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DROIT

Le droit est l'ensemble des règles générales et abstraites indiquant ce qui doit être fait dans un cas donné, édictées ou reconnues par un organe officiel, régissant l'organisation et le déroulement des relations sociales et dont le respect est en principe assuré par des moyens de contrainte organisés par l'État.


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L'ambiguïté de la philosophie des droits de l'homme

L'ambiguïté de la philosophie des droits de l'homme
L'élaboration des déclarations. ' Comment s'étonner de l'ambiguïté de la philosophie des droits de l'homme si l'on se remémore dans quel contexte elle a été formulée ? Les grands principes, ceux A  partir desquels elle va se développer ou AStre jugée, ont été l'oeuvre d'assemblées politiques. Ce fut le cas aux Etats-Unis d'Amérique. Cela le fut également en France. L'Assemblée nationale constituante adopta, article par article, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen après en air admis le principe. Travaux des commissions et comités, discussions en séance plénière, tes, se sont échelonnés du 9 juillet au 26 août 1789 dans un climat politique dont il est inutile de rappeler A  quel point il est - rélutionnaire - et souvent fiévreux. Ceci est sans doute propre A  galvaniser les énergies et A  fariser l'adoption de formules percutantes suscitant l'enthousiasme : la Déclaration en est une remarquable illustration.
Seuls, les orateurs hors pair avaient a priori des chances de retenir l'attention d'une assemblée de plus de mille membres, auxquels se joignait une assistance nombreuse et souvent bruyante, d'autant plus que la salle était inadaptée aux travaux parlementaires et que les moyens techniques modernes étaient, bien sûr, inexistants
Toutefois un tel travail collectif ne présentera, par définition, ni l'unité, ni la cohérence de celui élaboré par un seul homme ou par un petit groupe partageant la mASme philosophie ou les mASmes croyances. Chaque député avait probablement ses motivations profondes au moment du te de chaque article. Rien ne dit que les majorités ne correspondaient pas A  des convergences fortuites. Rationnellement une telle œuvre collective est pluraliste non seulement dans son inspiration mais aussi dans ses composantes.

1 La diversité des origines

Les auteurs de la déclaration. ' La diversité d'inspiration qui marque la Déclaration pourrait a priori apparaitre comme
la résultante naturelle de la diversité sociale de l'Assemblée; celle-ci ne compte-t-elle pas des membres appartenant aux trois ordres : clergé (haut et bas), noblesse (haute et basse également) et tiers état? Les membres du tiers état sont eux-mASmes fort différents : par leur age d'abord puisqu'ils se partagent A  peu près également entre moins et plus de quarante ans; par leur fortune et leurs convictions très difficiles A  connaitre; par leur domicile mASme si les villes sont un peu mieux représentées; en revanche, plus des deux tiers d'entre eux sont des hommes de lois ou des détenteurs de postes administratifs*. Cette forte présence des juristes ne fut pas sans influence sur le contenu des débats, A  commencer par ceux qui portèrent sur l'utilité mASme d'une Déclaration des droits. Ses partisans la présentaient comme un Code de Sagesse et de Raison, ou en d'autres termes, comme la mise en forme juridique de principes universels. Elle était destinée A  l'édification des peuples et A  servir de fondement A  la construction de l'édifice constitutionnel. Les opposants dénonA§aient son caractère trop métaphysique et abstrait. Il n'existe pas de droits dans la nature et encore moins de droits illimités. Ils souhaitaient au moins ir cette déclaration accomnée de celle des deirs.

L'esprit du xvine siècle. ' Quels que soient leurs objectifs, la plupart des intervenants, et notamment les partisans d'une déclaration et les rédacteurs de projets, étaient imprégnés des mASmes idées, mASme s'ils les interprétaient différemment. Ils utilisaient le mASme cabulaire. On entendit constamment revenir les mots de liberté, nature, contrat social, raison, bonheur, prospérité, égalité, lonté*. Les mots sont révélateurs d'une certaine mentalité, de la diffusion de ce que l'on a appelé par la suite - l'esprit du xvine siècle -.

Il faut d'ailleurs AStre très prudent lorsqu'on éque cette notion. Les - philosophes - sont très différents les uns des autres : chrétiens, matérialistes ou déistes, partisans d'un changement radical ou seulement de réformes dans le domaine politique, soucieux de soulager les misères ou de maintenir la hiérarchie sociale. Aucune bipolarisation de la pensée franA§aise, pour raisonner en termes contemporains, n'apparait. Certains athées (Diderot et surtout d'Holbach) sont très conservateurs dans le domaine social. Voltaire est partisan de réformes humanitaires et rationnelles dans le domaine judiciaire mais son despotisme éclairé suppose que le peuple ne le soit pas. La sensibilité populaire et religieuse de Rousseau n'en fait pas pour autant un libéral. MASme lorsqu'il s'agit d'équer des hypothèses historiques, les contradictions éclatent. Quoi de commun entre les théories du contrat social de Hobbes, Locke, Rousseau et de bien d'autres? De mASme, lorsqu'il s'agit de proposer des remèdes en matière d'organisation politique, la théorie de la lonté générale de Rousseau est radicalement incompatible avec la séparation des pouirs de Montesquieu.
Tout ceci n'empASche pas la formation d'une opinion moyenne, a priori farable A  une réflexion politique fondée sur la Raison, et se ralliant A  une croyance vague dans la perfectibilité des institutions. Les dernières réformes de Louis XVI n'allaient-elles pas dans le mASme sens?'. Aussi, indépendamment de leurs convictions profondes, une grande partie des FranA§ais qui avaient reA§u une formation intellectuelle et disposaient des loisirs nécessaires avait-elle pris l'habitude de réfléchir sur ces questions. Une diffusion assez large de l'instruction dans les petites écoles et les collèges, et de l'information par les ouvrages imprimés, les gazettes et journaux, les académies de province, ire les loges maA§onniques et les salons parisiens leur en avait donné les moyens8.
A partir de 1760, et peut-AStre encore plus après 1780, une minorité certes, mais non négligeable de nos compatriotes admet un certain nombre d'idées ambiguA«s. La société repose sur un contrat passé entre les individus. Ceux-ci sont titulaires d'un certain nombre de droits subjectifs : droit A  la liberté individuelle pouvant s'étendre A  la liberté économique (courant des physiocrates) et A  la liberté politique; droit A  la sûreté supposant une procédure judiciaire rationnelle et équile; droit de propriété consistant A  disposer de ses biens A  l'abri de toute intervention extérieure. Ces droits sont les mASmes pour tous, mais l'égalité de fait n'est revendiquée que par quelques penseurs extrémistes. Ils sont d'autant plus absolus qu'ils s'insèrent dans le cadre d'une philosophie de progrès et sont conA§us par des hommes n'ayant aucune expérience du pouir et de l'administration'.
Ces revendications semblaient pourtant réalistes dans la mesure où on inquait un exemple étranger paré de toutes les vertus, le modèle anglais. Après air retenu les thèmes les plus simples de l'analyse subtile de Montesquieu, on s'attachait A  la vulgarisation, plus imprécise, mais aussi plus attrayante, de Voltaire dans ses - lettres anglaises - ainsi qu'aux visions un peu idylliques d'auteurs secondaires. On retient surtout qu'il existe un pays respectueux de la liberté individuelle, de la liberté de conscience et de la liberté de la presse où la justice est indépendante et impartiale. L'anglomanie met en valeur la séparation des pouirs et non le rôle politique très mineur des sujets britanniques et les inégalités sociales au moins aussi criantes que celles que l'on connait en France. Somme toute, l'Angleterre semblait une patrie de rASve pour les grands bourgeois philosophes et les nobles peu conformistes, au nom de principes universels. Leur argumentation portait cependant car leur dénonciation des abus du pouir royal franA§ais était largement fondée.

Les - abus - de l'Ancien Régime. ' II est, en effet, difficile de mesurer aujourd'hui, avec précision, le rôle joué par les - abus - de l'Ancien Régime dans l'élaboration d'une nouvelle philosophie politique. Ceux-ci, vivement dénoncés dans tous les secteurs de l'opinion, l'étaient officiellement et publiquement par l'autorité royale elle-mASme10. L'absurdité et le caractère intolérable de certaines pratiques arbitraires étaient d'autant plus difficiles A  supporter qu'elles ne semblaient plus motivées par l'intérASt général mais uniquement par celui des privilégiés : - Tant que les interventions de l'absolutisme royal furent rares, justifiées par la raison d'Etat, le roi et ses conseillers immédiats restaient maitres de leur application. Il en fut autrement lorsqu'elles se généralisèrent. Les ministres eux-mASmes n'en contrôlèrent pas toujours l'emploi qui fut confié A  des fonctionnaires subalternes, au grand dommage du prestige royal. De simples officiers de police jouissaient des prérogatives du pouir suprASme. Leurs fautes rejaillissaient sur la personne mASme du monarque dont le sceau et la signature étaient trop souvent galvaudés, mis au service de rancunes privées et parfois de combinaisons inauables -". Il y aurait probablement une histoire de l'hypocrisie A  la fin de l'Ancien Régime, A  écrire en relation avec l'histoire de l'affirmation des droits de l'homme. On s'étonne parfois de l'extrémisme philosophique sous-entendu par certaines formules. Ne faut-il pas les comprendre plus sous leur aspect négatif (condamnation de ce qui existe) que sous leur aspect positif (proclamation de principes nouveaux)? Dans de nombreux autres domaines où elle semble poser des règles nouvelles, la Déclaration ne fait que dénoncer des pratiques existantes. - La liberté d'aller et de venir se rapportait A  la Bastille et aux lettres de cachet; la liberté d'écrire et d'imprimer rappelait l'Emile brûlé par les mains du bourreau et Rousseau banni pour l'un des plus beaux livres du siècle; la liberté de conscience rappelait les protestants chassés du royaume et destitués de l'état civil. La propriété affirmée comme droit naturel répondait aux vieilles redevances féodales auxquelles elle avait été asservie L'égalité devant la loi s'opposait aux justices exceptionnelles; l'égale admissibilité aux charges, aux privilèges des grades réservés aux nobles; la répartition proportionnelle des impôts, au souvenir de la taille exclusivement payée par le tiers état -.

Une société de liberté. ' La libre communication des idées proclamée A  l'article 11 constitue une condamnation du procédé de la censure. Mais depuis longtemps on parvenait A  faire imprimer et diffuser les ouvrages les plus divers jusqu'A  la cour royale. Les poursuites encore intentées contre des colporteurs ou imprimeurs n'en paraissaient que plus arbitraires. La liberté religieuse remet en cause l'unité de foi officiellement en vigueur. Mais en fait les protestants ne faisaient plus l'objet de persécutions systématiques, mASme avant l'édit de tolérance de 1787. Les brimades dont ils souffraient, la fausse appartenance catholique affichée par certains étaient considérées comme autant d'hypocrisies. L'égalité des droits remet en cause l'ordre social de l'Ancien Régime. Elle met plus simplement le droit en accord avec la réalité : - A la fin du xvine siècle, on pouvait encore aperceir, sans doute, entre les manières de la noblesse et celles de la bourgeoisie une différence; car il n'y a rien qui s'égalise plus lentement que cette superficie de mœurs qu'on nomme les manières; mais, au fond, tous les hommes, placés au-dessus du peuple se ressemblaient; ils avaient les mASmes idées, les mASmes habitudes, suivaient les mASmes goûts, se livraient aux mASmes plaisirs, lisaient les mASmes livres, parlaient le mASme langage. Ils ne différaient plus entre eux que par les droits -l3.
Beaucoup de condamnations globales de l'Ancien Régime apparaissent injustes. Mais les avantages du système, acquis depuis longtemps étaient beaucoup moins visibles que ses vices et son illogisme. - Ainsi s'explique comment nos ancAStres, après air vécu sous un régime A  peu près tolérable, y virent la plus odieuse tyrannie et datèrent de la prise de la Bastille l'avènement de la liberté individuelle -l4.
Et pourtant les libertés dont certains FranA§ais jouissaient sous l'Ancien Régime feraient, aujourd'hui encore, bien des envieux! Combien d'écrivains dissidents apprécieraient de disposer de la liberté de fait dont Voltaire, les Encyclopédistes et bien d'autres firent l'usage que l'on sait, mASme si elle s'accomna de quelques poursuites et tracasseries ?
Le pays vivait dans une certaine ambiance de - tolérance -. Les privilégiés eux-mASmes avaient depuis longtemps revendiqué des droits. La - fronde aristocratique - précéda en 1788 la rélution bourgeoise. Soucieux de défendre leurs privilèges, les parlementaires n'hésitèrent pas A  opposer leurs droits au pouir royal. De mASme ils avaient habitué l'opinion publique éclairée A  ce que les actes du monarque soient soumis au crible de leurs critiques. Ils dénonA§aient depuis longtemps comme arbitraires tous ceux que le roi leur imposait en lit de justice, le plus souvent, il faut pourtant le reconnaitre, dans l'intérASt général. Depuis plusieurs décennies déjA , l'Europe de l'Ouest apparaissait comme une terre de liberté surtout lorsqu'on la ait A  l'Europe de l'Est. Le Moyen Age lui-mASme très dénigré alors avait farisé plus qu'on ne le croit cette éclosion de liberté : liberté des ordres religieux et des clercs, liberté des Universitaires, liberté des bourgeois, liberté des nobles, liberté relative de certaines communautés paysannes revendiquant, lors de mouvements plus ou moins spontanés, un droit A  l'égalité. Il n'est pas question d'écrire cette histoire de la liberté en Europe occidentale dans un simple manuel de Libertés publiques. Mais on ne saurait oublier que les hommes du xvine étaient le fruit d'une certaine civilisation mASme lorsqu'ils la reniaient. Ils se croyaient plus inspirés par l'exemple des Romains et des Grecs que par leur propre histoire nationale. Leur éducation les y poussait. Mais l'Antiquité n'était pas leur seule source d'inspiration. Il est, en effet, une autre question de plus en plus souvent posée depuis quelques années : celle de l'influence de la pensée chrétienne. Certes il y a longtemps que des auteurs ont affirmé une certaine filiation. Mais les positions officielles de l'Eglise d'une part, de ceux qui se réclamaient des principes de 1789 d'autre part, semblaient les contredire. Or précisément une élution très nette se produit actuellement : - Que n'ont pas fait les fils et filles de tre nation pour la connaissance de l'homme, pour exprimer l'homme par la formulation de ses droits inaliénables! On sait la place que l'idée de liberté, d'égalité et de fraternité tient dans tre culture, dans tre histoire. Au fond, ce sont lA  des idées chrétiennes. Je le dis tout en ayant bien conscience que ceux qui ont formulé ainsi, les premiers, cet idéal, ne se référaient pas A  l'alliance de l'homme avec la sagesse éternelle. Mais ils ulaient agir pour l'homme -, devait déclarer, fin mai 1980, le pape Jean-Paul II dans son homélie du Bourget.
Les idées de 1789 sont probablement inséparables d'un terreau chrétien. Notons d'ailleurs que la déclaration ne fut ni élaborée ni tée dans une ambiance antireligieuse et ne suscita pas sur-le-champ de réaction hostile du clergé. Si certaines affirmations sont en contradiction avec le dogme catholique et encore plus avec la conception que s'en faisait l'Eglise A  l'époque, il n'est pas certain que ceci fut évident pour les contemporains. C'est surtout plus tard que l'œuvre antireligieuse de la Rélution, et la part prise par de nombreux catholiques dans les mouvements monarchistes aidant, l'on vit dans ce texte un des éléments majeurs de l'opposition droite-gauche, monarchistes-républicains, cléricaux-anticléricaux. Ces clivages pouvaient AStre d'autant plus facilement exploités que les principes proclamés en 1789 étaient abstraits. Si on a pu en faire des lectures foncièrement différentes, c'est parce que leur diversité mASme le permettait.

2 La diversité des composantes

Les assemblées qui tèrent les déclarations de droits étaient plus ou moins représentatives de l'esprit du siècle. Ceci facilita un accord sur la forme et sur le cabulaire. En revanche cette convergence ne s'étendait pas nécessairement A  la portée des mots dans la mesure où ces derniers expriment des philosophies profondément différentes.


A - Les philosophies sous-jacentes

La philosophie du droit se divise traditionnellement entre un courant positiviste et les théories du droit naturel. (Sur cette question on se reportera avec profit aux ouvrages de M. Villey ; cf. Pour aller plus loin.)

Le positivisme juridique. ' Le positivisme juridique ne correspond pas A  une tendance moderne mASme s'il exprime aujourd'hui en France la pensée dominante. Il y eut de tous temps des positivismes dans la mesure où les dirigeants exigèrent l'obéissance au nom des ordres qu'ils promulguaient; nul besoin alors de justification théorique. Celle-ci apparut seulement lorsqu'il existait des tendances contradictoires. Ainsi les Grecs opposaient une loi supérieure, réglant le cours des astres et la vie des Cités, A  la loi humaine. Cette croyance était potentiellement porteuse de conflits. C'est dans ce contexte que les sophistes enseignèrent la primauté de la loi humaine confondue pour eux avec la loi du plus fort. De mASme, il exista A  Rome des tendances positivistes mASme si elles furent moins théorisées.
Cette conception du droit s'efface apparemment en Europe au Moyen Age. Elle réapparait et se développe A  partir de la Renaissance. Les nationalismes politiques et économiques, renforcés par la coupure religieuse qu'introduit la Réforme, sont A  l'origine d'une multitude de législations parallèles, parfois contradictoires, qu'aucune autorité ne vient harmoniser. Certaines philosophies antiques sont redécouvertes. Le scepticisme farise le doute quant aux mérites atifs des législations. L'épicurisme pousse l'individu A  rechercher le bonheur dans les plaisirs simples et une morale moyenne. Il it dans le droit un contrat fondé sur l'intérASt, tendant A  interdire les actes nuisibles et A  prescrire ceux qui sont utiles. Toutes ces philosophies avaient été formulées A  l'époque hellénistique alors que l'absolutisme poussait l'individu A  se désintéresser de l'élaboration de la règle de droit. Avec l'apparition de l'Etat moderne, les mASmes causes produisent des effets similaires. Dans la mesure où elle subsiste, la recherche juridique est le fait de nobles ou de bourgeois, n'ayant souvent aucune pratique judiciaire, plutôt que de clercs. Influencés par les théories scientifiques de leur époque, ils souhaitent que l'on puisse dégager des lois générales, claires et abstraites. Le droit y gagnerait en certitude A  défaut d'y gagner en justice, mASme lorsque ces lois sont qualifiées de naturelles.
Car les théories du droit naturel sont tout A  fait différentes. Elles apparaissent sous la forme que nous connaissons encore aujourd'hui, en Grèce, A  l'époque classique. Socrate réagit contre le matérialisme positiviste des sophistes. Parmi ses disciples, Platon et Aristote interprètent sa pensée dans des sens différents qui sont l'un et l'autre A  l'origine des grandes écoles du droit naturel.

Le droit naturel objectif. ' Avec Aristote, le droit naturel est objectif. Il considère en effet que la Nature, œuvre d'un Dieu créateur, obéit A  un ordre rationnel. Il doit exister une harmonie entre la loi et la Nature. Aussi la loi doit-elle découler, non d'un sentiment intérieur, mais d'une observation intelligente de l'ordre naturel, supposé rationnel. On recherchera la finalité de toute chose et institution et l'on en déduira la loi qu'elle suppose. La loi régnera avec l'impersonnalité qui a pour condition la généralité. Ceci rendra nécessaire son adaptation aux cas particuliers, laquelle devra se réaliser avec justice et équité.
La philosophie aristotélicienne du droit naturel sera reprise et développée par saint Thomas d'Aquin. Celui-ci donne une définition générale de la loi : - Elle n'est pas autre chose qu'une ordination de la raison en vue du bien commun, élie par celui qui a la charge de la communauté et promulguée -. Cette loi, loi humaine, constitue une promulgation de la loi naturelle, - participation de la loi éternelle dans la créature raisonnable -. Tous les AStres humains du fait de leur origine divine, peuvent, indépendamment de la foi, découvrir la loi naturelle. C'est ce qu'avait réussi A  faire le païen Aristote. C'est ce que peut faire, A  partir de l'observation intelligente de la création, la raison humaine. Toutefois, le respect de la loi naturelle, nécessaire, n'est pas suffisant. Cette dernière n'est que le reflet imparfait de la loi éternelle - raison de la divine sagesse, en tant qu'elle dirige tous les actes et toutes les nations -. Inaccessible A  la seule intelligence humaine, mais seulement par la Révélation, la loi éternelle dirige aussi les mouvements intérieurs qui échappent A  la loi humaine. Elle permet A  l'homme d'atteindre la fin de la béatitude éternelle A  laquelle il est ordonné". Saint Thomas dissocie nettement la loi éternelle et la loi naturelle, mASme si celle-ci n'est pas étrangère A  la première. Il marque aussi clairement la subordination de la loi humaine A  la loi naturelle. Les lois d'institution humaine n'obligent en conscience que si elles sont justes, en raison de leur fin (bien commun), de leur auteur (compétence), de leur teneur (répartition équile des charges)1'. La philosophie thomiste ne s'adresse pas uniquement au chrétien. Néanmoins elle ne prend tout son sens qu'en rapport avec la croyance en un ordre naturel divin.
Sans AStre jamais totalement abandonnée, la philosophie thomiste sembla décliner. MASme ceux qui s'en réclamaient avaient tendance A  y ir plus un dogme é qu'une méthode de recherche. Par ailleurs, ils y introduisirent de nombreux éléments hétérogènes et subjectifs. La redécouverte de philosophes antiques, plus axés sur une vision subjective du droit naturel était largement responsable de cette perte d'intérASt. On peut également inquer l'élution des sciences. Fondées sur la recherche des causes et non des finalités, attachées au quantitatif et au mesurable plutôt qu'aux valeurs, elles supposaient une certaine faA§on de ir la réalité. Celle-ci pouvait difficilement ne pas déteindre sur la formulation de la morale, de l'éthique et du droit.
Depuis un demi-siècle environ, on assiste cependant A  un renouveau de ces théories. Certains penseurs illustres y ont beaucoup contribué. D'autres considérations s'y ajoutent. Quels que soient les progrès des sciences exactes, il apparait de plus en plus improbable qu'ils permettront de comprendre toutes les lois de la nature. Ils se sont par ailleurs avérés incapables de protéger l'humanité d'un certain nombre de vices au premier rang desquels les totalitarismes. D'où la conclusion qu'il fallait séparer la recherche scientifique proprement dite et la réflexion éthique. La philosophie d'Aristote et de saint Thomas présente cet avantage de permettre, au moins jusqu'A  un certain point, une recherche commune aux croyants et aux incroyants. Elle peut fonder une morale laïque objective, acceple par tous. Ainsi peut-on expliquer sa coexistence actuelle avec les théories du droit naturel subjectif.

Le droit naturel subjectif. ' Pour Platon, la loi vient de la Nature de l'homme. Elle lui est dictée par la droite raison. C'est-A -dire par ce qu'il y a de divin en chaque individu. Supérieure A  l'homme, elle ne lui est cependant pas étrangère. La philosophie platonicienne aura une large diffusion dans le monde antique tout en se mASlant A  d'autres, dont le stoïcisme. Elle inspire Cicéron lorsqu'il définit ainsi la loi naturelle : - Une loi vraie, c'est la droite raison, conforme A  la Nature, répandue dans tous les AStres. - Tout comme saint Thomas christianisa la philosophie d'Aristote, saint Augustin avait christianisé la philosophie platonicienne A  laquelle il avait été formé par la lecture de Cicéron.
Partiellement éclipsées au xine siècle par l'influence de saint Thomas, les théories du droit naturel subjectif allaient progressivement réapparaitre. Le nominalisme de Guillaume d'Occam joua un grand rôle dans ce sens. Rejetant les genres, les espèces, les universels, il affirme le primat de l'individu. Dès lors, le réalisme n'a plus de signification. Les droits ne peuvent AStre cherchés dans la réalité extérieure. Ils ne peuvent AStre que subjectifs. Ces idées influencèrent de nombreux penseurs. La résurgence des philosophies antiques qui avaient été A  l'origine du déclin du thomisme vinrent au contraire conforter cette vision du monde. Le stoïcisme n'enseigne-t-il pas l'existence d'une force (logos) qui organise le monde et se révèle au niveau de notre conscience? Ainsi les théories du droit naturel subjectif allaient-elles se laïciser. La ix de la conscience fut censée, pour certains, venir de la nature de l'homme.
Avec Grotius notamment, le droit naturel découlant de la nature de l'homme se distingue A  la fois de la loi humaine et de la loi divine. Sa théorie du droit et de l'Etat est, A  la base, individualiste et contractuelle. L'Etat a la responsabilité du bien public. Mais cette notion correspond uniquement A  ce qui est d'une utilité - commune -. Elle n'implique aucunement l'existence de fins collectives propres distinctes de l'accomplissement des fins individuelles des membres du corps social. Pufendorf ira plus loin dans cette laïcisation du droit naturel. Il opère une distinction nette entre les deirs rationnels ou naturels qui s'imposent parce que la droite raison les fait apparaitre socialement nécessaires et les deirs résultant de l'Ecriture sainte. Droit naturel et droit divin sont cette fois séparés.
A la veille de la Rélution franA§aise, la plus grande partie de l'opinion éclairée croit plus ou moins confusément A  l'existence d'un sentiment du juste universellement répandu en chaque individu.

B - La portée des mots
Bien des mots seraient A  préciser lorsqu'on envisage les fondements des droits de l'homme. Un choix s'impose nécessairement. Aussi essaierons-nous de retenir les trois mots clés de Liberté, Egalité et Fraternité, devise de la République franA§aise. Un autre choix était, il est vrai, a priori possible. La Déclaration de 1789 n'énonce-t-elle pas au nombre des - droits naturels et imprescriptibles de l'homme -, la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance A  l'oppression - ? En fait l'approche de l'égalité est inséparable de celle du droit de propriété, de mASme que celle de la sûreté l'est de la notion mASme de liberté. Quant A  la résistance A  l'oppression, elle constitue plus une pétition de principe qu'un droit. Elle se situe en effet par définition hors de l'ordre juridique existant et mASme contre lui. Pur fait, dans une vision positiviste, tout au plus peut-elle se réclamer de certaines théories naturalistes. Il n'en va pas de mASme des trois notions retenues.

La liberté. ' Comme le montra magistralement Fustel de Coulanges, ce n'est pas la Grèce qui nous a légué notre conception de la liberté" : - Les anciens ne connaissaient ni la liberté de la vie privée, ni la liberté de l'éducation, ni la liberté religieuse. La personne humaine comptait pour bien peu de chose vis-A -vis de cette autorité sainte et presque divine qu'on appelait la patrie ou l'Etat C'est donc une erreur singulière entre toutes les erreurs humaines que d'air cru que dans les cités anciennes l'homme jouissait de la liberté. Il n'en avait pas mASme l'idée. Il ne croyait pas qu'il pût exister de droit vis-A -vis de la cité et de ses dieux. Nous verrons bientôt que le gouvernement a plusieurs fois changé de forme, mais la nature de l'Etat est restée A  peu près la mASme, et son omnipotence n'a guère été diminuée. Le gouvernement s'appela tour A  tour monarchie, aristocratie, démocratie, mais aucune de ces rélutions ne donna aux hommes la vraie liberté, la liberté individuelle. Air des droits politiques, ter, nommer des magistrats, pouir AStre archonte, ilA  ce qu'on appelait la liberté; mais l'homme n'en était pas moins asservi A  l'Etat. Les anciens, et surtout les Grecs, s'exagèrent toujours l'importance et les droits de la société, cela tient sans doute au caractère sacré et religieux que la société avait revAStu A  l'origine. -
La liberté des Grecs est une liberté politique. Est libre le citoyen qui participe A  la vie de sa Cité, elle-mASme libre, c'est-A -dire indépendante institutionnellement et économiquement de toute domination extérieure. Certes, il a pu exister dans certaines Cités, A  certains moments de leur histoire, une tolérance un peu plus grande dans le domaine qualifié aujourd'hui de vie privée, et l'on peut citer une phrase attribuée A  Périclès : - Nous ne nous irritons pas contre notre semblable lorsqu'il agit A  sa guise. - Mais, en tout état de cause, il ne s'agissait que d'une tolérance très relative, sans aucun fondement juridique. La Cité grecque est soumise A  des tendances totalitaires. Celles-ci apparaissent très nettement dans la Cité idéale décrite par Platon. On ne saurait non plus oublier que la très grande majorité des habitants est exclue de la jouissance de la liberté politique : femmes, enfants, étrangers et esclaves. Sous la mASme réserve Rome apparaitrait plus libérale : un esprit plus pragmatique s'accommode mieux d'une certaine liberté de fait que farise un cadre géographique plus étendu. Il n'en reste pas moins vrai que cette liberté est plus celle du citoyen soldat que celle de l'homme privé.
En réalité c'est dans le christianisme qu'il faut rechercher les origines de la liberté individuelle. Cette affirmation communément admise en histoire des idées pourrait surprendre. D'abord les premiers chrétiens eux-mASmes A  la suite de leur Maitre n'ont jamais revendiqué la liberté juridique. S'ils proclament haut et fort que le Christ les a libérés, ce n'est pas A  l'oppression politique qu'ils font allusion mais A  la seule qui compte réellement, celle du péché. Ensuite, il faut bien le reconnaitre, les Eglises chrétiennes ne se sont pas toujours montrées soucieuses, au cours de l'histoire, de la liberté individuelle et plus précisément de la liberté de conscience. Néanmoins, plusieurs raisons peuvent expliquer cette attitude. Institutions humaines, les églises sont influencées par la culture des peuples où elles existent. Leurs dirigeants et leurs membres ne sont pas A  l'abri des tentations autoritaires que les apôtres eux-mASmes avaient manifesté avant de se faire reprendre par le Christ". Au des principes, il est toujours difficile d'accepter de ir son semblable commettre des erreurs graves que l'on juge nuisibles A  lui-mASme et A  autrui. Pouirs spirituel et temporel, ne doivent-ils pas veiller A  l'en empAScher pour assurer le salut du pécheur? Pourtant, si ces considérations nobles ou moins nobles ont joué un grand rôle et si les premières se sont mASme traduites en théologie, la foi chrétienne est porteuse de liberté. En admettant que chaque AStre humain est appelé individuellement, qu'il est seul responsable de ses actes et ne sera jugé que sur eux, n'implique-t-elle pas que chacun est libre de mener sa vie comme il l'entend? D'autant plus qu'il est impossible de juger honnAStement autrui puisque nous ne connaissons pas le fond de son AStre. Tout au plus, comme la sentinelle, peut-on l'avertir ou l'appeler A  sa conversion. L'exemple mASme du Christ pourrait conforter cette opinion. N'a-t-il pas accepté que l'on refuse de le suivre?
Certes ce n'est pas cette argumentation qui domina la pensée du xvine siècle. Cependant, elle ne fut peut-AStre pas étrangère aux motivations des rédacteurs des Déclarations américaine ou franA§aise. Prenons-en deux exemples : Turgot, le ministre réformateur de Louis XVI auquel les philosophes et Voltaire rendirent hommage, souhaitait une laïcisation de l'Etat. A l'appui, l'ancien étudiant en théologie donne des arguments aussi bien théologiques que rationnels. La soumission due A  l'Eglise et A  la religion est seulement celle de la. conscience. Les rois sont soumis A  la religion en tant qu'individus, mais pas en tant que princes. Ils n'ont aucune compétence pour dicter la loi religieuse, domaine où leur ignorance est souvent notoire. Le domaine de la foi doit échapper A  toute intervention temporelle extérieure. On doit obéir lontairement et en conscience. La vérité s'imposera d'elle-mASme. Le Christ a donné l'exemple en reprenant vertement ses disciples qui ulaient faire tomber le feu céleste sur Samarie. Quant aux princes, leur seule mission est de faire le bonheur des peuples sur la terre. Ils doivent respecter les croyances individuelles. - Il faut craindre de mettre obstacle A  la vérité, en humiliant ceux qui ne la connaissent pas et qui ne méritent pas pour cela d'AStre humiliés -. Intéressante également de ce point de vue est la pensée de Mounier qui joua un grand rôle au début de la Rélution2'. Toutefois, les origines immédiates de la - liberté moderne - sont beaucoup plus laïques. On ne saurait oublier l'influence anglaise et, A  travers elle le pragmatisme anglo-saxon. Les libertés anglaises, car le pluriel correspond probablement mieux A  la réalité, se mettent en place progressivement, au gré des circonstances et des compromis. Montesquieu qui popularisa cette pratique, en fit la théorie, sans pour autant la rendre abstraite2-. On en veut pour preuve la définition de la liberté qu'il retient : - La liberté politique consiste dans la sûreté ou du moins dans l'opinion que l'on a de sa sûreté -. Cette définition subjective suppose la mise en place de garanties. Celles-ci sont connues. Il faut opérer une séparation des pouirs afin que le pouir arrASte le pouir. La méthode utilisée par Montesquieu part donc d'une analyse psychologique de la liberté et des risques d'arbitraire. Les violations des droits proviennent de ce que tout détenteur d'un pouir est tenté d'en abuser. Des précautions adaptées, la recherche d'un équilibre, permettront, sinon de supprimer les risques, du moins de les limiter.
Ce schéma était connu des Constituants franA§ais ou américains. Les déclarations rélutionnaires en portent la marque. Mais peu habitués A  la pratique du pouir, n'ayant réfléchi aux réformes qu'A  travers des lectures, les hommes du xvine siècle ont aussi tendance A  uloir rechercher des solutions abstraites A  cation universelle. La théorie du contrat social leur fournissait une explication apparemment scientifique et rationnelle des maux dont souffrait l'humanité. Elle donnait un fondement, lui aussi apparemment logique, A  des propositions de réformes. Les hommes vivaient dans l'état de nature. Ils ont ressenti le besoin de passer un contrat qui fonde la société. Si le schéma général est A  peu près able chez Hobbes, Locke, Rousseau et beaucoup d'autres auteurs, les différences n'en sont pas moins nombreuses et fondamentales. La vie dans l'état de nature est heureuse pour Locke et Rousseau, catastrophique pour Hobbes. Ce contrat implique un abandon total de la liberté chez Hobbes et Rousseau. La préservation de la liberté a pour seule garantie la lonté du souverain supposée raisonnable (Hobbes) ou la lonté générale supposée infaillible (Rousseau). En revanche, si l'on suit la pensée de Locke, les individus, heureux dans l'état de nature, n'eurent en vue qu'un plus grand bonheur en passant le contrat social. Il est donc impensable qu'ils aient renoncé A  tous leurs droits et libertés. Ils se sont dépouillés uniquement de ce qui est indispensable pour assurer la vie sociale dans l'intérASt de tous. C'est cette vision beaucoup plus optimiste de l'histoire des sociétés humaines qui a inspiré directement l'idée de droits naturels, inaliénables et sacrés, préexistant A  la société.
Compte tenu de son importance, il n'est pas inutile de rappeler le raisonnement de Locke dans le deuxième traité du gouvernement civil : - Les hommes sont tous, par nature, libres, égaux et indépendants comme on l'a dit et nul ne peut AStre dépossédé de ses biens, ni soumis au pouir politique d'un autre, s'il n'y a lui-mASme consenti. Le seul procédé qui permette A  quiconque de se dévAStir de sa liberté naturelle et d'endosser les liens de la société civile, c'est de passer une convention avec d'autres hommes, aux termes de laquelle les parties doivent s'assembler et s'unir en une mASme communauté, de manière A  vivre ensemble dans le confort, la sécurité et la paix, jouissant en sûreté de biens -30. Ainsi se forme un corps politique où la majorité possède normalement le pouir de décision : - Il faut donc admettre que tous ceux qui sortent de l'état de nature pour s'unir en communauté abdiquent entre les mains de la majorité la totalité des pouirs nécessaires A  la réalisation des fins sociales, A  moins qu'une stipulation expresse n'exige l'accord d'un nombre supérieur A  la majorité -. - ce pouir législatif est le pouir suprASme de la République Il n'est pas arbitraire, car il ne saurait air plus de pouir que chaque membre de la société politique individuellement. - MASme considéré dans ses plus grandes dimensions, - le pouir qu'elle (législature) détient se limite A  ce qu'exige le bien public de la société. C'est un pouir qui n'a d'autre fin que la conservation et qui ne peut donc jamais impliquer le droit de détruire les sujets, de les asservir, ni de les appauvrir A  dessein. Les obligations de la loi de nature ne s "éteignent pas dans la société -.
Locke est un des précurseurs du libéralisme, A  la différence de Hobbes ou de Rousseau. C'est cette vision libérale du contrat social qui prévaut A  la fin du xvine mASme lorsqu'on ne retient pas toutes les subtilités du raisonnement de l'auteur ou qu'on se livre A  des amalgames parfois illogiques. Ainsi combien de lecteurs de Rousseau ne conserveront qu'une image sentimentale de bonheur et de liberté dans l'état de nature et parleront de droits naturels sans se rendre compte des incompatibilités de cette vision avec l'admission de la toute-puissance de la lonté générale ? En fait toutes ces théories confortent l'individualisme ambiant, l'idée d'une liberté naturelle, sorte de paradis perdu qu'un nouveau contrat permettra de retrouver. Ce dernier suppose une croyance en l'égalité profonde des AStres.

L'égalité. ' Une histoire, mASme très brève, et donc nécessairement trop schématique, de l'idée d'égalité fait apparaitre une notion susceptible, tout comme la précédente, de multiples interprétations. On trouve les racines de l'idée d'égalité dans la pensée grecque. Le nom de Platon fut souvent associé, au cours de l'histoire, A  l'idée communiste. Non sans raisons, car La République nous décrit une Cité idéale où l'égalité se traduit par l'octroi de lopins de terre égaux pour les travailleurs et par un communisme presque intégral pour les guerriers et philosophes. Communisme des biens, mais aussi des femmes et des enfants, le tout assorti d'une réglementation et d'une surveillance minutieuse de tous les actes de la vie. Ce communisme totalitaire, frugal, repose sur des exclusions (esclaves, étrangers) et des sélections sévères (passage d'une classe A  une autre). Il a été vivement combattu par Aristote.
Pour Aristote, en effet, l'homme a besoin de propriété et d'affection exclusives. L'amitié et l'amour renforcent la Cité en farisant une nécessaire diversité. L'expérience enseigne que l'on se soucie peu de ce qui est collectif. Les enfants ou les biens seraient, en fait, traités avec une égale indifférence. De plus on ne résoudrait pas ainsi les querelles humaines : - En réalité ces maux n'ont jamais pour cause le défaut de communisme des biens, mais la perversité humaine. Car nous constatons que les possesseurs de biens en commun ou en indivision ont entre eux des conflits beaucoup plus fréquents que les citoyens dont les intérASts sont séparés -.
Au point de vue social, l'égalité doit AStre relative et tenir compte des capacités diverses des individus. Selon cet auteur on ne confie une flûte ni au plus grand ni au plus fort. De mASme on devrait confier les responsabilités politiques aux meilleurs et aux plus aptes. La démocratie est bonne en ce que tous les hommes sont effectivement égaux par certains aspects. Elle est néanmoins défectueuse car ils ne sont pas égaux en tout. A l'inverse, l'oligarchie prend en compte leurs inégalités naturelles, mais néglige trop l'égalité tout aussi naturelle. D'où la préférence d'Aristote pour le régime mixte faisant appel pour partie A  l'égalité numérique, et pour partie A  l'égalité d'après le mérite'4. Car - l'égalité est de deux espèces : l'égalité purement numérique et l'égalité d'après le mérite. J'entends par numériquement égal ce qui est identique et égal en nombre et en grandeur, et par égal selon le mérite ce qui est égal en proportion Mais tout en s'accordant sur cette idée que le juste au sens absolu est celui où on tient compte du mérite, les hommes cessent de s'entendre en ce que les uns pensent que, s'ils sont égaux en quelques points, ils sont égaux totalement, et que les autres, au contraire, croient que s'ils sont inégaux en quelque point, ils sont inégaux en tout -.
Il conviendra donc de traiter également ce qui est égal et inégalement ce qui est inégal. On doit prendre en compte les capacités lorsqu'il s'agit des citoyens. On reconnaitra des droits économiques mais non politiques aux étrangers, un pouir délibératif mais non de décision A  la femme. Quant aux esclaves, ils ne possèdent pas ce pouir délibératif. Dans de longs développements, Aristote explique que l'esclavage est admissible s'il existe des AStres humains ayant par nature besoin d'AStre soumis A  l'autorité d'un autre. Or précisément, ceci ne lui semble pas correspondre A  la réalité. Des esclaves ont des corps d'hommes libres, et des hommes libres ont des ames d'esclaves. D'ailleurs la plupart des esclaves, prisonniers de guerre, avaient auparavant prouvé leur capacité A  AStre libre. Aussi Aristote conseille-t-il A  leurs maitres de ne pas abuser d'autorité mais de les traiter avec intelligence et amitié. Aristote ne va pas jusqu'au bout de la logique de son raisonnement, en prônant la suppression de l'esclavage, mASme s'il conseille l'émancipation. Peut-AStre fut-il un peu prisonnier des données économiques de son époque et de son milieu culturel où l'esclavage apparaissait indispensable. Si les navettes tissaient toutes seules, explique-t-il, il n'y aurait pas besoin d'esclaves. Aristote est allé beaucoup plus loin que d'autres penseurs grecs. Il n'a pas franchi le dernier pas.
Celui-ci le sera dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres par le christianisme. L'Ancien Testament avait déjA  posé des principes fondamentaux. Créé A  l'image de Dieu, l'homme doit AStre respecté. Quelle que soit sa déchéance apparente, résultante de la misère, ire de ses fautes, il reste une créature divine. L'ensemble des règles bibliques s'inspire de cette idée. Ainsi les Hébreux possèdent-ils, non un droit de propriété absolu et arbitraire dans leur patrie, mais un - héritage -**. Les propriétés réparties A  égalité entre les tribus et les familles ne peuvent AStre vendues de faA§on définitive. De plus, les prophètes rappellent périodiquement aux riches leurs deirs fondamentaux".
Le Nouveau Testament va plus loin. Non seulement, il rappelle constamment l'obligation de respecter son semblable, mASme lorsqu'il est devenu un ennemi, A  ne pas se croire supérieur A  autrui et A  ne pas le juger sans sair, mais il contient un appel constant au dépassement.
Celui qui se déclare disciple du Christ doit AStre prASt A  lui sacrifier ses biens, ses affections terrestres et jusqu'A  sa propre vie.
Toute la tradition chrétienne reprendra cet esprit : - Il n'y a plus ni juif, ni grec, il n'y a ni esclave ni homme libre, il n'y a ni homme ni femme; car us tous ne faites qu'un dans le Christ -. L'apôtre des Gentils s'adressant aux Corinthiens les invitera aussi A  un partage concret de leurs biens - pour soulager les autres, us ne devez pas us réduire us-mASmes A  la gASne, mais d'après la règle d'égalité que tre superflu actuel compense leur indigence afin que leur superflu A  eux compense (dans une autre occasion) tre propre indigence, de manière que l'égalité s'élisse -. La tradition patristique se montre elle aussi très concrète et encore plus exigeante.
Cette exigence acquiert avec saint Thomas d'Aquin une forme plus juridique. Reprenant les bases de la philosophie d'Aristote, saint Thomas estime que l'homme peut posséder tout ce qui est utile A  sa fin. Le droit de propriété est un droit naturel, inaliénable, nécessaire A  la conservation de l'existence. Sa justification est pragmatique tout comme chez Aristote. Les propriétés individuelles farisent une meilleure gestion, évitent les discordes et permettent l'altruisme. Elles doivent AStre réparties conformément A  la justice distributive, c'est-A -dire en prenant en compte l'égalité numérique et l'égalité d'après le mérite. Chacun a le deir de tirer le meilleur parti de ses biens. Il doit donner s'il le peut du travail A  celui qui n'en a pas, pour lui permettre de gagner sa vie par lui-mASme. Lorsque cela ne s'avère pas possible, il doit, en dernier ressort, donner l'aumône. Car au niveau de la consommation, la finalité des biens l'emporte sur le droit de propriété. Celui-ci est subordonné A  une fonction sociale. Le propriétaire peut conserver ce qui est nécessaire A  sa vie. Le reste ne lui appartient pas vraiment mais doit AStre utilisé dans l'intérASt commun. L'avare pèche directement contre son prochain.
Cette conception de l'égalité et du droit de propriété se heurte aux égoïsmes. Elle fut aussi remise en cause dans son principe mASme sous l'influence des théories du droit naturel subjectif et du contrat social. Quelles que soient leurs conceptions plus précises, la plupart des auteurs associent l'état de nature A  une certaine égalité entre les individus. Rousseau est relativement marginal lorsqu'il it dans l'appropriation individuelle et le progrès technique la source de toutes les inégalités. Il l'est moins lorsqu'il propose d'y remédier par le contrat social. Mais ses théories deviennent très utopiques et présentent un réel danger de totalitarisme lorsqu'il estime qu'une égale soumission des individus A  la lonté générale leur permettra de préserver leur liberté et leur égalité.
Dans ce domaine, comme dans d'autres, les idées de J. Locke eurent probablement plus d'influence sur l'opinion publique éclairée. Voici de quelle faA§on il décrit la propriété dans l'état de nature : - Sur les terres communes nous yons que le fait générateur du droit de propriété, sans lequel ces terres ne servent A  rien, c'est l'acte de prendre une partie quelconque des biens communs A  tous et de la retirer de l'état où la Nature la laisse -. - La superficie de terre qu'un homme travaille, te, améliore, cultive, et dont il peut utiliser les produits, ilA  sa propriété -. Ainsi A  cette époque - le travail constituait la propriété -. Puis, plus tard, les terres étant devenues rares, les Etats et Royaumes - ont donné un titre dans leurs rapports mutuels, par une convention positive, un droit de propriété qui porte sur des parties et des parcelles distinctes du monde -. Ainsi la société affermit le droit de propriété. Elle vient consacrer ce que chacun avait librement acquis par son travail dans l'état de nature. La convention sociale a été passée lorsque les terres se sont raréfiées. Jusque-lA , accumuler au-delA  de ses besoins était malhonnASte, mais surtout inutile. Tout change avec l'apparition de la monnaie. Désormais on peut posséder plus qu'il n'est nécessaire.
Aucune explication rationnelle ou logique n'est donc donnée pour justifier cette répartition inégale des propriétés. L'analyse historique la plus élémentaire contredirait radicalement cette élution. Pourtant Locke et de nombreux auteurs après lui fonderont sur la raison un droit de propriété absolu que consacrera le Code civil". Ce ne sera pas lA  l'un des moindres paradoxes du xvine siècle. On y proclamera en mASme temps et de faA§on aussi absolue l'égalité des droits et le droit de propriété. La philosophie du xvine qui avait tant combattu les privilèges au nom de la Raison, n'hésita pas A  fonder sur celle-ci un droit de propriété illimité qui constituera un - privilège - d'une bien plus grande importance encore. Dans ces conditions, l'émergence d'un droit individualiste A  l'égalité se faisait en partie au détriment de la fraternité.

La fraternité. ' L'origine de la notion de - fraternité - est encore plus délicate A  préciser que les deux précédentes. Elle éque immédiatement la pensée chrétienne. C'est en effet dans le Nouveau Testament que l'on trouve aussi clairement proclamée cette fraternité universelle. Fils d'un mASme Dieu, tous les AStres humains sont frères et doivent se comporter comme tels. Si l'Antiquité avait pu, antérieurement, reconnaitre les deirs vis-A -vis du prochain, il s'agissait alors vraiment du plus proche par les liens de parenté ou par l'appartenance A  une mASme cité ou communauté politique. L'Evangile en revanche oblige A  considérer comme son prochain, tout individu, mASme étranger, rencontré au hasard de sa vie. C'est A  ce prochain, A  ce frère que l'on devra pardonner de faA§on illimitée. Mais cela ne suffira pas. On devra l'aimer comme soi-mASme par amour du Dieu commun. La Bible avait annoncé cette croyance en une fraternité universelle. Mais les Hébreux avaient souvent tendance A  la limiter A  leurs coreligionnaires. En revanche, tout l'Evangile est rempli de ce commandement fondamental. Toute citation particulière est inutile car il faudrait citer l'ensemble du Nouveau Testament. Les premières communautés chrétiennes ne s'y trompèrent pas. Le terme de - frère - couramment employé traduisait bien ce qui paraissait essentiel dans les rapports entre membres de la famille humaine. D'ailleurs, les rapports communautaires et le sens du partage sont beaucoup plus compris comme résultant d'un deir moral que d'une obligation juridique.
Ceci apparait très nettement A  travers la patristique. Les appels au partage et A  l'aumône sont avant tout une obligation de conscience. Saint Augustin montrera très clairement lui aussi que les chrétiens doivent peut-AStre respecter les lois profanes, indépendamment de leur valeur intrinsèque. Mais ils doivent surtout les dépasser et aller au-delA .
MASme lorsque saint Thomas expose sa théorie du droit de propriété ou de l'égalité, en fondant la recherche objective sur l'intelligence, il n'en reste pas moins, aussi, un théologien. Il posera en principe le deir de l'Etat de veiller A  une juste répartition des richesses au sein de la communauté et d'éviter que l'avarice de certains ne nuise A  l'intérASt commun. Néanmoins il admet que cette répartition ne saurait AStre qu'imparfaite. Les deirs individuels demeurent donc entiers.
A priori la conception du droit de propriété que traduit l'article 17 de la Déclaration de 1789, la définition de la liberté, consistant A  pouir faire tout ce qui ne nuit pas A  autrui, mais a contrario ne contraignant pas A  faire ce qui peut lui AStre utile, une égalité de droit n'excluant nullement de graves inégalités de fait, ne nt guère dans le sens de la Fraternité. De fait l'on a plus tard présenté la Déclaration dans son ensemble comme une déclaration - bourgeoise - consacrant les moyens d'atteindre des fins purement égoïstes. Il serait cependant injuste d'oublier que l'esprit du xvme est résolument optimiste. Naïvement peut-AStre, mais souvent sincèrement, beaucoup d'hommes sont convaincus que la liberté farisera les progrès et offrira une solution A  tous les problèmes : l'homme est naturellement bon; recouvrant ses droits naturels, il les utilisera nécessairement dans l'intérASt de ses semblables. Tout en restant individualiste, la Déclaration de 1793 a une connotation plus sociale notamment dans son article 21 : - Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister A  ceux qui sont hors d'état de travailler. - Cet article peut AStre A  certains égards considéré comme annonciateur des droits publics individuels ou droits A  prestations, forme moderne d'une reconnaissance juridique de la fraternité. Ils sont aussi le signe d'une élution de la notion mASme de droits de l'homme, signe d'un déclin selon les libéraux, d'un épanouissement selon d'autres, d'une certaine contestation en tout état de cause.



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