, mais, aujourd'hui, ce dont elle se rend compte, c'est que connaissance et action (travail) ne suivent pas la mASme logique, la mASme logique organisée. C'est du moins ce qui ressort de l'enquASte que nous venons de mener jusqu'ici, où nous avons vu que la manière dont la connaissance se forme, se partage, se transmet, cette manière s'organise en entreprise selon un circuit propre, autonome par rapport A l'organisation -normale- sur laquelle elle se greffe. Et ce mASme si elle participe du
travail des mASmes acteurs et justifie A ce titre d'une action globale du management.
La question qui se pose dans ces conditions est double ; elle est de savoir distinguer ces deux modes d'organisation du travail désormais concomitants en entreprise; mais elle est aussi de penser ensemble l'efficacité de ces deux logiques. Car on le sait, c'est sur sa production -normale- que l'entreprise sera jugée et c'est sur le
capital global qu'elle sera évaluée : comment penser globalement l'efficacité de la dynamique de connaissance au sein d'une entreprise réelle soumise A des contraintes économiques
données ? C'est la question inaugurale du management des connaissances qui se repose A nous maintenant.
Sur un tel questionnement, il est clair cependant que nous avons avancé. Outre l'existence de ce circuit autonome de la connaissance, nous savons maintenant comment un
manager peut - A son niveau -optimiser son fonctionnement : c'est sa fonction d'influence. Néanmoins, pour aller au-delA , les autres enseignements conduisent A une indéniable complexité.
D'une part, comme nous le rappelions ci-dessus, la connaissance se produit, se transmet au sein mASme de l'actité quotidienne ; elle en est mASme un facteur d'efficacité. Cependant, nous savons que cette connaissance a un coût, un coût spécifique, et plus encore un coût dont on ne peut anticiper la renilité.
La question qui se pose est alors celle des critères qui permettent de décider du temps A y consacrer : comment juger si le travail de connaissance est trop coûteux ? Comment juger par exemple - -A l'heure des 35 heures- - de la renilité du temps passé A un retour d'expérience ?
D'autre part, et c'est sans doute un point très délicat, nous savons que, mASme produite au quotidien, la connaissance est un investissement ; elle est un capital.
Or, que la connaissance soit un investissement entraine cette conséquence majeure que son efficacité quotidienne doit AStre pensée aussi sur le terrain de la stratégie. Cela pourra choquer car on a longtemps présenté la
stratégie sous l'angle exclusif du marché, comme un choix ne portant que sur des produits A lancer. Mais l'idée de stratégie est plus large : littéralement, elle signifie que le choix réalisé pour atteindre un but, serr une finalité l'est aussi sur les
moyens A mettre en oeuvre. La stratégie est un choix global portant sur les fins et les moyens associés. Et tel est bien le cas de la connaissance en entreprise, car celle-ci est non seulement un moyen pour l'action, mais un moyen global pouvant et devant irriguer l'ensemble des actions de l'entreprise.
Parler d'efficacité de la connaissance en entreprise reent donc A poser une double question :
- la question des critères qui permettent A un manager de réguler sa dynamique au quotidien, c'est-A -dire d'affecter des ressources A sa mise en ouvre ;
- et celle de la manière dont ces choix peuvent AStre appréhendés globalement par l'entreprise - ou a minima régulés par ses orientations stratégiques.
Et cette troisième partie est consacrée A y répondre.
La dialectique de l'efficacité entre le niveau d'une équipe et le niveau global
Ce faisant, il faut bien voir que nous nous écartons de la compréhension traditionnelle de l'efficacité opérationnelle. En effet, on considère spontanément que l'efficacité opérationnelle s'appréhende de faA§on autonome, -comme si- elle ne dépendait que de l'équipe de travail elle-mASme. L'idée en est si forte qu'elle a été peu affectée par la logique des processus qui introduit la notion d'une efficacité transversale aux équipes.
Or, si la discussion que nous menons a un sens, c'est bien de renverser cette conception, au moins pour ce qui est de la dynamique de connaissance. Car non seulement nous pointons la difficulté d'y mesurer l'efficacité, mais surtout nous y découvrons un phénomène nouveau d'interdépendance entre équipes et entreprise, une forme de dialectique de l'efficacité : on ne peut penser l'efficacité de la connaissance dans un secteur indépendamment de sa contribution globale A l'entreprise ; et, inversement, l'efficacité d'un secteur dépendra de ce qui sera produit -ailleurs-. Plus délicat encore, ce phénomène apparait alors mASme que les critères classiques d'efficacité demeurent - pour ce qui est de la production -normale- de l'équipe.
Face A de tels enjeux, il nous semble que les entreprises sont aujourd'hui démunies. Elles le sont parce que leurs outils de mesure sont très souvent contre-productifs, nous l'avons vu plusieurs fois, mais elles le sont aussi parce qu'il n'existe pas de modèle possible pour piloter l'efficacité de la connaissance.
Parler d'efficacité dans ces conditions ne peut se situer que sur un terrain particulier : celui du manager dans son équipe ou de l'entreprise confrontée A son marché. Qui plus est, cela ne peut se faire que sur plan souvent qualitatif : car on ne pourra jamais connaitre en soi et encore moins mesurer -objectivement- l'efficacité d'une connaissance.
Efficacité, capitalisation et stratégie dans l'univers de la connaissance (le de cette troisième partie)
Sous cette réserve, qui est aussi parti pris de modestie, ce que nous avons dit jusqu'ici et nos propres observations peuvent permettre des avancées significatives dans ce qui apparait comme des principes globaux du management des connaissances. C'est le propos de la démarche que l'on va présenter dans cette troisième partie et que l'on pourrait résumer en trois propositions :
1. L'efficacité du management opérationnel est liée A sa compréhension de la globalité de la dynamique de connaissance dans l'entreprise ainsi que de la position de son équipe de travail par rapport cette dynamique globale.
Il s'agit de la conséquence directe de ce que nous venons de dire. A partir du moment, en effet, où un manager voudra agir sur l'efficacité de son équipe, il ne pourra faire abstraction des interactions entre la connaissance globale de l'entreprise et celle générée par son équipe. Il y sera mASme directement confronté. L'enjeu du management sera donc de reconnaitre les lieux où ces interactions se produisent, de comprendre leur position relative dans les deux formes organisées qui le concernent. On peut mASme dire qu'il s'agit d'un enjeu premier pour un management qui aurait déjA maitrisé sa capacité A agir -sur- la connaissance, ce que nous avons appelé -sa- fonction d'influence. C'est pourquoi nous lui consacrerons notre chapitre 8 qui reprendra ce que nous avons dit sur les lieux de formation de la connaissance, et mettra en édence cinq concepts ou lieux clés permettant d'identifier - et d'identifier de faA§on opératoire pour un manager de terrain - la dynamique globale de la connaissance en entreprise.
Nous définirons alors cette dynamique comme un système de production*, de partage et d'assimilation des connaissances pour insister A la fois sur son autonomie et son ancrage dans le cour organisé de l'entreprise.
2. L'efficacité du management est aussi liée A sa contribution A la capitalisation de la connaissance collective et A sa circulation dans l'entreprise.
Il s'agit lA de l'application directe de ce que nous avons dit sur le statut de capital de la connaissance collective. Dans la mesure où ce capital se produit désormais -dans le cadre de l'opérationnalité quotidienne-, sa gestion devra faire partie du quotidien du management au mASme titre que les enjeux d'efficacité directe. Mais le capital connaissance est un capital foncièrement hétérogène, et l'on ne peut disposer, A cet effet, de techniques génériques valables pour toutes les formes de capital.
L'objet du chapitre 9 sera de dépasser cette difficulté en présentant les principales démarches de valorisation auxquelles on pourra se référer.
3. L'efficacité d'une équipe sur le terrain de la connaissance ne peut s'évaluer qu'en fonction de la stratégie de l'entreprise qui en retour sera déterminée par les questions de connaissance. Et dans le contexte actuel, on peut déterminer un certain nombre de choix stratégiques types autour desquels les stratégies des entreprises gagneraient A s'organiser.
Ce dernier point est en quelque sorte la synthèse de ce que nous avons dit. A partir du moment où la contribution d'un secteur A l'efficacité dépend de ce qu'on pourrait appeler une fonction de connaissance globale, il est clair que les choix effectués centrale-ment dans l'entreprise détermineront l'intérASt de sa propre contribution et donc des critères d'efficacité qu'il pourra mobiliser. Cependant, en retour, il faut bien voir que cette stratégie d'entreprise ne pourra plus s'élaborer - comme c'est encore trop souvent le cas - sans se situer d'entrée dans l'univers de la connaissance, sans faire des choix sur ce qu'on veut y développer.
Le propos de notre chapitre 11 sera alors d'éclairer cette question. Nous le ferons par croisement entre l'analyse que nous aurons alors achevée et de ce que nous savons des entreprises actuelles. Nous connaissons en effet les fonctions clés où vont se situer les enjeux clés de connaissance A l'avenir : respectivement la fonction de conception et l'univers de la
relation client. Compte tenu des situations concrètes auxquelles nous avons été confrontées, il nous sera possible de dégager un six choix types qui permettent d'après nous d'éclairer les réflexions stratégiques actuelles des entreprises.
Insistons bien sur ce que ces choix ne sauraient AStre génériques, qu'ils dépendent notamment des secteurs économiques des entreprises concernées. C'est la raison pour laquelle - et sans prétention A l'exhaustité - nous diserons ce chapitre en deux parties respectivement consacrées au monde industriel et A celui du serce.
Enfin, compte tenu de son importance actuelle, nous consacrerons un chapitre spécialisé aux systèmes informatisés de connaissance. Il ne s'agira lA que d'une parenthèse technique sans prétention A l'innovation et située pour cela au chapitre 10. Cela nous permettra de préciser certaines questions, sans doute transitoires, mais suffisamment délicates aujourd'hui pour apparaitre liées au management des connaissances.
L'ancien et le nouveau dans le management des connaissances
Tels sont d'après nous les principaux enjeux du management des connaissances. Rappelons qu'ils supposent une pratique, celle de la fonction d'influence que nous venons d'exposer (Partie II). Et rappelons aussi qu'ils incluent les acquis de ngt/trente années d'expérience en matière d'organisation du travail et de management (Partie I). L'entreprise est en effet chose vante, elle évolue très te; mais l'expérience aussi existe. Plus qu'on ne le croit ou plus que ne veulent bien le dire certains auteurs A la mode.
C'est pour cela que le management des connaissances rime encore et rimera encore longtemps avec la -eille- question de l'efficacité économique.